L
a situation est certes moins
préoccupante qu’avant le pre-
mier vaccin de Louis Pasteur,
en 1885. En dehors de rares cas chez
la chauve-souris, il n’y a plus d’animaux
infectés dans notre pays, et le dernier
cas humain autochtone remonte à…
1924 ! Une campagne de vaccination
orale des renards commencée depuis
peu d’années a significativement réduit
le nombre de cas en Europe de
l’Ouest. Mais, à l’échelle de la planète,
la rage reste un véritable fléau, avec au
bas mot 10 millions de personnes trai-
tées et plus de 50 000 morts par an.
On continue toutefois de recenser
dans l’Hexagone des cas importés,
chez l’animal ou les voyageurs.
Un virus "diabolique"
Si l’heure n’est plus à la peur irration-
nelle d’antan, la vigilance demeure pri-
mordiale tant l’agent pathogène est
dangereux. La rage est causée par des
Lyssavirus, dont la principale souche,
le génotype 1, a pour vecteur les car-
nivores terrestres. Les souches EBL1,
EBL2 et ABL touchent les chauve-sou-
ris d’Europe et d’Australie. Quant aux
trois autres, plus marginaux, ils sont
cantonnés à l’Afrique subsaharienne.
Si tous les animaux à sang chaud sont
susceptibles d’être infectés, le chien
errant reste le principal réservoir de la
maladie dans les pays pauvres. En
Europe, on a plutôt affaire à la rage
des animaux sauvages (renard roux).
Ailleurs, les vecteurs varient, du raton
laveur en Amérique du Nord aux vam-
pires en Amérique du Sud.
D’ordinaire, le virus est transmis à
l’homme par la salive de l’animal, par
morsure, griffure ou simple léchage
sur une peau excoriée ou sur une
muqueuse, même saine. Le premier
atout du virus, qui ne survit pas au
milieu extérieur, est donc “son mode
de transmission transcutané par mor-
sure qui lui permet de remédier à son
extrême fragilité”, souligne le Pr Jean-
Marie Huraux, virologue à la Pitié-
Salpêtrière. Cette excrétion salivaire
survenant avant les premiers signes
cliniques fait que la rage peut être
transmise par un animal apparem-
ment sain.
Une fois en place, l’agent de la rage
gagne le cerveau par voie axonale, ren-
dant son dépistage difficile sauf à
employer des techniques très récentes
(recherche répétée des antigènes
viraux dans la salive, le LCR ou sur biop-
sies cutanées). Il se répand avec une
préférence pour le système limbique,
siège de l’instinct de conservation. « Le
virus montre ainsi son “génie diabo-
lique”, explique le Pr Huraux. Ce tro-
pisme du virus pour le système lim-
bique est un “coup de maître” en
termes d’adaptation évolutive.
L’infection de cette partie du cerveau
qui règle l’humeur et le comportement
pousse l’animal à mordre et à trans-
mettre le virus à un nouvel hôte ! »
Des signes très évocateurs
L’incubation moyenne est de
45 jours, mais peut aller de 6 jours
seulement à plusieurs mois (jus-
qu’à 6 ans !). Elle est d’autant plus
brève que l’atteinte initiale est
proche du cerveau ou de zones riche-
ment innervées, comme les doigts ou
les organes génitaux. Puis le virus
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 58 • octobre 2004
Soins Libéraux 41
>>
La rage
Une menace toujours présente
La France est officiellement “indemne de rage” depuis 1998.
Les autorités se veulent rassurantes. Hélas ! Comme l’a mon-
tré la récente alerte à la rage en Gironde, la prudence reste de
mise. Le point sur cette affection un peu vite oubliée...
Conduite à tenir pour le traitement après exposition
Catégorie Nature du contact avec un animal sauvage Traitement recomman
ou domestique disparu, ou enragé confirmé ou présumé
I Contact ou alimentation de l’animal Aucun si anamnèse fiable
chage sur peau intacte
II Peau découverte mordillée Administrer le vaccin
Griffures bénignes ou excoriations, sans saignement immédiatement
Léchage sur peau érodée Arrêter le traitement si l’animal est
en bonne santé après 10 jours
d’observation ou si après euthanasie
le diagnostic de rage est écar
III Morsures ou griffures ayant traversé la peau Administrer immédiatement le vaccin
plus immunoglobulines, puis même
Contamination des muqueuses conduite qu’en II
par la salive (léchage)
Source : Comité OMS d’experts de la rage, série de rapports techniques 824, p61, 1992.
migre, toujours par voie nerveuse,
vers la peau, les muqueuses et les
glandes salivaires.
En phase prodromique, le patient se
plaint de douleurs, de prurit ou de
paresthésies au niveau de la région
mordue. Ensuite se manifestent une
insomnie, des troubles anxieux et/ou
une hyperesthésie (le sujet ne supporte
plus le contact des vêtements). Après 2
à 10 jours une encéphalomyélite aiguë
s’installe, avec deux formes cliniques
distinctes :
La rage “classique”, dite furieuse (70
% des cas) : le patient se montre agité,
et présente très souvent une hydropho-
bie (spasme pharyngé qui s’étend à la
musculature respiratoire à la vue ou
même à la simple évocation de l’eau) et
une aérophobie (spasme facial déclen-
ché par un souffle derrière l’oreille).
L’encéphalite proprement dite apparaît
enfin, évoluant vers le coma puis la
mort, inéluctable, dans les 2 à 9 jours.
La rage paralytique ou muette pro-
cède essentiellement d’une paralysie
ascendante qui évolue plus lentement.
Elle peut être aisément confondue
avec un syndrome de Guillain et Barré,
surtout en l’absence d’hydrophobie
(10 % des cas).
Le traitement :
une “course de vitesse”
Sans traitement curatif existant, la
seule stratégie est la vaccination : «Le
traitement après exposition met à pro-
fit la longue durée d’incubation,
explique-t-on à l’Institut Pasteur. Il cor-
respond à une “course de vitesse”
entre le virus et le système immuni-
taire du patient contaminé. C’est pour-
quoi la sérothérapie est désormais
associée au traitement vaccinal dans
les contaminations sévères ». Si une
incubation courte est à craindre, on
adjoint donc au vaccin des immuno-
globulines. Le plus souvent, on
emploie un protocole de vaccination
2-1-1 dit “de Zagreb” : 2 injections
dans les deltoïdes au jour 0, puis une
aux jours 7 puis 21 ou 28.
In fine la décision est du ressort d’un
Centre antirabique, auquel le patient
doit être impérativement confié. En
attendant, quelques gestes essentiels
s’imposent :
nettoyer la plaie à l’eau et au savon
de Marseille (virucide) ;
rincer abondamment et appliquer
un antiseptique ;
– vérifier l’immunité antitétanique ;
contacter un médecin qui recom-
mandera une antibiothérapie (risque
de pasteurellose) ;
placer si possible l’animal en obser-
vation.
Le vaccin est efficace quasiment à
100 % contre le génotype 1 du virus,
mais il ne protège qu’imparfaitement
contre les virus EBL1, EBL2 et ABL, et
n’agit pas contre les autres formes du
virus. Les vaccins actuels,
purifiés à par-
tir de cultures cellulaires,
sont bien tolé-
rés, avec des effets indésirables rares (1
%) et bénins (céphalées, asthénie, rou-
geurs ou douleurs au point d’injection).
Dans les pays pauvres, en revanche,
on a toujours recours à des vaccins
préparés sur cerveaux d’animaux, à
risque élevé d’encéphalite. D’où l’inté-
rêt de la vaccination préventive si l’on
doit voyager. Celle-ci est vivement
conseillée également à toutes les pro-
fessions en contact avec des animaux
(vétérinaires, personnel des SPA, etc.).
D’un schéma vaccinal différent, la vac-
cination avant exposition limite en effet
le recours à d’autres doses de vaccin.
Alors, là encore, mieux vaut prévenir
que guérir…
Par ailleurs, la lutte passe
par l’élimination du vecteur canin
lorsque ce dernier est un chien
errant, et par la vaccination préventive
des chiens. Des essais sont en cours
pour évaluer l’efficacité de vaccins
antirabiques administrés par voie
orale.
Sébastien Le Jeune
Infos
Pour connaître les coordonnées du Centre
antirabique le plus proche, s’adresser au
Centre national de référence, Département
de virologie, Institut Pasteur, 25-28 rue du
Docteur Roux, 75734 PARIS cedex 15, ou
consulter le site Internet de Pasteur :
http://www.pasteur.fr/ recherche/rage/CAR.
html
Pour les derniers développements de
l’alerte en Gironde, se rendre sur le site du
ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr/
htm/pointsur/ zoonose/7z.htm
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 58 • octobre 2004
Soins Libéraux
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L’homme et l’animal
Lors de la 10econférence inter-
nationale de Glasgow basée sur
les interactions entre l’homme et
l’animal, des spécialistes ont
fait le point sur les aspects
bénéfiques de la présence des
animaux de compagnie dans
notre vie quotidienne. On com-
mence à étudier le bénéfice de la
compagnie d’animaux pour les
handicapées et les personnes
âgées en institution. Bien sou-
vent, le souci d’hygiène va à l’en-
contre des initiatives entreprises.
L’épisode de rage qui a sévi dans
le Sud-Ouest de la France a posé
quelques questions.
Morsures de chien
et griffures de chat
Lordre des vétérinaires rappelle
quelques règles. « Pour les pro-
priétaires de chiens ou de chats,
il est vivement recommandé de
faire vacciner leurs animaux qui
doivent être identifiés (par ta-
touage ou puce électronique)
afin de valider le certificat de
vaccination. Cette vaccination
permet d’éviter l’euthanasie des
animaux ayant été en contact
avec un animal enragé. Les ani-
maux contaminés ou soupçon-
nés d’avoir été contaminés, qui
sont à jour de leur vaccination
antirabique reçoivent une nou-
velle dose de vaccin antirabi-
que ». Pour les personnes ayant
été griffées ou mordues, il est
impératif de faire procéder à la
mise sous surveillance des ani-
maux qui les ont mordues ou
griffées. Cette surveillance con-
siste en trois visites sanitaires
effectuées, pendant les 15 jours
ayant suivi la morsure ou la grif-
fure, par un vétérinaire investi
du mandat sanitaire. Si 15 jours
après avoir été mordu, l’animal
ne présente aucun signe ou
symptôme d’encéphalite, on
peut être certain qu’au moment
de la morsure sa salive ne ren-
fermait pas de virus rabique.
La mise sous surveillance d’un
animal mordeur par un vétéri-
naire sanitaire est un acte de
précaution et de prévention
indispensable et réglementaire-
ment obligatoire.
Focus ...
La rage dans
l’histoire
La rage est une
maladie peut-être
aussi vieille que
l’humanité. Déjà,
3000 ans avant .J.C.
on retrouve l’origine
du mot “rage” dans
la langue sanskrite
où “Rabhas” signifie
“faire violence”.
Le mot grec “lyssa”
vient de la racine
“lud” : “violent”. La
première description
de la maladie
remonte au 23esiècle
avant J.-C. dans
le Code Eshuma
à Babylone. Dès
l’Antiquité, le lien
est fait entre la rage
humaine et la rage
due à des morsures
d’animaux (et
spécialement
de chiens).
Girolamo Fracastoro,
savant italien né à
Vérone, a décrit la
maladie – qu’il avait
pu observer chez de
nombreux patients –,
ses modes de
contamination, et ce,
en 1530, c’est-à-dire
350 ans avant Louis
Pasteur !
(Source : Institut Pasteur)
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