L’Année psychologique
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De la mémoire épisodique à la mémoire
autobiographique : approche développementale
Laurence Picard, Francis Eustache et Pascale Piolino
L’Année psychologique / Volume 109 / Issue 02 / June 2009, pp 197 - 236
DOI: 10.4074/S0003503309002012, Published online: 03 July 2009
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Laurence Picard, Francis Eustache et Pascale Piolino (2009). De la mémoire épisodique
à la mémoire autobiographique : approche développementale. L’Année psychologique,
109, pp 197-236 doi:10.4074/S0003503309002012
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De la mémoire épisodique à la mémoire
autobiographique : approche développementale
Laurence Picard1, Francis Eustache1et Pascale Piolino1,2*
1Inserm – EPHE – Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923, GIP Cyceron,
CHU Côte de Nacre, Caen
2Université Paris Descartes, Institut de Psychologie, CNRS UMR 8189, Paris
RÉSUMÉ
Dans une perspective développementale, cet article se propose de relier
les concepts de mémoire épisodique et de mémoire autobiographique
et de décrire l’évolution de leurs capacités au cours de l’enfance.
Ces deux concepts seront tout d’abord définis et confrontés, au
regard de modèles centrés sur la mémoire épisodique (Tulving,
1995), la mémoire autobiographique (Conway, 2005) et à partir de
modèles développementaux (Nelson & Fivush, 2004) suggérant l’existence
d’un continuum entre ces deux formes de mémoire. L’émergence
et l’augmentation de leurs capacités au cours de l’enfance seront
ensuite illustrées par de récentes données de la littérature, suggérant
que leur développement se poursuit jusqu’en cours d’adolescence.
Enfin, l’implication d’autres systèmes mnésiques plus précoces (mémoire
de travail et mémoire sémantique) dans l’émergence de ces formes
élaborées de mémoire (épisodique et autobiographique) sera rapportée, en
confrontant ces données aux modèles précédemment exposés.
From episodic to autobiographical memory: a developmental perspective
ABSTRACT
From a developmental viewpoint, this issue aims at associating the concepts of episodic-
and autobiographical memory and describing the development of their abilities during
childhood. At first, both concepts are defined and compared in line with different
frameworks: an episodic one (Tulving, 1995), an autobiographical one (Conway, 2005)
and a developmental model (Nelson & Fivush, 2004) that suggest a continuum between
these two types of memory. The emergence of episodic and autobiographical capacity is
then illustrated by recent experimental data that show a long lasting increase, occurring
until adolescence. Finally, two crucial memory systems, semantic- and working memory,
* Correspondance : Inserm-EPHE-Université de Caen/Basse-Normandie, Unité U923, Laboratoire de
Neuropsychologie, CHU Côte de Nacre, 14033 Caen Cedex, France. E-mail : [email protected]
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are set as example of the involvement of many factors in the development of these two
complex systems (episodic and autobiographical).
«On m’avait endormi ; ça piquait la gorge quand je me réveillais.
Maman elle était en haut, et moi tout seul avec les docteurs et une
copine à moi. C’était à la clinique. J’avais un masque sur le nez,
j’aimais pas l’odeur. J’arrêtais pas de bouger dans tous les sens,
j’essayais de l’enlever. J’avais peur, je pensais que je couperais la
tête aux docteurs parce que j’avais pas envie qu’ils me fassent ça. »
(Lucas, 5 ans)
De notre enfance persistent des images chargées d’émotion, des souvenirs
de vacances et de batailles d’oreillers, des gestes, des poésies et des
tables de calcul ... Autant de traces différentes en mémoire que l’enfant
emmagasine dès le plus jeune âge. Le sentiment d’identité de l’individu
dépendant fortement de la remémoration de son propre passé (Conway
& Pleydell-Pearce, 2000 ; Piolino, Desgranges, & Eustache, 2008), l’étude
de l’émergence des souvenirs personnels est essentielle afin de parvenir à
une meilleure compréhension de la construction progressive du sentiment
de soi. Même si une vision unitaire de la mémoire est parfois adoptée
(e.g. Nicolas, 2000 ; Rovee-Collier, 1997), les dissociations mises en
évidence en neuropsychologie auprès de patients et plus récemment
les travaux de neuroimagerie chez les sujets sains et les dissociations
développementales (Temple & Richardson, 2004 ; Vargha-Khadem, Gadian,
Watkins, Connelly, Van Paesschen, & Mishkin, 1997) conduisent la
majorité des auteurs à adopter une conception multi systémique de
la mémoire (Eustache & Desgranges, 2008). La mémoire est alors
considérée comme une entité formée de plusieurs systèmes, distingués en
fonction de la nature des informations stockées et des réseaux cérébraux
sous-jacents.
L’évocation de souvenirs d’événements personnellement vécus serait
la compétence mnésique la plus complexe. Les capacités de ré-évocation
du passé seraient sous-tendues par la mémoire épisodique selon Tulving
(2001) ou par la mémoire autobiographique selon Conway (2001). Même
s’il est maintenant admis que ces deux termes ne sont pas similaires, leurs
relations sont encore mal définies. Selon Conway (2005), de multiples
informations seraient quotidiennement encodées en mémoire épisodique,
mais seules celles dont la pertinence personnelle permet un maintien à long
terme seraient intégrées en mémoire autobiographique. Malgré l’apparente
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Mémoire épisodique et autobiographique chez l’enfant 199
continuité entre ces deux concepts, deux champs de recherche distincts se
sont développés.
Cet article se propose de relier les concepts de mémoire épisodique
et de mémoire autobiographique dans une perspective développementale,
en pointant leurs similarités et leurs différences à partir de trois
axes d’étude : i/les modèles théoriques, ii/les données expérimentales
traitant de l’émergence de ces capacités mnésiques, iii/l’interaction entre
leur développement et celui d’autres fonctions cognitives. Dans un
premier temps, les concepts de mémoire épisodique et de mémoire
autobiographique seront donc développés à la lumière de leur modèle
théorique de référence respectif (i.e. Tulving, 1995 ; Conway, 2005).
Dans un second temps, les récentes données de la littérature concernant
l’émergence des capacités mnésiques épisodiques et autobiographiques
seront présentées et confrontées aux modèles théoriques afin de souligner
(ou non) la similarité de leur profil développemental et l’adéquation avec
les modèles. Enfin, l’implication de systèmes mnésiques plus précoces
(mémoire de travail et mémoire sémantique) dans l’émergence et le
développement de ces formes élaborées de mémoire (épisodique et
autobiographique) sera exposée.
I. MÉMOIRE ÉPISODIQUE ET MÉMOIRE
AUTOBIOGRAPHIQUE : CONCEPTIONS
THÉORIQUES ET MODÉLES DE RÉFÉRENCE
I.1. Mémoire épisodique selon la conception de Tulving
Dans sa définition initiale, Tulving (1972) propose que la mémoire
épisodique encode et stocke les informations liées à des événements
situés dans le temps, ainsi que les relations temporo-spatiales entre
ces événements. Tulving (1983) précise ultérieurement que ce système
mnésique est chargé non seulement de la mémorisation d’événements
personnellement vécus situés dans leur contexte temporel et spatial
d’acquisition, mais aussi du sentiment de reviviscence qui caractérise leur
récupération. L’individu a alors l’impression d’effectuer un voyage mental
dans le temps, de revivre le passé ; il se représente mentalement l’expérience
initiale avec les pensées, les sentiments et les perceptions originelles
(Tulving, 2002 ; Wheeler, Stuss, & Tulving, 1997). Cette forme particulière
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de conscience, la conscience autonoétique, implique pour le sujet
d’appréhender son existence au travers du temps subjectif, de percevoir
le présent comme suite de son passé et prélude de son futur (Wheeler et
al., 1997), et de reconnaître l’unicité et la continuité qui le caractérisent,
assurant ainsi son sentiment d’identité (le self). Le voyage mental dans le
temps serait donc le fruit de trois concepts : le sens du temps subjectif,
le self et la conscience autonoétique (Tulving, 2001, 2002). Cette faculté
impliquerait préférentiellement les lobes frontaux (Wheeler et al., 1997) ;
elle n’est partagée par aucun autre système mnésique, propre à l’Homme, et
fait de la mémoire épisodique le système mnésique le plus évolué au niveau
onto- et phylogénétique (Tulving, 1995). Ainsi, avant l’âge de 4 ans environ
les enfants vivraient sans véritable mémoire épisodique (Tulving, 2005) et
utiliseraient des systèmes mnésiques basiques émergeant successivement :
mémoire procédurale, système de représentations perceptives, mémoire
sémantique, puis mémoire de travail (Tulving, 1995). L’augmentation
tardive des capacités de la mémoire épisodique pourrait notamment
être due aux relations inter-systémiques auxquelles elle est assujettie
et à sa position au sein du modèle. L’encodage s’effectuant de façon
sérielle entre les quatre systèmes représentationnels, les capacités de
la mémoire épisodique resteraient sujettes à maturation tant que les
systèmes inférieurs ne sont pas parfaitement fonctionnels. Le stockage
s’effectuerait en revanche en parallèle et la récupération indépendamment
des autres systèmes mnésiques (Tulving, 1995). Le souvenir spécifique
d’un événement pourrait ainsi être récupéré en mémoire épisodique,
indépendamment des autres systèmes mnésiques.
Même si la définition de la mémoire épisodique suggère qu’elle
s’apparente à la mémoire autobiographique, ces deux concepts ne sont
pas superposables. En effet, la mémoire autobiographique ne concerne pas
uniquement la mémoire épisodique. Depuis l’observation du cas K.C. deux
composantes sont distinguées au sein de la mémoire autobiographique,
l’une épisodique et l’autre sémantique (Tulving, Schacter, McLachlan, &
Moscovitch, 1988). Ainsi, la mémoire autobiographique stocke l’ensemble
des informations (composante sémantique) et des souvenirs spécifiques
(composante épisodique) à un individu accumulés depuis son plus jeune
âge et qui lui permettent de construire un sentiment d’identité et de
continuité (Piolino, Desgranges, & Eustache, 2000). L’aspect composite
de la mémoire autobiographique a été souligné par différents auteurs,
notamment par Conway.
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