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La vaccination contre l’hépatite B : trente ans après…
Hepatitis B vaccination: thirty years later
● F. Denis*
n 1966, B. Blumberg découvre dans le sérum d’aborigènes australiens un antigène (Ag Au) qui, avec la
contribution de A.M. Prince, a été considéré comme
pouvant être la conséquence d’une infection virale transmise
par transfusion (1). Par la suite, cet antigène est apparu
comme étant de l’antigène d’enveloppe (Ag HBs) du virus de
l’hépatite B produit par le foie et libéré en abondance dans le
plasma des porteurs du virus. Les anticorps dirigés contre cet
Ag HBs (anti-HBs) ont rapidement été reconnus comme étant
protecteurs dans le cadre d’immunisations passives.
Beaucoup doutaient à l’époque de la faisabilité du vaccin, en
s’appuyant sur le dogme d’une nécessaire culture du virus
pour obtenir des antigènes vaccinaux en quantité suffisante...
Or, le virus était et reste à ce jour non cultivable. Constatant
que des quantités importantes d’Ag HBs circulaient dans le
sang de porteurs chroniques du virus de l’hépatite B, l’idée
originale et l’audace de l’équipe tourangelle animée par
Philippe Maupas (2) ont fait que, rapidement, de l’Ag HBs
provenant des billes 22 nm présentes dans sérums et plasmas
de porteurs chroniques a été fortement purifié et inactivé par
le formol. La tolérance, l’immunogénicité et la protection
conférées par la préparation ont été testées sur des chimpanzés.
Ce vaccin ayant pour ambition d’être universel contenait à
part égale deux sous-types ad et ay, car on ne savait pas à
l’époque que les anticorps protecteurs étaient dirigés contre la
boucle “a”, commune à tous les sous-types, et qu’il suffisait
d’un seul sous-type dans un vaccin pour induire une protection contre toutes les souches (les vaccins actuels ne contiennent d’ailleurs qu’un seul sous-type). Ce vaccin a d’abord été
testé sur les “volontaires”, qui étaient les chercheurs de
l’équipe et leurs familles ; ce vaccin plasmatique “d’extraction”
était bien toléré et très immunogène. Du fait du risque élevé
d’hépatite B au sein du service d’hémodialyse de Tours, il fut
proposé au personnel et aux patients volontaires de participer
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* Service de bactériologie-virologie-hygiène, CHU Dupuytren, 87042 Limoges.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005
à une étude vaccin versus placebo. Devant le refus du placebo,
96 personnes furent vaccinées à la fin de l’année 1975 suivant
un protocole de deux injections sous-cutanées à un mois
d’intervalle. Cette première étude a confirmé l’innocuité et
l’immunogénicité de cette vaccination, avec 82 % de répondeurs.
Les travaux réalisés par l’équipe de Maupas ont été publiés
en 1976 aux niveaux national et international, notamment
dans le Lancet (2). Un accord passé avec l’Institut
Pasteur a ensuite permis de passer à un stade de production
industriel en modifiant la procédure de préparation, et ce
vaccin d’origine plasmatique a reçu son autorisation de mise
sur le marché en 1981.
À partir de 1986, afin de s’affranchir d’une origine plasmatique, sont apparus des vaccins de deuxième génération
obtenus par génie génétique, le précieux antigène étant
produit par des levures (Saccharomyces cerevisiae) ou des
cellules de mammifères (cellules ovariennes de hamster
[CHO]).
Ces vaccins (plasmatiques d’abord, obtenus par génie génétique ensuite) sont apparus comme étant très immunogènes
chez les adultes, puis chez les enfants, et enfin chez les
nouveau-nés. Très rapidement, ils ont montré leur remarquable efficacité, permettant une quasi-disparition des hépatites B aiguës et chroniques chez les sujets vaccinés, notamment le personnel soignant et les patients les plus exposés,
puis au niveau de populations à haute prévalence (1). De
plus, ils se sont révélés très efficaces en postexposition,
notamment chez les nouveau-nés de mères porteuses de
l’Ag HBs, même si elles répliquaient intensément le virus
(Ag HBe+). Le concept de prévention d’un processus cancéreux, en l’occurrence l’hépatocarcinome, grâce à une vaccination contre l’hépatite B a pris corps avec le lancement
d’une vaccination hépatite B-hépatome au Sénégal dès 1976
(3). Le challenge devint rapidement international, et l’hypo-
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thèse de prévention d’un cancer par une vaccination spécifique
verra sa confirmation à Taïwan plus tôt qu’attendu, dès 1997
(4). La stratégie vaccinale s’est étendue en France (5) en
commençant par les groupes à très haut risque, concernant
ensuite les adultes exposés aux risques de maladies sexuellement transmises ou soumis à des expositions au sang (tels les
drogués par voie intraveineuse). Mais cette stratégie est
apparue insuffisante, et la vaccination a été étendue aux nouveau-nés de mères porteuses de l’Ag HBs (1992) et, enfin,
recommandée à tous les nourrissons et aux préadolescents/
adolescents, pour ces derniers dans un contexte souvent scolaire.
Selon les modélisations de Margolis (6), pour être efficace,
y compris dans les pays de faible endémie comme la France,
il faut combiner ces approches multiples avec la vaccination
des groupes à risque, des nourrissons et des adolescents (en
attendant que les nourrissons vaccinés d’aujourd’hui soient
les adolescents de demain, ce qui permettra de supprimer
alors la vaccination préadolescents/adolescents), l’objectif
pour l’OMS étant le contrôle, voire l’éradication, de l’hépatite B à l’aide d’une vaccination généralisée au niveau
planétaire (plus de 140 pays ont à ce jour inclus le vaccin
hépatite B dans leur calendrier vaccinal).
Mais ce déroulement, qui aurait pu se faire dans un ciel
serein, a connu des évolutions diverses, les unes favorables,
les autres regrettables, que nous survolerons rapidement.
Comme aucun vaccin n’a fait l’objet d’une telle surveillance,
on a pu cerner des facteurs de moindre réponse à la vaccination (âge, sexe masculin, obésité, tabagisme, immunodépression, certains groupes HLA). Il est apparu que les sujets
qui avaient répondu au vaccin étaient protégés durablement,
même si leur titre d’anticorps “protecteurs” anti-HBs descendait en dessous de 10 UI/l ; les répondeurs le sont
probablement pour la vie grâce à une mémoire immunitaire
activée dès le contact avec un virus, en quelques jours, alors
que l’incubation de l’infection s’exprime en mois… (1). Ces
études ont permis d’alléger le schéma vaccinal, passant de
quatre injections à trois du schéma dit 0-1-2-12 au schéma
0-1-6, et de s’affranchir d’un rappel vaccinal chez les sujets
immunocompétents. Mais, parallèlement à ces acquis, une
suspicion a pesé sur ce vaccin et empêche encore actuellement d’atteindre un taux de couverture correct.
Les polémiques ont initialement porté sur la nature et l’origine du vaccin : nature plasmatique de l’antigène vaccinal
avec soupçon de transmettre le VIH (on était dans la décennie sida), et certains plasmas venaient des États-Unis, etc.
Cette attaque n’était pas justifiée, car le virus ne pouvait
résister aux étapes de purification et d’inactivation utilisées.
Les vaccins de deuxième génération (génie génétique)
s’affranchissent de cette source. La médiatisation des effets
4
indésirables a commencé en 1994 pour les atteintes démyélinisantes centrales, en 1997 pour l’hydroxyde d’aluminium et
la myofasciite à macrophages et, en 1999, pour le thiomersal,
innocenté depuis (7). Au nom du principe de précaution, la
suspension de la vaccination anti-hépatite B en milieu scolaire a non seulement entraîné un ralentissement de la vaccination, mais aussi jeté un certain discrédit sur celle-ci, y compris chez les professionnels de santé, et retardé la vaccination
des populations cibles comme les nourrissons. Ces différents
éléments ont entravé la diffusion de la vaccination. On peut
considérer que, fin 2002, près de 30 millions de Français ont
été vaccinés, dont 10 millions d’enfants de moins de 15 ans
et 2,4 millions de nourrissons. Vu le nombre d’adultes vaccinés, il était nécessaire de faire, pour ces “effets indésirables”,
la part de la coïncidence et de la causalité, notamment pour
les atteintes démyélinisantes, puisqu’on a vacciné un grand
nombre d’adultes dans les tranches d’âge de survenue spontanée des scléroses en plaques (SEP). Les réunions de
Consensus INSERM/ANAES des 10-11 septembre 2003 et
du 9 novembre 2004 (voir page 16) prenant en compte une
publication très médiatisée n’ont pas remis en cause le dépistage des femmes enceintes porteuses de l’Ag HBs et la sérovaccination de leurs enfants (renforcés par la circulaire de la
DGS du 10 novembre 2004), pas plus que la vaccination des
groupes à risque ou celle des nourrissons (dont le taux de
couverture ne dépasse pas actuellement en France 30 %) et
des préadolescents/adolescents, pour lesquels la tolérance et
l’immunogénicité du vaccin sont excellentes. Comme l’exprime une épidémiologiste française qui fait référence, parlant des atteintes démyélinisantes : “l’association, si elle
existe, est très faible, et il faudrait bien plus de cas que ceux
qui surviennent naturellement pour aboutir à une conclusion
ferme” (8).
Il est demandé, pour le vaccin hépatite B comme pour
d’autres vaccins, d’évaluer le bénéfice/risque individuel. Or,
comme le rappelle un article récent, pour qu’un vaccin puisse
éradiquer une maladie, il faut qu’une proportion suffisante
de la population se fasse vacciner ; mais intérêt général
et intérêt particulier ne font pas toujours bon ménage (9).
L’application récente de la théorie des jeux aux vaccinations
confirme cette difficulté (9). Ainsi, “même si, le plus souvent, les craintes dans le domaine sont purs fantasmes, elles
ont pour effet de diminuer la proportion de personnes protégées, et donc de favoriser l’extension de la maladie. Une
fois qu’une campagne d’information a été menée sur l’innocuité d’un vaccin, on pourrait penser que le phénomène
inverse se produit : la perception du risque redevenue
conforme à la réalité, davantage de gens se font vacciner,
faisant ainsi reculer la maladie aussi vite qu’elle s’est développée lorsque les gens avaient peur du vaccin”. Or, ce
n’est pas le cas ; l’ombre était tombée sur le vaccin contre
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 1 - janvier-février 2005
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l’hépatite B (10) et la reprise est lente… d’autant plus que
l’on médiatise davantage les effets indésirables éventuels
que les bienfaits vaccinaux. Qui parle des hépatites découvertes au stade de chronicité (l’hépatite B souffrant du
caractère le plus souvent asymptomatique initial), qui parle
des hépatites B fulminantes,voire mortelles, survenues chez
des enfants nés de mères Ag HB+ qui ont échappé à la vaccination néonatale ? Il faut aussi expliquer le fait que plus la
maladie recule, plus le risque individuel vaccinal, même très
faible, l’emporte sur le bénéfice individuel ; mais, en termes
de santé publique, le risque d’épidémie est, lui, inacceptable. On peut, en dehors de l’hépatite B, méditer sur la
balance entre l’actuel bénéfice/risque individuel et collectif
en France de la vaccination contre la poliomyélite ! Or, il
serait criminel d’arrêter cette vaccination tant que l’objectif
d’éradication de cette maladie n’est pas atteint…
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É F É R E N C E S
D I T O R I A L
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Denis F, Trepo C. Virus des hépatites B et delta. Paris : Elsevier 2004.
2. Maupas P, Goudeau A, Coursaget P, Drucker J. Immunisation against hepatitis B in man. Lancet 1976;I:1367-70.
3. Maupas P, Coursaget P, Goudeau A et al. HBV infection and hepatoma: epidemiological, clinical and virology study in Senegal. Perspective of prevention by
active immunization. In: Viruses in naturally occurring cancer.
M. Essex, G. Torado, H. Zur Hausen. (ed.). Cold Spring Harbor Conferences on
Cell Proliferation. New York : 1980;7:481-508.
4. Chang MH, Chen CJ, Lai MS et al. Universal hepatitis vaccination in Taiwan
and the incidence of hepatocellular carcinoma in children. N Engl J Med
1997;336:1855-9.
5. Denis F, Abitbol V, Aufrère A. Évolution des stratégies vaccinales et couverture vaccinale contre l’hépatite B en France, pays de faible endémie. Med Mal
Infect 2004;34:149-58.
Il faut informer les populations sur l’hépatite B et sur
l’intérêt de la vaccination, notamment celle des nourrissons
et des préadolescents/adolescents, montrer que beaucoup
d’autres pays ayant une épidémiologie comparable (États-Unis,
Canada, Allemagne…) ou voisine (Italie, Espagne,
Roumanie…) ont atteint des taux de couverture de l’ordre
de 90 %, qui devraient constituer notre objectif à court
terme grâce à une relance de la vaccination intelligente et
volontariste prenant en compte des objectifs de santé
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publique clairs, nationaux et mondiaux.
6. Margolis HS, Alter MJ, Hadler SC. Hepatitis B: evolving epidemiology and
implications for control. Sem Liv Dis 1991;11:84-92.
7. Andrews N, Miller E, Grant A, Stowe J, Osborne V, Taylor B. Thimerosal
exposure in infants and developmental disorders: a retrospective cohort study
in United Kingdom does not support a causal association. Pediatrics 2004;114:
584-91.
8. Alperovitch A. Les limites de l’épidémiologie. La Recherche 2005;382:23.
9.
Bauch CT, Earn DJ. Vaccination and the theory of games. Commentaire
Rittaud B. Choisir de se vacciner ou pas : une question de probabilité. La
Recherche 2004;380:30-1.
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