LES ÉCONOMIES DE L’APRÈS-CROISSANCE : Christian SCHULZ BSGLg, 62, 2014, 63-73

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BSGLg, 62, 2014, 63-73
LES ÉCONOMIES DE L’APRÈS-CROISSANCE :
OBJET OU NON-OBJET POUR LA GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE ?1
Christian SCHULZ
Résumé
Malgré l’intérêt croissant de la géographie économique pour les questions de l’industrie et
des services verts, celle-ci reste fortement ancrée dans le paradigme traditionnel de croissance
économique continue. La présente contribution vise à confronter les discours des avantages néolibéraux autour des notions d’« économie verte » et de « croissance intelligente » aux approches
plus critiques des économies d’après-croissance. Basé sur les travaux pertinents de chercheurs
comme Tim Jackson ou Serge Latouche, l’objectif principal de l’article est de relever des sujets
de recherche prometteurs offrant des opportunités pour des contributions empiriques et conceptuelles que les géographes économistes pourraient apporter aux débats scientifiques et sociétaux
sur les transitions économiques et le paradigme de l’après-croissance. Sont ainsi mis en avant
des approches récemment adoptées par la géographie économique comme les « social studies of
technology », les transitions régionales ainsi que les systèmes d’innovation.
Mots-clés après-croissance, décroissance, économie verte, géographie économique environnementale,
transitions durables
Abstract
While mainstream economic geography is increasingly doing research on green manufacturing
and services, its conceptual approaches merely continue relying on traditional growth paradigms.
The paper confronts the partly neo-liberal discourses on the “green economy” and “smart
growth” with the more critical contributions on post-growth economies. Based on seminal studies of scholars such as Tim Jackson or Serge Latouche, the major aim of the paper is to reveal
potential research topics and opportunities for both empirical and conceptual contributions
economic geographers could feed into the broader academic and societal debates on economic
transition and post-growth paradigms. Particular attention will be paid to approaches currently
discussed in economic geography such as social studies of technology, regional transitions and
innovation systems.
Keywords
post-growth, de-growth, green economy, environmental economic geography, sustainability
transitions
I. INTRODUCTION
Ces dernières années surtout, le débat sur les
économies d’après-croissance et notre rapport à
long terme aux ressources naturelles a connu un
intérêt public marqué. À ce propos, il convient
toutefois de noter que, dès le début des années
1970 et le Rapport du Club de Rome sur les limites
de la croissance, si souvent cité (Meadows et al.,
1972 ; voir aussi la mise à jour dans Meadows et
al., 2012), bon nombre de pays ont vu se généraliser
les débats sociétaux sur la non-durabilité des formes
économiques qui restent fondées sur le principe de
croissance (qu’il s’agisse d’ailleurs d’économies
de marché ou d’économies planifiées). Depuis
lors, des événements marquants comme le Rap-
port Brundtland de 1987, la Conférence mondiale
sur l’environnement de Rio de Janeiro en 1992
et les travaux relatifs au Protocole de Kyoto en
1997, mais aussi la conscience de longue date de
la problématique de la faim, la multiplication des
« guerres pour les ressources » ou des « guerres
climatiques », sans oublier la raréfaction des
réserves pétrolières (le « pic pétrolier »), ont, à
intervalles réguliers, ouvert des discussions qui,
au-delà des cercles scientifiques spécialisés, ont
occupé le premier plan dans l’espace médiatique
et politique. Pourtant, les discussions sérieusement
argumentées à propos de scénarios de développement et de modèles économiques alternatifs se
sont le plus souvent cantonnées dans des cercles
restreints d’experts et/ou des organisations non
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Christian SCHULZ
gouvernementales spécialisées. Dans le monde
scientifique également, des disciplines telles que
l’économie écologique, malgré des représentants
reconnus comme Herman Daly, n’ont pas réussi
à influer sur le courant dominant des sciences
économiques et leurs modèles.
En dépit de la notoriété et des prix Nobel accordés à
des critiques de la croissance connus tels qu’Elinor
Ostrom, Amarty Sen et Joseph Stiglitz, il semble
évident qu’il a fallu attendre la récente « culmination des crises de la faim, du climat et des finances » (Jorberg, 2010) pour que des responsables
politiques, même conservateurs, argumentent sur,
voire remettent en question, les limites du modèle
économique actuel des systèmes de marché capitalistes. Les débats sur le changement climatique
global, l’abandon, dans un grand nombre de pays,
des sources d’énergie fossiles et de l’énergie nucléaire, mais avant tout la crise financière et de la
dette fin 2008 paraissent désormais avoir suscité
une discussion sérieuse plus large sur de nécessaires adaptations ou changements systémiques.
Les débats semblent ainsi quitter les domaines
de l’environnement et du développement pour
gagner plus largement les courants dominants de
l’économie politique.
Devant cette évolution, mais surtout en prenant
en considération la perspective « conjoncturelle »
du thème dans d’autres disciplines économiques
et sociologiques, il est frappant de constater que
la plupart des concepts et modèles contemporains
de la géographie économique restent attachés au
paradigme traditionnel de la croissance, pour ne pas
dire qu’ils en nient la problématique. S’il est vrai
que les travaux dans le domaine de la géographie
économique environnementale touchent à des aspects intimement liés à la problématique envisagée
ici (Braun et al., 2003 ; Gibbs, 2006 ; Bridge, 2008 ;
Hayter, 2008 ; Soyez & Schulz, 2008), il faut cependant constater qu’ils n’abordent guère des questions
systémiques plus profondes. C’est pourquoi nous
nous interrogerons, dans la présente réflexion, sur
la contribution que la géographie économique dans
son ensemble peut fournir au débat sur l’aprèscroissance et les modèles économiques alternatifs
dans ses importants aspects paradigmatiques et
socio-politiques. Ce faisant, nous mettrons l’accent
sur les aspects conceptuels plutôt que sur des questions de méthode et de méthodologie ou des cas
empiriques. Nous donnerons d’abord un aperçu
des éléments conceptuels et notionnels de l’idée
« d’après-croissance », avant de présenter quelques
premières propositions théoriques pertinentes. Ensuite, nous passerons en revue une série de thèmes
et de problématiques dont les dimensions spatiales
invitent à une approche géoéconomique – voire la
commandent – et que la géographie économique
peut fournir. Enfin, nous discuterons des perspectives que peut offrir une telle contribution de la
géographie économique.
II. CADRE THÉORIQUE
A. À propos de la notion « d’aprèscroissance »
Pour éviter tout flou sémantique, précisons
d’emblée que l’après-croissance telle que nous la
concevons ici ne doit pas être confondue avec une
contraction (par exemple, suite à une évolution
démographique) ou une récession (en tant que
résultat de moindres performances économiques),
toutes deux susceptibles d’avoir des effets dérivés
positifs pour l’environnement. Il faut bien plutôt y
voir, au sens de la décroissance telle que la conçoit Serge Latouche, un abandon du paradigme
dominant de la croissance et de la maxime selon
laquelle le bien-être privé et socio-économique ne
peut être assuré que par une croissance continue des
performances économiques mesurables en termes
de biens matériels ou monétaires, sans aucunement
tenir compte des externalités négatives, de la disponibilité finie des ressources ou de la résilience
écologique d’un tel modèle. Il serait dès lors peu
heureux de mettre ce concept de décroissance en
équivalence avec des notions telles que « moindre
croissance » ou « croissance négative ». C’est sans
doute la formule « prosperity without growth » –
« la prospérité sans la croissance », mise en avant
par Tim Jackson dans son rapport au gouvernement
britannique (Jackson, 2009), qui décrit de la façon
la plus frappante l’enjeu d’une transition vers des
modes de vie et des formes économiques durables.
Cet enjeu renferme également, et éminemment, la
question de la répartition équitable de la croissance
et de la prospérité, sur le plan international et celui
des politiques de développement, mais aussi dans
les limites des économies nationales (cf. le débat
sur la « croissance favorable aux pauvres » – propoor-growth, Rippin, 2012).
De même, il convient de ne pas confondre la notion
d’après-croissance avec des stratégies politiques
telles que la green growth (croissance verte),
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Les économies de l’après-croissance : objet ou non-objet pour la géographie économique ?
la green economy (économie verte) ou la smart
growth (croissance intelligente), souvent présentées également comme des concepts de croissance
alternative.
B. Approches conceptuelles
Comme nous l’avons déjà indiqué, le débat sur
les limites de la croissance n’est pas nouveau.
Des jalons scientifiques et de politique mondiale
– Rapport du Club de Rome, Rapport Brundtland,
Conférences mondiales sur l’environnement, Conférences sur le climat, etc. – ont amené un changement de conscience, certes progressif, qui influence
les agendas politiques depuis maintenant deux
ou trois décennies. Outre des travaux en sciences
naturelles consacrés aux aspects écologiques (biodiversité, désertification, problématique de l’eau)
et au changement climatique anthropique, ce débat
est alimenté avant tout par les idées de l’économie
écologique / Ecological Economics (Daly, 1996 ;
Costanza et al., 1997). Ces dernières s’écartent
délibérément de l’économie environnementale /
Environmental Economics néoclassiques du fait
qu’elles abandonnent la distinction catégorique
entre activités économiques et environnement
naturel, considérant l’économie davantage comme
un sous-système d’un système environnemental
global. L’économie écologique part ainsi d’une
finitude factuelle des ressources matérielles et énergétiques du système Terre et privilégie des formes
économiques capables de ralentir le processus évolutif de l’entropie. Il faut envisager une économie
stationnaire (steady state economy), c’est-à-dire un
système économique dans lequel existe un équilibre entre consommation d’énergie et de matières,
d’une part, recyclage et récupération de l’énergie,
d’autre part. Cet objectif devrait être atteint par une
« révolution de l’efficience », à savoir une stratégie
d’optimisation organisationnelle et technologique
de la production et de la consommation finale de
l’énergie et de matières. C’est ainsi que le modèle
« Facteur 4 », développé par Amory Lovins, Hunter
Lovins et Ernst-Ulrich von Weizsäcker, envisage
une augmentation de l’efficience pouvant conduire
à une prospérité doublée pour une consommation
de ressources naturelles divisée par deux (von
Weizsäcker et al., 1997). En dépit d’aménagements
ultérieurs de ce concept (p. ex. von Weizsäcker et
al., 2009), l’hypothèse sous-jacente de l’efficience
fait l’objet de critiques croissantes ; de même, la
possibilité qu’un découplage effectif des perfor-
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mances économiques et de la consommation de
ressources puisse être obtenu par l’optimisation
et l’innovation technique est sérieusement remise
en question (pour une critique du « mythe du
découplage », cf. par exemple Paech, 2010). On
fait valoir que le découplage, malgré un progrès
accéléré de l’efficience dans la production de biens
et la consommation finale, est condamné à échouer
principalement en raison d’effets dits de rebond. On
fait valoir par exemple que les gains sur le bilan
énergétique d’un produit à la suite de méthodes de
production améliorées sont inférieurs à la fraction
énergétique supplémentaire absorbée dans la conception, la construction et l’exploitation des nouvelles installations de production. De même, il est
possible d’améliorer considérablement l’efficience
énergétique de certains biens de consommation ;
toutefois, le remplacement des biens de génération
précédente (p. ex. réfrigérateurs, automobiles, etc.)
par d’autres biens moins énergivores, s’il s’effectue
trop tôt, aura une incidence négative sur le bilan
énergétique total du consommateur final en raison
de la proportion élevée « d’énergie grise » contenue
dans le nouveau bien. En d’autres termes, même les
stratégies de développement visant à une croissance
« verte » courent le risque de manquer l’objectif du
steady-state. De plus, au niveau mondial, il faut
également tenir compte des deux facteurs importants que sont l’accroissement de la population et
l’augmentation de la consommation matérielle de
cette population.
Ces dernières considérations étaient également à la
base de critiques initiales du principe de la steady
state economy, formulées de façon saillante par
Nicholas Georgescu-Roegen en personne, le mentor de Herman Daly. En partant d’un point de vue
bio-économique, Georgescu-Roegen (1971, 1995)
développe la thèse selon laquelle une décroissance
(ou de-growth) pourra tout au plus assurer une
survie plus longue de l’espèce humaine, l’auteur
considérant qu’il est utopique d’envisager un
état d’équilibre dans les conditions physiques,
démographiques et culturelles données (pour un
exposé détaillé, cf. Kerschner, 2010).
Au cours des dernières années, le principe de la
décroissance a été repensé et développé principalement par Serge Latouche, qui préconise un abandon
progressif des modes de production et des modèles
de consommation orientés vers la croissance et
dont les idées trouvent un accueil favorable dans le
mouvement durable en Italie, en Espagne, en France
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Christian SCHULZ
et en Belgique (Latouche, 2006, 2010). Soulignons
que les travaux initiaux de Georgescu-Roegen déjà,
mais avant tout ceux de Latouche s’ouvrent toujours
sur une politique de développement et une politique
mondiale, en ce sens qu’ils envisagent toujours la
consommation de ressources à l’aune d’une « équité
environnementale » et d’une répartition équitable
des biens au niveau planétaire. Ce faisant, c’est surtout dans le Sud que Latouche voit la possibilité de
mettre en œuvre de nouvelles formes économiques
et de développer des alternatives à la maxime occidentale du marché ; quant au Nord, en réduisant
sa mainmise sur les ressources globales, il sera en
mesure de créer des marges de manœuvre pour le
développement du Sud.
Latouche et les tenants de la décroissance se
distancient explicitement de modèles tels que la
modernisation écologique, qui partent de l’idée
qu’il est possible de passer à une économie durable
dans le cadre des principes de marché actuels. Ils
refusent également des principes tels que la green
growth, la smart growth ou le mirobolant concept de
« croissance qualitative » (accroissement du chiffre
d’affaires d’une entreprise sans augmentation de la
consommation de ressources), auxquels ils imputent
une attitude de « capitalisme comme avant » et
donc une action économique comme avant, avec
simplement une prise en considération plus grande
des efficiences – ce qui ne saurait cependant suffire
pour atteindre des objectifs de durabilité à l’échelle
mondiale. Contrairement à la perspective plutôt
technique de l’économie écologique, l’approche
de la décroissance insiste davantage sur la nécessité d’une vision plus large, qui prenne en compte
aussi des aspects socioculturels pertinents, y compris les ensembles de valeurs et de normes, les
habitudes de consommation, etc. Comme insiste
Kerschner (2010), ces deux approches ne doivent
pas forcément s’opposer de façon irréconciliable,
mais peuvent tout aussi bien s’enrichir dans une
perspective de complémentarité. On peut ainsi
considérer l’économie écologique comme une approche « macro » et analytique, procédant par une
démarche descendante, alors que la perspective de
la décroissance serait une approche « micro » qui
procéderait par une démarche ascendante ou par
une opérationnalisation de l’après-croissance sur
le terrain (Ibidem).
Au principe d’efficience, critiqué, on peut opposer
selon cette vue le concept de suffisance, qui permet
de s’interroger sur la façon dont il est possible de
réduire la consommation matérielle (surtout dans
le Nord) sans effets négatifs sur la satisfaction ou
le bien-être des hommes, tout en contribuant, par
une répartition plus équitable des ressources, à une
amélioration des conditions de vie de groupes de
population et de régions défavorisés sur le plan
économique. Dans ce contexte, la discussion sur
la propriété matérielle et la marchandisation / nonmarchandisation de biens et de services occupe une
place centrale.
Le principe de suffisance ainsi compris ne remet
donc pas fondamentalement en question la nécessité
de la croissance, mais étaie la question de savoir par
quelles activités / groupes de produits / services /
formes de consommation une telle croissance
économique devra être générée à l’avenir et quels
groupes de population devront être les bénéficiaires
des effets de cette croissance (justice distributive).
Contrairement au principe d’efficience, le principe
de suffisance n’inclut pas de postulat selon lequel
les efforts d’adaptation requis devront répondre
aux seuls principes de l’économie de marché,
comme c’est partiellement le cas pour l’idée de
modernisation écologique. Le principe de suffisance
appelle bien plutôt un changement fondamental de
certains paramètres sociaux tels que les préférences
de consommation, les styles de vie et les priorités
politiques (par exemple : politique de la recherche,
marchés publics, politique fiscale et instruments
d’incitation).
Ce faisant, la mise en œuvre du principe de suffisance ne doit être entendue ni comme une volonté
de généraliser des styles de vie idéalistes reposant
sur une autoréduction individuelle de la consommation (par exemple pour ce qui concerne les habitudes
alimentaires, les comportements de consommation
ou la mobilité), ni comme une réduction de la consommation imposée par une autorité supérieure telle
que l’État. Le principe de suffisance peut de préférence servir de nouveau modèle paradigmatique
à de futurs processus de décision sociopolitique et
de politique économique, capable de contribuer à
l’évaluation des investissements et des instruments
de politique quant à leurs effets à long terme sur
l’utilisation des ressources, à leurs externalités de
croissance et aux aspects de répartition sociale. Le
principe de suffisance présente des analogies claires
avec ceux du développement durable ; toutefois, il
semble moins problématique pour ce qui est de son
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Les économies de l’après-croissance : objet ou non-objet pour la géographie économique ?
opérationnalisation, tout en se prêtant moins à une
instrumentalisation unilatérale.
Dans ce qui suit – et en suivant Latouche –, l’aprèscroissance sera ainsi considérée comme un abandon
délibéré des concepts de croissance traditionnels,
définis avant tout par des notions matérielles et
monétaires et par la prise en compte de stratégies de
développement reposant sur un principe de viabilité
(soutenabilité) à long terme et de justice distributive
au plan mondial. Cette dernière, loin de se limiter
à une répartition équitable des richesses en termes
monétaires, s’étend à un grand nombre d’aspects
plus complexes de la lutte contre la pauvreté (égalité
des chances, santé, qualité de vie et du milieu de
vie, participation politique, etc.).
Indicateurs alternatifs de croissance et de bienêtre
On sait que l’évaluation de modèles alternatifs de
croissance ou de développement est étroitement
liée au type de mesures, c’est-à-dire à l’élaboration
des indices ou des systèmes d’indicateurs utilisés.
Depuis assez longtemps déjà, le produit intérieur
brut (PIB), indicateur de croissance à ce jour dominant dans la statistique économique et, de ce fait,
dans les débats politiques, fait l’objet de critiques
qui pointent avant tout les trois insuffisances suivantes du PIB en tant qu’instrument de mesure :
1. Des indicateurs tels que le PIB portent sur des
évolutions purement quantitatives et exprimables en
termes monétaires ; ils font l’impasse sur la qualité
de la croissance que l’on mesure. C’est ainsi que
l’on comptabilise positivement des éléments appelés regrettables, comme les dépenses publiques
effectuées en compensation de dommages à la santé
ou à l’environnement. À l’inverse, des prestations
non marchandes (éducation privée des enfants, soins
aux personnes âgées, travail domestique, bénévolat)
ne sont pas prises en compte, de sorte que, pour un
grand nombre de ménages, le PIB ne capture que
partiellement leur niveau de bien-être.
2. La mesure de la croissance économique d’un
État ou d’une région permet certes d’affirmer des
constats sur l’évolution globale de l’ensemble
sous examen, mais ne donne aucune indication
sur la répartition de cette prospérité accrue selon
les différents groupes de population. Le caractère
unidimensionnel de l’indicateur apparaît clairement
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lorsqu’on considère qu’une évolution économique
positive selon la mesure du PIB peut parfaitement s’accompagner d’un accroissement des
disparités sociales et de pertes de revenu réel pour
d’importantes fractions de la population, comme
on l’observe par exemple dans un grand nombre de
pays industrialisés du monde occidental.
3. Le paradoxe d’Easterlin désigne la constatation qu’un accroissement de prospérité matérielle
ne conduit que rarement à un accroissement de
la satisfaction de la population. Au contraire, à
partir d’un niveau de prospérité donné, on observe
dans de nombreuses économies une corrélation
plutôt négative entre niveau de bien-être matériel
et niveau de satisfaction ou, à tout le moins, un
découplage évident entre accroissement du PIB et
évolution de la satisfaction dans la vie. L’existence
de ce phénomène, observé en premier lieu dans les
anciens pays industrialisés, peut désormais être
montrée également dans un grand nombre de pays
émergents, en transition et en développement sur la
base des séries de données historiques aujourd’hui
disponibles (Easterlin et al., 2010). À la suite des
travaux de Richard Easterlin (1974), l’étude scientifique du « bien-être subjectif » vu sous l’angle
de l’économie (« économie du bonheur » – happiness economics) a donné lieu à une discipline
importante qui rencontre désormais un large intérêt,
jusque dans les institutions internationales comme
l’OCDE.
Le débat sur les indicateurs a trouvé récemment
une nouvelle impulsion sous l’effet de la Better Life
Initiative de l’OCDE ; celle-ci, dans son Rapport
sur la mesure du bien-être, propose 22 indicateurs
dits Headline Well-Being Indicators (indicateurs
principaux de bien-être) et présente des données
comparables pour l’ensemble des 34 États membres
de l’OCDE (OCDE, 2011). Une série de commissions, rapports stratégiques (COM, 2009) et rapports
d’expertise (ONS, 2011), internationaux et nationaux, viennent conférer une actualité encore accrue
à ce débat sur les indicateurs. Une contribution
essentielle au débat a été livrée par le rapport de
la Commission sur la Mesure de la Performance
Économique et du Progrès Social créée à l’initiative
du gouvernement français et dirigée par Joseph
Stiglitz (également appelé « Rapport Stiglitz-SenFitoussi », Stiglitz et al., 2009). Ce rapport est
considéré comme la base conceptuelle de l’initiative
de l’OCDE évoquée plus haut.
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Christian SCHULZ
Dans le cadre de cette contribution, la place nous
manque malheureusement pour approfondir la
question de la mesure du bien-être. Qu’il nous
suffise d’indiquer que la vivacité actuelle du débat montre bien qu’il ne s’agit qu’en apparence
de questions techniques concernant la mesure du
bien-être et leur importance pour la collecte de
données comparables au plan international ; les
différentes initiatives qui voient le jour reflètent
tout autant, voire davantage, une évolution fondamentale à l’œuvre dans nombre de domaines politiques, évolution dont l’Agenda 2020 de l’Union
européenne (COM, 2010) n’est pas la moindre
manifestation. Sous la devise d’une « croissance
intelligente, durable et inclusive », l’Agenda
2020 axe trois de ses objectifs de développement à moyen terme sur des questions sociales
et écologiques – soit un changement marqué par
rapport à la Stratégie de Lisbonne 2000-2010, orientée exclusivement sur la croissance économique
et la compétitivité (et désormais à considérer
comme un échec).
III. Des problématiques pour la géographie économique
Devant la perspective de processus de profonde
mutation dans l’économie et la société, la géographie économique voit se profiler l’occasion
d’apporter, selon son propre point de vue, une
contribution originale et intrinsèque aux causes,
aux processus et aux effets de ces changements
dans leurs aspects liés à l’espace et au territoire.
Les thèmes de recherches brièvement présentés ciaprès sont donnés à titre d’exemples afin de mettre
en lumière la diversité des études qui s’offrent à
notre discipline mais il va de soi que cette liste
ne prétend aucunement à l’exhaustivité, fût-ce de
loin. De même, il ne faut pas y voir une tentative
d’agenda ou une proposition de programme de
recherches : de la part de l’auteur, ce serait une
prétention déplacée. Elle est simplement le résultat
de quelques premières réflexions sur certains aspects d’une possible transition vers des économies
d’après-croissance pour lesquels la géographie
économique peut être un observatoire utile. De
même, l’ordre dans lequel sont donnés les différents domaines est purement fortuit et ne suggère
aucune priorité ; tout au plus, l’auteur s’est efforcé
de regrouper quelques sujets en thématiques.
A. Coûts croissants de l’énergie et des transports
Dans un cadre de raréfaction des sources d’énergie
fossiles (le « pic pétrolier ») et de nouvelles stratégies de politique climatique, les changements
dans le domaine de l’exploitation économique
de l’énergie et des infrastructures (la « transition
énergétique ») ne sont pas les seules données intéressantes (Bridge, 2010). Les premiers effets de
l’augmentation des coûts de transport sur le trafic
international de marchandises se font sentir ; tout
laisse prévoir que cette augmentation entraînera une
mutation des flux de marchandises et des rapports
commerciaux internationaux (Bailey et al., 2010 ;
North, 2010). Tout en faisant preuve de la prudence
requise quant à la solidité de cette hypothèse, il n’est
pas absurde d’affirmer que cette évolution pourrait
conduire à ce que les coûts de transport, naguère
un facteur central d’implantation (surtout dans les
modèles néoclassiques), retrouve une importance
nouvelle dans la théorie géoéconomique.
B. Production alimentaire et comportements de
consommation
Un changement des conditions de transport aura très
probablement aussi une incidence sur l’agriculture
des pays industrialisés. Une augmentation des prix
à l’importation, allant de pair avec des changements
dans les comportements de consommation, peut
conduire à une re-régionalisation des filières de
production et de distribution (IRPUD, 2008). Dans
de nombreuses grandes villes, le succès croissant
des potagers urbains témoigne en outre d’une volonté de valoriser les terrains vagues et les friches
urbaines en vue d’une culture alimentaire à usage
personnel ; de façon parallèle, on assiste en de nombreux endroits à un renouveau des jardins ouvriers.
Alors que ces formes de maraîchage urbain sont un
phénomène nouveau ou renouvelé dans les pays
industrialisés occidentaux, elles constituent, dans
nombre de régions urbanisées des pays émergents
ou en développement, une forme établie de subsistance (précaire) en milieu urbain.
C. Énergies renouvelables et production énergétique décentralisée
La valorisation des sources d’énergie renouvelables
s’effectue souvent selon des schémas décentralisés
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Les économies de l’après-croissance : objet ou non-objet pour la géographie économique ?
de production et d’approvisionnement énergétique. Les mini ou microcentrales privées ou coopératives (panneaux photovoltaïques, biomasse,
éolien) gagnent tout autant en importance que la
re-régionalisation des réseaux de distribution et
le modèle directeur d’une autonomie énergétique
des collectivités locales. Des réussites locales, par
exemple l’entreprise d’électricité Elektrizitätswerke
Schönau en Forêt Noire, servent de référence à des
initiatives de plus grande envergure, comme l’a
montré récemment à Berlin l’initiative populaire en
vue de la remunicipalisation de la production énergétique et du rachat au Groupe suédois Vattenfall du
réseau électrique privatisé. Ce n’est d’ailleurs pas
que dans les questions de politique énergétique et
de préservation du climat que le niveau communal
semble acquérir une importance toute particulière
(parmi les « arènes critiques » selon Bulkeley et
al., 2011, p. 3).
D. Villes en transition / régions en transition
D’un point de vue comparatif au plan international, une piste des plus intéressantes semble être
l’intégration dans le champ d’études d’expériences
pionnières ayant fait preuve de vision proactive,
comme le mouvement des transition towns, réunies
depuis 2006 en un réseau international (pour un
exposé détaillé, cf. Bailey et al., 2010). De manière
similaire, on peut citer les activités du mouvement
cittàslow, de la ville lente, créé en Italie en 1999
et formant aujourd’hui un réseau ramifié dans le
monde entier.
Sur le plan empirico-conceptuel, un chercheur
en innovation dans le domaine géographique tel
que Phil Cooke parle désormais également de
transition regions, par quoi il entend des espaces
économiques qui se différencient d’autres régions
tant par des modes durables de production et de
consommation que par leur évolution technologique et organisationnelle (Cooke, 2009). Dans ce
contexte, il convient également de mentionner les
recherches d’accompagnement critique des clusters
d’écotechnologie ou d’économie verte (Cooke,
2008, 2010 ; Healy & Morgan, 2012 ; McCauley
& Stephens, 2012).
E. Économies parallèles et « new commoners »
Les périodes d’austérité et de précarité verront ga-
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gner en importance différentes formes d’économie
parallèle telles que bourses d’échange, monnaies locales, etc., souvent tournées en ridicule au prétexte
qu’il s’agit de phénomènes marginaux. Dans le
cadre de modèles d’économie solidaire, ces formes
d’économie parallèle créeront des activités de plus
en plus indépendantes du marché (et non orientées
vers la croissance). Jusqu’à présent, les nouvelles
économies locales et leurs effets sur le commerce
de détail, les activités artisanales et d’autres services au consommateur n’ont pratiquement pas été
étudiées dans le cadre de la géographie économique
(North, 2005).
Comme indiqué plus haut, le concept de suffisance
en vue de la réduction de la consommation matérielle est étroitement lié à la question de la propriété
et de la durée de vie et d’utilisation des biens de
consommation, des moyens de production et des
biens immobiliers. La recherche dans le domaine
des biens « communs » ou « quasi-collectifs » fournit des indications concrètes d’un intérêt croissant
porté par des groupes de personnes et d’acteurs les
plus divers à l’utilisation et à la gestion collectives
de tels biens communs (Ostrom, 1990 ; Helfrich,
2012). Multiplication rapide, en Allemagne, d’organisations coopératives dans le domaine de l’utilisation d’énergies renouvelables ou la gestion de
réseaux énergétiques, utilisation commune de biens
de consommation tels que voitures, vélos, etc.,
constitution de communautés de construction en
vue de la réalisation de projets immobiliers privés
situés dans des endroits coûteux dans les grandes
villes : toutes ces initiatives ont sans doute des motivations diverses, mais partagent un abandon plus
ou moins explicite de la marchandisation des biens
communs qui est de règle dans le modèle économique aujourd’hui dominant. Les « New Commoners » mettent ainsi en place des contreprojets à des
modèles économiques relevant soit de la pure économie de marché, soit de la pure économie d’État.
En outre, le principe du bien commun renferme de
façon intrinsèque la recherche de la viabilité à long
terme (durabilité économique) tout aussi bien que
la maxime de l’usage optimal préféré à la recherche
du profit. De même, le modèle des biens communs
est en règle générale supérieur aux modèles orientés vers le profit pour ce qui concerne l’utilisation
efficiente des ressources (durabilité écologique) et
l’inclusion de groupes d’utilisateurs défavorisés sur
le plan financier (durabilité sociale).
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70
Christian SCHULZ
F. Dématérialisation et service-produit
La question de l’intensité en ressources est intimement liée à des aspects essentiels de la conception
des produits (longévité), leur taux de remplacement
et leur entretien et réparation. S’il est vrai que la
création de biens de consommation à faible durée
de vie (la « société du gaspillage »), le rachat plutôt
que la réparation, la concrétisation accélérée d’innovations produites, de même que la variation des
normes applicables aux produits et les problèmes
délibérés de compatibilité, favorisent la croissance
matérielle et restent par conséquent des principes
directeurs de la politique de produits de larges
secteurs de l’industrie de masse, ici aussi on peut
déceler les premiers signes d’un changement de
mentalité. Les entreprises de production trouvent
depuis longtemps des alternatives de croissance
dans le développement de leurs activités de service ; l’avènement de la gestion du cycle de vie
et le regroupement de prestations de production
et de service dans des systèmes produits-services
industriels (IPSS – Industrial Product-Service
Systems) n’intègrent pas seulement les segments
de la chaîne de création de valeur que constituent
l’entretien et la réparation, mais donnent lieu dans
le même temps à des cycles de vie plus longs et du
coup à un usage plus parcimonieux des ressources
(Manzini & Vezzoli, 2002).
G. Secteur financier
Outre de nouveaux concepts en matière de produits
et de services et les nouvelles donnes géographiques
de l’organisation de la production, des mutations
systémiques apparaissent également dans le secteur
financier, mutations liées elles aussi, du moins
partiellement, au débat sur l’après-croissance. On
peut citer à cet égard la nationalisation (partielle) de
grandes banques internationales par suite de la crise,
mais aussi l’évolution du comportement des investisseurs privés autant qu’institutionnels (par exemple, les fonds durables ou les placements éthiques)
ou encore la montée en puissance d’instruments
de financement alternatif. Pourtant, la plupart des
ces instruments vise plutôt à des aspects éthiques
ou écologiques et se réfèrent beaucoup moins à
des objectifs d’après-croissance (à l’exception de
certains coopératives locales). Même les fameux
micro-crédits (Smith et al., 2007), initialement
conçus comme de véritables instruments alternatifs déconnectés du système bancaire établi, sont
devenus victimes de leur propre succès. Ce dernier
a attiré l’intérêt d’acteurs internationaux beaucoup
plus intéressés en leur profitabilité, ce qui a parfois
mené à l’abus de ces produits - polémiquement intitulés « subprime of all subprime forms of lending »
par David Harvey (2012, p. 86).
IV. Voies d’approche de la géographie économique
L’importance grandissante des champs thématiques
que l’on vient d’évoquer de même que leur évidente
dimension spatiale, appellent un traitement plus
systématique selon le point de vue de la géographie
économique. L’une ou l’autre référence dans ce qui
précède (par exemple aux systèmes d’innovation
régionaux) aura déjà permis d’indiquer que certains
acquis bien établis de notre discipline pourraient
être appliqués sans grande modification aux questions de la transition vers l’après-croissance. Sa
riche expérience dans l’étude de questions relatives
aux changements régionaux structurels, des aspects
spatiaux des chaînes de création de valeur et des
réseaux de production, sans oublier son travail
approfondi sur les conditions contextuelles et la
coévolution institutionnelle des champs politique,
sociétal et économique, permettent à la géographie
économique d’aborder de telles questions avec
un regard systémique. De même, elles seraient
l’occasion de mettre à profit et d’affiner certains
concepts de la géographie économique diachronique, des recherches en innovation dans le domaine
géographique ou encore des études sur les réseaux
et les clusters de même que des propositions plus
récentes de la recherche-action et de la géographie
financière.
Les social studies of technology (SST), ou transition studies, offrent un modèle qui, sans être
élaboré au sein de notre discipline, est accepté
de plus en plus largement par la géographie humaine et offre des ouvertures intéressantes vers
l’étude de l’après-croissance. Nées au départ dans
le domaine des sciences de l’ingénieur, les social
studies of technology combinent études techniques et recherche sociologique sur l’innovation ;
comme telles, elles manifestent une évidente affinité avec les études évolutionnistes en géographie
économique (Truffer, 2008 ; Maier, 2010). Leur
approche co-évolutionnaire du changement social
et technologique et leur modèle à trois niveaux,
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Les économies de l’après-croissance : objet ou non-objet pour la géographie économique ?
intégrant paysages, régimes et niches sociotechniques, offrent une heuristique éprouvée sur un
grand nombre de cas sectoriels concrets (pour
quelques vues d’ensemble, cf. Elzen et al., 2004 ;
Schot & Geels, 2008 ; Truffer & Coenen, 2012).
Dans ce modèle, les paysages constituent le niveau supérieur. Celui-ci rassemble les conditions
générales et le cadre des activités économiques ;
le paysage inclut également les normes en vigueur,
les valeurs acceptées, les traditions politiques et
les schémas de production et de consommation.
Sous le paysage se déploie un « patchwork » de
régimes dominants, qui déterminent les formes de
travail et d’organisation d’un secteur économique
ou d’un groupe de produits donnés. Selon le postulat
central des SST, les régimes sont l’environnement
où ont lieu des innovations incrémentales, alors
que les innovations plus fondamentales nécessitent le développement de niches indépendantes du
régime et offrant un contexte particulier. En cas de
réussite, les innovations ayant surgi dans une niche
acquièrent une place dans le régime et y conduisent
à des changements en profondeur. Dans le même
temps, les niveaux supérieurs peuvent influencer
les conditions générales agissant sur les niches,
notamment en cas de changement du comportement
social (par exemple, un intérêt accru de la part du
public pour les produits « bio ») ou de modification du cadre juridique ou des instruments de la
politique de recherche (par exemple, la « transition
énergétique »). Partant de ces vues, les Pays-Bas en
particulier – le pays d’origine des SST – ont mis en
place une gestion stratégique des niches, mise en
œuvre principalement par des acteurs publics de
la politique économique et écologique. ����������
Dans leur
action, ils partent de l’idée selon laquelle « Sustainable innovation journeys can be facilitated by
modulating of technological niches, i.e. protected
spaces that allow nurturing and experimentation
with the co-evolution of technology, user practices
and regulatory structures. » ��������������������
(Schot & Geels, 2008,
p. 538). Cette visée accorde une place particulière
aux acteurs politiques, administratifs, économiques
et à la société civile dans la codétermination du
développement des niches et des changements de
régimes.
Ce dernier aspect n’offre pas seulement la possibilité d’une appréhension spatiale des niches et
des régimes localisés, mais également d’appliquer
l’idée de la transition à des développements technologiques dans des contextes spatio-institutionnels
71
spécifiques tout autant qu’à des processus fondamentaux du changement sociétal et économique.
Les manifestations empiriques d’un début de
transition vers des régimes d’après-croissance pourraient être étudiées à l’aide des instruments d’une
recherche transitionnelle interdisciplinaire. Cette
recherche pourrait profiter des voies d’approche et
des méthodes établies de la géographie économique afin de mettre en évidence les différenciations
géographiques ainsi que les trajectoires et rapports
spatio-relationnels en jeu.
V. PERSPECTIVES
Cette contribution n’avait pas pour but de juger sur
leurs mérites les concepts de l’après-croissance que
nous avons évoqués, ni d’apprécier la probabilité
d’une transition effective vers des systèmes économiques non orientés vers la croissance. Il s’agissait
plutôt, en nous intéressant à un débat sociétal qui
prend de plus en plus d’ampleur, d’en discuter la
pertinence pour la géographie économique. Les
propositions d’élaboration d’indicateurs alternatifs
de croissance au plan national et international et la
nécessité de programmes de monitorage pour les
accompagner sont des signes clairs de l’émergence
d’une approche de plus en plus différenciée du bienêtre et de la croissance. À eux seuls, de nouveaux
systèmes d’indicateurs ne suffisent pas à provoquer
un changement de modèle économique ; toutefois,
ils peuvent constituer un élément utile pour évaluer
l’importance des phénomènes d’après-croissance
considérés ici.
Comme nous l’avons indiqué d’emblée, nous ne
pouvions mentionner que quelques facettes des
courants d’idées actuels dans le cadre de cette
contribution qui se veut avant tout une invitation
à la réflexion et à la discussion. Mais manifestement, les questions pertinentes ne manquent pas,
pas plus que les angles d’approche selon lesquels
notre discipline pourrait traiter de certains aspects
de l’après-croissance. À cet égard, les transition
studies offrent un point d’entrée prometteur pour
l’étude de rapports et d’ensembles plus complexes,
que la géographie, non seulement en raison de son
mode de compréhension systémique mais aussi de
par sa complémentarité avec d’autres disciplines
scientifiques, est à même d’enrichir et de développer, sur le plan tant conceptuel qu’empirique. De
plus, une plus grande interaction avec les disciplines
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Christian SCHULZ
voisines qui s’intéressent depuis longtemps au débat de l’après-croissance, mais aussi la portée par
nature pratique des questions évoquées, peuvent
constituer une opportunité d’augmenter la visibilité
de notre discipline dans un domaine thématique
porteur.
Dans le cadre qui nous est offert et devant les développements actuels, dynamiques et complexes, ces
quelques considérations ne peuvent être autre chose
qu’une modeste contribution à la discussion, qui
doit rester incomplète mais qui, on peut l’espérer,
pourra inciter à un regard plus systématique sur les
questions abordées ici.
Note
La présente contribution est la traduction (légèrement adaptée
et modifiée) d’un article du même auteur paru en 2012 dans
la Zeitschrift für Wirtschaftsgeographie 56(4), 264-273. Nous
tenons à remercier les éditeurs de la revue de leur accord de
reproduction de l’article.
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Coordonnées de l’auteur :
Christian Schulz
Université du Luxembourg
Institut de géographie et d’aménagement du
territoire
B.P. 2
L-7201 Walferdange
[email protected]
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