DéCRYPTAGE Gérer les aléas Les DROM constituent un laboratoire de recherche exceptionnel pour l’étude des aléas naturels ainsi que des risques technologiques et sanitaires. > par Franck Lavigne, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, sous-directeur du laboratoire de géographie physique, UMR 8591 Meudon les outre-mer français • TDC n o 1017 16 L e terme de risque majeur désigne la possibilité pour un événement d’origine naturelle ou accidentelle de produire des conséquences pouvant dépasser les capacités de réaction de la société. Un événement potentiellement dangereux, l’aléa, ne devient un risque majeur que s’il se produit à un moment et dans une zone où il se présente des enjeux humains, économiques et environnementaux. Les catastrophes surviennent le plus souvent là où la vulnérabilité est la plus grande, cette vulnérabilité étant l’appréciation de la sensibilité à un type d’effet des cibles présentes dans la zone. Dans la France d’outre-mer, la notion de risque majeur couvre un champ d’aléas très large que l’on peut regrouper en trois grands types : les risques climatiques et hydroclimatiques, les risques d’origine tellurique et enfin les risques technologiques et sanitaires. Risques météorologiques : cyclones tropicaux et aléas induits Un cyclone tropical est une dépression très creusée qui prend forme dans les océans de la zone intertropicale. La formation d’un cyclone tropical est tributaire d’un cumul de facteurs d’ordres géographique (distance d’au moins 500 km de l’équateur), météorologique et hydrologique (eau de mer chaude). Toutes ces conditions sont réunies dans la plupart des îles et archipels français d’outre-mer. Les cyclones, dont les vents dépassent 117 km/h, sont répartis en cinq catégories, la dernière regroupant les phénomènes les plus violents. Erika, de catégorie 4, a ravagé la Nouvelle-Calédonie en mars 2003, faisant deux victimes. Outre la Réunion, les plus grosses catastrophes ont eu lieu aux Antilles, où les cyclones ont fait plusieurs milliers de morts au xviiie siècle et plus de mille en 1928. En raison des progrès de la prévention, les pertes sont désormais essentiellement matérielles : Un champ d’aléas très large les dégâts liés au passage d’Hugo en Guadeloupe en 1989 ont atteint 4 milliards de francs (610 millions d’euros). Impuissantes face à l’arrivée d’un cyclone, les autorités des DROM parviennent néanmoins à en prévenir les risques. Saint-Denis de la Réunion héberge un centre météorologique régional spécialisé de l’Organisation météorologique mondiale, qui a pour vocation de détecter les cyclones, de prévoir leur trajectoire (voir p. 19) et de diffuser des messages d’alerte (voir tableau ci-contre). Une difficulté de gestion résulte de l’occurrence d’aléas secondaires induits par les cyclones, notamment les précipitations très abondantes, elles-mêmes sources de dommages causés par les inondations, les glissements de terrain et les coulées boueuses. À la Réunion (voir p. 18), des mouvements de terrain se produisent fréquemment sur la route du Littoral et dans les cirques (65 morts à Salazie en 1875). Les zones côtières, notamment les atolls de Polynésie française, de Micronésie ou de Mélanésie, sont extrêmement exposées aux élévations du niveau de la mer liées aux cyclones ou aux tempêtes plus lointaines. Les inondations, d’origine cyclonique ou non, touchent l’ensemble des DROM. En Guyane, plus de mille personnes ont dû évacuer leurs maisons inondées par une crue du fleuve Maroni en juin 2008, mais, grâce à une bonne culture du risque chez les populations riveraines, la crue n’a fait qu’une seule victime. Le risque volcanique Le risque volcanique est présent aux Antilles, à la Réunion et en Polynésie avec le volcan sousmarin de Teahitia à 80 km de Tahiti. Comme ces volcans sont de natures différentes, le risque est plus ou moins important. Le piton de la Fournaise à la Réunion est basaltique, lié à un point chaud au dynamisme éruptif essentiellement effusif. Ses éruptions sont © tal/rue des archives Phases de l’alerte cyclonique aux Antilles françaises Action 1 – Détection > 72 h Mise en garde des services administratifs 2 – Vigilance De 48 h à 72 h Diffusion de l’information au public 3 – Préalerte De 24 h à 36 h La population doit se tenir sur ses gardes De 6 h à 8 h Cessation de toute activité et mise à l’abri immédiate de la population Pendant le passage du cyclone Interdiction de toute circulation 4 – Alerte 5 – Confinement L’alerte est légèrement différente à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie (vigilance ou préalerte, alertes orange et rouge). éruption de la montagne Pelée. ❯ très fréquentes (récurrence toutes les deux ou trois années) et se traduisent par des coulées de lave, dont 97 % à l’intérieur de la caldeira (l’Enclos). Bien que cette zone soit inhabitée, elle est visitée chaque année par des dizaines de milliers de touristes, qui font parfois preuve d’imprudence. Pendant une éruption, la gestion des accès nécessite un compromis entre la sécurité des personnes et les possibilités d’observation du spectacle offert par les épanchements de lave. De plus, certains villages sont menacés par des éruptions « hors Enclos ». La montagne Pelée et la Soufrière de Guadeloupe (voir p. 18) sont des volcans andésitiques situés sur une zone de subduction. Le dynamisme éruptif est par conséquent de type explosif, avec toute une gamme d’aléas volcaniques primaires (projections de blocs, retombées de cendres, nuées ardentes, etc.) ou induits (avalanches de Le 8 mai 1902, le réveil du volcan martiniquais fait plus de 30 000 victimes. Séismes et tsunamis En raison de leur contexte géologique, certains DROM ont une sismicité régionale assez élevée. Les séismes les plus violents frappent surtout les Antilles. En 2007, un séisme de magnitude 7,3 n’a fait qu’une victime, car l’épicentre, proche de la Martinique, était situé à 170 km de 17 TDC n o 1017 • les outre-mer français Délai avant l’arrivée du cyclone sur les côtes Phase de l’alerte débris, lahars ou coulées de débris volcaniques, tsunamis, etc.). La fréquence des éruptions est assez faible : il était admis jusqu’ici que les éruptions phréatiques se produisaient tous les cinquante ans en moyenne et environ tous les mille ans pour les éruptions magmatiques. Cependant, des études récentes ont montré que l’activité passée du volcan a été grandement sous-estimée. Ainsi, des éruptions similaires à celle de la montagne Pelée en 1902, dont les nuées ardentes ont fait 31 000 victimes, pourraient se reproduire bien plus rapidement que prévu. Or les volcans actifs des Antilles françaises menacent de nos jours directement près de 200 000 personnes, voire plus dans le cas d’éruptions pouvant impliquer des effondrements de flancs. Face à ces menaces, les trois grands volcans actifs français sont surveillés et instrumentés. Ils font l’objet d’études poussées de la part des scientifiques, qui combinent des scénarios d’éruption par modélisation et des travaux sur la vulnérabilité du bâti, des réseaux et des populations exposées (programme Casava, Compréhension et analyse des scénarios, aléas et risques volcaniques aux Antilles). Seule une connaissance globale permettra de gérer efficacement une éventuelle crise éruptive sans reproduire les erreurs du passé telle la gestion de crise catastrophique lors de l’éruption de la Soufrière en 1976. Les risques sanitaires Même si les risques sanitaires et technologiques sont relativement limités par rapport à ceux liés aux aléas naturels, ils sont néanmoins bien présents dans les DROM. La situation insulaire de la quasi-totalité des DROM permet de prendre des mesures de prévention efficaces contre les épidémies. À l’exception du virus H1N1, qui a préoccupé les autorités compétentes ces dernières années, et du paludisme, qui sévit le long des cours d’eau de Guyane, ce sont la dengue et le chikungunya qui représentent les risques sanitaires les plus élevés. Dans les © komorowski et al. ❯❯ Les effets induits des cyclones. L’aléa mouvement de terrain à la Réunion. Le risque volcanique. ❯ les outre-mer français • TDC n o 1017 18 profondeur (contre une dizaine de kilomètres seulement en Haïti en 2010). Aucun gros dégât n’a ainsi été déploré, contrairement au séisme moins profond du 8 février 1843 qui dévasta la Guadeloupe, faisant 1 100 victimes. Cette région du monde est aussi sujette à des tsunamis, d’origine régionale (1767, 2003, 2004) ou plus lointaine (tsunami engendré par le séisme de Lisbonne en 1755). Des séismes de plus faible magnitude se produisent dans la plupart des autres DROM. Par exemple, les secousses qui se produisent sur l’arc du Vanuatu sont ressenties en Nouvelle-Calédonie, comme le 14 janvier 2011 lorsqu’un séisme de magnitude 7,3 a frappé le territoire pendant la tempête tropicale Vania. Le 18 novembre 1929, un séisme de magnitude 7,2 s’est déclenché à environ 250 km au sud de SaintPierre-et-Miquelon. Il a engendré un important glissement sous-marin à l’origine d’un tsunami dévastateur. Des séismes volcaniques, de plus faible intensité, frappent régulièrement la Réunion. Afin d’en anticiper les effets, des réseaux de surveillance régionaux (sismomètres larges bandes, Réseau accélérométrique permanent, etc.) ont été mis en place dans les DROM les plus exposés. Des microzonages urbains ont aussi été effectués dans le cadre du plan Séisme Antilles ou à Nouméa, afin de cartographier des zones de réponse sismique homogène et d’estimer la vulnérabilité du bâti et les principaux enjeux. Quel que soit le territoire français concerné, il est exposé au risque de télétsunamis (transocéaniques), issu de sources sismiques lointaines. Plusieurs bateaux ont ainsi été coulés dans les ports de la Réunion lors de tsunamis déclenchés en Indonésie en 1883 (éruption du volcan Krakatoa), en décembre 2004 et le 26 octobre 2010. Depuis soixante ans, la Nouvelle-Calédonie a quant à elle été touchée par quatre télétsunamis et au moins huit tsunamis régionaux. En matière de prévention, le centre de surveillance des tsunamis de Tahiti donne l’alerte dans toutes les îles françaises du Pacifique, en relais avec le réseau global basé à Hawaii. Enfin, des modélisations numériques permettent de calculer le temps de propagation de télétsunamis à partir de sources sismiques potentielles. © BRGM - www.brgm.fr - autor.r11/13ed DéCRYPTAGE Les aléas volcaniques sur la Soufrière de la Guadeloupe. deux cas, le virus est transmis à l’homme par des moustiques du genre Aedes. La première épidémie de dengue a été décrite en 1635 dans les Antilles françaises. Il existe quatre formes ou sérotypes de dengue (Den-1, 2, 3 et 4). Depuis 1943, six grandes épidémies ont touché la Nouvelle-Calédonie et dix la Polynésie française. Dans ce dernier archipel, l’épidémie de 2001 a duré dix mois, touchant 33 000 personnes et faisant 8 victimes. En 2010, les Antilles françaises ont été frappées par la plus importante épidémie de la décennie dans cet archipel (22 victimes parmi les 86 000 personnes infectées). Le gouvernement français a mobilisé l’armée afin d’intensifier la lutte contre les moustiques, principaux vecteurs de la maladie. Le chikungunya est une maladie infectieuse tropicale dont le nom signifie « qui marche courbé en avant » en langue makonde de Tanzanie. Ce nom © Lavigne et sahal Les risques technologiques majeurs Il s’agit principalement du risque d’explosion, susceptible de libérer une grande quantité de produits chimiques, et du risque de rupture de barrage. Les DROM ne concentrent qu’une cinquantaine d’établissements classés Seveso II parmi les quelque 1 200 inventoriés en France en 2010 (et une trentaine sur les 657 considérés comme particulièrement dangereux). Ceux-ci concernent les raffineries (Martinique), les stockages d’hydrocarbures liquides et liquéfiés (Nouméa), le secteur froid (ammoniac) comme à Cayenne ou en Martinique, etc. Ces installations sont le plus souvent concentrées géographiquement : la zone du Port à la Réunion, l’agglomération foyalaise en Martinique, Jarry en Guadeloupe, Nouméa en NouvelleCalédonie, etc. Selon cette logique de concentration, un accident majeur dans ces secteurs pourrait ainsi paralyser une grande partie de l’économie insulaire et avoir des impacts forts sur la population nombreuse vivant à proximité. Pour limiter les risques technologiques proches de Papeete, les vingt cuves existantes à Fare Ute, qui datent de la présence des forces américaines en Polynésie française dans les années 1930, sont en ❯ Prévoir la trajectoire des cyclones. Direction suivie par onze cyclones ayant affecté la Nouvelle-Calédonie depuis un demi-siècle. Le chikungunya est réapparu à la Réunion en 2010 savoir ● DESPEYROUX J. et GODEFROY P. Nouveau zonage sismique de la France. Délégation aux risques majeurs, Premier ministre et ministère de l’Environnement. Paris : La Documentation française, 1986. ● DUBOIS Jacques. Volcans actifs français et risques volcaniques : Martinique, Guadeloupe, Réunion. Paris : Dunod, 2007 (coll. UniverSciences). ● LAVIGNE Franck, SAHAL Alexandre. « La réalité des risques majeurs en Nouvelle-Calédonie », in FABERON Jean-Yves, CHERIOUX Bernard (sous la dir. de), Les Risques majeurs : quelles réponses institutionnelles en Nouvelle-Calédonie ?, actes du colloque des 22 et 23 octobre 2010. Nouméa : Institut de recherche pour le développement, 2011. 19 TDC n o 1017 • les outre-mer français évoque la posture adoptée par les malades en raison des intenses douleurs articulaires. Dans l’océan Indien, aucune activité de ce virus n’a été détectée avant le début de l’année 2005. Sans doute importé par des voyageurs en provenance d’Afrique de l’Est, il a d’abord entraîné une épidémie aux Comores. À partir de mars 2005, l’épidémie s’est propagée à la Réunion, avec une flambée importante entre fin avril et début juin. Sur cette île, le virus est transmis principalement par le moustique Aedes albopictus qui colonise indifféremment les zones urbaines et forestières, les sites artificiels et naturels. Environ 270 000 personnes auraient été infectées par cette épidémie, soit un tiers des habitants de l’île. Presque éradiqué, le chikungunya est réapparu à la Réunion en 2010 avec quelques nouveaux cas. cours de démontage et six de plus grande capacité seront construites sur les terre-pleins de la zone récifale est. En Guyane, un accident à Kourou (produits pétroliers, dépôts d’explosifs) pourrait également avoir des conséquences graves sur la population et sur l’environnement. Quelques barrages hydroélectriques stockant de gros volumes d’eau, comme ceux de Yaté en Nouvelle-Calédonie ou de Petit-Saut en Guyane (le plus grand lac de retenue avec 350 km²), présentent une menace en cas de rupture. La construction de Petit-Saut au début des années 1990, sans déforestation préalable du site, a également entraîné des problèmes environnementaux accrus, liés au rejet de sulfure d’hydrogène, de dioxyde de carbone et de méthane en grosses quantités. Une autre source de pollution de l’air, mais aussi des brumes, des pluies, de l’eau et des sédiments, provient de la libération du mercure naturel contenu dans le sol (huit fois plus qu’en métropole) par le traitement aurifère. Ce mercure naturel s’ajoute aux importantes quantités évaporées par les orpailleurs. Afin de réduire les risques technologiques, plusieurs mesures ont été prises : information préventive du public, mesures techniques et organisationnelles mises en œuvre par les exploitants sous le contrôle de l’inspection des installations classées, dispositifs de surveillance mis en place autour des barrages, modélisations hydrauliques de la propagation de l’onde de rupture, etc. Les risques majeurs dans les DROM sont nombreux et de natures variées. Les populations sont habituées à certains aléas d’intensité modérée, comme des cyclones de classe inférieure à 3, des petits séismes ou des inondations. Cependant, des phénomènes plus violents, mais de récurrence plus faible, peuvent s’avérer catastrophiques, comme l’ont montré l’éruption de la montagne Pelée en 1902 ou le cyclone Erika en 2003. D’autres aléas identifiés dans le passé restent encore peu connus et insuffisamment étudiés, en particulier les séismes, les éruptions volcaniques et les tsunamis. Ayant pris conscience de ces lacunes, la communauté scientifique française se mobilise à travers plusieurs programmes de recherche. ●