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Soins Libéraux
La rage
Une menace toujours présente
La France est officiellement “indemne de rage” depuis 1998.
Les autorités se veulent rassurantes. Hélas ! Comme l’a montré la récente alerte à la rage en Gironde, la prudence reste de
mise. Le point sur cette affection un peu vite oubliée...
L
a situation est certes moins
préoccupante qu’avant le premier vaccin de Louis Pasteur,
en 1885. En dehors de rares cas chez
la chauve-souris, il n’y a plus d’animaux
infectés dans notre pays, et le dernier
cas humain autochtone remonte à…
1924 ! Une campagne de vaccination
orale des renards commencée depuis
peu d’années a significativement réduit
le nombre de cas en Europe de
l’Ouest. Mais, à l’échelle de la planète,
la rage reste un véritable fléau, avec au
bas mot 10 millions de personnes traitées et plus de 50 000 morts par an.
On continue toutefois de recenser
dans l’Hexagone des cas importés,
chez l’animal ou les voyageurs.
Un virus "diabolique"
Si l’heure n’est plus à la peur irrationnelle d’antan, la vigilance demeure primordiale tant l’agent pathogène est
dangereux. La rage est causée par des
Lyssavirus, dont la principale souche,
le génotype 1, a pour vecteur les car-
nivores terrestres. Les souches EBL1,
EBL2 et ABL touchent les chauve-souris d’Europe et d’Australie. Quant aux
trois autres, plus marginaux, ils sont
cantonnés à l’Afrique subsaharienne.
Si tous les animaux à sang chaud sont
susceptibles d’être infectés, le chien
errant reste le principal réservoir de la
maladie dans les pays pauvres. En
Europe, on a plutôt affaire à la rage
des animaux sauvages (renard roux).
Ailleurs, les vecteurs varient, du raton
laveur en Amérique du Nord aux vampires en Amérique du Sud.
D’ordinaire, le virus est transmis à
l’homme par la salive de l’animal, par
morsure, griffure ou simple léchage
sur une peau excoriée ou sur une
muqueuse, même saine. Le premier
atout du virus, qui ne survit pas au
milieu extérieur, est donc “son mode
de transmission transcutané par morsure qui lui permet de remédier à son
extrême fragilité”, souligne le Pr JeanMarie Huraux, virologue à la PitiéSalpêtrière. Cette excrétion salivaire
survenant avant les premiers signes
cliniques fait que la rage peut être
transmise par un animal apparemment sain.
Une fois en place, l’agent de la rage
gagne le cerveau par voie axonale, rendant son dépistage difficile sauf à
employer des techniques très récentes
(recherche répétée des antigènes
viraux dans la salive, le LCR ou sur biopsies cutanées). Il se répand avec une
préférence pour le système limbique,
siège de l’instinct de conservation. « Le
virus montre ainsi son “génie diabolique”, explique le Pr Huraux. Ce tropisme du virus pour le système limbique est un “coup de maître” en
termes
d’adaptation
évolutive.
L’infection de cette partie du cerveau
qui règle l’humeur et le comportement
pousse l’animal à mordre et à transmettre le virus à un nouvel hôte ! »
Des signes très évocateurs
L’incubation moyenne est de
45 jours, mais peut aller de 6 jours
seulement à plusieurs mois (jusqu’à 6 ans !). Elle est d’autant plus
brève que l’atteinte initiale est
proche du cerveau ou de zones richement innervées, comme les doigts ou
les organes génitaux. Puis le virus
Conduite à tenir pour le traitement après exposition
Catégorie
Nature du contact avec un animal sauvage
ou domestique disparu, ou enragé confirmé ou présumé
Traitement recommandé
I
Contact ou alimentation de l’animal
Léchage sur peau intacte
Aucun si anamnèse fiable
II
Peau découverte mordillée
Griffures bénignes ou excoriations, sans saignement
Administrer le vaccin
immédiatement
Léchage sur peau érodée
Arrêter le traitement si l’animal est
en bonne santé après 10 jours
d’observation ou si après euthanasie
le diagnostic de rage est écarté
Morsures ou griffures ayant traversé la peau
Administrer immédiatement le vaccin
plus immunoglobulines, puis même
conduite qu’en II
III
Contamination des muqueuses
par la salive (léchage)
Source : Comité OMS d’experts de la rage, série de rapports techniques 824, p61, 1992.
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Professions Santé Infirmier Infirmière N° 58 • octobre 2004
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Soins Libéraux
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Focus
...
La rage dans
l’histoire
La rage est une
maladie peut-être
aussi vieille que
l’humanité. Déjà,
3000 ans avant .J.C.
on retrouve l’origine
du mot “rage” dans
la langue sanskrite
où “Rabhas” signifie
“faire violence”.
Le mot grec “lyssa”
vient de la racine
“lud” : “violent”. La
première description
de la maladie
remonte au 23e siècle
avant J.-C. dans
le Code Eshuma
à Babylone. Dès
l’Antiquité, le lien
est fait entre la rage
humaine et la rage
due à des morsures
d’animaux (et
spécialement
de chiens).
Girolamo Fracastoro,
savant italien né à
Vérone, a décrit la
maladie – qu’il avait
pu observer chez de
nombreux patients –,
ses modes de
contamination, et ce,
en 1530, c’est-à-dire
350 ans avant Louis
Pasteur !
(Source : Institut Pasteur)
migre, toujours par voie nerveuse,
vers la peau, les muqueuses et les
glandes salivaires.
En phase prodromique, le patient se
plaint de douleurs, de prurit ou de
paresthésies au niveau de la région
mordue. Ensuite se manifestent une
insomnie, des troubles anxieux et/ou
une hyperesthésie (le sujet ne supporte
plus le contact des vêtements). Après 2
à 10 jours une encéphalomyélite aiguë
s’installe, avec deux formes cliniques
distinctes :
– La rage “classique”, dite furieuse (70
% des cas) : le patient se montre agité,
et présente très souvent une hydrophobie (spasme pharyngé qui s’étend à la
musculature respiratoire à la vue ou
même à la simple évocation de l’eau) et
une aérophobie (spasme facial déclenché par un souffle derrière l’oreille).
L’encéphalite proprement dite apparaît
enfin, évoluant vers le coma puis la
mort, inéluctable, dans les 2 à 9 jours.
– La rage paralytique ou muette procède essentiellement d’une paralysie
ascendante qui évolue plus lentement.
Elle peut être aisément confondue
avec un syndrome de Guillain et Barré,
surtout en l’absence d’hydrophobie
(10 % des cas).
Le traitement :
une “course de vitesse”
Sans traitement curatif existant, la
seule stratégie est la vaccination : «Le
traitement après exposition met à profit la longue durée d’incubation,
explique-t-on à l’Institut Pasteur. Il correspond à une “course de vitesse”
entre le virus et le système immunitaire du patient contaminé. C’est pourquoi la sérothérapie est désormais
associée au traitement vaccinal dans
les contaminations sévères ». Si une
incubation courte est à craindre, on
adjoint donc au vaccin des immunoglobulines. Le plus souvent, on
emploie un protocole de vaccination
2-1-1 dit “de Zagreb” : 2 injections
dans les deltoïdes au jour 0, puis une
aux jours 7 puis 21 ou 28.
In fine la décision est du ressort d’un
Centre antirabique, auquel le patient
doit être impérativement confié. En
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 58 • octobre 2004
attendant, quelques gestes essentiels
s’imposent :
– nettoyer la plaie à l’eau et au savon
de Marseille (virucide) ;
– rincer abondamment et appliquer
un antiseptique ;
– vérifier l’immunité antitétanique ;
– contacter un médecin qui recommandera une antibiothérapie (risque
de pasteurellose) ;
– placer si possible l’animal en observation.
Le vaccin est efficace quasiment à
100 % contre le génotype 1 du virus,
mais il ne protège qu’imparfaitement
contre les virus EBL1, EBL2 et ABL, et
n’agit pas contre les autres formes du
virus. Les vaccins actuels, purifiés à partir de cultures cellulaires, sont bien tolérés, avec des effets indésirables rares (1
%) et bénins (céphalées, asthénie, rougeurs ou douleurs au point d’injection).
Dans les pays pauvres, en revanche,
on a toujours recours à des vaccins
préparés sur cerveaux d’animaux, à
risque élevé d’encéphalite. D’où l’intérêt de la vaccination préventive si l’on
doit voyager. Celle-ci est vivement
conseillée également à toutes les professions en contact avec des animaux
(vétérinaires, personnel des SPA, etc.).
D’un schéma vaccinal différent, la vaccination avant exposition limite en effet
le recours à d’autres doses de vaccin.
Alors, là encore, mieux vaut prévenir
que guérir… Par ailleurs, la lutte passe
par l’élimination du vecteur canin
lorsque ce dernier est un chien
errant, et par la vaccination préventive
des chiens. Des essais sont en cours
pour évaluer l’efficacité de vaccins
antirabiques administrés par voie
orale.
Sébastien Le Jeune
Infos
Pour connaître les coordonnées du Centre
antirabique le plus proche, s’adresser au
Centre national de référence, Département
de virologie, Institut Pasteur, 25-28 rue du
Docteur Roux, 75734 PARIS cedex 15, ou
consulter le site Internet de Pasteur :
http://www.pasteur.fr/ recherche/rage/CAR.
html
Pour les derniers développements de
l’alerte en Gironde, se rendre sur le site du
ministère de la Santé : http://www.sante.gouv.fr/
htm/pointsur/ zoonose/7z.htm
L’homme et l’animal
Lors de la 10 e conférence internationale de Glasgow basée sur
les interactions entre l’homme et
l’animal, des spécialistes ont
fait le point sur les aspects
bénéfiques de la présence des
animaux de compagnie dans
notre vie quotidienne. On commence à étudier le bénéfice de la
compagnie d’animaux pour les
handicapées et les personnes
âgées en institution. Bien souvent, le souci d’hygiène va à l’encontre des initiatives entreprises.
L’épisode de rage qui a sévi dans
le Sud-Ouest de la France a posé
quelques questions.
Morsures de chien
et griffures de chat
L’ordre des vétérinaires rappelle
quelques règles. « Pour les propriétaires de chiens ou de chats,
il est vivement recommandé de
faire vacciner leurs animaux qui
doivent être identifiés (par tatouage ou puce électronique)
afin de valider le certificat de
vaccination. Cette vaccination
permet d’éviter l’euthanasie des
animaux ayant été en contact
avec un animal enragé. Les animaux contaminés ou soupçonnés d’avoir été contaminés, qui
sont à jour de leur vaccination
antirabique reçoivent une nouvelle dose de vaccin antirabique ». Pour les personnes ayant
été griffées ou mordues, il est
impératif de faire procéder à la
mise sous surveillance des animaux qui les ont mordues ou
griffées. Cette surveillance consiste en trois visites sanitaires
effectuées, pendant les 15 jours
ayant suivi la morsure ou la griffure, par un vétérinaire investi
du mandat sanitaire. Si 15 jours
après avoir été mordu, l’animal
ne présente aucun signe ou
symptôme d’encéphalite, on
peut être certain qu’au moment
de la morsure sa salive ne renfermait pas de virus rabique.
La mise sous surveillance d’un
animal mordeur par un vétérinaire sanitaire est un acte de
précaution et de prévention
indispensable et réglementairement obligatoire.
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