263 Journal dentaire du Québec Volume 42 Juillet/Août 2005
Article scientifique
La sécheresse buccale est fréquemment observée chez les personnes âgées. Elle ne semble pas due à un
vieillissement des tissus glandulaires mais est attribuée le plus souvent à la prise de médications affectant le
flot salivaire, le syndrome de Sjögren et aux traitements de radiothérapie. Après avoir examiné l’étiologie, la
symptomatologie, l’impact sur les tissus buccodentaires, les traitements disponibles de la xérostomie et des
affections qui lui sont reliées, les auteurs proposeront des conseils et recommandations thérapeutiques.
La xérostomie chez les personnes âgées
»
Résumé
A dry mouth is frequently observed in elderly patients. This condition does not seem to be a result of ageing
of the glandular tissues but rather attributed to the side effects of medications which may affect salivary flow,
Sjögren Syndrome and radiotherapy. After a thorough review of the etiology, symptoms, as well as the impact
on the hard and soft tissues of the oral cavity and the available treatments for xerostomia and its related
complaints, the authors will propose advice and therapeutic recommendations.
»
Summary
1Étudiante au PhD en Santé publique, option épidémiologie à l’Université de Montréal
2Professeur titulaire, chef du service de Dentisterie préventive et communautaire, Département de santé buccale, Université de Montréal
3Professeur agrégé, spécialiste en médecine buccale, Département de stomatologie, Université de Montréal
Sophie Arpin, DMD, MSc1, Daniel Kandelman, Dr.CD, DMD, MPH.2,
Benoît Lalonde, DMD, MSD, FRCD(c)3
Mots clés
Xérostomie
Salive
Médicament
•Traitement
Key Words
•Xerostomia
Saliva
Medication
•Treatment
264 Journal dentaire du Québec Volume 42 Juillet/Août 2005
Étiologie
La xérostomie, ou sécheresse buccale, est définie
comme étant la réduction anormale de salive1.
Habituellement, la xérostomie est associée à une
diminution du flot salivaire et de la quantité de salive.
Toutefois, la sensation de bouche sèche n’est pas
toujours objectivée. En effet, quelques patients
ressentent une sécheresse buccale sans qu’il y ait
une réduction clinique significative du débit salivaire.
Inversement, certains patients peuvent présenter
cliniquement une diminution de la quantité et du
débit salivaire sans se plaindre de sécheresse2.
Les différentes études épidémiologiques mettent en
évidence l’ampleur du problème causé par les
troubles de xérostomie chez les personnes âgées3.
Cependant, la fréquence de ces troubles patholo-
giques est très diversement appréciée dans la
littérature selon la considération du symptôme de
sécheresse buccale ou de la mesure du débit
salivaire. On évalue sa fréquence à près de 30% au-
delà de 65 ans et plus3,4,5. En général, les taux ont
tendance à être plus élevés chez les femmes que
chez les hommes et augmentent avec l’âge3,4,6.
La salive et ses constituants
La sécrétion salivaire est assurée par trois paires de
glandes principales (parotides, sous-maxillaires et
sublinguales) et par un grand nombre de glandes
salivaires accessoires réparties dans diverses zones
de la muqueuse oropharyngée7. La salivation est
contrôlée par le système nerveux. La stimulation du
système nerveux parasympathique augmente la
sécrétion salivaire, le système nerveux central
augmente l’excrétion en réponse à des stimuli
sensoriels. La composition de la salive est modulée
par le système nerveux sympathique1,4.
Chez l’adulte, la sécrétion moyenne de salive est d’au
moins 500 ml/24 heures. Le débit varie de 0,3
ml/min sans stimulation à 5ml/min lors des repas.
On parle d’hyposalivation à 0.7ml de salive/min ou
moins lorsque l’on teste le débit après une
stimulation salivaire et moins de 0,1ml de salive/min
sans stimulation1,8.
La salive est constituée à 99% d’eau. Son contenu
en minéraux et protéines lui donne ses propriétés et
assurent ses différentes fonctions :
1- Lubrification.
La composition élevée en eau de la salive aide à
la formation du bol alimentaire, à la mastication,
à la déglutition, à l’élocution et au nettoyage des
tissus buccaux9,10. La mucine lubrifie le bol
alimentaire au moment de la déglutition.
2- Digestion et goût.
Cette fonction revêt deux aspects, mécanique et
chimique. La salive dissout les composantes
alimentaires. L'amylase salivaire hydrolyse
l'amidon en composés monosaccharidiques,
disaccharidiques et trisaccharidiques, facilitant la
digestion des aliments riches en amidon11.
3- Réparation tissulaire.
Les facteurs de croissances retrouvés dans la
salive participent à la croissance tissulaire, à la
différentiation et à la réparation12.
4- Maintien de la flore microbienne.
La salive contient différents agents antibactériens,
antiviraux, et antimycosiques. Ces agents balan-
cent la flore orale et inhibent la colonisation
bactérienne des tissus buccodentaires. L’action
mécanique de la salive participe également à
cette fonction10.
5- Pouvoir tampon.
La composition de la salive en carbonates et
phosphates permet le maintien du pH salivaire et
diminue le risque de carie dentaire. Elle procure
une protection à l’œsophage lors de reflux ou
régurgitation9,10.
6- Reminéralisation.
La salive protège les dents et participe à la
reminéralisation par son apport en calcium et
phosphates10.
7- Défense et immunité.
La présence de protéines, d’IgA, de cytokines,
d’hormones, de mucines et d’autres compo-
santes permettent à la salive de jouer un rôle au
sein du système immunitaire10.
Symptomatologie
Il existe une multitude de signes cliniques associés à
la xérostomie8,13 :
1- Bouche sèche (fig. 1A)
2- Atrophie des papilles filiformes
3- Chéilite angulaire (fig. 1B)
4- Érythème des muqueuses
5- Atrophie épithéliale
6- Ulcères
7- Hypertrophie unilatérale ou bilatérale des glandes
parotides
8- Infections orales comme la candidose, principa-
lement sous sa forme érythémateuse chronique
9- Caries rampantes dues à une déficience du
pouvoir tampon de la salive. La concentration et
la multiplication de bactéries cariogènes, l’aug-
mentation de leur activité acidogène ainsi que la
réduction de la vitesse d’élimination des sucres à
la surface des dents expliquent l’apparition de ces
caries extrêmement destructives. (fig. 2)
Article scientifique
La xérostomie chez les personnes âgées
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Article scientifique
La xérostomie chez les personnes âgées
Une hypofonction généralisée des glandes salivaires
peut aussi entraîner d’autres signes et symptômes
comme la sécheresse de la gorge, une déglutition
anormale et/ou douloureuse, des difficultés
d’élocution et une diminution de la rétention des
prothèses dentaires1,10,13.
La plupart des patients présentant des symptômes
de sécheresse buccale souffrent fréquemment de
plusieurs de ces complications simultanément. Les
patients atteints peuvent souffrir d’interruption du
sommeil, de malnutrition et de perte de poids :
conséquemment, une diminution de leur qualité de
vie est souvent observée14,15.
Les facteurs étiologiques associés à la xérostomie les
plus fréquents sont les suivants : les médicaments
affectant le flot salivaire, le syndrome de Sjögren et la
radiothérapie au niveau de la tête et du cou1,9,10,13,15.
La médication
La prise de médicaments constitue la principale
cause d’hypofonction des glandes salivaires chez les
personnes âgées1,6,13. La majorité des aînés prennent
des médicaments prescrits ou en vente libre. En
effet, en 1999, 76% de l'ensemble des personnes
âgées canadiennes vivant chez elles ont pris un
médicament quelconque dans les deux jours
précédant l’enquête, tandis que 53% en ont pris au
moins deux au cours de cette période17. Les aînés de
75 à 84 ans sont généralement plus susceptibles
que leurs homologues plus jeunes de prendre plus
d'un médicament. De plus, en 1994-1995, 10% des
Canadiens de 65 à 74 ans et 13% des 75 ans et plus
usaient d’une polymédication, c’est-à-dire qu’ils ont
déclaré avoir pris au moins cinq médicaments
différents au cours des deux jours précédant
l’enquête17.
Par ailleurs, plusieurs études ont en effet mis en
évidence une relation positive entre la sécheresse
ressentie et la prise fréquente de médicaments1,16.
Plusieurs médicaments, sous prescription et parfois en
vente libre, causent la xérostomie par leurs propriétés
anticholinergiques ou sympathomimétique1,16. De plus,
leurs différentes combinaisons peuvent potentialiser
l’effet de sécheresse16. Selon les diverses estimations,
plus de 500 médicaments auraient la capacité
d’induire la xérostomie1. Les principales catégories
impliquées sont les antidépresseurs tricycliques
(amitriptyline, imipramine), les antihistaminiques
(chlorphéniramine, cétirizine, diphenhydramine,
hydroxyzine) les benzodiazépines (diazépam,
lorazépam), les béta-bloquants (aténolol, propranolol),
Figure 1 : Présence chez le même patient
d’une mucosite associée à l’état
xérostomique. Notez la glossite atrophique
(A) ainsi que la chéilite angulaire (B).
Figure 2 : Condition dentaire instable démontrant la présence de
plusieurs caries dentaires ainsi qu’une sécheresse buccale
importante chez cet homme souffrant d’un syndrome de
Sjögren primaire.
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Article scientifique
La xérostomie chez les personnes âgées
les dérivés de la phénothiazine (chlorpromazine), les
anti-parkinsoniens (benzotropine), les analgésiques
narcotiques (codéine, oxycodone), les anorexigènes
(diéthylpropion), les anticholinergiques (atropine,
diphenhydramine), les anti-spasmodiques (oxybutyni-
ne, clidinium), les antiémétiques (prométhazine), les
anti-diarrhéiques (lopéramide, diphénoxylate/ atro-
pine), les antihypertenseurs (captopril, énalapril), les
diurétiques (hydrochlorothiazide) et les antipsy-
chotiques (chlorpromazine, halopéridol)1,19. Enfin, la
complexité des mécanismes d’action, les interactions
et la variation dans l’absorption et l’élimination des
médicaments rendent difficile la prévision de l’effet
qu’ils auront sur la salive1.
Syndrome de Sjögren
La xérostomie peut être aussi la conséquence de
maladies systémiques telles que le syndrome de
Sjögren1,4,9,10. Le syndrome de Sjögren est la maladie
auto-immune la plus fréquente après l’arthrite
rhumatoïde1. Selon les critères utilisés, il touche de
5% à 6% de la population. Son incidence est
maximale entre 40 et 60 ans et est rencontré neuf
fois plus fréquemment chez les femmes que chez les
hommes1.
Le syndrome de Sjögren est une maladie chronique
qui se caractérise par un hypofonctionnement des
glandes salivaires et des glandes lacrymales,
occasionnant par le fait même, un dessèchement au
niveau des yeux et de la cavité buccale. Il se
manifeste de deux façons : lorsqu’il survient chez des
personnes atteintes d’une maladie rhumatismale ou
d’une affection des tissus conjonctifs, telles que le
lupus érythémateux, la sclérodermie, la polymyosite,
l’arthrite rhumatoïde, la maladie de Raynaud, il s’agit
de la forme secondaire du syndrome (fig. 3). Lorsque
le dessèchement des yeux et de la bouche n’est pas
associé à une de ces maladies, alors il est sous sa
forme primaire10 (fig. 4). On peut également noter
une hypertrophie des glandes salivaires majeures
(fig. 5).
Les critères européens révisés en 2001 peuvent être
appliqués dans le diagnostic du syndrome de Sjögren
(voir tableau I)20. La biopsie de glandes salivaires
mineures labiales constitue une des techniques
diagnostiques à considérer. (fig. 6)
La radiothérapie
Les glandes salivaires sont particulièrement vulné-
rables au cours de l’irradiation radiothérapeutique
des cancers de la tête et du cou, en particulier les
Figure 3 : Les patients souffrant d’un syndrome
de Sjögren secondaire peuvent démontrer des
atteintes d’arthrite rhumatoïde (A) ainsi que la
maladie de Raynaud (B).
Figure 4 : Syndrome de Sjögren primaire.
Notez la présence d’un exsudat purulent
provenant du canal de Wharton (A) ainsi
que les caries de racine (B).
Figure 5 : Hypertrophie des glandes salivaires majeures chez
une patiente souffrant d’un syndrome de Sjögren.
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Article scientifique
La xérostomie chez les personnes âgées
glandes parotides21,22. La xérostomie induite par la
radiothérapie est généralement permanente. Les
doses supérieures à 52 Gy produisent une diminu-
tion sévère et permanente de la production de salive.
En utilisant des doses < 26-30 Gy, la fonction
salivaire est généralement préservée22. La radiothéra-
pie affecte le parenchyme glandulaire, conduisant
initialement à une réaction inflammatoire, suivie par
l’atrophie, la fibrose et subséquemment à
l’hyposécrétion de salive. L’importance du degde
dégénérescence de la glande salivaire dépend de la
dose et de la zone irradiée. L’irradiation partielle des
glandes résulte en un débit salivaire plus élevé
qu’une irradiation complète. De plus, l’irradiation
d’une tumeur au niveau d’une glande salivaire devrait
éviter la glande contralatérale afin de conserver une
activité sécrétoire1. Les nouvelles techniques d’irra-
diation des tumeurs de la tête et du cou, tentent à
restreindre la zone ciblée et à diminuer les
dommages salivaires22. Les caries de radiation, si
aucune approche prophylactique n’est entreprise,
sont une conséquence morbide de la radiothérapie
tête et cou. (fig. 7)
Autres étiologies
Beaucoup d’autres conditions sont susceptibles de
provoquer un état de sécheresse buccale.
Une déperdition en eau et en métabolites occasionne
un débalancement électrolytique comme dans les cas
de déshydratation à cause de forte fièvre, sudation
excessive, brûlure importante, vomissement, hémor-
ragie, diarrhée, insuffisance rénale, malnutrition
protéinique et diabète sucré ou insipide1,23,24.
Un certain nombre de dysfonctionnements du
système nerveux autonome peut affecter la
transmission neurologique et provoquer une
diminution du flot salivaire. Ceci peut être le résultat
de dysfonction du système nerveux autonome
(encéphalite, tumeur cérébrale, AVC, du système
nerveux central (maladie d’Alzheimer ou encore
dans les cas de traumatismes)1.
Aussi, la sarcoïdose présente une xérostomie et une
hypertrophie des glandes salivaires dans 9% des
cas.25. De plus, la xérostomie est une complication
retrouvée dans la maladie du greffon contre l’hôte.
Cette maladie se développe en tant que réponse
immunitaire lorsque les lymphocytes T de la moelle
osseuse du donneur (greffon) identifient les cellules
de l’organisme du patient recevant la greffe en tant
que corps étrangers et les attaquent. Une diminution
de la sécrétion salivaire des parotides venant d’une
Figure 6 : Biopsie de glandes salivaires labiales à des fins
diagnostiques.
Figure 7 : Caries de radiation chez un homme de 69 ans traité
pour un lymphome.
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