Antalgie interventionnelle Ant algie inter ventionnelle

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La stimulation analgésique du cortex moteur
Jean-Claude Verdié*
La zone motrice est ensuite repérée
grâce à l’inversion du potentiel N20P20 par rapport à la zone sensitive
es douleurs neuropathiques résistantes aux traitements médicaux
(négativation). Le risque hémorragique
sont fréquentes et justifient parfois, pour des cas sélectionnés, le
extradural est réel à ce stade, qui nécesrecours à des techniques chirurgicales. Les techniques ablatives étant
site des déplacements de l’électrode.
souvent décevantes, l’utilisation de méthodes conservatrices dites “augLe positionnement précis peut être
mentatives” (neurostimulation) s’est beaucoup développée depuis trente
amélioré par stimulation motrice transans. C’est par exemple le cas de la stimulation des cordons postérieurs
dure-mérienne à basse fréquence, qui
déclenche des secousses musculaires
de la moelle épinière, dont l’intérêt est bien établi dans la prise en charge
dans le territoire douloureux, mais l’indes sciatiques neuropathiques postchirurgicales.
tensité de la stimulation, souvent élevée, varie d’un patient à l’autre.
Mots-clés : Antalgie interventionnelle : stimulation cor✓ Nguyen (2) a ensuite amélioré la technique grâce à l’utiticale motrice - Potentiels évoqués somesthésiques - Doulisation de la neuronavigation. À partir du scanner et de
leurs neuropathiques : syndrome thalamique, syndromes
l’imagerie par résonance magnétique (IRM), des reconstructions tridimensionnelles informatisées sont obtenues,
médullaires, membre fantôme.
permettant de visualiser les structures corticales telles que
les scissures de Rolando et de Sylvius, la circonvolution
Les douleurs centrales succédant à des lésions de la
frontale ascendante et les sillons frontaux. Une petite cramoelle, du tronc cérébral et du thalamus ont toujours repréniotomie temporaire (5 x 5 cm) est ensuite réalisée sous
senté un challenge difficile car elles sont souvent très
anesthésie générale. Centrée grâce au faisceau laser de
résistantes. Pour ce type de douleur, des gestes centraux
l’appareil de neuronavigation sur la cible préétablie, cette
invasifs (thalamotomies médianes, stimulation du thalatechnique s’avère mieux adaptée que le trou de trépan.
mus sensitif, etc.) ont parfois été proposés. Devant les
Après hémostase de la dure-mère, les PES sont enregisrésultats inconstants de ces techniques, Tsubokawa, en
trés à l’aide d’une électrode-grille à 20 contacts (figure 1).
1991 (in 1), a proposé de stimuler la zone motrice rolanL’inversion des potentiels N20-P20 permet d’orienter et
dique, qui s’est avérée une cible efficace pour traiter ces
de tracer la scissure de Rolando, qui marque la frontière
douleurs difficiles. En France, l’équipe de J.P. Nguyen, à
entre la zone motrice et la zone sensitive. Les corrélations
Créteil, possède une grosse expérience de cette méthode,
anatomophysiologiques sont généralement bonnes. La stiqui fait désormais référence (2).
mulation motrice peropératoire est ensuite utilisée comme
moyen de vérification supplémentaire. Par rapport à la
grille de repérage PES, l’électrode Resume® à quatre
contacts est placée en zone motrice, à cheval sur la cible
Technique chirurgicale
choisie, et fixée sur la dure-mère (figure 2). Le volet
osseux est remis en place et fixé, et l’extension de l’élec✓ Tsubokawa (1) a initialement préconisé une technique
trode est déroutée par un trajet sous-cutané vers la région
simple. Après repérage crânien de la région rolandique
pariéto-occipitale, où elle sort dans le pansement par une
controlatérale à la douleur, fondé sur des critères osseux
contre-incision.
(méthode de Kronlein), un trou de trépan est réalisé sous
✓ Le patient est stimulé en externe pendant 10 à 15 jours.
anesthésie locale selon la localisation douloureuse (somaSi le résultat est positif, l’électrode est ensuite internalitotopie de la zone motrice), et une électrode à quatre
sée sous anesthésie locale, puis reliée à un boîtier de sticontacts (Resume®, Laboratoires Medtronic) est intromulation (figure 3) placé dans un décollement sous-cutané
duite dans l’espace extradural. À partir de cette électrode,
de la région sous-claviculaire. Cette technique est égaledes potentiels évoqués somesthésiques (PES) sont enrement celle adoptée par notre équipe, qui améliore encore
gistrés après stimulation d’un nerf périphérique situé dans
le repérage anatomofonctionnel préopératoire grâce à
la zone douloureuse (moignon d’amputation, par exemple).
l’IRM fonctionnelle, dont les résultats sont intégrés dans
la mémoire de la neuronavigation. Les paramètres de stimulation utilisés vont de 1,5 à 4 V pour l’amplitude, de 50
* Service de neurochirurgie, centre d’évaluation et de traitement de la douà 210 µs pour la largeur d’onde et de 30 à 60 Hz pour la
leur, CHU Rangueil, Toulouse.
L
Le Courrier de l’algologie (4), n ° 4, octobre/novembre/décembre 2005
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fréquence. La stimulation est bipolaire et le pôle négatif
correspond au plot de l’électrode le mieux topographié. La
stimulation est en général discontinue (de 30 minutes
toutes les 3 heures à 1 minute toutes les 2 minutes). Le
patient ne ressent habituellement rien, puisque la stimulation est inframotrice. Parfois sont signalées des paresthésies légères dans la zone douloureuse. Des radios de
contrôle sont réalisées (figures 4a et b).
a
b
Figures 4 a et b. Contrôle
radiologique après implantation
de l’électrode.
Indications
Figure 1. Électrodegrille à 20 contacts
pour l’enregistrement
des PES.
Figure 2. Mise en place
de l’électrode Resume®
(Laboratoires
Medtronic) en zone
motrice, à cheval sur la
cible choisie, et fixée à
la dure-mère.
✓ Les douleurs centrales (thalamiques, trigéminales, du
tronc cérébral ou médullaires) représentent le noyau des
indications, et la résistance aux thérapeutiques usuelles
justifie le recours à cette technique. Les douleurs centrales d’origine périphérique (amputation, avulsion
plexique, zona ophtalmique, etc.) constituent des indications potentielles après échec des autres traitements. La
revue de la littérature confirme les étiologies telles qu’un
accident vasculaire cérébral, un traumatisme craniocérébral, un traumatisme médullaire et des lésions du plexus
brachial. Dans certaines indications, la stimulation corticale peut être mise en balance avec d’autres gestes chirurgicaux (par exemple DREZotomie dans les arrachements du plexus brachial).
✓ Les douleurs fantômes postamputation paraissent
répondre favorablement à cette technique, mais les cas
publiés sont peu nombreux. Une patiente de notre équipe
(3), victime d’une amputation traumatique de l’avantbras, présentait ainsi une main fantôme très douloureuse
et résistante à tous les traitements. La stimulation corticale
a permis la suppression non seulement des douleurs, mais
également de la sensation fantôme de base.
✓ Les douleurs neuropathiques périphériques ne constituent pas des indications préférentielles de la méthode, et
l’on privilégie plutôt des techniques moins invasives
comme la stimulation cordonale postérieure (sciatiques
neuropathiques survenant après une chirurgie lombaire).
Résultats
Figure 3. Boîtier
de stimulation Itrel® 3
(Laboratoires
Medtronic).
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✓ La série de Tsubokawa (1) comporte 58 patients, avec
41 syndromes thalamiques, 3 syndromes de Wallenberg,
8 douleurs de membre fantôme, 5 douleurs trigéminales
et 1 douleur périphérique. L’auteur fait état de 75 % de
bons résultats pour la série entière, ainsi d’ailleurs que
pour les seuls syndromes thalamiques. Il insiste également sur l’intérêt de la méthode dans le cadre des dou-
leurs trigéminales. L’absence de complications graves est
confirmée, et il n’y a eu dans cette série ni hématome
extradural ni problèmes comitiaux. Des douleurs chroniques de la zone opératoire sont relevées, sans explication évidente (sensibilité de la dure-mère ?).
✓ La série de Créteil (2), publiée en 2000, rapporte les
résultats obtenus chez 32 patients implantés durant la
période 1993-1997 avec un recul moyen de 27,3 mois.
Les résultats sont bons pour 77 % des douleurs centrales
(13 patients) et 75 % des douleurs trigéminales (12 patients). Six incidents sont relevés, dont un hématome extradural asymptomatique de résorption spontanée, une infection sur le site du boîtier, une désunion de cicatrice et trois
cas de douleurs crâniennes au site d’implantation.
✓ L’équipe lyonnaise (4) a quant à elle publié les résultats
obtenus sur un groupe de 20 patients, incluant 16 syndromes
douloureux post-AVC, 3 lésions médullaires et 4 lésions
plexiques. Douze patients ont obtenu un bon résultat, soit
52 %, sans aucune complication postimplantation.
✓ L’expérience toulousaine, enfin, peut actuellement faire
état de 25 patients, dont deux tests négatifs avec ablation
de l’électrode. Les résultats cliniquement utiles (soulagement supérieur ou égal à 60 %) concernent 38 % des
patients.
Conclusion
Malgré des résultats peu prévisibles, la stimulation corticale représente parfois la seule solution pour des douleurs
centrales résistantes à l’ensemble des traitements antalgiques médicamenteux. Pratiquement dépourvue de complications, elle doit à l’heure actuelle être préférée à la
stimulation cérébrale profonde (thalamique sensitive),
plus agressive. Les résultats doivent sans doute être améliorés par un screening préopératoire rigoureux des
patients et par un repérage extrêmement précis de la cible,
grâce à la confrontation des données de l’ensemble des
techniques préimplantatoires (imagerie, neuronavigation,
IRM fonctionnelle, PES, stimulation motrice peropératoire).
■
Références bibliographiques
1. Tsubokawa T. Motor cortex stimulation for relief of central deafferentation
pain. In: Surgical management of pain. New York : Burchiel-Thieme Medical
Publishers Inc., 2002:555-6.
2. Nguyen JP, Lefaucheur JP, Le Guerinel C et al. Traitement des douleurs centrales et neuropathiques faciales par la stimulation chronique du cortex moteur.
Neurochirurgie 2000;46:483-91.
3. Roux FE, Ibarrola D, Lazorthes Y, Berry I. Chronic motor cortex stimulation for phantom limb pain: a functional magnetic resonance imaging study.
Technical case report. Neurosurgery 2001;48:681-7.
4. Mertens P, Nuti C, Sindou M et al. Precentral cortex stimulation for treatment of central neuropathic pain: result of a prospective study in a 20-patient
series. Stereotact Funct Neurosurg 1999;73:122-5.
Résumé/Summary
La stimulation analgésique du cortex moteur
La stimulation du cortex moteur constitue une option thérapeutique proposée après échec de tous les autres traitements
dans les douleurs neuropathiques rebelles, principalement d’origine centrale. La technique nécessite une équipe neurochirurgicale entraînée à la neurochirurgie fonctionnelle et disposant
des moyens d’exploration peropératoire : neuronavigation, PES,
stimulation corticale pré- et peropératoire, IRM fonctionnelle,
reconstruction corticale 3D… Les meilleures indications sont les
douleurs neuropathiques centrales : syndrome thalamique, syndrome de Wallenberg, syndromes médullaires, mais aussi douleurs de membre fantôme et avulsions du plexus brachial… Bien
que peu prévisibles, les résultats sont intéressants pour des
patients en échec thérapeutique total.
Antalgie interventionnelle
Antalgie interventionnelle
Analgesic motor cortex stimulation
Motor cortex stimulation is a potentially useful option in case of
therapeutic failure for unbearable and resistant neuropathic
pains of central origin. Technique requires a specialized neurosurgical team, familiar with functional neurosurgery and imaging
techniques such as neuronavigation, EPS, pre- and intra-operative cortical, functional MRI, tridimensional cortical rebuilding...
Optimal indications relate to central neuropathic pains: thalamic syndrome, Wallenberg’s syndrome, medullar syndrome and
also phantom limb pain, brachial plexus avulsion… Although not
predictable, results are worth the costs for such patients in total
therapeutic failure.
Keywords: Interventional analgesia: motor cortex stimulation Evoked somesthetic potentials - Neuropathic pains: thalamic
syndrome, medullar syndrome, phantom limb pain.
Les articles publiés dans “Le Courrier de l’algologie” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
© DaTeBe - septembre 2002.
Imprimé en France - EDIPS - 21800 Quetigny - Dépôt légal : à parution
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