é d i t o r i a l Diabétologue libéral : quid homo ? Interview du Dr S. Casanova* par P. Henry ** D ans notre premier numéro, P. Abastado, cardiologue libéral, nous a donné son point de vue sur sa profession. À la suite de cet éditorial, nous avons reçu deux courriers de syndicats de diabétologues libéraux. Le fil conducteur de ces deux lettres traduisait l’existence d’un certain nombre d’inquiétudes sur la perception de la profession d’endocrinologue libéral. La place du diabétologue libéral dans la prise en charge des diabétiques et les relations avec les cardiologues et les médecins généralistes apparaissent au centre de ces préoccupations. Pour mieux comprendre le travail des diabétologues libéraux, nous avons rencontré le Dr S. Casanova, diabétologue libéral, installée au sein d’une importante clinique cardiologique du nord de Paris : le centre cardiologique du Nord. QU’EST-CE QU’UN DIABÉTOLOGUE LIBÉRAL ? Il faut bien c omprendre q ue n otre activité se résume purement et s implement à une a ctivité d e c onsultation sa ns aucun acte technique. Or, la c onsultation d u p atient d iabétique est longue et délicate. Il faut aller à la recherche des complications, contrôler l’équilibre du diabète et de la pression artérielle. Mais il faut également éduquer les patients sur l’automesure glycémique, l’adaptation des doses d’insuline, l’hygiène des pieds, l’équilibre alimentaire, l’activité physique, etc. Tout cela prend beaucoup de temps. Et puis, il y a l’acceptation du diabète, cette maladie chronique que beaucoup de patients ne comprennent pas. L’un de mes patients me racontait qu’il ne comprenait pas pourquoi je lui disais que le diabète était responsable de sa maladie coronaire car, quand sa glycémie était très élevée, il n’avait pas plus de douleurs angineuses que quand sa glycémie était plutôt basse... QUELLES SONT VOS RELATIONS AVEC LES AUTRES SPÉCIALISTES IMPLIQUÉS DANS LA PRISE EN CHARGE DES DIABÉTIQUES, NOTAMMENT LES CARDIOLOGUES ? Elles sont bonnes et j’ai la chance de travailler dans un environnement cardiologique, ce qui facilite les choses lorsqu’il s’agit de patients ayant ce type de complications. Toutefois, la sensibilisation des autres spécialistes au problème du diabète n’est pas toujours aussi importante que je le souhaiterais. Il est rare, par exemple, qu’un cardiologue fasse vraiment attention à l’hémoglobine glyquée d’un patient ou consulte son carnet d’autosurveillance glycémique. De plus, les autres spécialistes ont parfois tendance à considérer que les complications qu’ils traitent sont plus graves que le diabète lui-même, alors que sur le fond, le diabète est à l’origine de toutes ces complications, et l’une des priorités est à l’équilibre de cette maladie. Nous sommes malheureusement parfois considérés par certains spécialistes comme des superdiététiciennes. Toutefois, lorsque l’on demande à ces mêmes spécialistes, par manque de temps, d’adapter simplement les doses d’insuline d’un patient (sans changer les schémas), ils se déclarent souvent incompétents. * Endocrinologue, centre cardiologique du Nord, Saint-Denis. ** Hôpital Lariboisière, Paris. QUELLES SONT VOS RELATIONS AVEC LES MÉDECINS GÉNÉRALISTES ? Sur ce point, il est difficile de répondre d’une façon globale. Il est certain que les médecins généralistes sont maintenant plus sensibilisés au diabète, notamment grâce aux actions de Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2004 55 é d i t o r i a l la CNAM. Toutefois, certains d’entre eux attendent trop longtemps avant de nous adresser les patients en consultation. Il est encore fréquent que la motivation d’une première consultation diabétologique soit la règle des 3 : 3 comprimés de biguanides, 3 comprimés de sulfamides, 3 comprimés d’acarbose et plus de 3 g de glycémie en permanence... Un tel tableau va nécessiter la mise sous insuline chez un patient non préparé psychologiquement à un tel traitement, et nous passons alors pour les “méchants”. Dans un grand nombre de cas, sans voir les patients tous les 3 mois (de toute façon, cela est matériellement impossible), nous pouvons améliorer les schémas avant la mise sous insuline : par exemple, introduire progressivement l’insuline sous la forme d’une seule injection au coucher (ce qui améliore indéniablement l’acceptation) et améliorer l’équilibre alimentaire qui comporte très souvent de graves erreurs. Il paraîtrait quasiment impensable qu’un patient coronarien ne soit pas suivi régulièrement par un cardiologue. Je ne vois pas pourquoi cela serait différent pour un diabétique. La relation suivie avec un patient, notre expérience et notre connaissance de cette maladie nous permettent d’optimiser les traitements et d’anticiper les tournants de la vie d’un diabétique comme celui de la mise sous insuline. Toutefois, le médecin généraliste reste la clé de voûte du suivi rapproché du patient, idéalement dans le cadre de réseaux. Il doit s’impliquer par exemple en augmentant les doses d’insuline chez un patient mal équilibré tout en le conseillant pour qu’il arrive à faire cette démarche thérapeutique lui-même. DITES-MOI, QUELS SERAIENT VOS SOUHAITS LES PLUS CHERS ? Que la consultation d’éducation soit admise par les caisses ou que la consultation soit revalorisée car l’éducation du diabétique est un élément-clé de la consultation qui est très consommateur de temps. Que chaque diabétique de type 2, même bien équilibré, soit suivi par un diabétologue libéral ou hospitalier au moins une fois par an pour affiner les schémas thérapeutiques, renforcer l’éducation, notamment alimentaire, et établir une relation forte avec lui pour le futur. En effet, l’équilibre glycémique a malheureusement tendance, avec le temps, à se détériorer, et il faut adapter les schémas thérapeutiques régulièrement. À ce titre, de nouveaux antidiabétiques oraux et de nouvelles insulines sont maintenant disponibles et nous offrent un arsenal thérapeutique plus riche avec des schémas qui ont beaucoup progressé ces dernières années et que nous sommes les plus aptes à définir. Une HbA1C inférieure à 7 % voire à 6,5 % n’est pas un objectif utopique pour une grande majorité de patients si les bons schémas sont utilisés et que l’éducation est bien faite. Enfin, que tous les spécialistes comprennent que nous sommes la pierre angulaire de la prise en charge des diabétiques et que le traitement des complications ne suffit pas : c’est la cause elle-même qui est la priorité du traitement une fois l’événement aigu maîtrisé. À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés Correspondances en Risque CardioVasculaire vous souhaite un bel été et vous remercie de la fidélité de votre engagement. Bonnes lectures ensoleillées et rendez-vous dès la rentrée Le prochain numéro paraîtra en septembre 56 Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2004