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de landes très productives. Sur le relief concerné, il y a eu un
évitement du versant le plus fréquemment parcouru par les
loups au plus fort de la période de prédation. À la période du
rut la diminution de la densité des cerfs s’est traduite par une
fragmentation des zones de brame. Mais elles restaient posi-
tionnées sur les boisements historiquement les plus chargés
en cerf (VIGNON, 1995).
Dans le Parc du Yellowstone, les loups viennent chasser
les wapitis dans leurs zones refuges situés dans des zones
non chassées par l’homme (HAMLIN & CUNNINGHAM, 2009).
Dans ce second exemple, aucune modifi cation de l’utilisation
de l’espace par les cerfs due à la prédation des loups n’a pu
être mise en évidence. Cette organisation spatiale des cerfs
est davantage déterminée par l’évitement des hommes que
par l’évitement du prédateur.
Cet évitement se retrouve dans les nombreuses observa-
tions qui montrent que les cerfs fuient l’homme à plusieurs
centaines de mètres, une distance qui correspond à la portée
d’une carabine, alors qu’ils s’écartent du passage d’un loup ou
d’une meute à une distance de quelques dizaines de mètres
suffi sante pour assurer leur fuite (photographie 2).
Pour compléter ces constats, dans les forêts de
Fontainebleau et de Rambouillet, l’organisation spatiale des
populations de cerfs a été complètement bouleversée au cours
des années 1980 par l’augmentation de la fréquentation du
public venant de l’agglomération parisienne (VIGNON, 1999),
notamment avec le développement des loisirs et la croissance
du parc automobile. Ce phénomène qui s’est produit dans
un rayon de l’ordre de 70 km autour de Paris a également
entraîné, à la même époque, une modifi cation complète de
l’organisation spatiale des populations de cerfs des forêts
du sud de l’Oise dans les massifs forestiers de Chantilly et
d’Ermenonville (VIGNON, données non publiées).
Malgré tout, il y a un évitement limité dans l’espace et
dans le temps comme cela a été évoqué plus haut dans la
cordillère Cantabrique. L’exemple qui suit apporte davantage
de précision à l’ajustement de l’utilisation de l’espace par les
cerfs soumis à la prédation du loup au Canada (VAN BEEST
et al, 2013). Les changements d’occupation de l’espace des
biches en fonction de la présence (ou non) des loups a été
suivie, à l’échelle journalière, hebdomadaire et mensuelle et ce
pendant une année complète. Les biches montrent une fi délité
à leurs sites habituels basée sur la richesse végétale, fi délité
qui diminue avec la proximité des loups. Ceci est sensible à l’échelle de la journée ou
de la semaine. De manière moins notable, la fi délité des biches aux sites de prédilection
diminue en présence de meutes à effectif plus élevé. En revanche, aucune relation n’est
notée à l’échelle mensuelle, démontrant ainsi l’effet des échéances brèves de pression
de prédation sur le comportement des proies. Ainsi, les biches réagissent à la pression
de prédation sous une forme d’« action-réaction » à court terme en utilisant d’autres
milieux pour se protéger des prédateurs, quitte à ce que ceux-ci soient moins propices
sur le plan alimentaire durant la courte période à risque.
Ces comportements affectent vraisemblablement les perceptions que nous pouvons
avoir de l’impact de la prédation sur les cerfs qui, en plus des effets sur la survie, les
rendent moins visibles sur leurs zones habituelles de présence.
Vis-à-vis des importantes populations de cerfs des forêts de plaine, nous ne devons
pas nous attendre à leur dispersion par des loups qui viendraient exercer leur préda-
tion. Ce phénomène est attendu par les forestiers qui doivent supporter les dommages
économiques des cerfs dans les zones de concentration de ces herbivores pouvant
Vincent VIGNON
article > Retour du loup en plaine, conséquences sur les ongulés sauvages,
notamment dans le Nord-Est de la France