La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005
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ÉDITORIAL
thèse de prévention d’un cancer par une vaccination spécifique
verra sa confirmation à Taïwan plus tôt qu’attendu, dès 1997
(4). La stratégie vaccinale s’est étendue en France (5) en
commençant par les groupes à très haut risque, concernant
ensuite les adultes exposés aux risques de maladies sexuelle-
ment transmises ou soumis à des expositions au sang (tels les
drogués par voie intraveineuse). Mais cette stratégie est
apparue insuffisante, et la vaccination a été étendue aux nou-
veau-nés de mères porteuses de l’Ag HBs (1992) et, enfin,
recommandée à tous les nourrissons et aux préadolescents/
adolescents, pour ces derniers dans un contexte souvent scolaire.
Selon les modélisations de Margolis (6),pour être efficace,
y compris dans les pays de faible endémie comme la France,
il faut combiner ces approches multiples avec la vaccination
des groupes à risque, des nourrissons et des adolescents (en
attendant que les nourrissons vaccinés d’aujourd’hui soient
les adolescents de demain, ce qui permettra de supprimer
alors la vaccination préadolescents/adolescents), l’objectif
pour l’OMS étant le contrôle, voire l’éradication, de l’hépa-
tite B à l’aide d’une vaccination généralisée au niveau
planétaire (plus de 140 pays ont à ce jour inclus le vaccin
hépatite B dans leur calendrier vaccinal).
Mais ce déroulement, qui aurait pu se faire dans un ciel
serein, a connu des évolutions diverses, les unes favorables,
les autres regrettables, que nous survolerons rapidement.
Comme aucun vaccin n’a fait l’objet d’une telle surveillance,
on a pu cerner des facteurs de moindre réponse à la vacci-
nation (âge, sexe masculin, obésité, tabagisme, immunodé-
pression, certains groupes HLA). Il est apparu que les sujets
qui avaient répondu au vaccin étaient protégés durablement,
même si leur titre d’anticorps “protecteurs” anti-HBs des-
cendait en dessous de 10 UI/l ; les répondeurs le sont
probablement pour la vie grâce à une mémoire immunitaire
activée dès le contact avec un virus, en quelques jours, alors
que l’incubation de l’infection s’exprime en mois… (1). Ces
études ont permis d’alléger le schéma vaccinal, passant de
quatre injections à trois du schéma dit 0-1-2-12 au schéma
0-1-6, et de s’affranchir d’un rappel vaccinal chez les sujets
immunocompétents. Mais, parallèlement à ces acquis, une
suspicion a pesé sur ce vaccin et empêche encore actuelle-
ment d’atteindre un taux de couverture correct.
Les polémiques ont initialement porté sur la nature et l’ori-
gine du vaccin : nature plasmatique de l’antigène vaccinal
avec soupçon de transmettre le VIH (on était dans la décen-
nie sida), et certains plasmas venaient des États-Unis, etc.
Cette attaque n’était pas justifiée, car le virus ne pouvait
résister aux étapes de purification et d’inactivation utilisées.
Les vaccins de deuxième génération (génie génétique)
s’affranchissent de cette source. La médiatisation des effets
indésirables a commencé en 1994 pour les atteintes démyéli-
nisantes centrales, en 1997 pour l’hydroxyde d’aluminium et
la myofasciite à macrophages et, en 1999, pour le thiomersal,
innocenté depuis (7). Au nom du principe de précaution, la
suspension de la vaccination anti-hépatite B en milieu sco-
laire a non seulement entraîné un ralentissement de la vacci-
nation, mais aussi jeté un certain discrédit sur celle-ci, y com-
pris chez les professionnels de santé, et retardé la vaccination
des populations cibles comme les nourrissons. Ces différents
éléments ont entravé la diffusion de la vaccination. On peut
considérer que, fin 2002, près de 30 millions de Français ont
été vaccinés, dont 10 millions d’enfants de moins de 15 ans
et 2,4 millions de nourrissons. Vu le nombre d’adultes vacci-
nés, il était nécessaire de faire, pour ces “effets indésirables”,
la part de la coïncidence et de la causalité, notamment pour
les atteintes démyélinisantes, puisqu’on a vacciné un grand
nombre d’adultes dans les tranches d’âge de survenue sponta-
née des scléroses en plaques (SEP). Les réunions de
Consensus INSERM/ANAES des 10-11 septembre 2003 et
du 9 novembre 2004 (voir page 16) prenant en compte une
publication très médiatisée n’ont pas remis en cause le dépis-
tage des femmes enceintes porteuses de l’Ag HBs et la séro-
vaccination de leurs enfants (renforcés par la circulaire de la
DGS du 10 novembre 2004), pas plus que la vaccination des
groupes à risque ou celle des nourrissons (dont le taux de
couverture ne dépasse pas actuellement en France 30 %) et
des préadolescents/adolescents, pour lesquels la tolérance et
l’immunogénicité du vaccin sont excellentes. Comme l’ex-
prime une épidémiologiste française qui fait référence, par-
lant des atteintes démyélinisantes : “l’association, si elle
existe, est très faible, et il faudrait bien plus de cas que ceux
qui surviennent naturellement pour aboutir à une conclusion
ferme” (8).
Il est demandé, pour le vaccin hépatite B comme pour
d’autres vaccins, d’évaluer le bénéfice/risque individuel. Or,
comme le rappelle un article récent, pour qu’un vaccin puisse
éradiquer une maladie, il faut qu’une proportion suffisante
de la population se fasse vacciner ; mais intérêt général
et intérêt particulier ne font pas toujours bon ménage (9).
L’application récente de la théorie des jeux aux vaccinations
confirme cette difficulté (9). Ainsi, “même si, le plus sou-
vent, les craintes dans le domaine sont purs fantasmes, elles
ont pour effet de diminuer la proportion de personnes pro-
tégées, et donc de favoriser l’extension de la maladie. Une
fois qu’une campagne d’information a été menée sur l’inno-
cuité d’un vaccin, on pourrait penser que le phénomène
inverse se produit : la perception du risque redevenue
conforme à la réalité, davantage de gens se font vacciner,
faisant ainsi reculer la maladie aussi vite qu’elle s’est déve-
loppée lorsque les gens avaient peur du vaccin”. Or, ce
n’est pas le cas ; l’ombre était tombée sur le vaccin contre