d’écriture en « solo » était désuète, car devenue inadaptée aux impératif s de production et de création
actuels. C’est pourquoi ils ont changé les conditions d’écriture du scénario, en s’inspirant du modèle
américain. Pour la shortcom de la chaîne M6, l’écriture est partagée entre un pool d’auteurs segmenté en
trois parties (en tout, ils sont une trentaine) : les premiers sont des auteurs conf irmés, les seconds sont
des débutants, et les troisièmes des auteurs externes pouvant apporter originalité au programme court.
Les travaux de chacun sont examinés, ceux-ci sont parf ois directement sélectionnés et envoyés au
metteur en scène pour une répétition avec les acteurs ; certains sont sélectionnés, mais renvoyés pour
réécriture, car certains éléments ne conviennent pas (par exemple, tel ou tel personnage aurait plutôt
réagi comme ceci au lieu de comme cela) et d’autres sont tout simplement ref usés, car totalement
inadaptés au genre du programme.
« Une quarantaine d’auteurs, répartis en trois catégories, se partagent l’écriture des six séquences du
programme quotidien de vingt-huit minutes. La sélection est impitoyable. La ligue 1, celles des auteurs
confirmés, la ligue 2, celle des espoirs, la ligue 3, celle des contributeurs à l’essai, ont à ce jour créé 6000
situations piochées çà et là dans leur propre quotidien. Jusqu’à aujourd’hui, 4844 ont été jugées « aptes »
par le réalisateur originel de la série, Francis Duquet. »[3] Cet extrait d’article de Paris Match conf irme bien
l’organisation « à l’américaine » de l’écriture des scénarios. Cependant, l’interview de l’un des scénaristes
par le magazine Capital, nous éclaire sur la tension engendrée par ce type de division du travail très
poussée : « Tous écrivent des sketchs impitoyablement sélectionnés par le directeur d’écriture, Alain
Kappauf, et par M6. Je leur envoie cinq ou six par semaine avec la boule au ventre […] ils passent chaque
jeu de mots au crible et me le renvoient sur-le-champ en précisant ce qui ne fonctionne pas, c’est rude !
Peut-être, mais pour la production, c’est la garantie d’une source jamais tarie de nouvelles idées : elle a en
réserve plus de 1500 sketchs, prêts à filmer ! Et pour que les répliques sonnent toujours juste, les dialogues
sont retouchés jusqu’à la dernière minute – parfois même pendant les scènes. La méthode présente aussi
l’avantage de réduire considérablement les délais entre l’écriture et le tournage. »[4]
La production de Scènes de ménages est très américanisée dans le système d’élaboration des sketchs.
Cependant, Laurie Picard (attachée de presse à Kabo Production) af f irme que les scénaristes sont des
« auteurs indépendants et ne sont pas salariés de l’entreprise » (entretien personnel) : c’est la chaîne qui
constitue leur principale source de revenus. On peut se demander si les auteurs travaillent vraiment
ensemble. En ef f et, pour conserver l’originalité de chaque sketch, et maintenir un renouvellement
permanent, les pools d’auteurs sont le ref let d’une organisation calquée sur le modèle américain de la
division du travail. Les scénaristes seraient donc des f ournisseurs éloignés, sans véritable inf ormation
sur la gestion de leur travail par le duo, et aussi par rapport aux autres. Ils n’auraient pas accès aux
commentaires sur l’ensemble de la production de scénarios et ne seraient pas f orcément rétribués pour
leurs idées que les chaînes conservent « au cas où ». Dans Bref, par contre, seuls deux auteurs
s’attèlent à la rédaction du scénario, en sachant qu’ils sont aussi réalisateurs et que l’un d’entre eux joue
le personnage principal. Les limites hiérarchiques dans le système de production sont ici totalement
f loues, les rôles sont mélangés. On pourrait parler ici de « déprof essionnalisation »[5] : amateurs au
départ, les deux créateurs de la shortcom se sont improvisés dans un secteur prof essionnel pour lequel
ils n’ont pas été f ormés (ce qui ne signif ie pas non plus que le rendu soit moins qualitatif).
La liberté dans l’écriture semble être une question de principe pour les deux auteurs de Bref. Cependant,
aucune inf ormation ne f iltre sur les contraintes éventuelles imposées par la chaîne. Kyan Khojandi
af f irme que Canal Plus reste très ouvert et n’intervient pas dans le travail d’écriture. Pourtant, il est sûr
que les maquettes envoyées f ont l’objet d’un visionnage avant dif f usion. La plus grande dif f érence entre
Bref et Scènes de ménages réside dans l’organisation du travail : le témoignage du trio de Bref sous-
entend une démarche tout à f ait artisanale et isolée. « Les trois copains décident de raconter ce qu’ils
connaissent le mieux : famille, meufs, boulot, fric, potes, déprime. Pour raconter cette France, ils font
comme aux États-Unis, ils s’enferment et écrivent […] Un jour, je regardais un DVD de Friends. Dans les
bonus, tu vois les auteurs qui arrivent sur le plateau dès que ça rigole pas, et qui changent la vanne. Il y a
une réflexion globale entre les acteurs et les auteurs et ça, ça nous plaît.» [6]
Le phénomène du sketch est très ancré dans la culture f rançaise et correspond à un style d’écriture dans
lequel les plumes des scénaristes se délient le mieux. « C’est notamment dans les comics et les sketches
que les Français ont trouvé un rythme et un moyen d’être efficaces alors que l’on a encore du mal dans les