d’un dépistage de masse, aux modalités (rythme et séquence
d’examens utilisés) et aux critères (limites d’âge, facteurs de
risque spécifiques, etc.) des stratégies de dépistage renvoient
en fait aux difficultés de fixer des seuils économiques à l’allo-
cation des ressources pour telle ou telle intervention.
L’économie publique nous enseigne qu’un investissement col-
lectif se justifie jusqu’à ce que son coût marginal pour
l’ensemble des agents économiques concernés devienne égal à
son bénéfice marginal ; au-delà de ce point, on peut être cer-
tain que les ressources seraient mieux employées ailleurs
(c’est-à-dire qu’elles contribueraient plus efficacement au
bien-être collectif), même si la poursuite de l’investissement
continue, dans l’absolu, à procurer certains bénéfices (1).
L’objectif de ces études est d’obtenir un indicateur synthétique
permettant d’intégrer les avantages et les ressources mobilisés
pour atteindre ces avantages. Leur ambition est de permettre
de comparer des interventions différentes à partir de l’indica-
teur ainsi construit.
Il est évident que l’analyse économique normative ne permet
pas de fixer unilatéralement des seuils pour l’action de dépis-
tage. En l’absence justifiée de marché libre de l’assurance
maladie, elle ne dispose pas d’instrument de mesure parfaite-
ment objectif de la valeur que la société associe à des béné-
fices marginaux tels que la découverte précoce d’un cancer in
situ ou micro-invasif, ou même une année de vie gagnée. Elle
peut toutefois contribuer à éclairer les conséquences des choix
de différents systèmes de valeurs.
Évaluations de “gestion”
Elles visent plutôt à éclairer la façon dont les programmes
réels remplissent ou non les objectifs fixés, et à repérer, afin
d’y remédier, d’éventuels écarts par rapport aux conditions
optimales fixées par les approches précédentes. C’est à ce
deuxième niveau que se situent, par exemple, les travaux
d’évaluation actuellement en cours sur les programmes de
dépistage mammographique organisés conjointement par
l’assurance maladie et les Conseils généraux, ou que doivent
être comparés les mérites respectifs de telle ou telle forme spé-
cifique d’organisation du dépistage (modalités d’invitation,
modes de coordination entre les différents acteurs médicaux,
moyens techniques plus ou moins décentralisés ou mobiles,
etc.). Nombre de confusions sont liées à un mauvais va-et-
vient entre ce niveau d’analyse gestionnaire et l’approche pré-
cédente d’optimisation.
Par exemple, parmi les variables susceptibles d’affecter les
ratios coût-efficacité de différentes stratégies de dépistage, il
est évident que l’acceptabilité des examens utilisés et plus lar-
gement de la participation au programme va constituer un élé-
ment important : il est donc indispensable de comparer les dif-
férentes stratégies, à niveau d’acceptabilité identique, quitte à
pratiquer une analyse de sensibilité pour déterminer dans
quelle mesure des hypothèses différentes sur la compliance
aux différentes stratégies affectent la hiérarchie des ratios
coût-efficacité. Bien évidemment, cette analyse de sensibilité
sera d’autant plus éclairante que certaines de ces hypothèses
sont validées comme correspondant à une réalité observée
dans la pratique des dépistages.
L’objectif de ces études est de vérifier sur le terrain la réalité
des hypothèses formulées, d’identifier les écarts par rapport à
une norme préalablement définie, d’essayer d’en analyser les
causes, voire de pointer des solutions pour améliorer le fonc-
tionnement global du système. C’est à ce niveau que l’on peut
opposer l’efficacité théorique (efficacy) définie au niveau 1 et
l’efficacité observée (effectiveness), le terme efficience (effi-
ciency) sous-entendant un rapport de l’efficacité à un coût et
pouvant également être l’objet de différences entre une effi-
cience attendue et une efficience observée.
Évaluation “prescriptive”
Cette dernière vise à déterminer les contraintes et incitations
financières et organisationnelles le mieux à même de promou-
voir une utilisation plus rationnelle des ressources consacrées à
un système de soins qui, pour des raisons structurelles,
échappe à la régulation par le marché. En matière de dépistage
de masse, la question se pose de la supériorité, en termes
d’efficacité et d’allocation des ressources, d’un dépistage orga-
nisé par rapport à une diffusion des actes de dépistage et de
diagnostic précoce totalement laissée au libre arbitre du pres-
cripteur. L’objectif de ces études est d’envisager l’impact sur
le système étudié d’éventuelles modifications du contexte en
termes d’organisation, de règles juridiques ou financières.
Obstacles rencontrés par le dépistage pour susciter l’adhé-
sion et garantir l’accès de certaines catégories d’individus ou
groupes socio-culturels
En cette matière, les approches psycho-sociologiques insistent
plutôt sur l’existence de biais cognitifs (sous-estimation indi-
viduelle du risque, incompréhension de la notion de probabi-
lité, etc.) qui conduisent à une mauvaise assimilation de
l’information censée motiver le recours au dépistage ou décou-
ler de celui-ci. Les approches sociologiques, notamment d’ins-
piration marxiste ou durkheimienne, insistent plutôt sur les
déterminants collectifs qui peuvent, par exemple, expliquer le
moindre recours à la prévention médicalisée constaté dans les
couches populaires [et par exemple la persistance d’un
moindre recours à la mammographie ou au frottis cervico-
vaginal chez les femmes de faible niveau d’éducation en
l’absence de dépistage organisé (4)], ou sur les trajectoires
socio-historiques qui peuvent expliquer les stratégies des
acteurs impliqués.
Mais, parce qu’elle est familière de la modélisation des com-
portements individuels face au risque et à l’incertitude, la théo-
rie économique (dite théorie de l’utilité espérée et ses divers
dérivés) peut aussi s’avérer éclairante. Elle peut aider à repérer
les motivations qui conduisent un individu à rationnellement
choisir de s’exposer à un risque (par exemple en préférant aug-
menter de façon infinitésimale sa probabilité de développer à
long terme un mélanome malin en s’exposant au rayonnement
ultraviolet pour bénéficier à court terme de l’augmentation de
bien-être que lui procurent bronzage et bains de soleil) ou de
refuser de consacrer du temps à un dépistage, même si celui-ci
est gratuit. L’objectif de ces études est d’analyser les compor-
tements des individus en insistant sur l’hétérogénéité des choix
et sur leurs déterminants.
DOSSIER
14
La Lettre du Sénologue - n° 6 - novembre 1999