Quand les consommateurs deviennent coauteurs de la publicité

Imaginez 250 000 balles colorées lancées par dix canons dans
les rues pentues de San Francisco. L’idée de ce ballet visuel est
venue à l’esprit des créatifs de l’agence publicitaire britanni-
que Fallon pour vanter les mérites du nouvel écran plat LCD de
Sony.
Ils se sont empressés d’avertir les riverains. Le jour où les publi-
citaires sont venus fi lmer, ils étaient là,, appareils photo ou vi-
déo à la main. Quelques minutes plus tard, les premiers clichés
circulaient sur Internet et bien avant que le spot ne soit diffusé à
la télévision, il bénéfi ciait d’un bouche-à-oreille garanti.
L’histoire de ce spot, présenté à Cannes à l’occasion du Festi-
val international de la publicité qui se tient du 18 au 24 juin, le
prouve : de plus en plus de marques cherchent à associer les
consommateurs dans leurs scénarios de communication.
Bien d’autres travaux présentés sur la Croisette vont dans ce
sens. En particulier, dans la catégorie «cyber» où sont jugées
les campagnes diffusées sur Internet.
Le cas Ecko l’illustre parfaitement. Pour cette marque américai-
ne de vêtements créée par un adepte des tags, David Droga, qui
vient de lancer son agence Droga5, a eu l’idée de tourner un petit
lm «viral».
Dans cette vidéo, on voit un homme franchir de nuit des barbe-
lés, s’approcher de l’Air Force One, l’avion du président Bush, et
taguer sur le fuselage «still free». Habilement adressée à quel-
ques sites, elle a été relayée sur Internet, a suscité le débat et
a très vite été commentée dans les journaux et à la télévision
américaine.
A tel point que la Maison Blanche a dû publier un communiqué
pour démentir les faits. Si la marque Ecko n’apparaissait pas en
tant que telle dans la vidéo, elle a largement été citée lorsque
l’affaire a été élucidée. Elle s’est offert ainsi une campagne mé-
diatique intense - Droga5 avance le chiffre d’une audience de
26 millions de personnes - sans débourser un centime. «C’est
là où l’on voit la force d’Internet. La créativité subit moins de
contrainte sur les nouveaux médias, il y a plus d’audace. Ce type
de fi lm ne passerait jamais à la télévision», souligne Maurice
Lévy, président de Publicis.
«L’exemple Ecko est remarquable. Avec les imperfections de ces
images diffusées sur Internet en style DV, le doute s’installe. On
ne sait plus si c’est vrai ou pas. Nike a également créé un «buzz»
(bruit médiatique) avec un fi lm où l’on voyait Ronaldinho faire
une suite de frappes sur la barre. Mais un fi lm ne devient «viral»
sur Internet que s’il est bien», affi rment Alexandre Hervé et Syl-
vain Thirache, directeurs de création de DDB Paris.
L’agence DDB a elle aussi fait un coup publicitaire avec le Tran-
satlantys en France. Une campagne d’affi chage annonçait le
projet d’un tunnel entre Paris et New York et proposait aux pas-
sants de se connecter sur Internet pour en savoir plus. L’effet
fut immédiat. Les gens puis les médias s’en sont emparés avant
de découvrir qu’il s’agissait d’une promotion pour le site sncf.
com. «Ces campagnes intégrées sont souvent le fait d’agences
axées sur les idées et qui ont une culture des médias tradition-
nels, d’Internet et de la création publicitaire. L’objectif est de
fédérer des communautés autour de messages, de faire adhérer
les consommateurs afi n qu’ils participent à la construction de la
marque», explique Philippe Simonet, directeur de Publicis Net.
Parfois, les consommateurs ne sont pas uniquement des mes-
sagers mais créent eux-mêmes du contenu publicitaire. Burger
King, par exemple, a tourné une série de vidéos diffusées sur
Internet où un homme avec le masque du «King» se livrait à des
plaisanteries chez les concurrents. Puis il a distribué des milliers
de masques dans ces restaurants et demandé aux gens d’en-
voyer leur propre vidéo. De même, Nike, surfant sur le succès
des blogs vidéo personnels, les «vlogs», incite les internautes
à se fi lmer ballon au pied pour former la plus longue passe du
monde.
Son concurrent Adidas propose actuellement à Berlin aux visi-
teurs de son stadium d’être fi lmés et incruste ces images dans
le spot publicitaire de la marque. Ainsi personnalisé, le spot est
envoyé sur le téléphone mobile et le quidam se voit jouer aux
côtés de Platini, Zidane et Cissé.
Toujours à l’occasion de la Coupe du monde, Adidas a mis en
place en Nouvelle-Zélande avec TBWA un dispositif d’affi chage
géant où le supporter entre dans une nacelle en forme de ballon
et se trouve propulsé à 170 km/h, comme s’il avait été frappé par
le joueur britannique Steven Gerrard. En France, JWT a fait appel
aux barbus désireux de participer à la galerie de portraits des
rasages extravagants pour la marque Wilkinson.
Cette «participation volontaire» est aussi au coeur d’un projet
mené par Paris 2012, couronné à Cannes. A quelques jours de
la décision du comité olympique, en juillet 2005, Havas Sport
avait transformé les Champs-Elysées en un immense terrain de
pratiques sportives.
Cet événement, publicité géante pour Paris, dont les retombées
médiatiques orchestrées furent mondiales, n’aurait pas été réali-
sable sans les centaines de bénévoles et le million de visiteurs.
Cette volonté des publicitaires de transformer le consommateur
en allié, en acteur de ses campagnes est à mettre en parallèle
avec le pouvoir grandissant de l’internaute qui peut faire ou dé-
faire la réputation d’une marque.
Selon Maurice Lévy, président de Publicis : «Avec les technolo-
gies numériques, l’interactivité et la mobilité, nous assistons à
un changement de société. Les consommateurs sont aussi des
éditeurs, des journalistes, ils sont avides d’échanges, d’infor-
mations. Une des tâches les plus diffi ciles pour les groupes pu-
blicitaires est de comprendre cette transformation.»
Désormais, chacun est en mesure de comparer les prix, d’élabo-
rer son modèle de voiture, voire en téléchargeant de considérer
qu’une partie des biens culturels comme la musique ou les fi lms
est accessible sans bourse délier.
Les frontières bougent. Les consommateurs plus matures sont
aptes à décoder les techniques publicitaires et marketing. Pour
garder le lien avec ce client qui a pris ses distances, les publici-
taires n’hésitent pas à exploiter le registre de la parodie.
Un exemple frappant est donné par un spot tourné pour une
marque de bière, Carlton Draught en Australie. Sur l’air O Fortu-
na de Carmina Burana, un choeur chante «c’est une grande pub,
une très grande pub, une pub très chère», et l’on voit à l’écran,
lmée dans un style épique, une foule de gens habillés en jaune
et rouge se rassembler et former une immense silhouette rouge
avec le fl ux jaune de la bière se déversant dans le gosier.
Un spot qui se joue des codes de la publicité à grand spectacle
souvent primée à Cannes. De même, une campagne thaïlandaise,
justement appelée Love Story, s’est amusée à détourner les
codes du soap opera en créant un spot à épisodes tenant son
audience en haleine pour vanter les mérites d’une crème de
beauté. Deux exercices qui ne devraient pas laisser indifférent
les jurés cannois.
Laurence Girard
Article paru dans l’édition du 25.06.06
Quand les consommateurs deviennent coauteurs de la publicité
LE MONDE | 24.06.06 | 14h49 • Mis à jour le 24.06.06 | 14h49
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