vie profes Vie professionnelle L’UNAFAM : un autre regard B. Escaig* L’ U N A FA M , U n i o n parmi les célibataires). Il n fossé se creuse entre l’hôpital et les familles igno- (ou elle) habite avec la nationale des amis et familles de malades rantes de la conduite à tenir envers leur malade. famille dans 42 % des cas mentaux et de leurs asso- Cependant, c’est à ces mêmes familles que l’on confiera le (et pour 83 %, avec la ciations, a été créée à génération supérieure), Paris quelques années malade à sa sortie de l’établissement de soins, comptant plus souvent encore dans auparavant, en 1962, à sur une compréhension qu’elles n’ont pas toujours en le cas des psychoses. l’initiative de quelques raison de leur inexpérience. Des familles dont on attend Les catégories diagnospsychiatres humanistes, trop, alors qu’elles sont en vérité désemparées, démunies, par- tiques se répartissent dont on retiendra P. : PMD, 11,5% ; fois elles-mêmes traumatisées par le déroulement d’une épreu- ainsi Sivadon, P. Chanoit, C. dépression, 3,5 % ; L e r o y , C . Ve i l e t ve à laquelle elles n’étaient pas préparées” (les passages névrose, 5 % ; autisme quelques autres de la sont soulignés par nous). C’était voici trente et un an, en 7 % ; les 66 % restants, Ligue française d’hy- 1969, les paroles du président Brunel au deuxième congrès étant des psychoses (schizophrénies : giène mentale (devenue, de l’UNAFAM (1), des paroles encore largement actuelles. 51,6 % ; psychoses disen 1996, la Ligue fransociatives : 5,5 % ; çaise pour la santé menautres psychoses : 9 %). tale), qui aidèrent des familles de la diffusion rapide des pratiques thérapatients psychotiques à se regrouper et peutiques qui se révèlent les plus effià s’entraider au sein d’une association. caces, sans exclure les tentatives innovantes. De là est née l’UNAFAM, du besoin de solidarité active entre familles désoPresque quarante ans plus tard, quelles C’est la première fonction de l’UNAFAM. rientées, trop vite laissées seules pour sont, en chiffres, les 8 500 familles adhé“Accueillir, écouter, soutenir, accompaassumer in fine la lourde charge de rentes formant notre association ? Selon gner” : ces quatre mots résument la fonc“leur” malade au long cours d’une malaune enquête de 1991 (2), ce sont des tion de nos permanences qui reçoivent les die dont on ne sait jamais où l’on en est. parents d’âge moyen 66 ans (depuis familles sur tout le territoire national (pluDe là aussi les objectifs qui sont encore 1991, des parents plus jeunes adhèrent, sieurs dizaines de milliers d’appels téléles nôtres aujourd’hui : aide aux et cet âge est sans doute encore plus bas phoniques annuels). Il existe un “Service familles, amélioration de la qualité de aujourd’hui), dont la moitié sont retraiécoute famille” au siège national qui renvie des patients, défense des droits des tés, et de catégorie socioprofessionnelle voie les appels aux sections locales patients et de leur famille, lutte pour un plutôt relativement élevée (ouvriers, perconcernées (plus de 7 000 appels annuels), autre regard de la société sur les malades sonnels de service : 4,5 % ; employés : mais aussi des permanences sur place, mentaux. Et, devant les incertitudes et 11 % ; cadres supérieurs : 22 % ; prodans 90 départements. la diversité des pratiques médicales, il fessions intermédiaires : 23 % ; profess’agit encore de soutenir l’effort de la sions libérales : 6,4 % ; artisans, comAujourd’hui comme hier, la famille doit recherche, d’aider à la mise au point et merçants : 4,5 % ; agriculteurs : 2,5 % ; être aidée, formée. Ces familles “désemfemmes sans profession : 38 %). Le parées, démunies”, à bout de souffle ont malade est plutôt un homme (66 % besoin d’une formation pour pouvoir assud’hommes, 34 % de femmes) d’âge mer le rôle incontournable qui est le leur moyen 40 ans, les troubles étant apparus dans la chaîne de soins, dans l’intérêt en moyenne à 18 ans, et célibataire dans même du patient. Comme telle, cette formation fait partie intégrante du devoir des 83 % des cas (88 % de schizophrènes * Vice-président de l’UNAFAM. “U Aider les familles Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000 334 sionnelle Vie professionnelle soignants. Pas nécessairement pour la délivrer eux-mêmes, car, pour redonner force, l’expérience d’autres familles plus aguerries a son prix, mais pour y veiller, pour la faciliter matériellement et y contribuer aussi ; en bref, pour l’organiser en partenariat avec les familles. Cela nous semble préparer la sortie bien plus utilement que le mythique “projet de sortie” qu’on fait souvent semblant d’attendre d’un malade désemparé en attendant que soit écoulée sa “durée moyenne de séjour”. Il est indispensable dans cet apport d’informations de redonner confiance à la famille, de la positiver, de soutenir son moral ; il y faut beaucoup de pédagogie. La première forme d’entraînement à vivre avec un psychotique est celle qui est dispensée dans les permanences de l’UNAFAM par ses membres. À la fois par l’expérience unique qu’ils ont des familles et par leur observation complémentaire des malades au quotidien, par la distance qu’ils ont acquise avec le coup dur, ils diffusent une information globale avec beaucoup de pédagogie et de chaleur humaine, tout en aidant concrètement les familles et en essayant d’apporter des solutions au jour le jour. Mais aux côtés du pédagogue, il faut aussi un technicien. L’expérience des “groupes de parole”, groupes d’une dizaine de familles animés par un professionnel, psychiatre ou psychologue, s’est répandue avec succès dans les sections de l’UNAFAM. Dans ces groupes, l’information est transmise de famille à famille dans un climat de franche solidarité, sans complaisance ni vaines lamentations, et mise en perspective par l’animateur soignant. Récemment sont apparues plusieurs méthodes d’entraînement (Profamille, PACT…) ; elles reprennent l’idée de pédagogie de groupe, mais sous une forme plus structurée, en une dizaine de sessions animées par un modérateur soignant ou non, avec ou sans l’UNAFAM, avec ou sans l’aide de spécialistes de la formation d’adultes. Enfin, il existe également une méthode venue d’Australie, la méthode de Ken Alexander, récemment traduite en français par notre association. Celle-ci est issue, cette fois, de l’expérience même du vécu des familles (Ken Alexander est luimême père de schizophrène), de ce qui s’est révélé être utile pour survivre, améliorer la vie de la famille et donc celle du patient lui-même. Améliorer la qualité de vie des malades et de leur famille Il est clair que les actions de soutien qui précèdent sont essentielles pour prévenir les rechutes et favoriser le progrès vers l’autonomie des patients. Mais d’autres besoins existent en termes de structures médicosociales et de lieux de vie. D’une part, nous manquons cruellement de lieux de postcure en France. L’UNAFAM, qui a créé dans le passé un certain nombre d’établissements de réinsertion sociale, se donne pour objectif de favoriser (déclencher), partout où c’est possible, la création de ces structures médicosociales en collaboration avec les équipes de soignants, mais en reconnaissant qu’elle n’a ni les moyens ni les compétences pour les gérer. D’autre part, puisque nos malades ne sont pas guéris, au moins doit-on soulager leur vie au quotidien, un quotidien qui dure très longtemps. Comment ? Accompagner – aller de compagnie – est la clé. Très peu de schizophrènes peuvent “aller” tout seuls. Il faut des structures qui ne soient pas seulement transitoires, pour une période de réinsertion ou de réhabilitation, comme si on pouvait un jour être “réhabilité” sans être guéri ; mais aussi des structures où l’on réside et où l’on est accompagné, aidé tant que l’on n’est pas guéri, tant que dure la vie. Des structures diverses, aussi diverses que nous, aussi dignes que le mérite la personne humaine, mais pas nécessairement hors de prix. Ce 335 sont les services d’accompagnement à la vie sociale (en collaboration avec des associations de visiteurs à domicile, déjà en place pour certains malades ou pour les personnes âgées), et les lieux de vie ou résidences accompagnées, du type résidence-services comme pour les personnes âgées (presque inexistantes…). Là encore, l’UNAFAM souhaite impulser et initier ces projets avec les équipes soignantes. Défendre les droits des patients et de leur famille auprès des pouvoirs publics L’UNAFAM participe aux instances consultatives nationales élaborant la politique de Santé mentale et la protection des “handicapés psychiques”. Au contraire des handicaps physique (déficience physique) et mental (déficience intellectuelle), qui ont une existence réglementaire depuis longtemps et correspondent à des procédures légales d’aide, le handicap psychique (déficience comportementale) n’a encore aucun statut administratif dans notre pays, alors même que les mesures d’accompagnement qu’il nécessite lui sont spécifiques. Il est donc indispensable en premier lieu d’obtenir la reconnaissance de ce type particulier de handicap, et les moyens nécessaires à son accompagnement (même si ce statut de handicapé ne doit pas masquer le fait que nos patients, plus ou moins “réinsérés”, ne sont pas guéris et que, n’étant pas guéris, ils sont donc toujours malades !). C’est pourquoi l’UNAFAM, qui approuve l’évolution actuelle de la psychiatrie, favorisant le plus possible la vie du patient dans la cité, a demandé au gouvernement et obtenu, dans une démarche commune avec les organisations de psychiatres et de patients psychiatriques, qu’un rapport parlementaire sur le handicap psychique, sa nature, son étendue et l’accompagnement qu’il nécessite soit établi. vie profes Vie professionnelle Cette action, l’UNAFAM la mène aussi à l’échelon régional (participation aux travaux des schémas régionaux d’organisation sanitaire), départemental (participation aux comités départementaux de santé mentale) et dans les commissions départementales des hôpitaux psychiatriques pour défendre le droit et le respect des malades. Enfin, l’UNAFAM participe à la gestion publique des soins : elle est présente dans les COTOREP (55 départements) et dans les Conseils d’administration de nombreux établissements de santé mentale et de certains hôpitaux généraux (dans 58 départements). Cette représentation permet de mieux connaître concrètement les équipes de soignants et leurs problèmes et facilite les partenariats souhaitables. Rattraper le retard dans la recherche psychiatrique Il est urgent qu’un plan de rattrapage de la recherche, où l’investissement matériel et humain est dérisoire par rapport au poids de la santé mentale dans la société, soit mis sur pied. Dans ce contexte apparaît clairement la nécessité d’une action de l’UNAFAM pour le développement de la recherche selon trois axes principaux : – avoir une recherche épidémiologique et surtout clinique dans les centres de soins ; – créer et développer des liens entre recherche clinique et neurobiologique ; – développer les recherches en sciences sociales, notamment sur la réinsertion sociale du patient et les effets des restructurations de l’hôpital psychiatrique en cours sur la qualité de vie du patient et de sa famille. Ces objectifs, outre l’action institutionnelle au niveau national que nous menons en commun avec la Fédération française Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000 de psychiatrie, entraînent aussi une action dans les régions. L’UNAFAM, souvent en position de médiateur, permet de débloquer des situations locales diverses, de faire évoluer les potentiels de recherche sur le terrain et de faire progresser la priorité en faveur de la recherche (en intervenant comme expert à titre d’usager au niveau de l’Agence régionale de l’hospitalisation, dans les demandes de financement régionales, dans les EPSM, etc.). Un autre regard L’UNAFAM s’attache à promouvoir “un autre regard” de l’opinion publique sur les malades et la maladie mentale : – en stimulant et en soutenant l’évolution de la psychiatrie et de son image (Semaine nationale d’information sur la santé mentale, en partenariat avec les psychiatres, etc.) ; – en agissant auprès des médias : participation à des émissions de radio, de télévision, invitation de la presse locale par les sections, etc. ; – en organisant chaque année un Congrès national, sous le haut patronage du ministère de la Santé et des Affaires sociales ; – en contribuant à organiser et en participant à de nombreux colloques et séminaires, tant en France qu’à l’étranger, etc. ; – en diffusant des brochures, une revue trimestrielle, etc. peut mieux comprendre les familles de malades mentaux que d’autres familles de malades mentaux ? Mais notre association ne pourrait rien si elle n’était collectivement soutenue, encouragée, aidée par les psychiatres, les assistantes sociales, les infirmiers, tous ceux qui se dévouent à la cause de leurs malades.” Ce partenariat, nous entendons l’étendre aujourd’hui en y incluant non seulement les soignants mais aussi les associations de patients, les élus et responsables divers de la cité. Nous disons que l’accompagnement dont ont besoin nos patients dans la cité est si complexe à réaliser qu’aucun de ces partenaires, à lui seul, n’est en mesure d’apporter une solution satisfaisante : ni les familles, ni les soignants, ni a fortiori les patients ou les élus. En conclusion, l’UNAFAM agit en médiateur partout où cela est nécessaire, entre les malades, leur famille, quand elle existe, et les divers acteurs qu’ils rencontrent dans leur difficile trajectoire. Le partenariat des familles avec la société civile (patients, soignants, collectivités territoriales), fondé sur la confiance et l’égalité, est devenu la règle de nos actions. L’évolution actuelle de la psychiatrie replaçant de plus en plus le patient dans la vie de la cité l’y oblige mais le favorise aussi. Le succès de ces partenariats est sans doute le grand défi à remporter dans les années qui viennent. Médiateur et partenaire Reprenons l’allocution du président Brunel en 1969 – toute la définition et la nécessité du partenariat avec les soignants que nous appelons actuellement y étaient déjà exprimées – : “Cette barrière artificiellement dressée entre l’hôpital et les familles, nous la renversons. Pourquoi ? Parce que nous apportons à nos adhérents le soutien qui leur manque. Qui 336 Références 1. Santé Mentale. Paris : Ligue française pour la santé mentale 1969 ; 2 : 35-7. 2. Bungener M. In : Trajectoires brisées, familles captives. Paris : Les Éditions INSERM, 1995.