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LES OUTRE-MER FRANÇAIS
TDC NO 1017
DÉCRYPTAGE
Le terme de risque majeur désigne la possibi-
lité pour un événement d’origine naturelle
ou accidentelle de produire des consé-
quences pouvant dépasser les capacités de
réaction de la société. Un événement poten-
tiellement dangereux, l’aléa, ne devient
un risque majeur que s’il se produit à un
moment et dans une zone où il se présente des
enjeux humains, économiques et environnemen-
taux. Les catastrophes surviennent le plus souvent
où la vulnérabilité est la plus grande, cette vulné-
rabilité étant l’appréciation de la sensibilité à un
type d’effet des cibles présentes dans la zone.
Dans la France d’outre-mer, la notion de
risque majeur couvre un champ d’aléas très large
que l’on peut regrouper en trois grands types : les
risques climatiques et hydroclimatiques, les
risques d’origine tellurique et enfin les risques
technologiques et sanitaires.
Risques météorologiques : cyclones
tropicaux et aléas induits
Un cyclone tropical est une dépression très
creusée qui prend forme dans les océans de la
zone intertropicale. La formation d’un cyclone
tropical est tributaire d’un cumul de facteurs
d’ordres géographique (distance d’au moins
500 km de l’équateur), météorologique et hydro-
logique (eau de mer chaude). Toutes ces condi-
tions sont réunies dans la plupart des îles et archipels
français d’outre-mer.
Les cyclones, dont les vents dépassent 117 km/h,
sont répartis en cinq catégories, la dernière regrou-
pant les phénomènes les plus violents. Erika, de
catégorie 4, a ravagé la Nouvelle-Calédonie en
mars 2003, faisant deux victimes. Outre la
Réunion, les plus grosses catastrophes ont eu lieu
aux Antilles, où les cyclones ont fait plusieurs
milliers de morts au e siècle et plus de mille en
1928. En raison des progrès de la prévention, les
pertes sont désormais essentiellement matérielles :
les dégâts liés au passage d’Hugo en Guadeloupe
en 1989 ont atteint 4 milliards de francs (610
millions d’euros).
Impuissantes face à l’arrivée d’un cyclone, les
autorités des DROM parviennent néanmoins à en
prévenir les risques. Saint-Denis de la Réunion
héberge un centre météorologique régional spécia-
lisé de l’Organisation météorologique mondiale,
qui a pour vocation de détecter les cyclones, de
prévoir leur trajectoire (voir p. 19) et de diffuser
des messages d’alerte (voir tableau ci-contre).
Une difficulté de gestion résulte de l’occur-
rence d’aléas secondaires induits par les cyclones,
notamment les précipitations très abondantes,
elles-mêmes sources de dommages causés par les
inondations, les glissements de terrain et les
coulées boueuses. À la Réunion (voir p. 18), des
mouvements de terrain se produisent fréquem-
ment sur la route du Littoral et dans les cirques
(65 morts à Salazie en 1875). Les zones côtières,
notamment les atolls de Polynésie française, de
Micronésie ou de Mélanésie, sont extrêmement
exposées aux élévations du niveau de la mer liées
aux cyclones ou aux tempêtes plus lointaines. Les
inondations, d’origine cyclonique ou non,
touchent l’ensemble des DROM. En Guyane, plus
de mille personnes ont dû évacuer leurs maisons
inondées par une crue du fleuve Maroni en juin
2008, mais, grâce à une bonne culture du risque
chez les populations riveraines, la crue n’a fait
qu’une seule victime.
Le risque volcanique
Le risque volcanique est présent aux Antilles,
à la Réunion et en Polynésie avec le volcan sous-
marin de Teahitia à 80 km de Tahiti. Comme ces
volcans sont de natures différentes, le risque est
plus ou moins important.
Le piton de la Fournaise à la Réunion est
basaltique, lié à un point chaud au dynamisme
éruptif essentiellement effusif. Ses éruptions sont
Gérer les aléas
Les DROM constituent un laboratoire de recherche
exceptionnel pour l’étude des aléas naturels ainsi que
des risques technologiques et sanitaires.
> par Franck Lavigne, proFesseur à L’université paris-i-panthéon-sorbonne, sous-directeur du Laboratoire de
géographie physique, uMr 8591 Meudon
Un champ
d’aléas
très large
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très fréquentes (récurrence toutes les deux ou
trois années) et se traduisent par des coulées de
lave, dont 97 % à l’intérieur de la caldeira (l’En-
clos). Bien que cette zone soit inhabitée, elle est
visitée chaque année par des dizaines de milliers
de touristes, qui font parfois preuve d’impru-
dence. Pendant une éruption, la gestion des accès
nécessite un compromis entre la sécurité des
personnes et les possibilités d’observation du
spectacle offert par les épanchements de lave. De
plus, certains villages sont menacés par des érup-
tions « hors Enclos ».
La montagne Pelée et la Soufrière de Guade-
loupe (voir p. 18) sont des volcans andésitiques
situés sur une zone de subduction. Le dynamisme
éruptif est par conséquent de type explosif, avec
toute une gamme d’aléas volcaniques primaires
(projections de blocs, retombées de cendres,
nuées ardentes, etc.) ou induits (avalanches de
débris, lahars ou coulées de débris volcaniques,
tsunamis, etc.).
La fréquence des éruptions est assez faible : il
était admis jusqu’ici que les éruptions phréa-
tiques se produisaient tous les cinquante ans en
moyenne et environ tous les mille ans pour les
éruptions magmatiques. Cependant, des études
récentes ont montré que l’activité passée du
volcan a été grandement sous-estimée. Ainsi, des
éruptions similaires à celle de la montagne Pelée
en 1902, dont les nuées ardentes ont fait 31 000
victimes, pourraient se reproduire bien plus rapi-
dement que prévu. Or les volcans actifs des
Antilles françaises menacent de nos jours directe-
ment près de 200 000 personnes, voire plus dans
le cas d’éruptions pouvant impliquer des effon-
drements de flancs.
Face à ces menaces, les trois grands volcans
actifs français sont surveillés et instrumentés. Ils
font l’objet d’études poussées de la part des scien-
tifiques, qui combinent des scénarios d’éruption
par modélisation et des travaux sur la vulnérabi-
lité du bâti, des réseaux et des populations expo-
sées (programme Casava, Compréhension et
analyse des scénarios, aléas et risques volcaniques
aux Antilles). Seule une connaissance globale
permettra de gérer efficacement une éventuelle
crise éruptive sans reproduire les erreurs du
passé telle la gestion de crise catastrophique lors
de l’éruption de la Soufrière en 1976.
Séismes et tsunamis
En raison de leur contexte géologique,
certains DROM ont une sismicité régionale assez
élevée. Les séismes les plus violents frappent
surtout les Antilles. En 2007, un séisme de magni-
tude 7,3 n’a fait qu’une victime, car l’épicentre,
proche de la Martinique, était situé à 170 km de
Éruption de la
montagne Pelée.
Le 8 mai 1902, le réveil
du volcan martiniquais
fait plus de 30 000
victimes.
Phases de l’alerte cyclonique aux Antilles françaises
Phase de l’alerte Délai avant l’arrivée du
cyclone sur les côtes Action
1 – Détection > 72 h Mise en garde des services
administratifs
2 – Vigilance De 48 h à 72 h Diffusion de l’information
au public
3 – Préalerte De 24 h à 36 h La population doit
se tenir sur ses gardes
4 – Alerte De 6 h à 8 h Cessation de toute activité
et mise à l’abri immédiate
de la population
5 – Confinement Pendant le passage
du cyclone Interdiction de toute
circulation
L’alerte est légèrement différente à la Réunion et en Nouvelle-Calédonie (vigilance ou
préalerte, alertes orange et rouge).
© TAL/RUE DES ARCHIVES
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DÉCRYPTAGE
profondeur (contre une dizaine de kilomètres
seulement en Haïti en 2010). Aucun gros dégât
n’a ainsi été déploré, contrairement au séisme
moins profond du 8 février 1843 qui dévasta la
Guadeloupe, faisant 1 100 victimes.
Cette région du monde est aussi sujette à des
tsunamis, d’origine régionale (1767, 2003, 2004)
ou plus lointaine (tsunami engendré par le séisme
de Lisbonne en 1755). Des séismes de plus faible
magnitude se produisent dans la plupart des
autres DROM. Par exemple, les secousses qui se
produisent sur l’arc du Vanuatu sont ressenties en
Nouvelle-Calédonie, comme le 14 janvier 2011
lorsqu’un séisme de magnitude 7,3 a frappé le
territoire pendant la tempête tropicale Vania. Le
18 novembre 1929, un séisme de magnitude 7,2
s’est déclenché à environ 250 km au sud de Saint-
Pierre-et-Miquelon. Il a engendré un important
glissement sous-marin à l’origine d’un tsunami
dévastateur.
Des séismes volcaniques, de plus faible inten-
sité, frappent régulièrement la Réunion. Afin d’en
anticiper les effets, des réseaux de surveillance
régionaux (sismomètres larges bandes, Réseau
accélérométrique permanent, etc.) ont émis en
place dans les DROM les plus exposés. Des micro-
zonages urbains ont aussi été effectués dans le
cadre du plan Séisme Antilles ou à Nouméa, afin
de cartographier des zones de réponse sismique
homogène et d’estimer la vulnérabilité du bâti et
les principaux enjeux.
Quel que soit le territoire français concerné, il
est exposé au risque de télétsunamis (transocéa-
niques), issu de sources sismiques lointaines.
Plusieurs bateaux ont ainsi écoulés dans les ports
de la Réunion lors de tsunamis déclenchés en
Indonésie en 1883 (éruption du volcan Krakatoa),
en décembre 2004 et le 26 octobre 2010. Depuis
soixante ans, la Nouvelle-Calédonie a quant à elle
été touchée par quatre télétsunamis et au moins
huit tsunamis régionaux. En matière de préven-
tion, le centre de surveillance des tsunamis de
Tahiti donne l’alerte dans toutes les îles françaises
du Pacifique, en relais avec le réseau global basé
à Hawaii. Enfin, des modélisations numériques
permettent de calculer le temps de propagation
de télétsunamis à partir de sources sismiques
potentielles.
Les risques sanitaires
Même si les risques sanitaires et technologi-
ques sont relativement limités par rapport à ceux
liés aux aléas naturels, ils sont néanmoins bien
présents dans les DROM.
La situation insulaire de la quasi-totalité des
DROM permet de prendre des mesures de préven-
tion efficaces contre les épidémies. À l’exception
du virus H1N1, qui a préoccupé les autorités
compétentes ces dernières années, et du palu-
disme, qui sévit le long des cours d’eau de Guyane,
ce sont la dengue et le chikungunya qui représen-
tent les risques sanitaires les plus élevés. Dans les
deux cas, le virus est transmis à l’homme par des
moustiques du genre Aedes.
La première épidémie de dengue a été décrite
en 1635 dans les Antilles françaises. Il existe quatre
formes ou sérotypes de dengue (Den-1, 2, 3 et 4).
Depuis 1943, six grandes épidémies ont toucla
Nouvelle-Calédonie et dix la Polynésie française.
Dans ce dernier archipel, l’épidémie de 2001 a
duré dix mois, touchant 33 000 personnes et
faisant 8 victimes. En 2010, les Antilles françaises
ont été frappées par la plus importante épidémie
de la décennie dans cet archipel (22 victimes
parmi les 86 000 personnes infectées). Le gouver-
nement français a mobilisé l’armée afin d’intensi-
fier la lutte contre les moustiques, principaux
vecteurs de la maladie.
Le chikungunya est une maladie infectieuse
tropicale dont le nom signifie « qui marche courbé
en avant » en langue makonde de Tanzanie. Ce nom
❯❯
Les effets
induits des
cyclones.
L’aléa mouvement de
terrain à la Réunion.
Le risque
volcanique.
Les aléas volcaniques
sur la Soufrière de la
Guadeloupe.
© BRGM - WWW.BRGM.FR - AUTOR.R11/13ED© KOMOROWSKI ET AL.
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évoque la posture adoptée par les malades en raison
des intenses douleurs articulaires. Dans l’océan
Indien, aucune activité de ce virus n’a été détectée
avant le début de l’année 2005. Sans doute importé
par des voyageurs en provenance d’Afrique de l’Est,
il a d’abord entraîné une épidémie aux Comores. À
partir de mars 2005, l’épidémie s’est propagée à la
Réunion, avec une flambée importante entre fin
avril et début juin. Sur cette île, le virus est transmis
principalement par le moustique Aedes albopictus
qui colonise indifféremment les zones urbaines et
forestières, les sites artificiels et naturels. Environ
270 000 personnes auraient été infectées par cette
épidémie, soit un tiers des habitants de l’île.
Presque éradiqué, le chikungunya est réapparu à
la Réunion en 2010 avec quelques nouveaux cas.
Les risques technologiques majeurs
Il s’agit principalement du risque d’explosion,
susceptible de libérer une grande quantité de
produits chimiques, et du risque de rupture de
barrage. Les DROM ne concentrent qu’une
cinquantaine d’établissements classés Seveso II
parmi les quelque 1 200 inventoriés en France en
2010 (et une trentaine sur les 657 considérés
comme particulièrement dangereux). Ceux-ci
concernent les raffineries (Martinique), les stoc-
kages d’hydrocarbures liquides et liquéfiés
(Nouméa), le secteur froid (ammoniac) comme à
Cayenne ou en Martinique, etc.
Ces installations sont le plus souvent concen-
trées géographiquement : la zone du Port à la
Réunion, l’agglomération foyalaise en Martinique,
Jarry en Guadeloupe, Nouméa en Nouvelle-
Calédonie, etc. Selon cette logique de concentra-
tion, un accident majeur dans ces secteurs pour-
rait ainsi paralyser une grande partie de l’éco-
nomie insulaire et avoir des impacts forts sur la
population nombreuse vivant à proximité. Pour
limiter les risques technologiques proches de
Papeete, les vingt cuves existantes à Fare Ute, qui
datent de la présence des forces américaines en
Polynésie française dans les années 1930, sont en
cours de démontage et six de plus grande capa-
cité seront construites sur les terre-pleins de la
zone récifale est. En Guyane, un accident à Kourou
(produits pétroliers, dépôts d’explosifs) pourrait
également avoir des conséquences graves sur la
population et sur l’environnement.
Quelques barrages hydroélectriques stockant
de gros volumes d’eau, comme ceux de Yaté en
Nouvelle-Calédonie ou de Petit-Saut en Guyane
(le plus grand lac de retenue avec 350 km),
présentent une menace en cas de rupture. La
construction de Petit-Saut au début des années
1990, sans déforestation préalable du site, a
également entraîné des problèmes environne-
mentaux accrus, liés au rejet de sulfure d’hydro-
gène, de dioxyde de carbone et de thane en
grosses quantités. Une autre source de pollution
de l’air, mais aussi des brumes, des pluies, de
l’eau et des sédiments, provient de la libération
du mercure naturel contenu dans le sol (huit fois
plus qu’en métropole) par le traitement aurifère.
Ce mercure naturel s’ajoute aux importantes
quantités évaporées par les orpailleurs.
Afin de réduire les risques technologiques,
plusieurs mesures ont été prises : information
préventive du public, mesures techniques et orga-
nisationnelles mises en œuvre par les exploitants
sous le contrôle de l’inspection des installations
classées, dispositifs de surveillance mis en place
autour des barrages, modélisations hydrauliques
de la propagation de l’onde de rupture, etc.
Les risques majeurs dans les DROM sont
nombreux et de natures variées. Les populations
sont habituées à certains aléas d’intensité modérée,
comme des cyclones de classe inférieure à 3, des
petits séismes ou des inondations. Cependant,
des phénomènes plus violents, mais de récurrence
plus faible, peuvent s’avérer catastrophiques,
comme l’ont montré l’éruption de la montagne
Pelée en 1902 ou le cyclone Erika en 2003. D’autres
aléas identifiés dans le passé restent encore peu
connus et insuffisamment étudiés, en particulier
les séismes, les éruptions volcaniques et les
tsunamis. Ayant pris conscience de ces lacunes, la
communauté scientifique française se mobilise à
travers plusieurs programmes de recherche.
DESPEYROUX J. et GODEFROY P. Nouveau zonage
sismique de la France. Délégation aux risques
majeurs, Premier ministre et ministère de
l’Environnement. Paris : La Documentation
française, 1986.
DUBOIS Jacques. Volcans actifs français et
risques volcaniques : Martinique, Guadeloupe,
Réunion. Paris : Dunod, 2007 (coll. UniverSciences).
LAVIGNE Franck, SAHAL Alexandre. « La réalité
des risques majeurs en Nouvelle-Calédonie », in
FABERON Jean-Yves, CHERIOUX Bernard (sous la
dir. de), Les Risques majeurs : quelles réponses
institutionnelles en Nouvelle-Calédonie ?, actes du
colloque des 22 et 23 octobre 2010. Nouméa :
Institut de recherche pour le développement, 2011.
savoir
Le
chikungunya
est réapparu
à la Réunion
en 2010
Prévoir la
trajectoire des
cyclones.
Direction suivie par onze
cyclones ayant affecté la
Nouvelle-Calédonie
depuis un demi-siècle.
© LAVIGNE ET SAHAL
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