Pesticides et cancers
Audrey BLANC-LAPIERRE et Isabelle BALDI
Commentaire
La prise en compte de l’obésité abdominale et de la charge lipidique
constitue un point positif de cette étude. En effet, le caractère
lipophile des OC nécessite de tenir compte du stockage dans les
graisses périphériques susceptible de réduire les taux circulants.
On ne peut cependant exclure l’influence d’un amaigrissement
récent lié au cancer qui pourrait entraîner un déstockage lipidique
et un relargage plasmatique des OC. Les auteurs ont également
tenu compte de l’historique du dépistage du cancer de la prostate,
en raison de son association à divers facteurs sociaux, eux-mêmes
susceptibles de jouer un rôle de confusion.
Le choix des cas et des témoins pose cependant question, car les
biais de sélection ne sont pas entièrement discutés : les 2 groupes
présentent pourtant des différences sur leurs caractéristiques
socio-démographiques. Le calcul de l’index d’exposition cumulée
à partir de la durée de résidence et de la concentration plasmatique
en chlordécone est également discutable. La multiplication
du taux actuel par le nombre d’années passées se base sur
l’hypothèse d’une pollution environnementale homogène dans
le temps, et ne prend pas en compte les variations d’expositions
potentielles liées à des changements de résidence ou de régime
alimentaire. De plus les variations d’exposition en fonction des
activités professionnelles passées des sujets ne sont pas prises
en compte. D’autre part, la contamination d’autres pesticides ne
semble pas avoir été mesurée.
Conclusion générale
De nombreuses études ont montré des excès de risque
de cancer de la prostate en population agricole par
rapport à la population générale. Pourtant, à ce jour, peu
d’études mettent clairement en évidence un lien entre
la survenue de cancers de la prostate et une exposition
aux pesticides ou à une famille de pesticides (Ndong,
Blanchet, Multigner, 2009). Les 3 études traitées dans
cette note diffèrent par leurs schémas d’étude (cohorte/
cas-témoin), leurs populations (générale, travailleurs
exposés), leurs mesures d’exposition (enregistrements
historiques/dosages plasmatiques avec ou sans
génotypage), l’identification des cas (services cliniques/
registres de cancers), etc. Sur ces trois études, seule celle
menée en Guadeloupe met en évidence une association
positive entre exposition à un OC et cancer.
Ces études démontrent la nécessité du recours à
des mesures d’exposition basées à la fois sur des
dosages (environnementaux, biométrologiques) et
des informations rétrospectives détaillées (données
individuelles et relevés historiques) pour mieux aborder
ces questions. L’apport d’une prise en compte de facteurs
individuels de susceptibilité est également démontré
par l’étude menée en Guadeloupe afin d’approcher les
interactions gène-environnement.
Exposition à la chlordécone
et cancer de la prostate en Guadeloupe
Multigner L, Ndong JR, Giusti A, Romana M, Delacroix-Maillard H,
Cordier S, Jégou B, Thome JP, Blanchet P. Chlordecone exposure and
risk of prostate cancer. J Clin Oncol. 2010 ; 28 : 3457-3462.
Analyse
La chlordécone est un organochloré qui a été largement utilisé
aux Antilles dans la culture de la banane entre 1973 et 1993, et
qui a occasionné une contamination des sols, des ressources
en eau et de certains aliments. Compte tenu de ses propriétés
œstrogéniques et cancérogènes chez l’animal, les auteurs ont
testé l’hypothèse de son éventuel rôle dans la survenue du cancer
de la prostate, dont l’incidence est particulièrement élevée aux
Antilles. Une étude cas-témoins a été menée en Guadeloupe dans
cet objectif. Sept cent neuf cas incidents de cancers de la prostate
confirmés histologiquement entre 2004 et 2007 et 723 témoins,
de 45 ans et plus, participant à un programme de dépistage
sanitaire gratuit en 2005-2006 ont été recrutés. Un examen
clinique et un dosage de PSA ont permis de vérifier l’absence
de cancer de la prostate chez les témoins. L’ensemble des sujets
devaient remplir les critères suivants : résider en Guadeloupe,
pas d’antécédent de traitement hormonal et avoir au moins un
parent né aux Antilles pour homogénéiser la population d’étude
en terme d’origine ethnique. L’analyse a porté sur 623 cas et 671
témoins pour lesquels ont été effectués des dosages plasmatiques
de chlordécone. Pour les sujets chez lesquels la chlordécone était
détectée, soit chez 2/3 des sujets, un index d’exposition cumulée
a été calculé en multipliant la concentration dans le prélèvement
plasmatique par le nombre d’années de résidence en Guadeloupe
entre 1973 et la date de diagnostic (cas) ou le dernier dosage de PSA
(témoins). Les cas étaient plus âgés que les témoins (66,2 vs 60,6
ans), moins fréquemment d’origine haïtienne ou dominicaine, et
avaient plus fréquemment résidé dans les pays occidentaux (un an
ou plus). Après ajustement sur l’âge, la concentration plasmatique
en lipides, l’obésité abdominale, et la participation à un dépistage
de cancer de la prostate, on observait un risque de cancer de la
prostate significativement plus élevé (RC = 1,77 [1,21-2,58]) chez
les sujets avec les plus hautes concentrations plasmatiques en
chlordécone (>0,96 µg/L) par rapport aux sujets chez lesquels
la chlordécone était indétectable dans le sang. De même les
sujets présentant les scores d’exposition cumulée les plus élevés
présentaient un risque significativement augmenté (RC = 1,73
[1,04-2,88]) par rapport aux sujets ayant les plus faibles scores. Le
risque tendait à augmenter significativement en fonction de la
concentration ou de l’exposition cumulée. Les associations entre
cancer de la prostate et exposition à la chlordécone étaient plus
marquées en présence d’antécédents familiaux de cancer de la
prostate, chez les sujets ayant résidé dans les pays occidentaux
et chez les plus de 60 ans. Seules les formes agressives de
cancer de la prostate étaient significativement associées à la
concentration plasmatique en chlordécone. Les sujets porteurs
des allèles variants du gène codant pour la chlordécone réductase
(impliquée dans les processus de détoxification) présentaient une
augmentation de risque de cancer de la prostate plus importante,
bien que non significative.
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Anses • Bulletin de veille scientifique no 13 • Santé / Environnement / Travail • Mars 2011
Agents chimiques