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SCIENCE &MÉDECINE
En anesthésie, l’hypnose permet, en effet, de
réduire l’inconfort et les médicaments. Ainsi le
docteur Galy diminue-t-il les doses de sédatif
oud’analgésiqueen anesthésie locale. Leretour
audomicile et àune activitéprofessionnelleest
plus rapide. De plus, pour l’artère carotide, «la
chirurgie sous anesthésie locale permet de sur-
veillerl’étatneurologiquedu patient durant tou-
te l’intervention, en particulier au moment du
“clampage carotidien” [pendant l’acte de répa-
ration de l’artère malade].Les accidents neuro-
logiques surviennentprincipalementvers la troi-
sième minute. Le fait de maintenir le patient
éveillé permet de prévenir ces accidents», expli-
que le chirurgien Samy Anidjar. Les patients,
parce qu’on s’intéresse àeux, qu’une personne
leurparlependantles soins,sont plusdétendus
et ont le sentiment d’être mieux pris en charge.
Cet outil renforce l’effet des médicaments.
Outre l’anesthésie, l’hypnose est utilisée
pour soulager les douleurs aiguës (grands
brûlés…). Ses indications se sont également
étendues aux douleurs chroniques (migraines,
lombalgies, douleurs cancéreuses…), puis aux
dépressions, phobies, troubles du comporte-
ment alimentaire, troubles sexuels, insomnies,
stress, addictions, arrêt du tabac… L’hypnose
est aussi utile pour les douleurs dites fantômes
(de membres amputés ou paralysés). Les
enfants ysont plus réceptifs, explique le doc-
teur Chantal Wood, qui adémocratisé l’hypno-
se àl’hôpital Robert-Debré, puis arejoint, fin
2013, le centre de lutte contre la douleur du
CHU de Limoges.
«J’ai vu en consultation une jeune fille de
15 ans qui avait appris neuf mois plus tôt, de
façon très brutale, la mort de son meilleur ami
paraccident,raconte le docteurCatherineBou-
chara,responsabled’une consultationd’hypno-
se médicale au Pavillon de l’enfant et de l’ado-
lescent de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à
Paris. Depuis, elle souffrait de trichotillomanie,
s’arrachantles cheveux de façoncompulsive.Au
cours d’une première séance, nous avons évo-
qué le contexte. Aladeuxième, en état hypnoti-
que, elle m’a dit :“Un lien aété coupé.”Nous
avons parlé des liens, ce qui se noue et se
dénoue… En sortie de séance, elle était dans un
état d’apaisement,deconfiance… L’histoire est
en cours de résolution.»
Cet état de conscience modifiée permet d’ac-
tiver ses ressources, de porter son attention sur
un événement agréable pour diminuer les sen-
sations de stress. Ce lundi 13 janvier, au CHU de
Liège, six femmes âgées de 35 à65ans, touchées
par un cancer du sein, participent ainsi àune
premièresessiondedeuxheures sur l’hypnose.
Il s’agit d’un projet de recherche. Elles auront
six séances, une tous les quinze jours. Animés
par la professeure Faymonville, ces groupes
ont démarré en 2013. Il yaura 120 participantes
en tout.
«Lafaçon dont l’hypnose est proposée au
patient est très importante »,insiste la profes-
seure Faymonville. La première session consis-
te àdonner des tâches aux participantes, qui ne
connaissent que peu ou pas l’hypnose. «L’étu-
de m’a été présentée comme un outil pour
apprendre àêtre bienveillante envers moi-
même», explique Valérie Loriaux, mère de
trois enfants. Très tournée vers des techniques
complémentairesde lamédecineclassique,cet-
tefemmede 45 ansse ditconvaincueque l’hyp-
nose peut aider àaméliorer sa qualité de vie.
Dèsladeuxième session, la professeure Fay-
monvilleproposera des exercicesd’autohypno-
se,quipermettentdelapratiquerde façonauto-
nome. De même, dans le cadre du traitement
de la douleur chronique, huit séances de deux
heures en deux ans sont proposées àdes
patients.
«Avec l’autohypnose, l’objectif est de rendre
le patient plus autonome. Cela aaussi des effets
positifs sur l’observance du traitement »,indi-
que Grégory Tosti, praticien au centre d’évalua-
tion et du traitement de la douleur àl’hôpital
Ambroise-Paré(Boulogne-Billancourt). Il pro-
pose en moyenne cinq àdix séances en consul-
tation, de l’autohypnose ensuite, puis une
consultation une àdeux fois par an.
Le personnel médical aussi arecours àl’hyp-
nose pour se sentir mieux et éviter le burn-out.
Uneétude coordonnée par le CHU de Nîmes a
démarré fin 2013 auprès de 400 soignants. Des
testssont réalisés au début de la formation, àla
fin et six mois plus tard. Les résultats prélimi-
naires seront présentés en août 2015, lors du
congrès de la Confédération francophone
d’hypnose et de thérapies brèves et de la Socié-
té internationale d’hypnose.
De même,àAix-en-Provence, c’est tout l’hô-
pitalquise convertitàl’hypnose.Unesoixantai-
ne de professionnels ont été ou seront formés
d’ici àlafin de l’année. La formation est finan-
cée pour moitié par la Fondation Apicil contre
la douleur. «Lebut est une meilleure prise en
charge des patients douloureux»,explique le
docteurDelphine Baudoin,neurologue,respon-
sable de l’unité douleur du centre hospitalier
du pays d’Aix, qui mène ce projet depuis 2010.
«Cet outil permet de remettre la relation théra-
peutique au premier plan, ce qui apporte un
bien-être pour les équipes », constate le docteur
Baudoin. C’est aussi utile pour les patients qui
nepeuventpasprendrede médicaments en rai-
son de leurs effets secondaires.
La gériatrie fait aussi appel àl’hypnose. Le
docteur Aurore Burlaud, de l’hôpital Paul-
Brousse (Villejuif), acommencé des consulta-
tions sur la mémoire en mars 2013, ouvertes
aux malades comme aux «aidants ». «Un
patient se plaignait du “manque du mot”;jelui
ai proposé de faire mentalement du ski, sport
qu’il adore, et de refaire quelques virages àcha-
quefois qu’il bloquait sur un mot,relate le doc-
teur Burlaud. Cela afonctionné. »Il faut essayer
detrouverle canalsensoriel qui vafonctionner,
de détourner l’attention. «L’idée est aussi de
diminuer la prise de psychotropes et d’hypnoti-
ques»,explique-t-elle.
Certes, tout le monde n’est pas «éligible »à
l’hypnose;ilyaurait 5% à10% de résistants.
Elle est aussi contre-indiquée lors de graves
troubles de la personnalité –lecontexte même
où Charcot l’utilisait !Certains patients sont
assez sceptiques àlapremière consultation
mais adhèrent ensuite, comme les patients
ayant eu un accident cardio-vasculaire, selon le
docteur Alain Cassagnau, qui leur propose des
consultations àl’hôpital de Nemours.
Despraticiensysontréticents.Pourtant,sou-
ligne le docteur Galy, «cette technique aun
atout supplémentaire:elle entre dans le concert
actuel de réduction des dépenses de santé, puis-
qu’elle réduit la prescription de médicaments et
les durées d’hospitalisation». Un message qui
devrait plaire àlaministre de la santé, Marisol
Touraine.
p
Outre l’anesthésie
et les douleurs aiguës,
les indicationssesont étendues
aux douleurs chroniques,
et àdenombreux autres troubles
Des formations
àhomologuer
L
’hypnose afait son entrée àl’université
depuis une dizaine d’années. Il existe
aujourd’hui une quinzaine de diplômes
universitaires (DU) en France. Un diplôme
inter-universitaire (DIU) pourrait être créé
pour la rentrée 2015, précise le docteur Jean
Becchio, directeur du DU hypnose clinique à
Paris-XI. Il areçu 320 demandes cette année
pour… 20places.
De même, l’Institut privé de formation
Emergences, créé en 2001 par le psychiatre
Claude Virot, prochain président de la Société
internationale de l’hypnose, va former
500personnes sur l’année 2013-2014. Des ses-
sions de formation plus courtes sont aussi
proposées dans les hôpitaux. Un quart de la
centaine de projets financés en 2013 par la
Fondation Apicil contre la douleur concernait
l’hypnose, soit environ 600 soignants formés
depuis 2006, précise Nathalie Aulnette, sa
directrice.
La plupart des soignants formés àl’hypno-
se l’utilisent au quotidien dans leur pratique
comme un outil parmi d’autres. Il existe, en
revanche, des consultations spécialisées et
nombre de thérapeutes libéraux. La Confédé-
ration francophone d’hypnose et de théra-
pies brèves, qui réunit une trentaine d’associa-
tions, dit représenter environ 3000 prati-
ciens en France, en Belgique, en Suisse et au
Québec.
«Ilfaut être très vigilant »
La quasi-totalité de ces formations est réser-
vée aux médecins, dentistes, psychologues,
infirmiers. «Ces approches doivent rester
entre les mains de personnes ayant une gran-
de compétence professionnelle. Nous sommes
persuadés qu’on peut aider avec des mots ;
mais on peut également détruire avec des
mots. Il faut être très vigilant, insiste le profes-
seur Marie-Elisabeth Faymonville, du CHU de
Liège (Belgique). Certaines personnes suivent
une formation et s’octroient le titre d’“hypno-
thérapeutes” sans pour autant être psycholo-
gues ou psychothérapeutes. Cela m’interpelle.
Il n’y apas de réglementation dans ce domai-
ne. Or, cela peut être dangereux.»L’hypnose a
été pointée du doigt par le rapport de la mis-
sion interministérielle de vigilance et de lutte
contre les dérives sectaires (Miviludes) en
avril2013. «Ilfaut, en effet, une éthique irrépro-
chable», ajoute le docteur Chantal Wood, du
centre de lutte contre la douleur du CHU de
Limoges.
L’hypnose ne fait l’objet àcejour d’aucun
encadrement légal, mais la jurisprudence la
considère comme un acte médical. Pourtant,
«c’est devenu une discipline reconnue»,affir-
me le psychiatre et enseignant Gérard Salem,
coauteur de Soigner par l’hypnose (Elsevier-
Masson, 2012). «Ilexiste un corpus d’éléments
pour une reconnaissance officielle », insiste le
docteur Virot. Longtemps frileuse, l’Acadé-
mie de médecine arendu un avis plutôt posi-
tif en mars2013 :«Les indications les plus inté-
ressantessemblent être la douleur liée aux ges-
tesinvasifs chez l’enfant et l’adolescent et les
effets secondaires des chimiothérapies anti-
cancéreuses, mais il est possible que de nou-
veaux essais viennent démontrer l’utilité de
l’hypnose dans d’autres indications.»
p
P. Sa.
FRANCK CHARTRON
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0123
Mercredi 22 janvier 2014