fais le cactus, je te prie ! On ne bouge plus… Merci !
_ Il ne suffit donc pas, si je vous suis, Madame, d’être adulte pour être un homme. Car rien de
ce qui est homme ne se mesure à l’unité.
_ Il faut être au moins deux ! Mais les choses se compliquent, et singulièrement.
_ Et pourquoi donc ?
_ Voyons Majesté ! Tout de même ! Vous devriez le savoir, vous qui dominez le monde ou y
prétendez ! Toute relation humaine est d’abord une relation de domination, une relation de
maître à esclave ! C’est le mari habile qui domine sa femme ou la femme entreprenante qui
domine son mari, le père ou la mère qui domine ses enfants, l’homme riche qui domine le
pauvre, etc. Bref, pour n’importe quel couple d’hommes, il y a un maître et un esclave dans
l’histoire, du moins dans la forme primitive que prend toute relation !
Hegeli, Höderli, on joue au maître et à l’esclave ! Là…. Ne sont-ils pas merveilleux ?
On dirait mes parents… Les vôtres peut-être ? On dit que les Corses sont un brin querelleurs,
non?
_ Fi ! Vous parlez à l’Empereur des Français !
_Et vous à une femme libre ! Mais voyez plutôt : l’autre, quel qu’il soit, apparaît d’abord
comme un concurrent, beaucoup plus que comme un allié. Il est d’abord celui qui a le
pouvoir de m’imposer ses pensées, de me faire faire ce qu’il veut – Hegeli, fais le maître ! Et
je ne me sais penser, moi-même, qu’en me délivrant de lui et en tentant à mon tour de lui
imposer mes propres pensées. Hölderli, le maître je te prie ! L’autre est tantôt mon maître,
tantôt mon esclave.
_ Mais comment l’esclave devient maître….
_ C’est là qu’est l’os, Majesté ! Il reste à l’esclave à découvrir sa liberté… À comprendre que
la liberté de son maître dépend surtout de la reconnaissance qu’il lui accorde comme esclave,
de la reconnaissance aussi de son propre statut d’esclave.
_ Reconnaissance ? Quelle reconnaissance ?
_ Il faut simplement que l’esclave découvre à quel point le maître dans sa maîtrise dépend de
lui en toute chose ! Hegeli, Hölderli, en place ! voici que Hegeli a des habitudes de maître, et
comme l’autre n’en a pas et est impressionné, c’est ainsi que Hegeli maître devient. Regardez
le fanfaronner ! Mais Hegeli n’en est pas moins dépendant de Hölderli, qu’il ne cesse de
prendre à témoin des qualités qui font de lui son maître ! Sa conscience libre a besoin, pour
exprimer sa liberté, d’une conscience dans une certaine mesure asservie ou niée, celle de
Hölderli – et cette dernière conscience, dans son entêtement à être et à servir, n’est jamais
tout à fait servile, tout à fait aliénée, puisqu’elle détient les clefs de sa propre liberté ! La