Le réveil de l`hypnose médicale - Coma Science Group

Tempête autour d’un crâne
A-t-on
vraiment retrouvé la tête d’Henri IV ?
Le légiste Philippe Charlier l’affirme,
mais ses travaux ne font pas l’unani-
mité. Enquête.
PAGE 2
Phéromones contraceptives
Chez les insectes sociaux, la reine inter-
dit aux ouvrières de procréer en émet-
tant des messages chimiques «inven-
tés»ilya150 millions d’années.
PAGE 3
Conteur de la biodiversité
Gilles
Bœuf, président du Muséum national
d’histoire naturelle, met sa faconde et
ses connaissances au service de la défen-
se des écosystèmes.
PAGE 7
carte blanche
Baptiste
Coulmont
Sociologue et maître
de conférences àl’université
Paris-VIII
(http://coulmont.com)
(PHOTO :MARC CHAUMEIL)
J
usqu’au début des années 1970, les clients des librai-
ries n’avaient pas directement accès aux livres, ces
derniers se trouvaient derrière le comptoir du ven-
deur. Les pompistes étaient au service des automobilis-
tes. Au restaurant d’entreprise, des serveurs étaient à
disposition des employés…
Désormais, les clients ont été mis au travail et copro-
duisent les services :ilfaut porter son plateau, amener
ses livres àlacaisse, verser soi-même l’essence. Pour cer-
taines entreprises, ce travail gratuit fut àlasource de
gains de productivité gigantesques, en éliminant certai-
nes tâches et certains salariés. Aujourd’hui, les start-up
peuvent être de simples interfaces électroniques qui
mettent en relation, sans l’intermédiation de salariés de
vente ou de contact, deux types de clientèle (par exem-
ple pour sous-louer un logement).
Les sociologues comme George Ritzer ont vu dans cet-
te extension du «self-service»une des ramifications du
programme de rationalisation inhérent àlamodernité.
Max Weber (1864-1920) le repérait dans la bureaucratie
de la fin du XIXesiècle, avec ses agents interchangeables
et ses règles rationnelles ;ilfaut le voir maintenant à
l’œuvre dans la vie quotidienne. Guillaume Tiffon, dans
un ouvrage récent, La Mise au travail des clients (Econo-
mica, 2013), poursuit cette analyse. Les clients actuels ne
sont pas seulement des travailleurs volontaires, ils sont
poussés àl’être :lafile d’attente (dans les fast-foods, par
exemple) les met sous pression et les oblige àagir rapi-
dement sous peine de ressentir gêne et inconfort face
aux réactions de celles et de ceux qui attendent. L’on a
affaire àdes quasi-employés, gratuits et peu syndiqués,
qui, une fois bien socialisés, assurent le bon comporte-
ment des autres clients et des employés. Certains
clients vétérans, face àl’incompréhension de clients
novices perdus devant une caisse automatique, peu-
vent apporter leur expertise.
Mais tout client est aussi potentiellement un «client
mystère». Si une partie du travail des salariés consiste,
selon Guillaume Tiffon, à«accroître l’activité producti-
ve des clients», la mise au travail de ces derniers accroît
aussi l’intensité du travail des salariés restants, comme
le montre Sophie Bernard dans une étude sur les caisses
automatiques (revue Travailler,2013). Le marketing a
bien saisi ces changements:les clients ne sont pas sim-
plement des employés non rémunérés, corvéables à
merci;ilest aussi possible de s’en débarrasser assez sim-
plement. Le recrutement des meilleurs clients possibles
–c’est-à-dire des plus productifs –est recherché. Les
clients mettent ainsi àdisposition des entreprises de ser-
vice une force de travail spécifique.
Mais àquel moment ce «travail»duclient, de simple
«activité», devient-il un véritable travail?Siles clients,
non contents de rapporter leur verre au bar, le lavent et
le rangent en plus d’assurer le service?Cela serait-il un
«travail dissimulé», qui devrait être soumis au code du
travail?Onsesouvient que des candidats àunjeu de
télé-réalité avaient obtenu un contrat de travail. Et, plus
récemment, une affaire [Le Monde du 20 décembre
2013] aopposé les gérants d’un bar et l’Urssaf, les pre-
miers affirmant que les inspecteurs avaient confondu
libre service et travail au noir. L’issue de cette affaire
nous dira jusqu’où il est possible de rendre service àune
entreprise sans se mettre au service de l’entrepreneur.
p
Faut-il salarier les clients ?
Le réveil de l’hypnose médicale
Lutte contre les douleurs chroniques, substitut àl’anesthésie générale, accompagnement d’autres traitements…
Après une longue éclipse, les techniques hypnotiques ont de nouveau droit de cité dans les services hospitaliers.
Leur mécanisme d’action reste mystérieux, et les textes qui encadrent ces pratiques restent flous
PAGES 4-5
FRANCK CHARTRON
Cahier du «Monde »N˚21465 daté Mercredi 22 janvier 2014 -Nepeut être vendu séparément
Florence Rosier
F
ace àl’hypnose, l’esprit cartésien
sent passer le souffle de la défian-
ce. Ce scepticisme ne date pas
d’hier:l’hypnose, «untravail de
manœuvre, n’ayant rien de scientifique,
rappelant plutôt la magie, l’exorcisme, la
prestidigitation», dénonçait Freud dans
son Introduction àlapsychanalyse en 1917.
Mais que dit la science ?Les techniques
d’exploration du cerveau montrent-elles
une action spécifique de cette pratique, en
lien avec un résultat thérapeutique?
La réponse est en demi-teinte. «Au
CHU de Liège (Belgique), le neurologue Ste-
ven Laureys est le premier àavoir montré,
en 2000, que sous hypnose les aires céré-
brales communiquent différemment entre
elles», indique le docteur Bruno Suarez,
enseignant du diplôme universitaire
d’hypnose clinique (Paris-XI). «Leréseau
des aires cérébrales qui interviennent dans
la conscience de soi est notablement activé
sous hypnose. En revanche,leréseau impli-
quédans la perception de l’environne-
ment estinhibé. C’est ce que révèle l’image-
riepar résonance magnétique (IRM) fonc-
tionnelle», précise le professeur Laureys.
Pour autant, «différents schémas d’aires
cérébrales vont s’activer sous hypnose,
selon l’imagerie mentale du patient et les
métaphores proposées par le thérapeute»,
nuance le docteur Suarez. Surtout, il reste
difficile de faire le lien entre ces états d’ac-
tivations cérébrales et l’amélioration clini-
que du patient.
«Nos premières études sur le sujet ont
été très difficiles àpublier. Le sujet n’était
pas pris au sérieux, admet Steven Laureys.
Aujourd’hui, ces travaux donnent lieu à
des articles reconnus. Pour moi, l’hypnose
est une réalité physiologique. Mais beau-
coup reste àfaire. »«Nous en sommes aux
prémices, renchérit le docteur Catherine
Bouchara, responsable d’une consultation
d’hypnose médicale au pavillon de l’en-
fant et de l’adolescentde l’hôpital de la
Pitié-Salpêtrière, àParis. Nous sommes tri-
butaires des techniques d’imagerie et de
leurs limites. La plus grande est l’impossibi-
lité de bouger pour le patient soumis à
l’IRM cérébrale…»
L’hypnose souffre d’abord d’une absen-
ce de définition consensuelle. Mais aussi,
selon Steven Laureys, d’«unmanque de
standardisation des techniques »qui empê-
che la validation, par d’autres, des résul-
tats obtenus. L’hypnose est, certes, un
«état modifié de la conscience». Pour le res-
te, àchacun sa définition –oupresque.
Selon Jean Godin, fondateur de l’Institut
Milton Erickson de Paris, l’hypnose est
«“débranchement de la réaction d’orienta-
tion àlaréalité extérieure”, qui suppose un
certain “lâcher prise”»et «fait apparaître
(…) des possibilités supplémentaires d’ac-
tion de l’esprit sur le corps, ou de travail psy-
chologique àunniveau inconscient».
Des états hypnotiques naturels
Pour le docteur Bouchara, «l’hypnose
permet d’accompagner le sujet pour l’aider
àtrouver son propre chemin. C’est un mode
d’alliance, cela n’a rien de mystérieux». On
peut être dans un état hypnotique naturel-
lement, sans le savoir :«Par exemple, lors-
que vous conduisez en pensant àautre cho-
se. Vous arrivez àunendroit en vous
disant:“Je suis déjà là !” et en ayant oublié
par où vous êtes passé… »L’hypnose est
donc aussi «utat dissociatif ».
«Cet état de conscience modifiée va don-
ner lieu àune perception altérée du milieu
extérieur qui s’accompagne d’une image-
rie mentale plus vive», estime Steven Lau-
reys. Ses études d’imagerie cérébrale ten-
dent àconforter cette notion. «Enutili-
sant la tomographie par émission de posi-
tons, nous avons montré que l’état hypno-
tique diffère de la simple distraction. De
son côté, l’électroencéphalogramme indi-
que que le patient sous hypnose n’est pas
endormi.»Car l’hypnose se définit aussi
par ce qu’elle n’est pas. «Lesujet sous hyp-
nose al’air de dormir, de rêver ou de médi-
ter. Mais les enregistrements de son activi-
té cérébrale montrent que l’hypnose ne
correspond àaucun de ces trois états»,
synthétise Bruno Suarez.
L’équipe du professeur Laureysacom-
paré la perception d’un stimulus doulou-
reux chez des patients sous hypnose ou
dans un état de distraction. «Pour un
même stimulus, la douleur perçue est bien
plus faible sous hypnose, comparée à
l’état de distraction. Dans le même temps,
l’IRM fonctionnelle montre que le réseau
de la douleur s’active de façon différente.
Un “chef d’orchestre de la douleur”, le cor-
tex cingulaire antérieur, est plus actif sous
hypnose.»
Surtout, l’imagerie met en évidence
deux grands réseaux dont la connectivité
est modifiée sous hypnose. «Leréseau de
la conscience du monde extérieur voit sa
connectivité diminuée. Al’inverse, le
réseau de la conscience de soi, cette “petite
voix qui nous parle”, est plus actif sous hyp-
nose. C’est sans doute pourquoi l’imagerie
mentale du patient est vécue comme très
réelle. Ce réseau mobilise des zones plus
internes et médianes du cerveau», indique
Steven Laureys, qui apublié ce travail en
2011 dans Progress in Brain Research.D’où,
peut-être, cette observation ancienne rele-
vée par Bruno Suarez:«Ala fin du XIXee
XIX
siè-
cle, le neurologue russe Vladimir Bekhterev
notait que les patients sous hypnose ont
des réflexes pupillaires modifiés. Or la
motricité de la pupille reflète le fonctionne-
ment du cerveau.»
Reste que le travail clinique montre
qu’il est illusoire de songer àunifier cette
pratique. «Pour un clinicien, l’hypnose est
un apprentissage de souplesse et d’adapta-
tion àchaque patient, favorisé par le passa-
ge contrôlé du praticien en état d’hypnose,
note Catherine Bouchara. Le patient peut
choisir le niveau de profondeur de l’hypno-
se avec lequel il va réaliser le changement
auquel il aspire. »
«Ceque j’attendrais d’un travail de
recherche, conclut-elle, c’est une analyse
simultanée des cerveaux des deux protago-
nistes:lesujet sous hypnose et le thérapeu-
te. Cela pour comparer les zones activées et
mettre en évidence le mode singulier de la
relation hypnotique.»
p
Pascale Santi
P
ensez àquelque chose qui
vous plaît, une odeur, respi-
rez calmement.»Dans un
des blocs opératoires de l’hô-
pital Saint-Joseph, àParis, ce
mardi14janvier au matin, le
docteur Marc Galy, anesthé-
siste, parle doucement à
HocineAyyati,âgéde78 ans, quidoitsubirl’opé-
ration d’une artère carotide. De façon répétiti-
ve, il lui suggère de respirer, de ne rien faire,
d’être là. «Onpeut s’imaginer quelque part, à
une terrasse de café, ou ailleurs, dans un aéro-
port,toutestpossible,onva regarderlesgenspas-
ser », suggère le médecin, qui commence l’anes-
thésie locale et continue de parler au patient.
Pendant ce temps, l’équipe médicale se pré-
pare. Le docteur Galy répète plusieurs fois la
même chose, c’est l’hypnose par confusion.
M. Ayyati semble détendu. «Lepatient est tota-
lement conscient. Il est entré en hypnose, dans
un état de conscience modifié», nous explique
le docteur Galy. Trente minutes plus tard, le
chirurgien Samy Anidjar arrive. Tout au long
de l’intervention, le docteur Galy surveille les
constantes, ne quitte pas son patient. «Çatire
un peu…», dit celui-ci au milieu de l’opération.
De l’autre côtédu drapbleu, lecou est incisésur
une dizaine de centimètres, l’équipe enlève les
plaquesd’athérome obstruant l’artère. Opéra-
tion délicate.Front contre front, l’anesthésiste
susurredoucement àl’oreille de M.Ayyati lors-
que celui-ci pose une question, et le patient
répond lorsqu’il est sollicité.
L’opération est terminée, elle aura duré près
de deux heures. Sourire aux lèvres, M. Ayatti se
sent bien. Il n’a pas retenu les mots fleuris et
autres jurons de l’équipe soignante qui ont
émaillé par instants l’intervention. Le lende-
main, il ne se souvient que «dutour du monde
que l’on afait tous les deux »,dit-il àson anes-
thésiste.Al’hôpitalSaint-Joseph,laquasi-totali-
té des opérations des carotides (130 par an)
sont réalisées sous hypnose. Et, depuis quel-
ques mois, la mise en place des endoprothèses
aortiques par voie percutanée pour anévrisme
peut bénéficier de la même prise en charge.
L’intérêt pour l’hypnose va croissant, tant
chez les patients que chez les soignants. Elle
s’installedans les hôpitaux, les maternités…
avec souvent plusieurs mois d’attente dans les
consultations àl’hôpital. On compte
12000publications sur l’hypnose dans la base
de données en ligne Medline, alors qu’on n’en
dénombrait qu’une cinquantaine il yaquin-
zeans, note le docteur Jean Becchio, médecin
en soins palliatifs àl’hôpital Paul-Brousse (Vil-
lejuif), directeur du diplôme universitaire
d’hypnose clinique àParis-XI et président de
l’Association française d’hypnose médicale.
La pratique médicale n’a rien àvoir avec son
image dans le grand public, souvent fantaisis-
te, véhiculée par le cinéma ou la littérature.
Comme le python Kaa, dans Le Livre de la jun-
gle, de Rudyard Kipling, qui tente d’hypnotiser
Mowgli en lui susurrant d’une voix chantante :
«Aie confiance…»Sans parler du music-hall,
aveclesuccès del’hypnotiseurquébécoisMess-
mer (pseudonyme inspiré du nom de Franz-
Anton Mesmer, médecin allemand du
XVIIIesiècle,précurseurdel’hypnotisme).Prati-
que ancienne, l’hypnose ad’ailleurs d’abord
été popularisée sous le nom de «mesméris-
me »omagnétisme animal ». Elle
condamnée àdeux reprises par les autorités
médicales: par l’Académie royale, en 1782, et
parl’Académie de médecine,en1812. Aprèsune
période de déclin, elle est redevenue àlamode,
grâce aux travaux de Jean-Martin Charcot
(1825-1893)àlaSalpêtrière,dansl’étudedel’hys-
térie, et d’Hippolyte Bernheim (1840-1919) à
Nancy àlafin du XIXesiècle.
De nouveau tombéeendisgrâce, elle réappa-
raît dans les années 1960 aux Etats-Unis, grâce
au psychiatre Milton Erickson (1901-1980), et
dans les années 1980 en France grâce àLéon
Chertok (1911-1991) et François Roustang.
«Encombrée de préjugés vivaces, l’hypnose
continue àquestionner la médecine, mais elle
revient en force »,souligne le docteur Jean-
Marc Benhaiem, responsable du DU d’hypnose
àParis-VI. Les thérapies de pleine conscience
ou la sophrologie sont souvent considérées
comme ses «cousines».
Comment la définir ?Dérivée du mot grec
hypnosle sommeil », l’hypnose désigne, au
contraire, un état de conscience modifié n’ap-
partenant ni au rêve ni au sommeil, un état
naturel, comme lorsqu’on s’évade, qu’on est
totalementabsorbéparune musique, une ima-
ge… qu’on fait un trajet et qu’on ne s’en sou-
vient pas. «Cela consiste àl’activation, sponta-
née ou induite, de certaines zones du cerveau,
par des images, des suggestions»,indique le
docteur Becchio.
C’est la professeure Marie-Elisabeth Fay-
monville,chefduservice d’algologie -soinspal-
liatifs au CHU de Liège et chargée de cours à
l’université de Liège, qui a, la première, relancé
l’utilisation del’hypnose en anesthésiemoder-
ne, en 1992. Depuis, environ 9000 interven-
tions de ce type ont été réalisées dans cet éta-
blissement.L’anesthésiegénéralen’y utili-
sée que pour 18 patients. Marie-Elisabeth Fay-
monville amodélisé le principe de l’« hyp-
nosédation», qui consiste àassocier l’hypnose
et de très faibles doses d’antidouleur. Aujour-
d’hui, environ un tiers de la cinquantaine
d’anesthésistes du CHU de Liège sont formés à
cette technique. Une formation spécifique
pour l’utilisation de l’hypnose dans un contex-
te de douleur yest proposée;autotal, 423 soi-
gnants issus de différents pays d’Europe ont
été formés depuis 1994.
SCIENCE &MÉDECINE
événement
«Encombrée de préjugés
vivaces, l’hypnose
questionne la médecine
mais revient en force »
Jean-Marc Benhaiem
responsable du diplôme universitaire
d’hypnose àParis-VI
médecine
Hypnose
L’hôpital
sous le charme
Dépassant les préventions contre une technique au passé sulfureux,
un nombre croissant de praticiens utilisent cet état de conscience modifié pour
soulager la douleur, alléger les anesthésies et réduire le stress des équipes
Une modification subtile de la connectivité cérébrale
40123
Mercredi 22 janvier 2014
événement
SCIENCE &MÉDECINE
En anesthésie, l’hypnose permet, en effet, de
réduire l’inconfort et les médicaments. Ainsi le
docteur Galy diminue-t-il les doses de sédatif
oud’analgésiqueen anesthésie locale. Leretour
audomicile et àune activitéprofessionnelleest
plus rapide. De plus, pour l’artère carotide, «la
chirurgie sous anesthésie locale permet de sur-
veillerl’étatneurologiquedu patient durant tou-
te l’intervention, en particulier au moment du
“clampage carotidien” [pendant l’acte de répa-
ration de l’artère malade].Les accidents neuro-
logiques surviennentprincipalementvers la troi-
sième minute. Le fait de maintenir le patient
éveillé permet de prévenir ces accidents», expli-
que le chirurgien Samy Anidjar. Les patients,
parce qu’on s’intéresse àeux, qu’une personne
leurparlependantles soins,sont plusdétendus
et ont le sentiment d’être mieux pris en charge.
Cet outil renforce l’effet des médicaments.
Outre l’anesthésie, l’hypnose est utilisée
pour soulager les douleurs aiguës (grands
brûlés…). Ses indications se sont également
étendues aux douleurs chroniques (migraines,
lombalgies, douleurs cancéreuses…), puis aux
dépressions, phobies, troubles du comporte-
ment alimentaire, troubles sexuels, insomnies,
stress, addictions, arrêt du tabac… L’hypnose
est aussi utile pour les douleurs dites fantômes
(de membres amputés ou paralysés). Les
enfants ysont plus réceptifs, explique le doc-
teur Chantal Wood, qui adémocratisé l’hypno-
se àl’hôpital Robert-Debré, puis arejoint, fin
2013, le centre de lutte contre la douleur du
CHU de Limoges.
«J’ai vu en consultation une jeune fille de
15 ans qui avait appris neuf mois plus tôt, de
façon très brutale, la mort de son meilleur ami
paraccident,raconte le docteurCatherineBou-
chara,responsabled’une consultationd’hypno-
se médicale au Pavillon de l’enfant et de l’ado-
lescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à
Paris. Depuis, elle souffrait de trichotillomanie,
s’arrachantles cheveux de façoncompulsive.Au
cours d’une première séance, nous avons évo-
qué le contexte. Aladeuxième, en état hypnoti-
que, elle m’a dit :“Un lien té coupé.Nous
avons parlé des liens, ce qui se noue et se
dénoue… En sortie de séance, elle était dans un
état d’apaisement,deconfiance… L’histoire est
en cours de résolution.»
Cet état de conscience modifiée permet d’ac-
tiver ses ressources, de porter son attention sur
un événement agréable pour diminuer les sen-
sations de stress. Ce lundi 13 janvier, au CHU de
Liège, six femmes âgées de 35 à65ans, touchées
par un cancer du sein, participent ainsi àune
premièresessiondedeuxheures sur l’hypnose.
Il s’agit d’un projet de recherche. Elles auront
six séances, une tous les quinze jours. Animés
par la professeure Faymonville, ces groupes
ont démarré en 2013. Il yaura 120 participantes
en tout.
«Lafaçon dont l’hypnose est proposée au
patient est très importante »,insiste la profes-
seure Faymonville. La première session consis-
te àdonner des tâches aux participantes, qui ne
connaissent que peu ou pas l’hypnose. «L’étu-
de m’a été présentée comme un outil pour
apprendre àêtre bienveillante envers moi-
même», explique Valérie Loriaux, mère de
trois enfants. Très tournée vers des techniques
complémentairesde lamédecineclassique,cet-
tefemmede 45 ansse ditconvaincueque l’hyp-
nose peut aider àaméliorer sa qualité de vie.
sladeuxième session, la professeure Fay-
monvilleproposera des exercicesd’autohypno-
se,quipermettentdelapratiquerde façonauto-
nome. De même, dans le cadre du traitement
de la douleur chronique, huit séances de deux
heures en deux ans sont proposées àdes
patients.
«Avec l’autohypnose, l’objectif est de rendre
le patient plus autonome. Cela aaussi des effets
positifs sur l’observance du traitement »,indi-
que Grégory Tosti, praticien au centre d’évalua-
tion et du traitement de la douleur àl’hôpital
Ambroise-Paré(Boulogne-Billancourt). Il pro-
pose en moyenne cinq àdix séances en consul-
tation, de l’autohypnose ensuite, puis une
consultation une àdeux fois par an.
Le personnel médical aussi arecours àl’hyp-
nose pour se sentir mieux et éviter le burn-out.
Untude coordonnée par le CHU de Nîmes a
démarré fin 2013 auprès de 400 soignants. Des
testssont réalisés au début de la formation, àla
fin et six mois plus tard. Les résultats prélimi-
naires seront présentés en août 2015, lors du
congrès de la Confédération francophone
d’hypnose et de thérapies brèves et de la Socié-
té internationale d’hypnose.
De même,àAix-en-Provence, c’est tout l’hô-
pitalquise convertitàl’hypnose.Unesoixantai-
ne de professionnels ont été ou seront formés
d’ici àlafin de l’année. La formation est finan-
cée pour moitié par la Fondation Apicil contre
la douleur. «Lebut est une meilleure prise en
charge des patients douloureu,explique le
docteurDelphine Baudoin,neurologue,respon-
sable de l’unité douleur du centre hospitalier
du pays d’Aix, qui mène ce projet depuis 2010.
«Cet outil permet de remettre la relation théra-
peutique au premier plan, ce qui apporte un
bien-être pour les équipes », constate le docteur
Baudoin. C’est aussi utile pour les patients qui
nepeuventpasprendrede médicaments en rai-
son de leurs effets secondaires.
La gériatrie fait aussi appel àl’hypnose. Le
docteur Aurore Burlaud, de l’hôpital Paul-
Brousse (Villejuif), acommencé des consulta-
tions sur la mémoire en mars 2013, ouvertes
aux malades comme aux «aidants ». «Un
patient se plaignait du “manque du mot”;jelui
ai proposé de faire mentalement du ski, sport
qu’il adore, et de refaire quelques virages àcha-
quefois qu’il bloquait sur un mot,relate le doc-
teur Burlaud. Cela afonctionné. »Il faut essayer
detrouverle canalsensoriel qui vafonctionner,
de détourner l’attention. «L’idée est aussi de
diminuer la prise de psychotropes et d’hypnoti-
que,explique-t-elle.
Certes, tout le monde n’est pas «éligible »à
l’hypnose;ilyaurait 5% à10% de résistants.
Elle est aussi contre-indiquée lors de graves
troubles de la personnalité –lecontexte même
où Charcot l’utilisait !Certains patients sont
assez sceptiques àlapremière consultation
mais adhèrent ensuite, comme les patients
ayant eu un accident cardio-vasculaire, selon le
docteur Alain Cassagnau, qui leur propose des
consultations àl’hôpital de Nemours.
Despraticiensysontréticents.Pourtant,sou-
ligne le docteur Galy, «cette technique aun
atout supplémentaire:elle entre dans le concert
actuel de réduction des dépenses de santé, puis-
qu’elle réduit la prescription de médicaments et
les durées d’hospitalisation». Un message qui
devrait plaire àlaministre de la santé, Marisol
Touraine.
p
Outre l’anesthésie
et les douleurs aiguës,
les indicationssesont étendues
aux douleurs chroniques,
et àdenombreux autres troubles
Des formations
àhomologuer
L
’hypnose afait son entrée àl’université
depuis une dizaine d’années. Il existe
aujourd’hui une quinzaine de diplômes
universitaires (DU) en France. Un diplôme
inter-universitaire (DIU) pourrait être créé
pour la rentrée 2015, précise le docteur Jean
Becchio, directeur du DU hypnose clinique à
Paris-XI. Il areçu 320 demandes cette année
pour… 20places.
De même, l’Institut privé de formation
Emergences, créé en 2001 par le psychiatre
Claude Virot, prochain président de la Société
internationale de l’hypnose, va former
500personnes sur l’année 2013-2014. Des ses-
sions de formation plus courtes sont aussi
proposées dans les hôpitaux. Un quart de la
centaine de projets financés en 2013 par la
Fondation Apicil contre la douleur concernait
l’hypnose, soit environ 600 soignants formés
depuis 2006, précise Nathalie Aulnette, sa
directrice.
La plupart des soignants formés àl’hypno-
se l’utilisent au quotidien dans leur pratique
comme un outil parmi d’autres. Il existe, en
revanche, des consultations spécialisées et
nombre de thérapeutes libéraux. La Confédé-
ration francophone d’hypnose et de théra-
pies brèves, qui réunit une trentaine d’associa-
tions, dit représenter environ 3000 prati-
ciens en France, en Belgique, en Suisse et au
Québec.
«Ilfaut être très vigilant »
La quasi-totalité de ces formations est réser-
vée aux médecins, dentistes, psychologues,
infirmiers. «Ces approches doivent rester
entre les mains de personnes ayant une gran-
de compétence professionnelle. Nous sommes
persuadés qu’on peut aider avec des mots ;
mais on peut également détruire avec des
mots. Il faut être très vigilant, insiste le profes-
seur Marie-Elisabeth Faymonville, du CHU de
Liège (Belgique). Certaines personnes suivent
une formation et s’octroient le titre d’“hypno-
thérapeutes” sans pour autant être psycholo-
gues ou psychothérapeutes. Cela m’interpelle.
Il n’y apas de réglementation dans ce domai-
ne. Or, cela peut être dangereux.»L’hypnose a
été pointée du doigt par le rapport de la mis-
sion interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires (Miviludes) en
avril2013. «Ilfaut, en effet, une éthique irrépro-
chable», ajoute le docteur Chantal Wood, du
centre de lutte contre la douleur du CHU de
Limoges.
L’hypnose ne fait l’objet àcejour d’aucun
encadrement légal, mais la jurisprudence la
considère comme un acte médical. Pourtant,
«c’est devenu une discipline reconnue»,affir-
me le psychiatre et enseignant Gérard Salem,
coauteur de Soigner par l’hypnose (Elsevier-
Masson, 2012). «Ilexiste un corpus d’éléments
pour une reconnaissance officielle », insiste le
docteur Virot. Longtemps frileuse, l’Acadé-
mie de médecine arendu un avis plutôt posi-
tif en mars2013 :«Les indications les plus inté-
ressantessemblent être la douleur liée aux ges-
tesinvasifs chez l’enfant et l’adolescent et les
effets secondaires des chimiothérapies anti-
cancéreuses, mais il est possible que de nou-
veaux essais viennent démontrer l’utilité de
l’hypnose dans d’autres indications.»
p
P. Sa.
FRANCK CHARTRON
5
0123
Mercredi 22 janvier 2014
1 / 3 100%

Le réveil de l`hypnose médicale - Coma Science Group

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !