IAC 2005 - MILLE

publicité
Possibilité de lutte biologique contre
deux plantes aquatiques en Nouvelle-Calédonie
La Jacinthe d’eau,
Eichhornia crassipes
La Fougère aquatique,
Salvinia molesta
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Introduction
La Fougère aquatique (Salvinia molesta Mitchell, Salviniaceae) et la Jacinthe d’eau
[Eichhornia crassipes (Martius) Solms-Laubach, Pontederiaceae] sont des plantes aquatiques
introduites en Nouvelle-Calédonie.
Elles ont été importées sciemment par des collectionneurs ou amateurs. Parfois considérées
comme plantes ornementales (Débordes, 2004), elles n’en sont pas moins dangereuses pour
l’environnement fragile de Nouvelle-Calédonie (Suprin, 1993). MacKee (1994) signale la
culture de « Salvinia auriculata » (qui s’avèrera être S. molesta) dès 1956 à Nouméa. En
1992, elle est devenue très envahissante dans l’ensemble des cours d’eau et des retenues
collinaires de l’intérieur.
Concernant Eichhornia crassipes, on la signale dès 1911 à Canala et à Oubatche en 1914
(MacKee, 1994). Ces plantes sont en fait des mauvaises herbes dangereuses pour les plans
d’eau naturels ou créés par l’homme.
Les méfaits des deux plantes sont relatés ci-après ainsi que les possibilités de lutte biologique,
grâce à deux charançons à introduire : Cyrtobagous salviniae Calder & Sands et Neochetina
eichhorniae Warner (Coleoptera : Curculionidae).
I. Statuts des deux plantes envahissantes
Bien que Swarbrick (1997) considère qu’en Nouvelle-Calédonie, ces deux plantes sont des
mauvaises herbes secondaires, les effets produits sur l’environnement ne sont pas
négligeables :
-
Cas de la Fougère aquatique
Sachant qu’il existe plusieurs espèce de Salvinia sp., il était tout d’abord indispensable de
vérifier que l’espèce que nous avions était bien S. molesta, car nous soupçonnions S.
auriculata (MacKee, 1994). Une opération de lutte biologique doit être basée en premier lieu
sur la définition exacte des espèces en cause. Ceci était fait en 2003, grâce à Mme Barbara
PARRIS du Fern Research Center de Nouvelle-Zélande qui nous a donné une clef de
détermination avec les trichomes (ou poils) présents sur les feuilles mais aussi et surtout la
disposition des sporocarpes, qui sont sous l’eau, qui s’articulent différemment chez les deux
espèces (voir l’annexe I).
La fougère Salvinia molesta est originaire du sud-est du Brésil, où elle ne présente aucun
problème grâce à un cortège d’ennemis naturels. Elle est présente aujourd’hui dans de très
nombreux pays dont l’Afrique, l’Inde, le Sri Lanka, l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie,
Singapour, l’Australie, Fidji, la Papouasie Nouvelle-Guinée, la Polynésie Française et la
Nouvelle-Zélande. Cette plante se reproduit végétativement, sans reproduction sexuelle, grâce
à des rhizomes horizontaux, qui pendent juste sous la surface de l’eau. Chaque nœud porte
une paire de feuilles ainsi qu’un organe ressemblant à une racine, le sporocarpe. Elle se
développe donc par multiplication naturelle ou par fragmentation. Elle flotte librement. La
face supérieure des feuilles est couverte de trichomes hydrophobes qui l’empêchent de couler.
Cette plante de grandes différences morphologiques selon les conditions environnementales.
L’optimum de végétation est atteint dans des eaux abritées, stagnantes ou à faible débit et en
milieu tropical. Elle tolère une grande variété de concentrations d’éléments nutritifs. La
couverture qu’elle produit en se développant, peut aller jusqu’à 19 % par jour. Les trois
éléments principaux Azote, Phosphore et Potassium sont les plus importants pour la Salvinia.
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Elle peut supporter une salinité de 20 %. Cette espèce peut donc supplanter l’ensemble des
plantes présentes sur une plan d’eau à l’exception de la Jacinthe d’eau. La Salvinia est
généralement disséminée par l’homme.
La prolifération de la Salvinia entraîne la réduction ou l’impossibilité d’utiliser les rivières
pour la pêche, les loisirs, les voies navigables, ou encore de rendre disponibles les réserves
d’eau. Sa présence augmente les risques d’inondations et empêche le ressuyage rapide des lits
de rivières. La photosynthèse et l’oxygénation peuvent être inhibées sous les amas de
fougères. Des mesures ont montré que dans un lac, la teneur en oxygène dissout était de 4,4 à
6,9 mg/ml en eau libre alors que dans une partie colonisée par la Salvinia, la teneur n’était
plus que de 0,64 mg/ml en surface et de 0,66 mg/ml à 1 m de profondeur (Suprin, 1993).
L’eau n’est plus potable pour les humains. Cette fougère cause aussi la disparition de plantes
et d’animaux endémiques.
Ses seules vertus sont sa capacité à prélever les éléments nutritifs en excès dans les eaux usées
domestiques ou industrielles, ainsi que la possibilité de composter les plantes sèches. Mais ces
qualités ne compensent pas les inconvénients d’une infestation (Waterhouse et Norris, 1987).
-
Cas de la Jacinthe d’eau
Eichhornia crassipes est l’une des pestes végétales les plus importantes au monde. C’est une
plante aquatique, herbacée et pérenne originaire du Brésil et peut-être d’Amériques centrale et
du Sud. Cette plante flotte librement à la surface des eaux sans prendre racine sur les substrats
du lit des rivières, bien que d’autres membres de la même famille le fasse. Elle colonise tous
les plans d’eau grâce à une grande tolérance aux variations de nutriments et de pH, mais elle
est par contre très sensible à la salinité (elle ne supporte pas une salinité à un taux de 0,06 %).
Son potentiel de croissance est atteint à un pH de 7, une concentration de 20 ppm de
Phosphore et d’Azote. Cette plante peut pousser dans la boue et survivre pendant des mois sur
un substrat peu humide. Les températures optimales sont entre 28 et 30° C. Lorsqu’elle est
présente, la Jacinthe supplante les autres végétaux et peut même réduire ou éliminer d’autres
espèces.
Comme pour l’espèce précédente, et sur le plan écologique, la Jacinthe d’eau réduit la
pénétration de la lumière et de ce fait affecter le développement du phytoplancton. Elle
diminue le pH et la concentration de l’Oxygène dissout et augmente la concentration de
dioxyde de Carbone. Elle peut gêner la circulation fluviale et compliquer les périodes
d’inondations. Le taux d’évapotranspiration est de 2 à 8 fois que l’évaporation naturelle d’un
plan d’eau.
Ses vertus sont principalement décoratives grâce à ses belles fleurs. En Chine, elle est
employée en alimentation animale. Elle a aussi la particularité d’absorber les éléments
nutritifs en excès dans des eaux usées, mais son utilisation reste anti-économique.
II. Les ennemis naturels des deux plantes aquatiques
Fougère aquatique
De nombreux ennemis ont été observés sur cette plante. Lors d’une première étude, un
charançon (Cyrtopagous singularis), un papillon (Samea multiplicalis) et une sauterelle
(Paulinia acuminata) avaient été découverts dans une région du Nord du Brésil. Plus tard, une
nouvelle étude dans la région d’origine de S. molesta, a montré la présence d’une autre espèce
de charançon, Cyrtobagous salviniae. Cette dernière s’est avéré beaucoup plus efficace contre
S. molesta (Waterhouse et Norris, 1987).
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Les résultats de cette lutte biologique en Australie et en Papouasie Nouvelle-Guinée ont été
spectaculaires. En annexe II, est aussi donné l’exemple du Sri Lanka avec un retour total à
une situation normale grâce à l’introduction du charançon. Quarante-six espèces parmi 33
familles de plantes ont été testés et c’est seulement sur la Jacinthe d’eau que les adultes se
sont nourri sans toutefois réaliser leur cycle (Forno et al, 1983).
Jacinthe d’eau
Cette espèce possède de nombreux ennemis naturels dont deux charançons du genre
Neochetina spp. (Coleoptera : Curculionidae), trois espèces de papillon (Lepidoptera :
Pyralidae et Noctuidae), une sauterelle (Orthoptera), un acarien (Acari), un autre coléoptère,
des champignons… Il est établi que le charançon Neochetina eichhorniae permet de lutter
efficacement contre la Jacinthe d’eau et de manière permanente (VQIS, 2004), notamment en
Papouasie-Nouvelle-Guinée (voir en annexe III), aux îles Fidji ainsi qu’en Australie et plus
récemment au Vanuatu. Il serait en effet le principal agent responsable du contrôle de la
Jacinthe d’eau. Suite à l’étude de statut-hôte dans treize pays différents, cette espèce de
charançon a montré à chaque fois une très forte restriction à s’alimenter, pondre et survivre
seulement sur la Jacinthe d’eau. Deux cent soixante-quatorze espèces de plantes parmi 77
familles ont été testées (Julien et al., 1999). Ces tests ont montré une grande spécificité à son
hôte, la Jacinthe d’eau. Aujourd’hui, ce charançon a été lâché dans 32 pays dans le monde.
III. Statuts biologiques des deux charançons candidats à l’importation
-
Cas de Cyrtobagous salviniae (Anonyme, 2003 ; Forno et al., 1983)
Comme l’espèce suivante, le Charançon de la Salvinia réalise son cycle entièrement sur et
dans la Fougère aquatique. Les adultes sont subaquatiques et se positionnent sous les jeunes
feuilles, dans les feuilles ou dans les racines de la Salvinia. Ces charançons respirent
lorsqu’ils sont sous l’eau, à l’aide de films d’air adhérant à leur surface ventrale ou d’air
aspiré directement des tiges des plantes.
Les adultes sont de petits charançons noirs et mesurent entre 1,88 et 3,1 mm de long pour 1,2
à 1,6 mm de large. Les femelles sont généralement plus grosses que les mâles. Les adultes ne
sont sexuellement matures qu’après une période de 6 à 14 jours. Les accouplements multiples
ont lieu après une période de 5 à 26 jours après l’émergence.
Les œufs sont pondus isolément dans des cavités des tiges, creusées par les adultes lors de
leurs prises alimentaires. Les femelles ne pondent seulement que si les plantes sont en contact
avec l’eau. La femelle pond un œuf tous les 2 à 5 jours sur une période de 60 jours.
La jeune larve est blanche et mesure 1 mm de long. Elle se nourrit des jeunes pousses
terminales puis entre dans le bourgeon de la feuille en y creusant après s’être nourri de la
surface de la feuille pendant 3 à 14 jours. Le développement complet nécessite la succession
de 3 stades larvaires. La période larvaire moyenne est de 23 jours à la température de 25,5 °C.
La larve âgée mesure 2,6 mm de long. La pupaison a lieu dans un cocon mesurant 2 par 2,6
mm, lui-même en contact avec des plantes vivantes. La plupart des cocons (78 %) sont sous
les feuilles ou dans les amas de racines, alors que les autres 22 % sont contre les rhizomes ou
les bourgeons. Pour se développer dans les cocons, les pupes ont besoin d’environ 13 jours à
25,5 °C. Les températures extrêmes de 19 et 37 °C diminuent la capacité d’oviposition et la
longévité des charançons.
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
-
Cas de Neochetina eichhorniae (Julien et al., 1999)
L’ensemble du cycle biologique du charançon se déroule sur ou dans les tissus de la Jacinthe
d’eau.
L’œuf, de forme ovale, mesure 0,8 par 0,6 mm. Les œufs sont pondus seuls sous l’épiderme
des feuilles à raison de 5 à 7 œufs par jour dans des conditions de température de 25°C. La
femelle pond un total de 300 œufs tout au long de sa vie. Les œufs éclosent entre 7 et 14
jours.
Les larves sont uniformément blanches mise à part la capsule céphalique. Les jeunes larves
creusent des galeries dans les tiges, à la base des pétioles ou dans les couronnes où ils forent
des petites loges. Durant le développement des plantes, les feuilles infestées de larves sont
déplacées sur le bord de la couronne. L’impact sur les jeunes feuilles est particulièrement
sévère. Le développement larvaire dure de 35 à 58 jours.
La larve âgée sort de la couronne et se déplace vers les racines pour pupifier sous l’eau. Elle
construit un cocon circulaire noir de 2 mm de diamètre, à l’aide de racines excisées, qu’elle
attache à l’une des plus grandes racines. La pupe se développe pendant 30 jours avant
l’émergence.
L’adulte est un petit charançon brun à gris et qui mesure 4 à 5 mm de long. Il vit entre 89 et
142 jours. Il est connu pour avoir une durée de vie de 309 jours en Argentine, sa région
d’origine. Son mode de vie est nocturne. L’adulte commence à manger 24 heures après
l’émergence. Il ne se nourrit que des parties externes des plantes. Les femelles commencent à
pondre 6 jours après l’émergence.
En conditions de laboratoire, les dégâts dus à l’alimentation vont de 0,5 à 25 mm² ; ceux des
femelles étant plus importants que ceux des mâles. Pendant la journée, les charançons sont
dans les couronnes des plantes et en sortent principalement la nuit pour se nourri des jeunes
feuilles.
Conclusions
Ces deux plantes sont des pestes végétales importantes entraînant des effets secondaires
graves pour l’économie et l’environnement. La possibilité de lutte biologique, offerte par ces
deux charançons, déjà bien rodée dans d’autres pays, est à notre portée, elle permettrait de
diminuer les impacts négatifs de ces deux plantes envahissantes. L’utilisation de ces agents
permettrait aussi la limitation des herbicides parfois utilisés contre elle.
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Références :
Anonyme, 2003. Biological Control of Weeds in Texas – Salvinia weevil (url:
http://bc4weeds.tamu.edu/agents/salviniaweevil.html, 3 pages.
Debordes A., 2004. La Jacinthe d’eau une plante utile. TV Magazine, Rubrique Jardin, Les
Nouvelles Calédoniennes, Nouméa, 1 page.
Forno I. W., D. P. A. Sands and W. Sexton, 1983. Distribution, biology and host specificity
of Cyrtobagous singularis Hustache (Coleoptera: Curculionidae) for the biological control of
Salvinia molesta. Bulletin of entomological Research, 73: 85-95.
Harley K. L. S. and I. W. Forno, 1992. Biological Control of Weeds – A handbook for
practitioners and students. Inkata Press, Melbourne-Sydney, 74 pages.
Julien M. H., M. W. Griffiths and A. D. Wright, 1999. Biological control of water
hyacinth. ACIAR, Canberra, 87 pages.
MacKee, H. S., 1994. Catalogue des plantes introduites et cultivées en Nouvelle-Calédonie.
Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, 2ème édition revue et commentée, 164 pages.
Suprin B., 1993. Le Salvinia I et II. In Les Nouvelles Calédoniennes, Maison de la Nature
Parc Forestier - Province Sud, 2 pages.
Swarbrick J. T., 1997. Weeds of the Pacific Islands. South Pacific Commission, Noumea –
New Caledonia, Technical Paper N° 209, 124 pages.
VQIS, 2004. Risk Analysis for an Application for Importation of a biological agent into the
Republic of Vanuatu. Vanuatu Quarantine Inspection Service, Unpublished Document. 11
pages
Waterhouse D. F. and K. R. Norris, 1987. Biological Control – Pacific Prospects. Inkata
Press, Melbourne, 454 pages.
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Annexe I
Dessin d’après Barbara PARRIS (Fern Research Center)
Caractère permettant la différenciation entre Salvinia molesta et S. auriculata.
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Annexe II
Photo du lac Muthikandia (Sri Lanka) avant et après le lâcher de Cyrtobagous salviniae
contre Salvinia molesta (Photos de P. M. Room, in Harley et Forno, 1992)
Annexe III
Photo de la rivière Sepik (Papouasie Nouvelle-Guinée) avant et après le lâcher des charançons
Neochetina bruchi et N. eichhorniae contre Eichhornia crassipes
(Photo de M. Julien, in Julien et al., 1999.)
Christian MILLE, IAC-SRFP, Laboratoire d’Entomologie Appliquée, 26 janvier 2005
Téléchargement