1999.16
Définition et analyse d’un outil de communication adapté au secteur de la
distribution : Le magazine de consommateurs
Géraldine Michel
*
et Jean-François Vergne
**
* Maître de Conférences à l’IAE de Paris **Doctorant à l’IAE de Paris
Résumé: Le magazine de consommateurs est de plus en plus utilisé comme un outil de
communication, dans le secteur de la distribution. Quels sont ses objectifs et les moyens mis en
œuvre ? Comment s’inscrit-il dans le mix de communication des enseignes ? Cet article se
propose de répondre à ces questions en présentant le magazine de consommateurs comme un
outil relationnel qui fait appel à un langage implicite en opposition au discours explicite de la
publicité et du marketing direct.
Mots clés
: magazine de consommateurs, distribution, communication, langage
Abstract : The consumer magazine is an increasingly common practice in the retailing sector.
What are its objectives ? How to fullfill these goals ? How does the magazine take part in the
communication strategy of retailers ? This article intends to answer to these questions. The
consumer magazine appears as a relational tool using an implicit language versus the explicit
language from advertising and direct marketing.
Key-words
: consumer magazine, retailing, communication, language
1 Introduction
Aujourd’hui, le marketing direct traditionnel (les mailings, les prospectus) s’essouffle en
raison de la surabondance des messages, d’où la nécessité de s’adresser différemment au
consommateur. La volonté d’établir une relation de proximité avec les consommateurs incite de
plus en plus les entreprises à recourir à des supports de presse dont ils sont propriétaires, les
magazines de consommateurs. Si le phénomène n’est pas nouveau, les créations de titres ont
tendance à se multiplier, depuis le début des années 90.
Ainsi, face à la banalisation du marketing direct traditionnel, le magazine de consommateurs
connaît un engouement considérable dans la plupart des secteurs d’activité. En France, le
premier magazine de consommateurs a été créé par la Fnac en 1954. Aujourd’hui, les entreprises
de distribution, les grands groupes alimentaires, les sociétés d’assurances, les constructeurs
automobiles, les banques, les chaînes de coiffure, ont désormais leur journal. Carat [3] a recensé
cent vingt-quatre magazines de consommateurs pour une diffusion globale annuelle se situant à
plus de 400 millions d’exemplaires.
La distribution est le secteur dans lequel les magazines de consommateurs ont le plus pros-
péré [3]. Parmi les cent vingt-quatre titres recensés, vingt-cinq sont l’émanation des enseignes
de distribution (tableau 1, page 2). Ensembles, ils représentent une diffusion annuelle cumulée
de 129 millions d’exemplaires, soit 31% du marché global (
Tati Magazine, Vivre Champion, Le
Journal de Carrefour
…). Interdits de spots publicitaires à la télévision, les distributeurs ont
souvent privilégié la communication hors média. Les magazines de consommateurs s’inscrivent
donc parfaitement dans leur stratégie de communication. Bien que les enseignes de distribution
et les fabricants utilisent le même outil, la problématique et les objectifs sont distincts. Ces diffé-
rences justifient des études spécifiques. Le présent article se consacre donc uniquement à
l’analyse des magazines de consommateurs dans le secteur de la distribution (grande distribu-
tion et enseigne spécialisée).
IAE de Paris (Université Paris 1
Panthéon - Sorbonne
) - GREGOR - 1999.16 - 2
Malgré le développement actuel des magazines de consommateurs, peu de recherches leur
sont consacrées [1]. La première partie de cet article présente le concept de magazine de
consommateurs et ses principaux objectifs, et le situe dans la panoplie des techniques de
communication hors média. La deuxième partie décrit les différentes problématiques des maga-
zines de consommateurs.
2 Les magazines de consommateurs : un outil relationnel
2-1 Définition
« Customer magazine », « Consumer magazine », « Magazine de consommateurs »,
« Distri-mag » telles sont les principales appellations utilisées pour désigner ces titres conçus
par une enseigne à destination de ses clients. Cette multiplicité de noms révèle une grande diver-
sité de réalités et chacun – ou presque - y va de sa définition. Pour les uns, ne peuvent bénéficier
du nom de magazine de consommateurs que les titres s’adressant au grand public. Pour d’autres,
l’ensemble de la presse externe (y compris celle s’adressant aux clients Business to Business)
peut revendiquer ce qualitatif. Médiapolis et Editum [7] définissent les magazines de consom-
mateurs comme des supports de presse gratuits créés à l’initiative de certaines marques et ensei-
gnes de distribution, qui présentent de façon détaillée leurs produits et services. Selon les
professionnels, si moins de 50 % de la pagination est consacrée aux informations générales, le
journal est un catalogue, un prospectus déguisé que l’on qualifie de « magalogue » et non de
magazine de consommateurs. Dans le cadre de cette étude, sont donc qualifiés de magazine de
consommateurs les supports gratuits, ayant un contenu éditorial riche en information, et réalisés
par une enseigne de distribution.
2-2 Les objectifs du magazine de consommateurs dans le secteur de la
distribution
Dans un environnement commercial saturé et hyper concurrentiel, la fidélisation du consom-
mateur et la préservation des marchés acquis constituent des objectifs marketing prioritaires
Tableau 1 : Nombre de titres et de diffusion des magazines de consommateurs par secteur
Secteur Nombre de titres Diffusion annuelle
Distribution 25 128 987 000
Média 11 81 017 000
Assurance Mutuelle 10 50 786 000
Services divers 4 24 484 000
Transport 16 20 627 000
Automobile 10 17 345 000
Telecom et multimedia 5 16 581 000
Banque-Finance 5 9 890 000
Alimentation-boissons 3 8 700 000
Maison-bricolage 2 7 200 000
Hôtellerie-restauration 3 4 673 000
Coiffure 5 3 230 000
Pharmacie 4 3 200 000
Habillement 9 2 254 000
Edition musicale 3 1 584 000
Loisirs 6 1 165 000
Informatique 1 640 000
Immobilier 1 300 000
IAE de Paris (Université Paris 1
Panthéon - Sorbonne
) - GREGOR - 1999.16 - 3
[11]. Pour fidéliser la clientèle, il est important d’intensifier la communication, de multiplier les
contacts et de veiller à la qualité de ces relations. Le magazine de consommateurs, dans le sens
où il représente un lien supplémentaire entre le distributeur et ses clients, apparaît aujourd'hui
comme un outil de fidélisation essentiel. Ce support présente un contenu riche en information,
centré à la fois sur l’univers de l’enseigne et sur l’univers des produits. En conséquence, il
répond à un double objectif : communiquer sur l’enseigne et développer les ventes.
2-2.1 Communiquer sur l’enseigne
Le magazine de consommateurs constitue un moyen d’expression privilégié pour le distribu-
teur. Il s’agit de la vitrine de l’enseigne. Il lui permet d’exprimer sa différence par rapport aux
concurrents et de véhiculer les valeurs propres de l’entreprise. Il devient alors un moyen de
prendre position. Par exemple, le magazine de la Fnac
Contact
aborde, avec une grande liberté
de ton, des sujets politiques réputés difficiles, et s’affirme en tant qu’entreprise citoyenne. Carre-
four a pris position contre les produits OGM (organismes génétiquement modifiés) en élimi-
nant, des produits vendus sous ses marques propres, les substances pouvant contenir des gènes
modifiés. Son journal est utilisé afin d’expliquer cette stratégie à la clientèle et de relayer sa
communication
corporate
. Le magazine constitue aussi un moyen pour le distributeur de
présenter son métier et d’en expliquer les coulisses (par exemple, la journée type d’un chef de
rayon). L’objectif est de valoriser l’entreprise en générant une reconnaissance de son travail par
les clients. En présentant ainsi l’univers du distributeur, le magazine de consommateurs, en tant
que support d’image, apparaît comme un élément des relations publiques et de la communica-
tion institutionnelle.
2-2.2 Développer les ventes
Le magazine de consommateurs n’est pas dépourvu d’une démarche mercantile. Son objectif
est également d’inciter à l’achat et d’augmenter les ventes à long terme. En effet, pour un distri-
buteur, fidéliser les clients, consiste à leur donner envie de venir en magasin, à les faire venir
plus souvent, à les faire acheter plus à chaque visite. La vocation commerciale du magazine de
consommateurs est particulièrement visible dans le fait qu'il présente uniquement les produits
vendus par l'enseigne. Plus particulièrement, ce support est souvent utilisé par les distributeurs
pour mettre en valeur leurs marques propres. C’est ce que font Carrefour avec sa marque de
vêtements Tex, et Continent avec sa gamme de produits Reflets de France.
2-3 Le langage de communication
Afin de remplir ces deux objectifs, la communication se fonde sur trois grands principes : une
vocation pédagogique, un langage implicite et une approche interactive.
2-3.1 Un outil à vocation pédagogique
Le magazine de consommateurs emploie une approche différente des techniques tradition-
nelles du marketing. Il se veut un outil pédagogique et véritablement utile. Il doit satisfaire un
individu qui ressent un besoin d’information plus fort qu’avant, car l’offre est d'une manière
générale plus large et moins différenciée. On s’adresse dès lors à un consommateur mature, qui
a appris à déchiffrer les messages publicitaires, qui sait faire jouer la concurrence entre les
marques et les enseignes. L’objectif est d’aider le consommateur à mieux acheter, en lui donnant
des éléments de compréhension, des conseils pour faire de bons choix. Dans ce but, la commu-
nication ne porte pas toujours directement sur les produits. On cherche plutôt à les mettre en
scène et à élargit la présentation à l’environnement ou à l’univers du produit. Afin d'aider le
consommateur dans ses prises de décision, on lui présente les principaux critères de choix à
travers des guides d'achat. On lui donne des informations utiles, ayant une véritable valeur
d’usage. A cet égard, la presse écrite apparaît comme un support adéquat. Elle permet, en effet,
d’aborder les sujets en profondeur et de fournir une information claire et détaillée.
IAE de Paris (Université Paris 1
Panthéon - Sorbonne
) - GREGOR - 1999.16 - 4
2-3.2 Un langage implicite
Le langage des magazines de consommateurs est différent du langage publicitaire tradi-
tionnel, « il ne s’agit plus d’exprimer mais de suggérer » [5]. Le processus de communication
publicitaire traditionnel se construit comme suit [4] (tableau 2, page 5) :
"
L’annonceur a toujours un statut de présentateur d’un produit à propos duquel il énonce
un certain nombre de caractéristiques.
#
Le destinataire des messages publicitaires est désigné comme un sujet susceptible d’être
concerné par tout ce qui est dit au sujet du produit ou de la marque.
$
L’organisation narrative du texte publicitaire est généralement explicite.
Pour les magazines de consommateurs, le processus de communication s’appuie sur trois
grands principes.
"
On peut généralement observer une neutralité apparente du distributeur. Le nom de
l’enseigne n’apparaît que très peu. Il reste en retrait pour garantir l’objectivité des informations
et la crédibilité du titre.
#
Le magazine de consommateurs s’adresse à un citoyen et non à un consommateur en quête
d’un produit. L’individu se dégage peu à peu du rôle d’objet pour celui de partenaire. Il est pris
en considération et traité en expert.
$
Le langage est différent des stratégies de persuasion et des argumentaires utilisés en publi-
cité et en marketing direct. Dans une logique d’argumentation, on distingue le discours explicite
(présenter les arguments dans le texte) du discours implicite (générer une attitude vis-à-vis de
la proposition pour induire solution) [8].
Il existe un sens littéral, qui est la description d’un état objectif, et un sens figuré qui est
implicite, dérivable du contexte, selon le problème du lecteur. D’où la pluralité des significa-
tions d’une même discursivité. Mais l’implicite n’est pas seulement le médiateur contextuel qui
Ecadré 1: Organisation narrative d’un texte publicitaire [4]
Les textes publicitairesparlent toujours de façon plus ou moins du produit (P), de la
marque du produit (M), des qualifications du produit (q) et de ce que procure ce produit
(R). Le slogan se traduit par l’équation suivante:
«104 Peugeot, des qualités confirmées et le prix d’une 5CV» – «Meilleur rapport qualité/prix»
P(M) * q = R Relation 1
L’argumentation est explicite et prend une forme type:
- Vous avez un manque [manque = R(-)]
- Vous cherchez à combler ce manque [quête]
- R représente le manque comblé [objet de quête]
- P(M) * q représente le moyen de combler ce manque [auxiliaire de la quête]
Encadré 2 : L’implicite dans l’argumentation
Il existe un sens littéral, qui est la description d’un état objectif, et un sens figuré qui est
implicite, dérivable du contexte, selon le problème du lecteur. D’où la pluralité des signi-
fications d’une même discursivité. Mais l’implicite n’est pas seulement le médiateur
contextuel qui autorise l’inférence, il est aussi l’argument vers lequel on veut amener le
destinataire à adhérer, sans avoir à le lui dire [8].
IAE de Paris (Université Paris 1
Panthéon - Sorbonne
) - GREGOR - 1999.16 - 5
autorise l’inférence, il est aussi l’argument vers lequel on veut amener le destinataire à adhérer,
sans avoir à le lui dire [8].
C’est ainsi, par exemple, que dans une lettre de vente utilisée en marketing direct, la conclu-
sion « Achetez aujourd’hui notre produit x, car il résoudra votre problème et vous donnera toute
satisfaction » s’impose par une démonstration rigoureuse [10]. Alors que le discours du maga-
zine de consommateurs est fondé sur un langage implicite, sur des techniques de suggestion et
de connotation. Ce type de langage implicite laisse la place à une décision personnelle, laissant
au consommateur le soin de conclure lui-même la réponse [8]. En faisant un dossier sur les
pommes, qui présente leurs différentes variétés et leurs propriétés respectives, le distributeur
suggère qu’il est un expert en la matière. Du fait de cette expertise, le consommateur déduit
ensuite que l’enseigne vend des pommes de qualité.
2-3.3 Une approche interactive
Le magazine de consommateurs cherche à être un outil interactif, à instaurer un dialogue et
un échange avec le consommateur. On peut distinguer deux types d'interactivité. L’interactivité
éditoriale consiste à donner la parole aux lecteurs, à les laisser s’exprimer et témoigner de leur
expérience. Le courrier des lecteurs semble être la rubrique incontournable des magazines de
consommateurs. L’interactivité commerciale est tout aussi importante. Le magazine apparaît
comme un outil de marketing direct, dans le sens où il intègre souvent un média de réponse : il
renvoie à un contact téléphonique, à un service Minitel ou à un site Internet.
2-4 Positionnement du magazine de consommateurs
2-4.1 Un outil qui relève des relations publiques et du marketing direct
Compte tenu des deux objectifs principaux du magazine de consommateurs et du langage
utilisé, il peut se définir comme un vecteur de communication hybride, tant sur le fond que sur
la forme (figure 1, page 6).
- Les relations publiques sont destinées à instaurer une relation de confiance avec les publics
internes et externes de l’entreprise, en mettant en œuvre une politique de communication et
d’information [2]. En tant que support de presse communiquant sur l’enseigne et à vocation
informationnelle, les magazines de consommateurs peuvent être considérés comme un outil de
relations publiques.
- Les techniques de marketing direct impliquent un processus de communication personna-
lisé et interactif, en déclenchant une action de la part de la cible qui ne se limite pas à l’étape
ultime de l’achat [6]. En tant que média de réponse qui joue sur l’interactivité, les magazines de
consommateurs peuvent être assimilés aux techniques de marketing direct.
Tableau 2 : Comparaison des processus de communication relatifs à la publicité
traditionnelle et au magazine de consommateurs
Publicités et outils du
marketing direct Magazine de
consommateurs
"
Emetteur
L’annonceur a un statut de présenta-
teur d’un produit ou d’une marque. Le nom de l’enseigne n’apparaît que
très peu, neutralité apparente. Le
distributeur a un statut d’expert.
#
Récepteur
Le destinataire des messages est
désigné comme un acheteur poten-
tiel du produit.
Le destinataire des messages est
désigné comme un partenaire et est
considéré comme un expert.
$
Style narratif
L’organisation narrative des messa-
ges est généralement explicite et
démonstrative.
Le discours est fondé sur un langage
implicite (connotations, sugges-
tions) laissant au consommateur le
soin de déduire la réponse.
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !