La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. VIII - mars 2004
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L
a stimulation cérébrale profonde (SCP), continue et à
haute fréquence est désormais la méthode chirurgicale de
référence dans différentes pathologies du mouvement. Sa
réversibilité, son adaptabilité et sa faible morbidité font qu’elle
pourrait trouver des applications dans tous les domaines où une
intervention sur un groupe de neurones au sein d’un réseau pour-
rait modifier une fonction ou un symptôme. C’est pourquoi,
comme à l’égard des troubles moteurs sévères, la SCP peut offrir
l’espoir d’une amélioration de certains troubles psychiatriques
sévères et résistants aux thérapeutiques médicales, pour lesquels
en dernier recours certaines équipes proposent encore une
chirurgie lésionnelle, aux effets irréversibles. Mais la SCP repré-
sente aussi un outil d’investigation physiopathologique original
pour étudier les bases anatomophysiologiques de certains troubles
psychiques.
Historiquement, la connaissance des mécanismes physiopatho-
logiques déterminant les troubles psychiatriques est restée long-
temps confinée derrière les murs infranchissables du monde de
l’Esprit, jusqu’à l’avènement des techniques d’imagerie cérébrale
et leur application à la psychiatrie. Un certain savoir s’est alors
constitué, mettant en rapport une anatomie quantifiée, sinon anor-
male, et des situations pathologiques. Depuis quelques années, la
recherche en psychopathologie procède, pour une part, de l’étude
des processus psychologiques et de leurs bases neurales. Une
approche physiopathologique consiste ainsi à étudier les rapports
entre la psychopathologie et l’activité cérébrale par l’imagerie
cérébrale fonctionnelle, en recourant généralement à des para-
digmes d’activation chez des témoins sains et différents groupes
de patients pour mettre en évidence des modifications fonction-
nelles. De cette manière, certaines structures cérébrales, par
exemple le cortex orbitofrontal, le cingulum, l’amygdale et, à
l’étage sous-cortical, le noyau caudé et le thalamus, ont pu être
à maintes reprises associées à l’expression de troubles psychia-
triques, comportementaux et/ou émotionnels. Cette approche
n’est cependant pas exempte d’un certain néolocalisationnisme
nosographique et soulève bien des questions sur la causalité et la
spécificité des phénomènes observés. D’autres démarches, un peu
en miroir, proches de la neuropsychologie, ont été développées,
s’intéressant aux symptômes psychiatriques pouvant être reliés à
un dysfonctionnement des ganglions de la base. Par exemple, il
est bien connu que des lésions isolées du noyau caudé entraînent
des troubles comportementaux et thymiques dans 75 % des cas.
L’intérêt de ces structures réside, entre autres, dans la neuro-
modulation dont elles sont le siège, et le fait que le système des
ganglions de la base reçoit et projette de façon ubiquitaire vers
les aires corticales, subdivisées fonctionnellement en territoires
sensorimoteur, oculomoteur, associatif et limbique. L’organisation
fonctionnelle des ganglions de la base peut ainsi être vue comme
un ensemble de boucles parallèles ayant une fonction spécifique
répondant à des territoires corticaux particuliers avec, pour relais,
le thalamus dorsal. La boucle associative serait impliquée dans
les fonctions cognitives, la boucle limbique dans les processus
émotionnels. Il a été proposé que le dysfonctionnement de cette
boucle puisse contribuer à l’apparition de troubles psychiatriques.
Dans cette perspective, des travaux récents ont permis une
meilleure compréhension de certains aspects des troubles obses-
sionnels compulsifs (TOC) et des troubles comportementaux
concomitants des maladies du mouvement, notamment la mala-
die de Parkinson. Cette dernière affection représente, en effet, un
modèle phénoménologique par son caractère neuropsychiatrique,
associant aux troubles moteurs des perturbations cognitives,
émotionnelles et comportementales. Elle constitue également un
modèle anatomique, dans la mesure où les traitements existants,
pharmacologiques ou chirurgicaux, notamment la SCP, permet-
tent de moduler sélectivement certains groupes de neurones.
C’est lors de la (re)modulation par la SCP dans la région sous-
thalamique qu’un certain nombre de manifestations émotion-
nelles et comportementales, plus ou moins marquées, générale-
ment transitoires, ont été observées (1-3), avec parfois la preuve
que les manifestations émotionnelles étaient concomitantes d’une
activation d’un ensemble d’aires corticales (4). Dans ce contexte
et après des travaux rétrospectifs (5), nous avons mis en place
pour les patients parkinsoniens bénéficiant de la SCP un suivi
prospectif et multidisciplinaire – avec l’ensemble des acteurs de
la SCP sur le site de la Salpêtrière – centré sur la psychopatho-
logie et les tempéraments, et nous avons observé la quasi-dispa-
rition des manifestations obsessives et compulsives chez deux
patients souffrant de TOC concomitant à leur maladie de Parkinson
(figure) (6). Globalement, les modifications comportementales et
émotionnelles, consécutives à une manipulation restreinte des
parties les plus inférieures du système des ganglions de la base,
plaident pour l’intrication des processus de régulation à ce niveau
et sont compatibles avec des données morphologiques question-
nant le modèle de boucles strictement ségrégées (7). Pour d’éven-
tuelles applications thérapeutiques à la psychopathologie, le
noyau sous-thalamique pourrait représenter une des cibles poten-
* Psychiatre, chargé de recherche INSERM, unité CNRS UMR7593,
La Pitié-Salpêtrière, Paris.
Une stimulation profonde
de la connaissance
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L. Mallet*