
Aujourd’hui, nos vies ont
souvent quelque chose
de dispersé. Nous passons en
un temps infime d’une chose
à une autre – ou d’un groupe,
avec ses habitudes et ses
questions, à un autre, souvent
tout à fait diérent. Ce qui
vaut ici vaut rarement là,
ce qui se dit ici ne s’entend
pas là. Ainsi le monde des
grands-parents n’a plus
grand-chose en commun avec
celui dans lequel évoluent leurs
petits-enfants, la vie de famille
est souvent contradictoire
avec les rythmes du travail
et il n’y a rien d’évident à lier
notre expérience professionnelle,
nos décisions politiques, nos
diérents lieux d’expression,
groupes d’amis, loisirs, plaisirs.
Et toujours le temps presse,
toujours l’urgence s’impose.
Aujourd’hui, dans le même
temps, il semblerait que tout
soit lié. Nous découvrons que
nos comportements sociaux
ou nos achats les plus ordinaires
ont des implications écologiques,
parfois politiques, parfois
éthiques. Que les questions
de santé ne sont pas plus
scientifiques que politiques
et financières et que les
enjeux sportifs sont à la fois
économiques, géopolitiques,
médicaux, pédagogiques
et folkloriques, par exemple.
Il nous semble devoir désormais
sans cesse arbitrer entre le facile,
l’agréable et le responsable,
comme si cela s’opposait.
Bref, notre vie sociale apparaît
comme un écosystème aussi
complexe que ce que nous
appelions la nature, fait
d’interactions multiples
et liées les unes aux autres.
Cette dispersion et cette
responsabilité étendue, ce grand
mélange et ce temps sans cesse
plus accéléré, nous lui avons
donné le nom de crise. Nous
sommes en crise, la crise perdure,
bientôt la fin de la crise qui n’en
finit pas de finir. Cette crise est
financière, elle nous interpelle
sur la répartition des richesses,
au sein de l’entreprise et
de la société comme à l’échelle
du globe. Mais l’horreur des
guerres au Moyen-Orient et
les récents attentats en Europe
rappellent, s’il en était besoin et
au-delà des brèves mobilisations,
que ce n’est pas seulement
une question économique.
Le théâtre que nous avons rêvé,
nous l’avons imaginé pour
ce temps-là. Il est diérent
de celui des années passées
durant lesquelles le monde
se présentait diéremment
et il ne fait pas comme si
nos inquiétudes et nos doutes
étaient derrière nous, ni comme
si nous avions la solution
magique à tel ou tel problème.
Le rassemblement dans un
théâtre et le temps passé
dans un lieu d’art ont alors,
dans l’époque qui est la nôtre,
une saveur diérente.
Que partageons-nous avec
nos aïeux, avec nos enfants,
nos voisins, les habitants de
notre ville ? Qu’est-ce qui lie nos
vies avec la forêt amazonienne,
les brouillards scandinaves, les
lotissements de banlieue, les
routes sinueuses des migrants
de Calais ou de Lampedusa ?
Qu’est-ce qui rapproche les
membres d’une communauté,
et comment des groupes
aux histoires et aux modes
de vie diérents peuvent-ils
cohabiter ? Qu’attendre de
demain, qu’est-ce qui serait
pour nous un monde meilleur ?
Que faire avec le passé ?
Est-il un modèle ou ce qu’il
faut fuir et ne pas répéter ?
Pourquoi une légende anglaise,
une exploration du sous-sol
ou la mémoire des guerres,
un voyage dans l’espace ou le
visage d’un enfant, promesses
du futur, semblent-ils nous
parler autant de nous-mêmes ?
Cette nouvelle saison
reformulera quelques-unes de
ces questions qui traversaient
déjà les rencontres et les
spectacles présentés l’année
dernière. Celle-ci sera faite
de spectacles – des créations
comme des pièces du répertoire
contemporain, parce qu’il est
aussi nécessaire de prendre
le risque de la création que de
donner le temps aux œuvres de
vivre – d’expositions, d’ateliers,
de rencontres, de débats,
de laboratoires. Ces diérents
temps auxquels nous vous
convions ont en commun
d’explorer le monde dans lequel
nous vivons. Se répondant
et se complétant les uns les