Une stimulation profonde de la connaissance ● L. Mallet* a stimulation cérébrale profonde (SCP), continue et à haute fréquence est désormais la méthode chirurgicale de référence dans différentes pathologies du mouvement. Sa réversibilité, son adaptabilité et sa faible morbidité font qu’elle pourrait trouver des applications dans tous les domaines où une intervention sur un groupe de neurones au sein d’un réseau pourrait modifier une fonction ou un symptôme. C’est pourquoi, comme à l’égard des troubles moteurs sévères, la SCP peut offrir l’espoir d’une amélioration de certains troubles psychiatriques sévères et résistants aux thérapeutiques médicales, pour lesquels en dernier recours certaines équipes proposent encore une chirurgie lésionnelle, aux effets irréversibles. Mais la SCP représente aussi un outil d’investigation physiopathologique original pour étudier les bases anatomophysiologiques de certains troubles psychiques. Historiquement, la connaissance des mécanismes physiopathologiques déterminant les troubles psychiatriques est restée longtemps confinée derrière les murs infranchissables du monde de l’Esprit, jusqu’à l’avènement des techniques d’imagerie cérébrale et leur application à la psychiatrie. Un certain savoir s’est alors constitué, mettant en rapport une anatomie quantifiée, sinon anormale, et des situations pathologiques. Depuis quelques années, la recherche en psychopathologie procède, pour une part, de l’étude des processus psychologiques et de leurs bases neurales. Une approche physiopathologique consiste ainsi à étudier les rapports entre la psychopathologie et l’activité cérébrale par l’imagerie cérébrale fonctionnelle, en recourant généralement à des paradigmes d’activation chez des témoins sains et différents groupes de patients pour mettre en évidence des modifications fonctionnelles. De cette manière, certaines structures cérébrales, par exemple le cortex orbitofrontal, le cingulum, l’amygdale et, à l’étage sous-cortical, le noyau caudé et le thalamus, ont pu être à maintes reprises associées à l’expression de troubles psychiatriques, comportementaux et/ou émotionnels. Cette approche n’est cependant pas exempte d’un certain néolocalisationnisme nosographique et soulève bien des questions sur la causalité et la spécificité des phénomènes observés. D’autres démarches, un peu en miroir, proches de la neuropsychologie, ont été développées, s’intéressant aux symptômes psychiatriques pouvant être reliés à un dysfonctionnement des ganglions de la base. Par exemple, il est bien connu que des lésions isolées du noyau caudé entraînent L * Psychiatre, chargé de recherche INSERM, unité CNRS UMR7593, La Pitié-Salpêtrière, Paris. 86 des troubles comportementaux et thymiques dans 75 % des cas. L’intérêt de ces structures réside, entre autres, dans la neuromodulation dont elles sont le siège, et le fait que le système des ganglions de la base reçoit et projette de façon ubiquitaire vers les aires corticales, subdivisées fonctionnellement en territoires sensorimoteur, oculomoteur, associatif et limbique. L’organisation fonctionnelle des ganglions de la base peut ainsi être vue comme un ensemble de boucles parallèles ayant une fonction spécifique répondant à des territoires corticaux particuliers avec, pour relais, le thalamus dorsal. La boucle associative serait impliquée dans les fonctions cognitives, la boucle limbique dans les processus émotionnels. Il a été proposé que le dysfonctionnement de cette boucle puisse contribuer à l’apparition de troubles psychiatriques. Dans cette perspective, des travaux récents ont permis une meilleure compréhension de certains aspects des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et des troubles comportementaux concomitants des maladies du mouvement, notamment la maladie de Parkinson. Cette dernière affection représente, en effet, un modèle phénoménologique par son caractère neuropsychiatrique, associant aux troubles moteurs des perturbations cognitives, émotionnelles et comportementales. Elle constitue également un modèle anatomique, dans la mesure où les traitements existants, pharmacologiques ou chirurgicaux, notamment la SCP, permettent de moduler sélectivement certains groupes de neurones. C’est lors de la (re)modulation par la SCP dans la région sousthalamique qu’un certain nombre de manifestations émotionnelles et comportementales, plus ou moins marquées, généralement transitoires, ont été observées (1-3), avec parfois la preuve que les manifestations émotionnelles étaient concomitantes d’une activation d’un ensemble d’aires corticales (4). Dans ce contexte et après des travaux rétrospectifs (5), nous avons mis en place pour les patients parkinsoniens bénéficiant de la SCP un suivi prospectif et multidisciplinaire – avec l’ensemble des acteurs de la SCP sur le site de la Salpêtrière – centré sur la psychopathologie et les tempéraments, et nous avons observé la quasi-disparition des manifestations obsessives et compulsives chez deux patients souffrant de TOC concomitant à leur maladie de Parkinson (figure) (6). Globalement, les modifications comportementales et émotionnelles, consécutives à une manipulation restreinte des parties les plus inférieures du système des ganglions de la base, plaident pour l’intrication des processus de régulation à ce niveau et sont compatibles avec des données morphologiques questionnant le modèle de boucles strictement ségrégées (7). Pour d’éventuelles applications thérapeutiques à la psychopathologie, le noyau sous-thalamique pourrait représenter une des cibles potenLa Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 tielles au sein des ganglions de la base. Il intègre, en effet, dans un très petit volume, différents territoires supportant des fonctions sensorimotrices, cognitives et émotionnelles, et il contrôle les voies de sortie, ce qui donne la possibilité d’intervenir simultanément sur la régulation de ces fonctions et représente donc une cible de choix pour moduler la capacité de self-control moteur, cognitif, comportemental et émotionnel. Nos travaux, avec ceux d’autres équipes, ont donc conduit à proposer un essai thérapeutique fondé sur l’hypothèse d’un dysfonctionnement des systèmes limbiques au sein des noyaux gris pour le TOC sévère et résistant. Ce protocole multicentrique, d’un haut niveau d’exigence scientifique et éthique, a fait l’objet pendant deux ans d’un travail d’élaboration mené conjointement par dix équipes multidisciplinaires regroupées en consortium. Un véritable enthousiasme anime les partenaires de cette aventure scientifique et médicale A. B. Electrode contact C. Electrode contact CP35 Cd Pu qui rassemble des disciplines complémentaires telles que la neurochirurgie, la neurologie, la neuroradiologie, la neuroanatomie, la neuropsychologie, la neurophysiologie et la psychiatrie. À l’avenir, d’autres thérapeutiques similaires, focalisées sur d’autres cibles sous-corticales, pourront être disponibles, fondées sur la physiopathologie fonctionnelle et non lésionnelle des maladies psychiatriques. Cela est d’ailleurs en cours, par exemple, pour la maladie de Gilles de la Tourette (8), autre modèle d’intrication des processus pathologiques moteurs et émotionnels. Finalement, un des enjeux scientifiques d’une communauté désormais “techno-cyber-médicale” sera de répondre aux questions posées par l’émergence de ces nouvelles thérapeutiques impliquant une compréhension de la genèse de troubles psychopathologiques à partir de modèles bâtis sur une meilleure connaissance de l’anatomie et de la physiologie, et de constituer une nosographie décortiquée, claire, précise, fondée sur des observations cliniques au plus près de la physiopathologie. Cette approche se situe dans une perspective neuro-psychobiologique, cherchant à créer des ponts expérimentaux entre la neuroanatomie, la neurophysiologie, la psychopharmacologie, la psychologie clinique et la psychologie expérimentale. En cela, l’apport de la SCP dans le champ de la psychopathologie me semble offrir la possibilité de réunir – un instant – les théories de la connaissance et de la pratique, permettant au clinicien d’intégrer pour son art des “faits scientifiques au travers de leur validité pragmatique” (9), tout en enrichissant la contribution théorique, sans pour autant tomber dans le piège d’un débat étiologique sans issue. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Krack P, Kumar R, Ardouin C et al. Mirthful laughter induced by subthalamic nucleus stimulation. Mov Disord 2001 ; 16 (5) : 867-75. Bejjani BP, Houeto JL, Hariz M et al. Aggressive behavior induced by intraoperative stimulation in the triangle of Sano. Neurology 2002 ; 59 (9) : 1425-7. 3. Funkiewiez A, Ardouin C, Krack P et al. Acute psychotropic effects of bilateral subthalamic nucleus stimulation and levodopa in Parkinson’s disease. Mov Disord 2003 ; 18 (5) : 524-30. 4. Bejjani BP, Damier P, Arnulf I et al. Transient acute depression induced by high-frequency deep-brain stimulation. N Engl J Med 1999 ; 340 (19) : 1476-80. 5. Houeto JL, Mesnage V, Mallet L et al. Behavioural disorders, Parkinson’s disease and subthalamic stimulation. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2002 ; 72 (6) : 701-7. 6. Mallet L, Mesnage V, Houeto JL et al. Compulsions, Parkinson’s disease, and stimulation. Lancet 2002 ; 360 (9342) : 1302-4. 7. Yelnik J. Functional anatomy of the basal ganglia. Mov Disord 2002 ; 17 (suppl. 3) : S15-S21. 8. Temel Y, Visser-Vandewalle V. Surgery in Tourette syndrome. Mov Disord 2004 ; 19 (1) : 3-14. 9. Jouvent R. Pragmatique de la clinique. Paris : Éditions Pil, 2000. 2. STN RN ZI Figure. IRM cérébrale postopératoire avec localisation des électrodes thérapeutiques après recalage sur l’atlas anatomique de Wahren et Schaltenbrandt. CP : commissure postérieure ; Cd : noyau caudé ; Pu : putamen ; RN : noyau rouge ; STN : noyau sous-thalamique ; Zi : zona incerta. A : patient 1 ; B : patient 2 ; C : repésentation schématique de l’atlas de Wahren et Schaltenbrandt. ➜ Mallet L, Mesnage V, Houeto JL et al. Compulsions, Parkinson’s disease, and stimulation. Lancet 2002 ; 360 (9342) : 1302-4. La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004 87