L’Année psychologique
http://www.necplus.eu/APY
Additional services for L’Année psychologique:
Email alerts: Click here
Subscriptions: Click here
Commercial reprints: Click here
Terms of use : Click here
Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique
Margot Poletti, Ludovic Le Bigot et François Rigalleau
L’Année psychologique / Volume 112 / Issue 02 / June 2012, pp 247 - 275
DOI: 10.4074/S0003503312002047, Published online: 25 June 2012
Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0003503312002047
How to cite this article:
Margot Poletti, Ludovic Le Bigot et François Rigalleau (2012). Les intérêts théoriques de
l’amorçage syntaxique. L’Année psychologique, 112, pp 247-275 doi:10.4074/
S0003503312002047
Request Permissions : Click here
Downloaded from http://www.necplus.eu/APY, IP address: 78.47.27.170 on 15 Feb 2017
Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique
Margot Poletti, Ludovic Le Bigot et François Rigalleau
Université de Poitiers et CNRS (CeRCA, UMR 6234)
RÉSUMÉ
L’amorçage syntaxique est un phénomène de réutilisation de la structure
syntaxique d’une phrase «amorce »qu’un locuteur vient de percevoir ou
de produire. Dans cet article, nous définissons dans un premier temps
l’amorçage syntaxique, en détaillant le contexte de sa découverte et en
précisant les arguments en faveur d’un amorçage purement syntaxique.
Nous évoquons notamment les arguments suggérant que cet amorçage
ne dépend pas d’aspects non-syntaxiques. Puis nous envisageons deux
facteurs influençant l’amorçage syntaxique : la similarité lexicale entre
la phrase amorce et la phrase cible, et la fréquence des structures
syntaxiques. Dans un deuxième temps, nous abordons cet effet d’amorçage
sur un plan théorique, en le situant dans les modèles de production
verbale. Nous évoquons aussi la contribution mnésique que l’amorçage
syntaxique nécessite. Enfin nous considérons le lien qu’il suggère entre les
représentations syntaxiques en compréhension et en production.
The theoretical issues of syntactic priming
ABSTRACT
Syntactic priming (SP) refers to speaker’s tendency to reuse in the current sentence (the
target sentence) the syntactic structure of a priming sentence that was previously perceived
or produced. In this paper, after recalling the initial experimental evidences of this effect,
we review the arguments suggesting that this effect is not related to a tendency to reuse
non-syntactic aspects of a sentence. Then we examine two factors influencing SP: the
lexical similarity between the prime and the target, and the frequency of the priming
structure. Secondly, we discuss the SP effect in the models of language production. We
also consider which memory system is required to explain syntactic priming. Finally, we
consider how SP can shed some light on the link between the syntactic representations in
comprehension and in production.
Correspondance : Margot Poletti ou François Rigalleau, CeRCA/MSHS, 5 rue Théodore Lefebvre, 86000
Les auteurs ont bénéficié pour ce travail d’un soutien financier de l’Agence National de la Recherche
(ANR06JCJC-098).
L’année psychologique, 2012, 112, 247-275
248 Margot Poletti rLudovic Le Bigot rFrançois Rigalleau
La répétition dans le langage est fréquemment observée dans la
communication entre humains en contexte naturel. Depuis une trentaine
d’années, un phénomène de répétition se situant au niveau de la syntaxe
fait l’objet de nombreuses recherches : l’amorçage syntaxique. Plusieurs
revues de littérature ont notamment été publiées sur ce thème (Branigan,
2007 ; Ferreira & Bock, 2006 ; Pickering & Ferreira, 2008). Cette multitude
de travaux semble pourtant limitée au monde anglo-saxon, même si
des recherches existent sur l’amorçage syntaxique en espagnol ou en
néerlandais. Les travaux portant sur le français demeurent rares (nous
en mentionnons dans ce travail), et une motivation importante de cette
revue est de permettre à un large public francophone de connaître ces
travaux. Nous nous sommes inspirés des revues de question publiées en
anglais, mais en tentant de proposer une revue originale. Les premières
observations ont décrit l’amorçage syntaxique comme une réutilisation
involontaire des éléments structurels d’une phrase antérieurement perçue
ou produite. Ce phénomène a été appelé «répétition syntaxique »ou
«persistance syntaxique », mais les études ultérieures ont conduit à
privilégier l’expression «amorçage syntaxique », qui témoigne mieux du
caractère sans doute inconscient du phénomène. En effet, la perception
ou la production d’une structure favorise sa production ultérieure car
la première occurrence de cette structure fonctionne à la manière d’une
«amorce »facilitant la production ultérieure de la structure dans une
nouvelle phrase, appelée phrase «cible ». Nous allons envisager dans un
premier temps la découverte du phénomène, et pourquoi il est qualifié
de «syntaxique ». Nous nous appliquerons ensuite à le situer au niveau
théorique, en envisageant sa place dans les modèles de production, le type
de mémoire qu’il implique, ainsi que le lien qu’il peut refléter entre la
compréhension et la production du langage.
QU’EST-CE QUE L’AMORÇAGE SYNTAXIQUE ?
Premiers travaux
Les individus produisant un énoncé ont tendance à utiliser des mots ou
des groupes de mots déjà produits dans le discours, par eux ou par leur(s)
interlocuteur(s). Levelt et Kelter (1982) ont réalisé une des premières
expériences démontrant la répétition d’éléments syntaxiques. Une de leurs
expérimentations consistait à appeler des commerçants au téléphone pour
leur demander l’heure de fermeture de leur magasin, en utilisant deux
formes de questions ne différant que par l’ajout d’une préposition en début
L’année psychologique, 2012, 112, 247-275
Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 249
de phrase. Leur hypothèse est que les participants confrontés à une question
avec une préposition initiale (1) doivent ensuite produire plus souvent une
réponse avec une préposition (2), tandis que les participants confrontés
à une question sans préposition (3) doivent produire une réponse sans
préposition (4).
(1) At what time does your shop close? [A quelle heure ferme votre
magasin ?]
(2) At five oclock. [À cinq heures.]
(3) What time does your shop close? [Quelle est l’heure de fermeture de
votre magasin ?]
(4) Five o’clock. [Cinq heures.]
Les résultats ont confirmé que les participants avaient tendance à
apparier leur réponse à la forme de la question qu’ils avaient entendue.
Les participants qui avaient été confrontés à une question incluant la
préposition at [à] incluaient dans leurs réponses la préposition at.Ces
auteurs ont mis en évidence une correspondance entre la forme de la
question utilisée et la réponse donnée à cette dernière (1, 2 vs.3,4).Mais
cet appariement pouvait aussi refléter une simple adaptation consciente
à la forme de la question posée, c’est-à-dire un mécanisme inhérent à la
situation de dialogue.
Bock (1986) a montré que cette réutilisation pouvait survenir sans
qu’elle implique une réponse à une question. Lors d’une tâche évaluant
la mémoire, elle faisait répéter des phrases à des participants, puis leur
demandait de décrire une image, sans rapport avec la phrase qu’ils venaient
d’entendre et de répéter. Afin de justifier la tâche de mémorisation auprès
des participants, ils devaient, une fois la répétition de la phrase effectuée,
juger s’ils avaient déjà été confrontés à cette phrase au cours de la session
expérimentale. De même, une fois la description de l’image réalisée, les
participants devaient juger s’ils avaient vu cette image au cours de la session
expérimentale précédente. Les phrases à répéter étaient des amorces et
les images à décrire constituaient le stimulus permettant la production
des phrases cibles. La manipulation de Bock portait sur les différentes
constructions syntaxiques des phrases à répéter. Celles-ci pouvaient être
de forme transitive, présentée soit à la voix active (5) soit à la voix
passive (6), ou de forme dative, soit prépositionnelle objet (7) soit double
objet (8).
L’année psychologique, 2012, 112, 247-275
250 Margot Poletti rLudovic Le Bigot rFrançois Rigalleau
(5) One of the fans punched the referee. [Un des supporters a frappé
l’arbitre.]
(6) The referee was punched by one of the fans. [L’arbitre a été frappé par
un des supporters.]
(7) A rock star sold some cocaine to an undercover agent.[Unerockstara
vendu de la cocaïne à un policier infiltré]
(8) A rock star sold an undercover agent some cocaine.[Unerockstara
vendu à un policier infiltré de la cocaïne.]
Selon Bock, un participant ayant répété une amorce à la voix active (5)
doit plus souvent produire une phrase cible à la voix active que s’il a été
confronté à une amorce à la voix passive (6). De manière analogue, un
participant ayant répété une phrase amorce de type dative prépositionnelle
(7) doit produire plus souvent une phrase cible de même type que s’il a
répété une phrase dative double-objet (8).
L’analyse des résultats a confirmé les hypothèses de Bock : lorsque
les participants décrivaient l’image, ils employaient plus fréquemment la
structure de la phrase répétée auparavant qu’une autre structure. Bock a
conclu que l’amorçage syntaxique n’était pas seulement assimilable à une
tendance à formuler une réponse respectant la structure d’une question,
mais qu’il reflétait aussi une réutilisation de la structure syntaxique
venant d’être produite. Les deux expérimentations évoquées ci-dessus
ont démontré qu’il existait une tendance à la réutilisation des différents
éléments de la structure de la phrase.
Si l’étude de Bock (1986) a servi d’expérience princeps pour la suite
des expérimentations sur l’amorçage syntaxique, les résultats qu’elle a
obtenus ont provoqué plusieurs critiques sur la nature de ce qui était
réellement reproduit par les participants. L’une de ces questions concerne le
niveau de représentation concerné par l’amorçage : s’agit-il bien du niveau
syntaxique, ou d’un autre niveau (prosodique, sémantique, thématique)
en partie corrélé avec la représentation syntaxique. Par exemple, le choix
d’une structure dative prépositionnelle est associé, en anglais, à l’insertion
de la préposition to. Ce serait la reproduction lexicale de cette préposition
qui serait au cœur du choix apparemment syntaxique. De même, la
structure syntaxique amorce peut être liée à des aspects prosodiques
spécifiques, et la reproduction de ces aspects phonologiques conduirait
à privilégier une structure syntaxique similaire. De manière générale, les
critiques ont porté sur le niveau exact de représentation concerné par
L’année psychologique, 2012, 112, 247-275
1 / 30 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !