es états généraux de la psychiatrie
sont convoqués prochainement par
la Fédération française de psychia-
trie, à Montpellier, les 5, 6 et 7 juin
2003. La convocation d’états géné-
raux ne débouche pas systématiquement
sur une révolution mais elle atteste tou-
jours d’un état de crise.
La psychiatrie est-elle en crise ?
La crise n’est pas la dramatisation d’un
événement, d’une situation ou d’un conflit.
Elle se différencie de la simple évolution ou
du changement significatif. Ce qui la spéci-
fie, c’est l’imprévisibilité : la situation de
crise implique la rupture d’une continuité
et produit une seule certitude : ce qui valait
hier, et vaut encore un peu aujourd’hui, ne
vaudra plus demain.
La résolution de la crise implique le passa-
ge à de nouveaux paradigmes, encore
inconnus bien qu’en gestation... C’est en ce
sens que l’adolescence est une crise.
La Société française de psychiatrie de l’en-
fant et de l’adolescent, en 2000, avait
consacré son congrés national au thème
“Crise et pédopsychiatrie”. Avec
M. Benasayag, nous avons poursuivi cette
réflexion qui a abouti à la publication d’un
livre intitulé Les Passions tristes (editions
La Découverte, 2003). Nous nous interro-
gions sur le lien troublant entre souffrance
psychique et crise sociale : l’augmentation
des demandes d’aide adressées à la psy-
chiatrie, non seulement par des personnes
en difficulté, mais aussi par des partenaires
institutionnels (services sociaux, justice,
éducation nationale, associations, etc.)
nous semblait dépasser les variations épi-
démiologiques usuelles et relever d’une
crise sociale globale dans nos sociétés
postindustrielles.
Si le psychiatre est – entre autres défini-
tions – un accompagnateur de crise, il n’est
plus seulement confronté à des crises indi-
viduelles vécues par ses patients, mais sou-
vent à des “crises dans la crise”, à des
crises individuelles en résonance avec une
crise de société. Une métaphore illustre ce
point : la personne qui souffre est comme
une embarcation perdue dans la tempête.
Elle attend du soignant un accompagne-
ment vers des eaux calmes et un bon port.
Que devient le soin psychique si l’idée
même d’un port d’arrivée a disparu des
représentations collectives ?
La deuxième partie du siècle précédent a
été marquée par une extension et une gran-
de amélioration du soin en psychiatrie. La
découverte des psychotropes – bien que
leur usage ait suscité interrogations et
débats – avait plutôt consolidé que mis en
difficulté la conception d’une psychiatrie
humaniste, centrée sur la reconnaissance et
le respect de la position de sujet de toute
personne soignée. Malgré (ou grâce à) la
diversité des pratiques et des orientations
théoriques, la psychiatrie se retrouvait
autour de concepts faisant à peu près
consensus : la clinique psychiatrique
magistralement reformulée par nos prédé-
cesseurs, notamment par H. Ey, la dimen-
sion relationnelle du soin psychiatrique,
l’apport de la psychanalyse à la dimension
psychothérapique, la coexistence d’une
psychiatrie publique sectorisée et d’une
psychiatrie libérale, etc. Qu’en est-il
aujourd’hui ?
Il nous semble que nous nous installons
aujourd’hui de plus en plus dans une rup-
ture à l’égard de ce consensus et des pra-
tiques qu’il soutenait. Dans son quotidien,
le psychiatre lui-même est gagné par un
sentiment de précarité : la chute de la
démographie médicale, l’arrêt de la forma-
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Éditorial
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 3, avril 2003
Éditorial
“Les Passions tristes”
G. Schmit*
* Professeur de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent, CHU de Reims.
L