Franco Cardini
La société italienne et les croisades
In: Cahiers de civilisation médiévale. 28e année (n°109), Janvier-mars 1985. pp. 19-33.
Résumé
Jérusalem et les Lieux saints ont toujours fasciné les habitants de la péninsule Italique, et nombreux sont les sanctuaires et
églises dédiées dès les premiers temps du christianisme à la Terre sainte. Avec la première croisade toutefois (1095/99) apparaît
un phénomène nouveau : la participation des villes maritimes (Pise, Gênes, puis Venise quelques années plus tard) à l'activité de
croisés et ce à des fins essentiellement économiques, à savoir la maîtrise des routes de commerce en Méditerranée ; ces
marins et marchands italiens parviennent à leur but et fondent aux xne et xine s. de véritables « comptoirs commerciaux » sur le
littoral palestinien.
Enfin c'est la croisade qui a fourni au patriciat urbain d'origine marchande des motifs pour se faire annoblir ce qu'atteste
d'ailleurs la tradition historique locale.
Riassunto
Gerusalemme e i Luoghi Santi hanno sempre esercitato il loro fascino sugli abitanti délia penisola italica, e molti sono — dai primi
secoli del cristianesimo in poi — le chiese e i santuari dedicati alla memoria della « Terrasanta ». Ma con la crociata del 1095/99
si ha qualcosa di più ; là, c'è la presenza délie città marinare con le loro
navi : Pisa, Genova, qualche anno più tardi Venezia. Questa partecipazione dei marinai e dei mercanti italiani al movimento
crociato ha lo scopo principale d'impadronirsi délia vie del commercio mediterraneo : il che in effetti si ottiene, fra XII e XIII
secolo,
con la fondazione di vere « colonie commercial! » lungo il litorale palestinese. Ma le aristocrazie cittadine d'origine mercantile
trarranno dalla crociata anche motivi di nobilitazione : il che é ben provato dalla memoria locale.
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Cardini Franco. La société italienne et les croisades. In: Cahiers de civilisation médiévale. 28e année (n°109), Janvier-mars
1985. pp. 19-33.
doi : 10.3406/ccmed.1985.2286
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ccmed_0007-9731_1985_num_28_109_2286
Franco
CARDINI
La
société
italienne
et
les
croisades
RÉSUMÉ
Jérusalem
et
les
Lieux
saints
ont
toujours
fasciné
les
habitants
de
la
péninsule
Italique,
et
nombreux
sont
les
sanctuaires
et
églises
dédiées
dès
les
premiers
temps
du
christianisme
à
la
Terre
sainte.
Avec
la
première
croisade
toutefois
(1095/99)
apparaît
un
phénomène
nouveau
:
la
participation
des
villes
maritimes
(Pise,
Gênes,
puis
Venise
quelques
années
plus
tard)
à
l'activité
de
croisés
et
ce
à
des
fins
essentiellement
économiques,
à
savoir
la
maîtrise
des
routes
de
commerce
en
Méditerranée
;
ces
marins
et
marchands
italiens
parviennent
à
leur
but
et
fondent
aux
xne
et
xine
s.
de
véritables
«
comptoirs
commerciaux
»
sur
le
littoral
palestinien.
Enfin
c'est
la
croisade
qui
a
fourni
au
patriciat
urbain
d'origine
marchande
des
motifs
pour
se
faire
annoblir
ce
qu'atteste
d'ailleurs
la
tradition
historique
locale.
Gerusalemme
e
i
Luoghi
Santi
hanno
sempre
esercitato
il
loro
fascino
sugli
abitanti
délia
penisola
italica,
e
molti
sono
dai
primi
secoli
del
cristianesimo
in
poi
le
chiese
e
i
santuari
dedicati
alla
memoria
délia
«
Terrasanta
».
Ma
con
la
crociata
del
1095/99
si
ha
qualcosa
di
più
;
là,
c'è
la
presenza
délie
città
marinare
con
le
loro
navi
:
Pisa,
Genova,
qualche
anno
più
tardi
Venezia.
Questa
partecipazione
dei
marinai
e
dei
mercanti
italiani
al
movimento
crociato
ha
lo
scopo
principale
d'impadronirsi
délia
vie del
commercio
mediterraneo
:
il
che
in
effetti
si
ottiene,
fra
XII
e
XIII
secolo,
con
la
fondazione
di
vere
«
colonie
commercial!
»
lungo
il
litorale
palestinese.
Ma
le
aristocrazie
cittadine
d'origine
mercantile
trarranno
dalla
crociata
anche
motivi
di
nobilitazione
:
il
che
é
ben
provato
dalla
memoria
locale.
I.
LA
«
PRÉSENCE
DE
JÉRUSALEM
»
DANS
L'ITALIE
DU
HAUT
MOYEN
ÂGE
ET
LE
DÉBUT
DES
CROISADES.
Jérusalem
et
son
territoire
celui
qui
pour
les
juifs
est
la
Terre
promise
et
la
patrie
biblique,
Eretz
Israël,
et
pour
les
chrétiens
la
Terre
sainte
constituent
depuis
toujours
un
«
centre
du
monde
»,
un
espace
sacré
pour
les
trois
religions
sœurs
nées
de
la
souche
d'Abraham
:
le
judaïsme,
le
christianisme,
l'Islam.
Et
c'est
vers
Jérusalem
que
les
pèlerinages
juifs,
chré
tiens
et
musulmans
se
dirigent
dans
la
mesure
elle
abrite
les
principaux
Lieux
saints
des
trois
religions
:
le
Mur
des
Lamentations
et
l'Esplanade
du
Temple
pour
les
juifs,
le
Saint-
Sépulcre
pour
les
chrétiens,
et
pour
les
musulmans
le
Rocher
d'Abraham
à
partir
duquel,
selon
la
tradition,
Mahomet
a
entrepris
son
ascension
vers
le
ciel
et
se
trouve
la
«
Coupole
du
Rocher
»,
improprement
appelée
la
mosquée
d'Omar.
Il
est
naturel
que
ce
carrefour
séculaire,
ce
point
de
rencontre
qui,
en
lui-même,
ne
peut
que
constituer
un
gage
de
fraternité
et
d'amour,
soit
devenu
avec
le
temps
le
théâtre
de
tragiques
et
sanglantes
contestations.
S'il
faut
parler
de
croisades,
il
faut
également
dire
que
celles-ci
représentent
seulement,
selon
certains
spécialistes,
le
chapitre
médiéval
d'une
contestation
20
GGM,
XXVIII,
1985
franco
cardini
séculaire
dont
les
racines
profondes
sont
géohistoriques
et
géoculturelles.
De
l'arrivée
des
Hébreux
de
Moïse
provenant
du
désert
du
Sinaï
jusqu'à
la
question
israélo-palestinienne
encore
dramatiquement
ouverte,
court
le
fil
rouge
d'une
continuité
historique
indéniable.
11
semblerait
presque
que
les
continents
et
les
religions
étaient
destinés
à
s'affronter
dans
ce
morceau
de
désert
pierreux
situé
entre
la
mer
du
Levant
et
le
cours
du
Jourdain,
se
disputant
ainsi
une
terre,
dans
le
fond
pauvre,
avare,
inhospitalière
mais
dans
l'imaginaire
hébreu
comme
dans
l'imaginaire
chrétien
et
musulman
coulent
le
lait
et
le
miel.
Dans
ce
rapport
avec
la
Palestine,
la
péninsule
Italique
et
ses
habitants
semblent
jouer
un
rôle
privilégié
pour
différentes
raisons,
mais
principalement
pour
celles-ci
:
d'abord
la
relative
proximité
géographique
et
la
facilité
des
relations
maritimes
entre
les
deux
côtes,
grâce
à
une
mer
en
général
assez
calme,
parsemée
d'îles
qui
favorisaient
la
navigation
antique,
et
dont
les
segments
relativement
courts
étaient
entrecoupés
d'escales
dans
différents
ports.
Ensuite,
le
lien
tout
à
fait
exceptionnel
et
pourvu
d'une
force
historique
extraordinaire
entre
celle
qui,
pour
les
chrétiens,
est
la
Ville
sainte
et
le
berceau
de
l'Église
et
celle
qui,
toujours
pour
eux,
est
le
centre
de
cette
même
Église
et
le
siège
du
vicaire
du
Christ.
L'antique
réseau
routier
médiéval
qui
desservait
l'univers
euro-méditerranéen
était
une
route
de
pèlerinage
;
connue
dans
la
région
centre-nord
de
l'Italie
comme
via
Francigena,
elle
reliait
Saint-Jacques
de
Compostelle
à
Rome.
De
là,
par
la
via
Appia
Traiana
qui,
comme
la
via
Egnatia,
se
prolongeait
dans
la
péninsule
Balkanique,
on
arrivait
à
Constantinople
et
à
Jérusalem.
En
un
seul
grand
pèlerinage,
le
fidèle
pouvait
visiter
une
quantité
de
«
stations
»,
devenues
sanctuaires
et
«
hauts
lieux
»
illustres
situés
sur
le
trajet
ou
à
proximité
:
du
col
de
Ronce
vaux,
cher
aux
récits
épiques
et
hagiographiques
(Roland
était
vénéré
comme
un
saint),
aux
sanctuaires
du
Puy
(consacrés
à
la
Vierge
et
à
saint
Michel
archange),
de
Conques
(culte
de
sainte
Foy),
de
Vézelay
(culte
de
sainte
Marie
Madeleine),
enfin,
au-delà
des
Alpes,
de
Lucques,
l'on
vénérait
l'image
miraculeuse
du
saint
Visage,
sans
oublier
le
mont
Gargano
se
trouvait
la
grotte
consacrée
à
l'archange
saint
Michel.
Ainsi
la
présence
de
Jérusalem,
constante
dans
toute
la
chrétienté
pour
d'évidents
motifs
textuels
et
liturgiques
dépendant
de
l'Ancien
Testament
et
de
l'Évangile,
était
continuell
ement
renouvelée
en
Italie
méridionale
grâce
au
défilé
de
pèlerins
qui
traversaient
la
péninsule,
d'abord
en
direction
de
Rome
pour
vénérer
la
tombe
du
Prince
des
apôtres
et,
à
partir
de
là,
vers
le
Saint-Sépulcre.
Le
rapport
entre
liturgie
et
Lieux
saints
était
cependant
bien
plus
décisif
et
profond
que
ce
que
l'on
pourrait
croire
en
pensant
seulement
aux
pèlerins
ou
à
cer
tains
passages
des
Écritures.
La
visite
aux
Lieux
saints
effectuée
en
326
par
l'impératrice
Hélène,
mère
de
Constantin,
mit
en train,
on
le
sait,
un
programme
de
restructuration
monumentale
de
Jérusalem.
Les
grandes
basiliques
chrétiennes
virent
le
jour.
Les
églises
hiérosolymitaines
devinrent
alors
une
espèce
de
paradigme
pour
l'architecture
sacrée
de
la
chrétienté
tout
entière,
mais
égal
ement
pour
la
liturgie
à
partir
du
moment
les
deux
choses
étaient
inséparables.
On
le
voit,
du
point
de
vue
architectural,
avec
les
églises
romaines
basilique
de
Sainte-Marie-Majeure,
avec
la
crypte
de
la
Nativité
en
souvenir
de
la
grotte
de
Bethléem
mais
les
Lieux
saints
devinrent
également
des
modèles
pour
les
constructions
érigées
en
Occident
«
à
leur
image
»,
grâce
aux
souvenirs
de
pèlerins
et
aux
reliques
et
objets
divers
qu'ils
apportaient
d'outre-mer.
Bien
entendu,
encore
faut-il
s'entendre
sur
cette
ressemblance.
Le
Sépulcre
du
Christ
était
certes
l'objet
le
plus
caractéristique
de
ces
imitations
:
mais
tantôt
on
imitait
la
«
rotonde
»
de
VAnastasis,
tantôt
on
préférait
l'extérieur
de
Pédicule
ou
encore
l'intérieur.
Soit
on
rappel
ait
sommairement
la
forme
des
monuments
hiérosolymitains,
soit
on
n'en
respectait,
dans
une
certaine
mesure,
que
les
dimensions,
soit
enfin,
on
n'en
laissait
subsister
qu'un
souvenir
symbolique.
Ainsi
à
Bologne,
Aquilée,
Acquapendente.
D'autres
imitations
surgirent
par
LA
SOCIÉTÉ
ITALIKNNK
KT
LKS
CROIS
ADKS
21
la
suite,
dans
la
foulée
des
croisades,
jusqu'aux
célèbres
«
Monts
sacrés
»
des
xve
et
xvie
s.,
dont
celui
de
Varallo
Scsia
peut
être
considéré
comme
l'archétype.
Naturellement,
la
répétition
des
Lieux
saints
restait,
mais
sa
fonction
dévotionnelle
et
même
liturgique
changeait.
Et
si,
au
bas
moyen
âge,
de
tels
édifices
constituaient
l'objectif
de
pèlerinages
de
substitution
ou
même
le
support
visible
d'un
«
pèlerinage
intérieur
»
dont
le
but
principal
était
de
revivre
la
passion
du
Christ,
durant
les
siècles
antérieurs
à
l'an
mil
on
peut
dire
qu'ils
avaient
repré
senté
soit
une
préparation
au
pèlerinage,
soit
un
souvenir
de
celui-ci
outre,
peut-être,
une
sorte
d'admonition
relative
à
la
lin
des
temps,
puisque
la
Jérusalem
céleste
était
annoncée
sur
la
terre
par
la
Jérusalem
terrestre
et
visible1.
Mais
les
souvenirs
de
Jérusalem
n'étaient
pas
seulement
de
ce
type
:
il
y
avait
aussi
les
dédicaces
d'églises.
En
Toscane,
par
exemple,
le
village
de
San
Gersolè
tire
son
nom
de
l'existence
d'une
église
dédiée
à
la
Scinda
Hier
us
aie
m2.
Durant
certaines
périodes
de
l'année
liturgique,
cette
présence
de
Jérusalem
et
des
Lieux
saints
devenait
plus
immédiate
:
entre
Noël
et
l'Epiphanie,
quand
la
liturgie
fêtait
le
souvenir
de
Bethléem,
mais
surtout
en
période
pascale
où,
à
partir
de
l'entrée
triomphale
du
Christ
dans
la
Ville
sainte
jusqu'à
l'Ascension,
on
ne
parlait
que
de
Jérusalem.
On
a
dit
et
redit
que
le
théâtre
médiéval
naît
autour
du
Saint-Sépulcre
et
de
la
scène
pascale
l'ange
apos
trophe
les
trois
Maries
(le
célèbre
Quem
quacriiis)
:
les
différentes
reproductions
de
l'édicule,
en
général
souvenirs
et
vœux
de
pèlerinage,
se
transforment
peut-être
aussi
en
scène
théâtrale
pendant
cette
période.
Comme
on
le
sait,
beaucoup
de
pèlerins
après
la
célèbre
Étairie,
à
la
fin
du
ive
s.
rédigèrent
des
journaux
de
voyage
décrivant
ce
qu'ils
avaient
vu
en
Terre
sainte.
Dès
le
haut
moyen
âge,
certains
d'entre
eux
passaient
par
l'Italie
ou
même
en
partaient
et
leurs
écrits
sont
des
sources
très
utiles,
par
exemple
sur
l'état
des
communications
dans
la
péninsule.
Un
des
textes
les
plus
remarqués
à
ce
propos
est
peut-être
V
Iiinerarium
d'un
certain
Antonin
de
Plaisance
qui,
entre
560
et
570,
fit
un
pèlerinage
à
Constantinople,
Chypre,
en
Palestine,
en
Egypte
et
en
Syrie3.
Ces
relations
de
voyage
se
firent
toujours
plus
nombreuses
à
partir
du
xie
s.,
période
les
grands
pèlerinages
de
masse
reprirent,
en
prélude
aux
croisades.
La
présence
constante
de
Jérusalem
dans
la
vie
(et
pas
seulement
spirituelle)
de
l'Italie
pendant
le
haut
moyen
âge
ne
doit
cependant
pas
laisser
penser
que
ce
soit
pour
cette
seule
raison
que
les
gens
de
la
péninsule
se
préparaient
à
participer,
à
leur
façon
et
seulement
dans
une
certaine
mesure,
au
mouvement
des
croisades.
Celui-ci,
bien
entendu,
naquit
en
un
certain
sens
de
manière
improvisée
et
rien
ne
serait
plus
équivoque
que
d'en
rechercher
les
«
origines
»,
selon
un
vieux
préjugé
évolutionniste.
Toutefois,
pour
les
Italiens,
l'«
impondérable
»
de
la
croisade
s'inscrit
dans
une
grande
aventure
de
marins
et
une
affaire
lucrative,
dans
une
vieille
habitude
de
relations
avec
l'Orient.
De
tels
rapports
étaient
évidemment
plus
forts
dans
le
sud
de
la
péninsule
et
dans
le
bassin
adriatique,
pour
ne
pas
parler
de
la
Sicile
qui,
entre
le
xe
et
le
xie
s.,
fut
une
île
arabo-africaine.
Mais
avec
le
xie
s.,
les
villes
maritimes
tyrrhéniennes
qui,
à
la
différence
de
leurs
consœurs
méridionales
ou
adriatiques,
étaient
depuis
longtemps
affranchies
des
prétentions
byzantines
et
relativement
libérées
du
féodalisme
formellement
inséré
dans
le
regnum
Italiae,
commencèrent
à
se
montrer
sur
la
scène
méditerranéenne
;
ce
fut
un
nouveau
signe
des
temps
qui
mûrissaient4.
1.
Cf.
A.
M.
Bhkdeho,
Jérusalem
dans
VOrcidcnl
médiéval,
dans
Mélanges-
P>.
Crozot,
T,
Poitiers,
1066,
p.
259-271
;
G.
Bri;sc-Baiï!f.h,
Les
imitations
du
Saint-Sépulcre
de
Jérusalem
(IXe-XV°
s.).
Archéologie
d'une
dévotion,
«
Rev.
d'iiisl.
de
la
spiritualité
»,
I.,
i
1)7-1,
p.
1
li">-M7
;
i
>.
Nf.ki,
77
Sanlo
Sepnlcro
riprodoilo
in
Occidente,
Jérusalem,
1971.
2.
Cf.
P.
Akhisctier,
«
Sancia
Ifierusalem
»,
<■
Bollet.
stor.
lucchese
»,
XI,
1939,
p.
81-92.
'•i.
Iiinerarium
Anlonini
Plarp.nl
ini.
Un
vicifjgio
in
Terra
Santa
del
660-570
d.
C,
éd.
C.
Milani,
Milan,
1977.
4.
Cf.
M.
TANfiiiEROM,
Pisa,
l'Islam,
il
Meditcrraneo,
la
prima
crociala
:
alcune
considerazioni,
dans
Toscana
e
Terra-
sanla
nel
medioevo,
Florence,
19^2,
p.
31-06.
22
GGM,
XXVIII,
1985
franco
cardini
Incontestablement,
il
existe
dans
la
culture
euro-chrétienne
un
«
esprit
de
croisade
»,
lié
en
partie
seulement
à
la
Terre
sainte
et
à
la
volonté
de
rendre
à
la
chrétienté
Jérusalem
tombée
entre
les
mains
des
musulmans.
Historiquement
parlant,
cet
esprit
est
plutôt
le
fruit
du
christianisme
guerrier
et
missionnaire
de
l'époque
carolingienne
et
ottonienne,
auquel
très
vite
vint
s'ajouter
la
volonté
de
s'opposer
à
l'avancée
islamique,
sur
les
eaux
et
le
long
des
côtes
de
la
Méditerranée.
Cependant,
il
faut
tenir
compte
du
fait
que
cette
avancée,
en
tant
que
telle,
avait
déjà
subi
un
sérieux
coup
d'arrêt
au
cours
du
vme
s.,
mis
à
part
certains
épisodes
ultérieurs
et
sans
aucun
doute
importants,
comme
la
conquête
arabe
de
la
Sicile,
parachevée
entre
les
premières
décennies
du
xie
et
le
début
du
siècle
suivant,
ou
bien
celle
de
l'émirat
de
Bari
entre
842
et
870.
Cependant,
dans
le
bassin
occidental
de
la
Méditerranée,
il
existait
encore
de
grandes
zones
«
chaudes
»
:
ainsi
la
péninsule
Ibérique
encouragés
par
la
désagrégation
du
califat
de
Cordoue,
les
royaumes
chrétiens
du
nord
entreprirent
pendant
longtemps
toute
une
série
de
campagnes
militaires,
entrecoupées
de
manèges
diplomatiques,
qui
plus
tard
prirent
le
nom,
désormais
classique,
de
Reconquista.
Une
autre
zone
de
friction
était
comprise
entre
la
Sicile,
la
Sardaigne,
la
Corse,
les
Baléares
et
les
côtes
italiennes,
françaises
et
ibériques,
qui,
entre
le
IXe
et
le
xie
s.,
furent
le
théâtre
d'activités
de
«
corsaires
»
musulmans
dont
les
bases
se
situaient
d'habitude
en
Afrique
du
Nord.
Les
chrétiens
ripostèrent
par
des
opérations
de
même
type.
Une
longue
série
d'épisodes,
à
la
limite
entre
l'histoire
et
la
légende,
illustrent
cette
«
pré
histoire
de
la
croisade
»
:
épisodes
certainement
historiques
mais
que
l'extrême
rareté
des
sources
spécifiques
empêche
de
reconstituer
comme
il
se
doit,
même
si
certains
d'entre
eux
sont
particulièrement
célèbres
(et
ils
le
seraient
encore
plus
si
l'on
pouvait
en
apprécier
toute
la
signification).
Ce
sont
les
hauts
faits
des
Sarrasins
attestés
dans
les
repaires
corsaires
de
Fraxinelum
et
du
Garigliano
:
l'arrivée
à
Pise,
en
801,
des
ambassadeurs
musulmans
en
route
pour
la
cour
de
Charlemagne
;
l'expédition
de
Boniface
de
Toscane
contre
la
Corse
et
l'Afrique
en
828
;
le
sac
de
Rome
par
les
Sarrasins
en
846
;
la
grande
campagne
anti-musulmane
de
l'empereur
Louis
II
lancée
à
la
diète
de
Pavie
de
865,
et
qui
culmine
avec
la
reconquête
de
Bari
en
871
;
enfin
les
grands
sièges
que
les
musulmans
infligèrent
aux
villes
du
littoral
Salerne
en
871/725,
à
Gênes
en
935,
à
Pise
en
1005).
Il
s'agit
d'événements
en
partie
obscurs,
souvent
éclaircis
par
des
légendes
passées
ensuite
dans
le
folklore.
Et
pourtant
c'est
une
telle
obscurité
qu'il
faut
scruter
pour
expliquer
un
essor
qui
est
déjà
sensible
au
début
du
xie
s.
Cet
essor,
nous
le
voyons,
en
termes
de
commerce
et
d'expansion
démographique
et
urbaine,
surtout
dans
les
deux
principales
villes
tyrrhéniennes,
Pise
et
Gênes
:
les
grandes
expéditions
maritimes
des
deux
cités,
parfois
réunies,
de
même
que
l'explosion
de
leur
rivalité,
d'abord
à
propos
de
la
Corse,
sont
sans
aucun
doute
à
mettre
en
rapport
avec
un
mouvement
d'expans
ion
civile,
politique
et
économique.
Mais
au
fond,
même
si
nous
sommes
moins
informés,
nous
pouvons
également
dire
la
même
chose
de
la
tension
en
Méditerranée
aux
ixe
et
xe
s.,
peut-être
sans
la
considérer
en
termes
négatifs
(un
monde
apeuré
et
bouleversé
par
les
vagues
des
invasions
barbares)
comme
nous
y
avons
été
habitués
par
une
historiographie
désormais
dépassée.
G.
Volpe,
du
reste,
avait
en
son
temps
souligné
à
plusieurs
reprises
la
vitalité
qui
animait
les
Italiens
dans
leur
façon
«
apeurée
»
de
résister
aux
Sarrasins,
aux
Hongrois
et
aux
Vikings.
Volpe
soutenait
que
c'était
dans
la
dynamique
de
cette
résistance
que
l'on
voyait
déjà
les
ferments
de
la
future
société
communale.
Mais,
de
toute
évidence,
il
est
égal
ement
possible
de
distinguer
des
traces
de
rapports
économiques
et
commerciaux
à
travers
la
résistance
à
la
pression
musulmane
entre
le
ixe
et
le
xe
s.
;
les
affrontements
militaires
n'en
étaient
pas
la
négation,
mais
tout
au
plus
le
revers
de
la
médaille.
De
récentes
études
ont
démontré
comment
Gênes
et
Pise,
dès
le
haut
moyen
âge,
cherchèrent
à
dépasser
les
barrières
5.
Cf.
U.
Schwarz,
Amalfi
nelVAllo
Medioevo,
Salerne/Rome,
1980,
p.
57.
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