Défi diagnostic Le pied des tranchées : quand l’histoire ancienne s’actualise François Melançon, M.D. Le cas de Roberto C’est le mois d’avril et la semaine a été magnifique. La température plutôt clémente des derniers jours (entre 10 et 15 ˚C) a vite fait oublier les froids mordants de l’hiver. Roberto, grand amoureux de la nature, vous consulte au sans rendez-vous pour un engourdissement et un érythème des pieds associé à une odeur infecte de viande pourrie. Il est très inquiet. Il y a deux jours, il a marché dans un bois et a dû traverser un marais. De l’eau est alors entrée dans ses bottes et comme il n’avait rien pour se changer, il a continué sa marche toute la journée. C’est seulement le lendemain qu’il a remarqué la rougeur et l’odeur. Comme elles persistent, il vous consulte aujourd’hui. En fait, il se demande si l’eau aurait pu être contaminée, lui causant une infection. L De quoi souffre-t-il? S’agit-il effectivement d’une infection? e pied des tranchées (trench foot) est une manifestation secondaire à l’exposition prolongée au froid dans des conditions humides. L’appellation fait référence aux pieds détrempés des soldats qui se trouvaient dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale. Cette condition ne correspond pas seulement au passé. La dernière apparition d’un grand nombre de victimes du pied des tranchées s’est produite pendant la t l ont ven neen Guerre des Falklands, au cours de laquelle plusieurs soldats e britanniques u n p o s s e r souffert. pe risé es t i ontrairement d r © e t n i aux engelures, t iale h g i erc s auto usage r le pied des y op comsmpersonienpeour leur Les C causes tranchées ne nd’apparition Le coupcondition est mal compris. Celle-ci appaLe mécanisme o i ée. ndee cette t nécessite pas raît b i h sont u stlespropieds blorsque er uexposés à l’humidité, à l’intérieur de bottes ou de i m r i r t e p de température Contrairement aux engelures, le pied des tranchées ne nécesée serrés.im is utsouliers d oris ser et t i a site pas de température sous zéro et peut même se produire à 16 C. De plus, l sousnzéro e etiet non , visua t n o r ce mal peut survenir en aussi peu que 11 heures. e isa affiche l V i t peutL’umême r, se rge a h c produire à télé L’examen physique 16 ˚C. Les pieds affectés sont souvent engourdis et ils sont soit érythémateux, soit C ° cyanosés. L’odeur peut faire penser à de la viande qui pourrit, en raison de la présence d’anaérobies et du début de nécrose. Les pieds deviennent ensuite œdématiés. Des vésicules et des plaies ouvertes sont fréquentes; elles s’infectent souvent avec des mycoses – en climat chaud, on parle d’ulcère tropi- 2 le clinicien février 2011 Défi diagnostic cal (jungle rot). Une évolution naturelle vers la gangrène s’opère, ce qui conduit alors le patient à l’amputation. Heureusement, il existe un traitement efficace menant à la guérison complète, quoique les patients peuvent souffrir de douleur intense lorsque la sensation revient dans les pieds. Par ailleurs, les victimes demeureront par la suite plus sensibles au froid. Laboratoire et radiologie Le laboratoire n’est pas utile pour investiguer un pied des tranchées, à moins qu’on ne soupçonne une infection. Une scintigraphie au technétium peut cependant aider à évaluer l’atteinte tissulaire. Les rayons X simples, quant à eux, ne sont pas utiles. Pas plus d’ailleurs que l’artériographie, puisqu’elle démontre les gros vaisseaux, et non pas la microvasculature. Le traitement Il faut réchauffer les pieds en les immergeant dans de l’eau à une température de 40 à 42 °C, et ce, pour environ cinq minutes. Il ne faut pas utiliser d’eau plus chaude, ni de chaleur sèche, en raison du risque de brûler les pieds. Par la suite, il faut garder les pieds propres, chauds et secs. On traite d’abord les infections locales fongiques et bactériennes et on demande ensuite au patient de garder les pieds nus et à l’air, aussi souvent que possible. L’usage topique de métronidazole contre les anaérobies est souvent nécessaire, notamment parce que son usage fait disparaître l’odeur de pourriture, ce qui rend la situation beaucoup plus tolérable pour le patient et son entourage. La prévention En tout temps, il faut garder les pieds au chaud et au sec, ou du moins fréquemment changer de bas lorsqu’il est impossible de garder les pieds secs. Il ne faut surtout pas graisser les pieds; ils ne seront pas plus imperméables et ceci augmentera au contraire la gravité de la condition. Pendant la Première Guerre mondiale, on croyait à tort que le fait de graisser les pieds les rendait imperméables et donc résistants à la condition du pied des tranchées. On a donc distribué aux soldats de la graisse de baleine avec laquelle ils se sont frotté les pieds. La conséquence de ce geste a été dramatique : les pieds sont au contraire devenus plus sensibles à la condition et ils se sont détérioriés plus rapidement. Il n’est pas impossible que le fait qu’une graisse organique ait été utilisée ait contribué à la détérioration de la condition, les anaérobies y trouvant une nourriture supplémentaire facilement accessible. C Retour sur le cas de Roberto Comme ses pieds étaient déjà chauds et secs, vous avez traité l’infection avec une application de métronidazole en crème et per os. L’évolution s’est faite sans aucune complication. Roberto aime toujours marcher dans le bois, mais il apporte dorénavant quelques paires de bas supplémentaires. I l ne faut surtout pas graisser les pieds; ils ne seront pas plus imperméables et ceci augmentera au contraire la gravité de la condition (...). Dr Melançon est omnipraticien et compte 29 années d’expérience dont 18 en salle d’urgence. Il a pratiqué en cabinet privé et en CLSC. Il est récemment revenu à ses premières amours, soit la médecine d’urgence, la traumatologie et la psychiatrie. le clinicien février 2011 3