QUESTIONNAIRE DGCCRF SUR LA TNT
L’analyse de la TNT pour le secteur cinématographique doit se faire en
prenant en compte trois dimensions :
- d’une part le niveau d’investissement des chaînes (les éditeurs) dans
les programmes (déterminé par leur ligne éditoriale, leur chiffre
d’affaires, leurs obligations d’investissements),
- la diversité des chaînes (éditeurs) permettant de refléter la diversité de
l’offre cinématographique,
- la capacité des pouvoirs publics à faire respecter la réglementation.
Ainsi, en matière cinématographique, une nouvelle technologie de diffusion
n’a aucune valeur en soi, elle ne doit s’apprécier qu’au regard de ses
conséquences sur les trois dimensions ci-dessus.
Au cours de ces vingt dernières années deux précédents de nature très
différente - d’un point de vue technologique - méritent d’être rappelés :
- l’arrivée d’une nouvelle chaîne généraliste (la 5) utilisant la technologie
hertzienne analogique de diffusion s’est traduite par des pressions sur
la réglementation, un déséquilibre du marché publicitaire et finalement
la faillite de la chaîne,
- l’arrivée d’un concurrent à Canal + sur le marché de la télévision
payante (TPS) grâce au développement de la diffusion numérique par
satellite a permis de créer un nouveau "guichet" pour la production
cinématographique en élargissant le marché. Toutefois, cette
concurrence a, de façon très spectaculaire, profité au sport (football)
et aux films américains, générant un surcoût des grilles de
programmes et réduisant la rentabilité de l'opérateur historique tout
en éloignant le point mort du nouvel entrant.
DANS CES CONDITIONS, COMMENT APPRECIER LA TNT ?
- c’est un mode de diffusion fondamentalement urbain qui se
développera en concurrence avec le câble même si l’offre de
programmes sera moins large,
- c’est une télévision de "masse" dont les coûts de diffusion sont très
élevés par rapport au satellite et au câble (30 à 50 millions par chaîne)
et raisonnable par rapport à la diffusion hertzienne analogique,
- l’hertzien analogique permet de "renationaliser" des modes de diffusion
de chaînes puisque le mode d’attribution des fréquences est de nature
régalienne alors que le mode de diffusion par satellite peut permettre
par la délocalisation de l’émission d’échapper à la réglementation.
LES TROIS TNT
Loin d’être homogènes, les différents projets de chaînes diffusés sur la TNT
peuvent être regroupés d’un point de vue analytique de la façon suivante :
- les chaînes payantes : ce sont des chaînes diffusées aujourd’hui en
analogique (pour Canal +), par satellite (les chaînes des bouquets
Canal Satellite et TPS) et sur le câble et le satellite (thématiques,
chaînes payantes de Canal +). Pour certaines de ces chaînes - celles
qui sont à l’équilibre économique ou qui n’en sont pas très éloignées -
nous nous situons dans une logique soit de transfert (des abonnés
analogiques de Canal + vers le numérique hertzien) soit
d’élargissement du marché potentiel. Les différents éditeurs de chaînes
ne perçoivent pas un tel transfert de la même façon :
pour Canal +, le transfert des abonnés analogiques vers le
numérique s’effectue en complémentarité avec la diffusion du
bouquet Canal Sat et permet d’effectuer un saut technologique,
pour TPS, ce mode de diffusion complémentaire permet d’élargir
son marché grâce à une technologie de substitution mais avec
des surcoûts alors que cette chaîne n’est pas à l’équilibre
économique,
pour les chaînes thématiques et suivant leur positionnement
(logique de niche ou cible plus large), l’équation économique
résulte de la comparaison du surcoût de diffusion et de
l’élargissement de leur marché. Une telle équation est difficile à
résoudre pour des chaînes aux audiences très fragmentées (cf.
étude Médiamétrie) répondant difficilement à la maximisation des
calculs en terme de GRP.
- les chaînes gratuites financées par la publicité : en fonction de la
montée en puissance de la TNT en terme de couverture, deux cas de
figure sont envisageables :
pour les chaînes généralistes existantes, leur audience sera
transférée d’un mode de diffusion analogique à un mode de
diffusion numérique. Leur seule préoccupation est de savoir si
leur audience - qui détermine leur chiffre d’affaires publicitaire -
ne sera pas affectée par le développement de la TNT et en
particulier l’arrivée de nouveaux entrants,
pour les "nouveaux" entrants, le propos est de développer dans
un environnement très concurrentiel et à capter à terme une
audience nécessaire à la génération de ressources publicitaires
pour atteindre l’équilibre économique (sauf pour les chaînes de
service public). Il apparaît pertinent de considérer que ces
"nouveaux" entrants ne pourront être qu’adossés à des groupes
puissants susceptibles de supporter à moyen terme de lourdes
pertes.
- les chaînes gratuites du service public : leur financement par la
redevance leur permet d’échapper en partie aux contingences de
l’équilibre économique
LES CONDITIONS DU SUCCES DE LA TNT
Comme l’émergence de la plupart des nouvelles technologies, les conditions
de leur succès, c’est à dire leur capacité à créer un nouveau marché
(market maker) résulte de la conjonction de plusieurs facteurs clefs de
succès :
- une dimension technologique : c’est la capacité à résoudre l’ensemble
des problèmes techniques de réception et de constitution des
multiplexages,
- une dimension industrielle : c’est la capacité des industriels (fabricants
de décodeurs et de postes de télévision numérique) à produire et à
mettre sur le marché de la grande consommation des équipements de
la nouvelle génération à des prix compétitifs,
- une dimension commerciale : la lisibilité de l’offre commerciale pour le
consommateur potentiel passe par l’unicité du distributeur capable de
marketer ce nouveau service (publicité, gestion des abonnés),
- une dimension stratégique : la création d’un nouveau secteur d’édition
et de diffusion de programmes audiovisuels passe par l’implication de
groupes industriels privés puissants dont les capacités
d’investissement doivent être à la hauteur des trois défis évoqués plus
haut.
La nature par essence multidimensionnelle de cette conjonction est d’autant
plus complexe qu’il est nécessaire de l’analyser dans une double
perspective :
- d’une part ces dimensions entretiennent entre elles des relations de
synergie :
par exemple la résolution des problèmes technologiques est
indispensable à la bonne lisibilité des offres commerciales,
il en va de même d’un point de vue stratégique et industriel en
terme de fabrication de décodeurs (vendus ou loués par le
distributeur).
- mais ces dimensions entretiennent également des relations non-
compensatoires. En effet, il suffit qu’un de ces facteurs clefs de succès
ne soit pas au rendez-vous pour que l’ensemble s’écroule (les
expériences étrangères sont à ce titre révélatrices).
une offre commerciale moins séduisante par rapport à des
bouquets satellitaires performants,
des problèmes technologiques de réception et de couverture
urbaine.
LE PIRE DES SCENARIOS POUR LES INDUSTRIES DE PROGRAMME
Le développement de nouvelles chaînes généralistes sous-financées
exerçant une pression à la baisse sur la réglementation.
Le transfert d’investissement dans les contenus (films, programmes
audiovisuels) vers les technologies pour les distributeurs existants.
Une bataille commerciale portant sur les prix entre les distributeurs de la
TNT, du câble et du satellite se reportant sur les rémunérations reversées
aux éditeurs.
Le meilleur des scénarios pour les industries de programme :
Une TNT permettant d’accompagner la rationalisation de l’offre de chaînes
thématiques : ces dernières (moins nombreuses) et mieux diffusées
(plusieurs technologies de diffusion) atteignent des segments de marché
plus larges, confortent leur situation économique et investissent dans les
programmes.
Le marché de la télévision gratuite n’est pas structurellement modifié mais
l’arrivée de deux ou trois nouveaux entrants disposant de capitaux
permanents suffisants élargit l’offre audiovisuelle tout en attirant de
nouveaux annonceurs du fait du format de leurs chaînes.
LE ROLE DE LA REGLEMENTATION EN MATIERE DE CONCURRENCE
En matière de concurrence la TNT constitue un véritable paradoxe pour
deux raisons :
- d’une part les facteurs clefs de succès passent par la constitution :
d’un quasi-monopole en matière technologique de gestion des
fréquences et de l’émission du signal,
d’un monopole pour un distributeur unique qui n’a pas la latitude
de constituer lui-même son offre commerciale.
- d’autre part, ce nouveau mode de diffusion risque de modifier les
équilibre précaires d’autres modes de diffusion et plus particulièrement
la câble.
La réglementation en matière de concurrence devra donc veiller à ce que les
facteurs clefs de succès ne confortent pas des positions dominantes sur
d’autres vecteurs technologiques et donc :
définir les dispositions contractuelles entre le distributeur unique
et les éditeurs permettant un traitement transparent et équitable
tant dans la présentation des offres commerciales que dans la
définition des rémunérations,
définir de la même façon les relations entre les opérateurs des
multiplexages et le distributeur.
Mais plus largement, la réglementation devra veiller à ce que l’ouverture du
secteur de la télévision gratuite à de nouveaux acteurs ne déstabilise pas
l’ensemble du secteur en réduisant sa rentabilité ouvrant ainsi la voie à une
demande de déréglementation permettant l'importation de programmes
américains à faible coût.
CONCLUSION
Le succès de la TNT ne peut reposer sur un simple transfert de chaînes
existantes d'un mode de diffusion à un autre, il repose sur la constitution
d'une offre nouvelle et élargie, attractive pour les ménages. Cette nouvelle
offre repose économiquement sur l'adéquation entre l'édition de nouvelles
chaînes et leur capacité à générer des recettes. C'est donc la conjonction
d'un effort financier du service public, d'une ouverture à la publicité
télévisuelle de certains secteurs pour l'instant interdits (grande distribution)
et d'une reprise de l'activité économique (donc du marché publicitaire) qui
permettront de réduire les effets déstabilisateurs de cette nouvelle
technologie.
La conjoncture économique prévue à court et moyen terme associée aux
performances de certains acteurs de l'édition et de la diffusion de chaînes
nous conduit à penser que le contexte n'est pas aussi favorable qu'on le
pensait il y a près d'un an au développement de la TNT.
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