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es enfants chinois qui chantent
en grec: scène insolite des Jeux
Olympiques. 2008 est d’ailleurs en
Chine l’Année de la Grèce, qui fait fureur
dans les musées, au théâtre, au Salon du
livre. Et après? Rien n’est plus contagieux
que le virus aristocratique chez les nouveaux
riches. Parions que demain, les meilleurs
hellénistes seront en Orient (c’est déjà vrai
des virtuoses de Chopin). Il y a un quart de
siècle, un roman décrivait déjà la vie d’une
nounou anglaise chez de jeunes cadres à
Pékin, «la plus riche ville du monde». C’est
en train de devenir une réalité: «Pour les
Chinois, l’Europe est juste un Disneyland»,
découvrait, amer, un journaliste à un récent
forum bilatéral. Ou plutôt un Parc Astérix,
puisque seule l’Antiquité ne peut être volée.
Ou, à la rigueur, l’Ancien Régime: en Chine,
dans l’héritage culturel occidental, Chéops et
Cartier survivront à Karl Marx. Le Cheval de
Troie vit désormais dans un parc de Pékin,
à côté d’une Pyramide et d’un Taj Mahal
réduits.
Rois Paresseux cherchent porteurs
Ce monde à l'envers est arrivé: le grec,
surtout l’ancien, est la nouvelle vedette de
l’Asie. Il y a 20 ans, une ado indienne a dû
faire le siège de l’ambassade pour que le
gouvernement grec accepte enfin d’ouvrir un
cours. Maintenant, Aristophane est en train
de rejoindre Mao et Gandhi au Panthéon
asiatique. Est-ce à dire que tout Genevois
porteur d’une maturité classique ou d’une
licence en sciences de l’Antiquité soit assuré
de faire carrière dans les pays du soleil
levant? Aussi facilement que les experts
suisses – du vieil amiral à la jeune nourrice
– le firent dans la Russie des Tsars… tandis
que les Français préféraient s’enrichir de loin
par les emprunts? Ou aussi difficilement
que Lafcadio Hearn, devenu au XIXe siècle
le premier Européen à enseigner à Tokyo et
même à devenir Japonais (un pionnier de la
communication interculturelle, pourtant très
peu en cour chez les experts genevois de la
question). On retrouve ici le dilemme de l’in-
vestissement miracle qui enrichit sans peine:
s’il est miraculeux aux yeux de tous, quel fou
vous le vendra pour une bouchée de pain?
Le miracle économique asiatique n’est pas
fait pour nourrir les rentiers européens. Des
millions de jeunes chinois, indiens, malais…
sont déjà ingénieurs ou artistes hors pair, et
ne comptent pas laisser les étrangers, leur
marcher sur les pieds. Il y a bien quelques
places à prendre encore comme prof de
langues, mais un Philippin saura toujours
mieux l’anglais qu’un Américain le tagalog
(sauf les Peace Corps, coopérants qui rece-
vaient un cours de langue accéléré avant de
travailler dans des villages, au salaire local).
Mais les langues mortes sont plus solides
que les langues vivantes; à Athènes ou à
Pékin, n’apprend pas (et surtout n’enseigne
pas) le grec ancien qui veut. Un Grec, même
sans histoire ni raison, aura certes l’avantage
des mots, et un Chinois, récitant Homère à
son oiseau même avec accent, l’avantage du
lieu. Mais l’Antiquité n’est pas qu’affaire de
langue: à Columbia University à New York,
les agrégées françaises de littérature classi-
que (comme Suzanne Saïd) ont longtemps
fait la pluie et le beau temps, malgré Berlitz.
Mercure, voyageur grec frimeur
L’Europe fut une puissance scientifique, puis
financière… elle devient la maîtresse de
l’Antiquité. Bref, les grandes heures de la
Sorbonne sont passées, et celles des agents
de change genevois aussi: ils régnaient jadis
sur la Bourse de Paris, ils ne font même plus
recette à Singapour. Demain, nous parlerons
chinois… et les Chinois, grec (ancien), alors
la nostalgie est une science d’avenir. Qui
sait? Tout membre érudit de l’Association
(gréco-suisse) Jean-Gabriel Eynard a entrou-
vert la porte d’une carrière à Shanghai. Ou
même, tout guide touristique ayant assez
traîné à Delphes ou Cnossos pour épater
un auditoire. Il faut savoir se vendre, et les
enquêtes de Manpower montrent que de
tous les métiers, le plus demandé dans le
monde entier est… vendeur! n
Boris Engelson
1er septembre 2008 – No 375
Hebdomadaire distribué gracieusement à tous les ménages du
Canton de Genève, de l’agglomération de Nyon et de toutes les
autres communes de la Zone économique 11 (Triangle Genève-
Gland-Saint Cergue). 201'741 exemplaires certifiés REMP/FRP.
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L’avenir est grec ancien
Quels sont les métiers de demain? Bonne mais vaine question, car si on connaît la réponse, la ruée vers l’or a déjà épuisé le
filon. A moins que demain soit ailleurs: au XX
e
siècle, l’avenir était en Amérique. Ces jours, il déménage en Chine. Pays qui a
déjà de bons ingénieurs, mais qui manque de… profs de grec!
Mythologie grecque: la Chine pourrait mieux faire.
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