Le marquage publicitaire de l`espace parisien : frontières

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Le marquage publicitaire de l’espace parisien :
frontières et territories
Anne-Aurelie Marchal
Communication & langages / Volume 2008 / Issue 155 / March 2008, pp 133 - 144
DOI: 10.4074/S0336150008001099, Published online: 11 March 2009
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Anne-Aurelie Marchal (2008). Le marquage publicitaire de l’espace parisien :
frontières et territories. Communication & langages, 2008, pp 133-144 doi:10.4074/
S0336150008001099
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communication & langages – n° 155 – Mars 2008
PUBLICITÉ
ANNE-AURELIE MARCHAL
Le marquage publicitaire
de l’espace parisien :
frontières et territoires
« L’air que nous respirons et un composé d’azote, d’oxygène
et de publicité. Nous baignons dans la publicité.
C’est elle qui nous salue à notre réveil, quand nous ouvrons
notre radio et nous accompagne tout le long de notre journée
sous les formes les plus diverses. »
R. Guérin, 1957
1
Au sein de la diversité urbaine, la
publicité se fait plurielle. De part
ses formes, ses supports ou encore
ses contenus, son expression varie
en fonction des sites urbains dans
lesquels elle s’insère. C’est pour-
quoi, il nous est possible d’observer,
à Paris, comment ces variations
publicitaires marquent des fron-
tières et distinguent des territoires,
tout en soulignant leur identité. Afin
de mettre en relief ce « marquage
publicitaire » de l’espace, Anne-
Aurélie Marchal choisit deux exem-
ples particulièrement éloquents : le
métro et le boulevard périphérique
parisien. Cependant, l’analyse de
l’empreinte publicitaire dans l’envi-
ronnement urbain ne se limite pas à
ces seuls sites emblématiques, car il
est possible, selon l’auteur, de mettre
en évidence la place importante de
la publicité à travers différentes
dimensions des frontières urbaines :
spatiales, temporelles ou encore
sociales.
Chaque espace ou territoire est découpé, limité, classé,
identifié et représenté en vertu de l’impérieuse nécessité, pour
les individus qui y vivent,
1
de connaître et d’appréhender leur
milieu
2
. Dans l’environnement urbain l’appréhension du terri-
toire s’organise grâce à la présence de structures officielles
spécifiques (limites d’arrondissement, panneaux de signalisa-
tion, plaques de rue, mur d’enceinte…) mais aussi, par le biais
des pratiques sociales et de l’expérience quotidienne que les
citadins ont de leur milieu. Aux frontières naturelles (fleuve,
changement de relief) et officielles (découpage administratif)
qui structurent la ville, se superposent d’autres limites de
l’ordre du vécu qui peuvent se manifester dans des détails ou
des éléments considérés comme superflus ou superficiels. Sous
l’angle de la phénoménologie, il paraît ainsi pertinent de nous
intéresser à ces frivolités néanmoins instructives, tant il est vrai
que «
la profondeur se cache à la surface des choses
»
3
.
Ainsi, afin d’appréhender et de s’approprier leur terri-
toire les citadins usent de tous les éléments mis à leur
disposition, répartis à travers l’espace urbain. Il peut s’agir
1. R. Guerin,
Les Français n’aiment pas la publicité
, O. Perrin, 1957, p. 9.
2. Dans
L’image de la cité
, K. Lynch a montré l’importance vitale de cette
structuration de l’espace, et la façon dont elle s’appuie, en ville, sur l’image
que celle-ci peut produire à travers le concept de lisibilité notamment.
Ainsi, si « structurer et identifier son milieu est une faculté vitale chez tous
les animaux » (p. 4), chez le citadin elle se traduit par la nécessité de
posséder une « bonne image de son environnement » (p. 5). Pour ce faire,
la ville doit se rendre lisible et donc appréhendable, aux moyens de tous
les dispositifs et techniques d’orientation dont elle peut user.
3. Après E. Husserl, plusieurs penseurs tels que Nietzsche, Weber ou
Simmel ont partagé cette idée, soulignant l’importance pour l’intellectuel,
qui entend comprendre le social, de rester proche du quotidien, du vécu,
pour ne pas se perdre dans des élaborations intellectuelles qui oublient ou
voilent la réalité.
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d’objets dont la fonction séparative est explicite et exclusive (tels que les murs,
les fils barbelés, les fossés…), ou bien de structures qui érigent des frontières et
marquent des identités sans que cela ne constitue leur fonction première (tels
que le tracé des rues, l’architecture, le décor urbain, le mobilier urbain ou
encore les magasins…). Enfin, à cette multitude de signes qui organisent et bali-
sent la cité, s’additionnent et se superposent des repères pouvant être, de
prime abord, considérés comme d’infimes bagatelles, quantités négligeables,
insignifiants en la sorte. L’affichage publicitaire fait partie de ces éléments dont
on ne peut sous-estimer l’importance et l’influence dans le paysage urbain. Le
constat de l’omniprésence et de la diversité de la publicité dans la ville suffit à
rendre compte de son implication dans la vie matérielle et symbolique de la ville,
notamment du point de vue de la construction de ses frontières et de ses iden-
tités territoriales.
P
LURALITÉ
PARISIENNE
ET
PLURALITÉ
PUBLICITAIRE
Dans la capitale, l’expression publicitaire doit s’adapter au lieu dans lequel elle
s’insère. Elle modifie ainsi son implantation, ses supports, sa densité, en un
mot, son apparence, pour satisfaire les diverses exigences et impératifs auxquels
elle est soumise (règlement local de la publicité
4
, objectifs commerciaux…).
Dès lors, en modulant ses formes de la sorte, elle contribue à souligner la diver-
sité et la différence des espaces urbains qu’elle occupe. C’est aussi l’une des
conséquences du zonage précis auquel elle est contrainte dans Paris. En effet,
les zones de publicité restreintes, interdites ou élargies qui sont instaurées par la
municipalité, constituent, en elles-mêmes, un mode de découpage du territoire,
et marquent des frontières que l’aspect variable de la publicité vient dessiner et
renforcer.
En changeant d’allure, la publicité trace ainsi des frontières, isole des terri-
toires, marque et identifie des lieux urbains. Sa présence peut, par exemple, se
matérialiser sur des supports luxueux, tels que les colonnes Morris ou les mâts
d’affichages, localisés aux abords des sites les plus prestigieux de Paris, c’est-à-dire
près des sites protégés. Au contraire, elle peut prendre forme sur des supports,
jugés très efficaces et appréciés en tant que tel par les afficheurs, publicitaires ou
annonceurs tandis que les défenseurs du patrimoine et du paysage parisien les
considèreront par trop disgracieux, à l’image des panneaux 4
×
3
5
ou des néons
apposés en toiture. Selon ses différentes configurations, la présence de la publicité
souligne de la sorte la majesté de certains sites ou, à l’opposé, leur manque de
noblesse, et par là même de respectabilité. Il est, dès lors, fortement improbable
de rencontrer ces deux types d’affichage sur un même site. La pluralité de la
4. Le règlement local de la publicité et des enseignes à Paris se compose de deux documents : l’un résume
l’ensemble des textes qui définissent la place de la publicité dans la ville : il s’appuie sur la réglementation
nationale, marquée par les préoccupations écologiques émanant de la loi de protection de l’environnement
de 1979. Il établit, en outre, des règles prenant en compte, plus précisément, les particularismes locaux. Le
second document est constitué par le Plan de zonage. Il s’agit ici de découper le territoire en différentes zones
selon le degré de permissivité accordée à la publicité : Zone de publicité restreinte, interdite ou élargie.
5. Le nouveau règlement de la publicité à Paris paru en juin 2007 prévoit effectivement de supprimer
l’ensemble des panneaux 4
×
3 de l’espace parisien (le règlement en vigueur jusqu’à présent datait de
1986).
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publicité
6
lui offre la possibilité de s’adapter aux sites urbains et ses apparences
deviennent ainsi caractéristiques d’un type de lieu. À des formes urbaines corres-
pondent des formes publicitaires.
Dans la ville, il est possible de rencontrer autant de modalités d’expression publi-
citaire qu’il y a de disparité des lieux. À Paris, la réglementation de l’affichage dans les
différents territoires de la cité incite les afficheurs à modifier leurs techniques et
utiliser ou créer des supports variés selon qu’ils veulent s’implanter dans les gares,
dans les aéroports, dans la rue, dans les transports en commun, dans le centre ou en
périphérie, aux abords des monuments, ou encore le long des grandes voies de
circulation… Ses formes plus ou moins grossières ou raffinées, imposantes ou
discrètes, exceptionnelles ou communes, accentuent l’identité des territoires. En
outre, en participant à modeler leur aspect, elle influe sur leur sens et leur symbolique.
Les publicités lumineuses implantées en haut des toitures sont, par exemple, à Paris,
spécifiques à certains lieux tels que les abords du boulevard périphérique, des Portes
de Paris ou des Places du nord parisien (Clichy, Pigalle, Blanche…). Inversement, les
plus sages formats des colonnes Morris (réservés à l’affichage culturel) sont très
fréquents dans le centre de la capitale (abords de l’Hôtel de ville, du Palais Royal, de
Notre-Dame…). Aux différentes sortes de publicité correspondent des lieux distincts
par leur aspect et leur symbolique, leur signification et leur représentation.
Les affiches sauvages collées sur les piliers de ponts, les toiles publicitaires recou-
vrant les murs aveugles des immeubles bordant les voies de circulation, ou encore
les entrées d’agglomérations saturées de panneaux publicitaires de toutes tailles ; ces
quelques exemples attestent de la coïncidence entre type urbain et type publicitaire.
À cet effet, les changements de lieux et de territoires sont aussi perceptibles à travers
les changements publicitaires. La publicité fonctionne dès lors comme une
empreinte qui marque la différence et signe l’identité des lieux.
Comme l’architecture ou le mobilier urbain, le phénomène publicitaire participe à
l’art de la rue
7
, ses mutations dans l’espace en font un instrument de représentation et
différenciation du lieu. L’affichage publicitaire, doit, en effet, être considéré comme un
réel outil de transformation de l’espace de la ville, ainsi que le souligne Georges Préli :
« ce phénomène qui sature d’images les murs de la ville et qui, tout en modifiant les
lois du marché, transforme aussi la perception de l’espace »
8
. De fait, B. Ibusza
9
nous
rappelle que la publicité se trouve être un «
élément urbanistique majeur
». Son implan-
tation dans l’espace urbain participe donc à tracer des frontières et à les rendre plus
nettes, plus évidentes. De même, elle est impliquée dans la construction identitaire des
6. Dans la capitale, la publicité se donne en effet à voir sous des modalités très diverses : affichage
grand format ou petit format, panneaux fixes ou déroulants, publicité lumineuse, écrans plasma,
publicité mobile (bus, cars, taxis…)…
7. Les arts de la rue représentent un ensemble assez vaste de moyens ou de concepts qui participent au
cadre et à la qualité de vie urbaine. Ils sont ainsi impliqués dans l’animation des villes, la communica-
tion, ou encore l’expression culturelle, dans lesquels l’affichage trouve sa place.
8. G. Préli, « L'affiche dans la société urbaine, notes de lecture » dans
Communication
, n° 197.
9. L’urbaniste B. Ibusza souligne, en effet, l’importance de l’impact visuel de la publicité dans la ville
qui lui confère par là même des qualités urbanistiques puissantes pour le modelage et l’apparence de
l’espace urbain : « L’expression de la publicité, sa manifestation à travers l’urbanisme, créent un outil
d’une envergure bien plus considérable que n’importe quel autre élément dont l’urbanisme moderne
puisse disposer » dans
La
publicité bâtie, élément majeur de l’aménagement de l’espace
, 1974, p. 16.
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lieux contribuant à leur donner un visage, une image, une spécificité. Outre-
Atlantique, la réputation mondiale de certains quartiers tient à la profusion publicitaire
qui construit leur identité : songeons à Piccadilly Circus ou encore Time Square
10
.
Il y a, à Paris, deux lieux particulièrement représentatifs de la façon dont la publi-
cité laisse son empreinte sur un espace, en modifie quelque peu l’aspect et par
là l’atmosphère, le rendant insolite, atypique… L’apparence originale que prend la
présence publicitaire en ces deux lieux que sont le métro et le boulevard périphérique
parisiens, témoigne de la singularité de ces territoires dans l’environnement de la
capitale et renforce sans doute leur spécificité (et leur isolement ?). La configuration
de la publicité se caractérise ici essentiellement par son intensité et sa démesure
(voire son gigantisme), deux particularités réunies qu’il est très rarement permis
d’observer dans le paysage parisien. En effet, de nombreuses réglementations prohi-
bent la publicité dans Paris. Elles ont pour but de protéger la splendeur architecturale,
monumentale et patrimoniale de la capitale historique. Or, les productions publici-
taires, assimilées au capitalisme débridé et dévalorisées par une tradition judéo-chré-
tienne iconoclaste
11
, ne parviennent pas à se rendre respectables. Dès lors, on craint
toujours d’elles qu’elles ne viennent souiller, par des frivolités contemporaines, la
grandeur historique de Paris.
Pourtant, il est des sites auxquels on accorde moins de prestige, qui ne font pas
encore l’objet de protection particulière au nom du patrimoine, et où, par
conséquent, les autorités locales se montrent plus permissives. Ces sites sont
empreints d’un esprit publicitaire qui fonde leur image et leur identité.
L
E
M
ÉTRO
PARISIEN
OU
LA
PROFUSION
PUBLICITAIRE
AU
CŒUR
DE
LA
CITÉ
.
C’est, tout d’abord, son caractère souterrain qui dévalorise le métro parisien. Compa-
rativement à la surface, le souterrain est, anthropologiquement, lié à l’imaginaire de la
nuit. Il évoque les ténèbres, l’impur, le Mal, les bas-fonds. Il compte parmi les
lieux fantasmatiques de la peur. Il est fréquemment associé au danger et considéré
comme peu fréquentable en comparaison de la surface lumineuse
12
. À Paris,
10. L’architecte Pierre Dufau va jusqu’à souligner l’apport de la publicité dans ce type de lieu par
ailleurs dépourvu de toute autre attractivité esthétique (architecture, monument…) : « Prenons
l’exemple de Time Square à New-York, voilà une place informe, laide d’architecture, et d’ailleurs mal
fréquentée. C’est l’orgie de la publicité qui en a fait un des sites les plus célèbres au monde et proba-
blement le plus rentable d’un point de vue publicitaire (…) je trouve l’ensemble significatif puisqu’il
prouve qu’il est des cas où la publicité même excessive, peut valoriser un site sans intérêt. » P. Dufau,
« La publicité, l’architecture et le paysage »,
Humanisme et entreprise,
n° 62, août 1970.
11. En effet, l’une des raisons qui peut expliquer la méfiance envers la publicité profondément ancrée
dans nos représentations, tient à celle plus prégnante encore, qui redoute globalement le pouvoir des
images, héritée de la tradition judéo-chrétienne qui est la nôtre.
12. Selon l'imaginaire occidental, en effet, le monde est divisé en deux parties : l'ordre d'un côté et le
chaos de l'autre qui incarnent respectivement le bien et le mal, le pur et l'impur. Cette grande dicho-
tomie est concrètement associée à celle du jour et de la nuit : la nuit, les ténèbres, la peu ; le jour, la
lumière, la sécurité. Ainsi, dans la ville, ces grandes peurs primordiales se cristallisent dans desespaces,
des territoires, de sorte que le souterrain ou la périphérie représentent la menace en comparaison du
centre qui incarne l'ordre rassurant. Dans cette perception mythique de la ville, le sombre souterrain
est la figure du néant, il est associé à l'imaginaire de la nuit qui génère le sentiment d'insécurité : « La
nuit, (…), que l'on distingue du jour depuis la création du monde ainsi que le rappelle le récit de
la Génèse, puis toute la littérature – la nuit est faite de ténèbres et d'ombres, sa couleur est le noir.
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