65Les économies de l’après-croissance : objet ou non-objet pour la géographie économique ?
la green economy (économie verte) ou la smart
growth (croissance intelligente), souvent présen-
tées également comme des concepts de croissance
alternative.
B. Approches conceptuelles
Comme nous l’avons déjà indiqué, le débat sur
les limites de la croissance n’est pas nouveau.
Des jalons scientiques et de politique mondiale
– Rapport du Club de Rome, Rapport Brundtland,
Conférences mondiales sur l’environnement, Con-
férences sur le climat, etc. – ont amené un change-
ment de conscience, certes progressif, qui inuence
les agendas politiques depuis maintenant deux
ou trois décennies. Outre des travaux en sciences
naturelles consacrés aux aspects écologiques (bio-
diversité, désertication, problématique de l’eau)
et au changement climatique anthropique, ce débat
est alimenté avant tout par les idées de l’économie
écologique / Ecological Economics (Daly, 1996 ;
Costanza et al., 1997). Ces dernières s’écartent
délibérément de l’économie environnementale /
Environmental Economics néoclassiques du fait
qu’elles abandonnent la distinction catégorique
entre activités économiques et environnement
naturel, considérant l’économie davantage comme
un sous-système d’un système environnemental
global. L’économie écologique part ainsi d’une
nitude factuelle des ressources matérielles et én-
ergétiques du système Terre et privilégie des formes
économiques capables de ralentir le processus évo-
lutif de l’entropie. Il faut envisager une économie
stationnaire (steady state economy), c’est-à-dire un
système économique dans lequel existe un équili-
bre entre consommation d’énergie et de matières,
d’une part, recyclage et récupération de l’énergie,
d’autre part. Cet objectif devrait être atteint par une
« révolution de l’efcience », à savoir une stratégie
d’optimisation organisationnelle et technologique
de la production et de la consommation nale de
l’énergie et de matières. C’est ainsi que le modèle
« Facteur 4 », développé par Amory Lovins, Hunter
Lovins et Ernst-Ulrich von Weizsäcker, envisage
une augmentation de l’efcience pouvant conduire
à une prospérité doublée pour une consommation
de ressources naturelles divisée par deux (von
Weizsäcker et al., 1997). En dépit d’aménagements
ultérieurs de ce concept (p. ex. von Weizsäcker et
al., 2009), l’hypothèse sous-jacente de l’efcience
fait l’objet de critiques croissantes ; de même, la
possibilité qu’un découplage effectif des perfor-
mances économiques et de la consommation de
ressources puisse être obtenu par l’optimisation
et l’innovation technique est sérieusement remise
en question (pour une critique du « mythe du
découplage », cf. par exemple Paech, 2010). On
fait valoir que le découplage, malgré un progrès
accéléré de l’efcience dans la production de biens
et la consommation nale, est condamné à échouer
principalement en raison d’effets dits de rebond. On
fait valoir par exemple que les gains sur le bilan
énergétique d’un produit à la suite de méthodes de
production améliorées sont inférieurs à la fraction
énergétique supplémentaire absorbée dans la con-
ception, la construction et l’exploitation des nou-
velles installations de production. De même, il est
possible d’améliorer considérablement l’efcience
énergétique de certains biens de consommation ;
toutefois, le remplacement des biens de génération
précédente (p. ex. réfrigérateurs, automobiles, etc.)
par d’autres biens moins énergivores, s’il s’effectue
trop tôt, aura une incidence négative sur le bilan
énergétique total du consommateur nal en raison
de la proportion élevée « d’énergie grise » contenue
dans le nouveau bien. En d’autres termes, même les
stratégies de développement visant à une croissance
« verte » courent le risque de manquer l’objectif du
steady-state. De plus, au niveau mondial, il faut
également tenir compte des deux facteurs impor-
tants que sont l’accroissement de la population et
l’augmentation de la consommation matérielle de
cette population.
Ces dernières considérations étaient également à la
base de critiques initiales du principe de la steady
state economy, formulées de façon saillante par
Nicholas Georgescu-Roegen en personne, le men-
tor de Herman Daly. En partant d’un point de vue
bio-économique, Georgescu-Roegen (1971, 1995)
développe la thèse selon laquelle une décroissance
(ou de-growth) pourra tout au plus assurer une
survie plus longue de l’espèce humaine, l’auteur
considérant qu’il est utopique d’envisager un
état d’équilibre dans les conditions physiques,
démographiques et culturelles données (pour un
exposé détaillé, cf. Kerschner, 2010).
Au cours des dernières années, le principe de la
décroissance a été repensé et développé principale-
ment par Serge Latouche, qui préconise un abandon
progressif des modes de production et des modèles
de consommation orientés vers la croissance et
dont les idées trouvent un accueil favorable dans le
mouvement durable en Italie, en Espagne, en France
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