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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000
vie profes
Vie professionnelle
L’UNAFAM, Union
nationale des amis et
familles de malades
mentaux et de leurs asso-
ciations, a été créée à
Paris quelques années
auparavant, en 1962, à
l’initiative de quelques
psychiatres humanistes,
dont on retiendra P.
Sivadon, P. Chanoit, C.
Leroy, C. Veil et
quelques autres de la
Ligue française d’hy-
giène mentale (devenue,
en 1996, la Ligue fran-
çaise pour la santé men-
tale), qui aidèrent des familles de
patients psychotiques à se regrouper et
à s’entraider au sein d’une association.
De là est née l’UNAFAM, du besoin de
solidarité active entre familles déso-
rientées, trop vite laissées seules pour
assumer in fine la lourde charge de
“leur” malade au long cours d’une mala-
die dont on ne sait jamais où l’on en est.
De là aussi les objectifs qui sont encore
les nôtres aujourd’hui : aide aux
familles, amélioration de la qualité de
vie des patients, défense des droits des
patients et de leur famille, lutte pour un
autre regard de la société sur les malades
mentaux. Et, devant les incertitudes et
la diversité des pratiques médicales, il
s’agit encore de soutenir l’effort de la
recherche, d’aider à la mise au point et
la diffusion rapide des pratiques théra-
peutiques qui se révèlent les plus effi-
caces, sans exclure les tentatives inno-
vantes.
Presque quarante ans plus tard, quelles
sont, en chiffres, les 8 500 familles adhé-
rentes formant notre association ? Selon
une enquête de 1991 (2), ce sont des
parents d’âge moyen 66 ans (depuis
1991, des parents plus jeunes adhèrent,
et cet âge est sans doute encore plus bas
aujourd’hui), dont la moitié sont retrai-
tés, et de catégorie socioprofessionnelle
plutôt relativement élevée (ouvriers, per-
sonnels de service : 4,5 % ; employés :
11 % ; cadres supérieurs : 22 % ; pro-
fessions intermédiaires : 23 % ; profes-
sions libérales : 6,4 % ; artisans, com-
merçants : 4,5 % ; agriculteurs : 2,5 % ;
femmes sans profession : 38 %). Le
malade est plutôt un homme (66 %
d’hommes, 34 % de femmes) d’âge
moyen 40 ans, les troubles étant apparus
en moyenne à 18 ans, et célibataire dans
83 % des cas (88 % de schizophrènes
parmi les célibataires). Il
(ou elle) habite avec la
famille dans 42 % des cas
(et pour 83 %, avec la
génération supérieure),
plus souvent encore dans
le cas des psychoses.
Les catégories diagnos-
tiques se répartissent
ainsi : PMD, 11,5% ;
dépression, 3,5 % ;
névrose, 5 % ; autisme
7%; les 66 % restants,
étant des psychoses
(schizophrénies :
51,6 % ; psychoses dis-
sociatives : 5,5 % ;
autres psychoses : 9 %).
Aider les familles
C’est la première fonction de l’UNAFAM.
Accueillir, écouter, soutenir, accompa-
gner” : ces quatre mots résument la fonc-
tion de nos permanences qui reçoivent les
familles sur tout le territoire national (plu-
sieurs dizaines de milliers d’appels télé-
phoniques annuels). Il existe un “Service
écoute famille” au siège national qui ren-
voie les appels aux sections locales
concernées (plus de 7 000 appels annuels),
mais aussi des permanences sur place,
dans 90 départements.
Aujourd’hui comme hier, la famille doit
être aidée, formée. Ces familles “désem-
parées, démunies”, à bout de souffle ont
besoin d’une formation pour pouvoir assu-
mer le rôle incontournable qui est le leur
dans la chaîne de soins, dans l’intérêt
même du patient. Comme telle, cette for-
mation fait partie intégrante du devoir des
Un fossé se creuse entre l’hôpital et les familles igno-
rantes de la conduite à tenir envers leur malade.
Cependant, c’est à ces mêmes familles que l’on confiera le
malade à sa sortie de l’établissement de soins, comptant
sur une compréhension qu’elles n’ont pas toujours en
raison de leur inexpérience. Des familles dont on attend
trop, alors qu’elles sont en vérité désemparées, démunies, par-
fois elles-mêmes traumatisées par le déroulement d’une épreu-
ve à laquelle elles n’étaient pas préparées” (les passages
sont soulignés par nous). C’était voici trente et un an, en
1969, les paroles du président Brunel au deuxième congrès
de l’UNAFAM (1), des paroles encore largement actuelles.
* Vice-président de l’UNAFAM.
L’UNAFAM : un autre regard
B. Escaig*
soignants. Pas nécessairement pour la déli-
vrer eux-mêmes, car, pour redonner force,
l’expérience d’autres familles plus aguer-
ries a son prix, mais pour y veiller, pour la
faciliter matériellement et y contribuer
aussi ; en bref, pour l’organiser en parte-
nariat avec les familles. Cela nous semble
préparer la sortie bien plus utilement que
le mythique “projet de sortie” qu’on fait
souvent semblant d’attendre d’un malade
désemparé en attendant que soit écoulée
sa “durée moyenne de séjour”.
Il est indispensable dans cet apport d’in-
formations de redonner confiance à la
famille, de la positiver, de soutenir son
moral ; il y faut beaucoup de pédagogie.
La première forme d’entraînement à vivre
avec un psychotique est celle qui est dis-
pensée dans les permanences de l’UNA-
FAM par ses membres. À la fois par l’ex-
périence unique qu’ils ont des familles et
par leur observation complémentaire des
malades au quotidien, par la distance
qu’ils ont acquise avec le coup dur, ils dif-
fusent une information globale avec beau-
coup de pédagogie et de chaleur humaine,
tout en aidant concrètement les familles et
en essayant d’apporter des solutions au
jour le jour.
Mais aux côtés du pédagogue, il faut aussi
un technicien. L’expérience des “groupes
de parole”, groupes d’une dizaine de
familles animés par un professionnel, psy-
chiatre ou psychologue, s’est répandue
avec succès dans les sections de l’UNA-
FAM. Dans ces groupes, l’information est
transmise de famille à famille dans un cli-
mat de franche solidarité, sans complai-
sance ni vaines lamentations, et mise en
perspective par l’animateur soignant.
Récemment sont apparues plusieurs
méthodes d’entraînement (Profamille,
PACT…) ; elles reprennent l’idée de péda-
gogie de groupe, mais sous une forme plus
structurée, en une dizaine de sessions ani-
mées par un modérateur soignant ou non,
avec ou sans l’UNAFAM, avec ou sans
l’aide de spécialistes de la formation
d’adultes. Enfin, il existe également une
méthode venue d’Australie, la méthode de
Ken Alexander, récemment traduite en
français par notre association. Celle-ci est
issue, cette fois, de l’expérience même du
vécu des familles (Ken Alexander est lui-
même père de schizophrène), de ce qui
s’est révélé être utile pour survivre, amé-
liorer la vie de la famille et donc celle du
patient lui-même.
Améliorer la qualité de vie
des malades et de leur famille
Il est clair que les actions de soutien qui
précèdent sont essentielles pour prévenir
les rechutes et favoriser le progrès vers
l’autonomie des patients. Mais d’autres
besoins existent en termes de structures
médicosociales et de lieux de vie.
D’une part, nous manquons cruellement
de lieux de postcure en France. L’UNA-
FAM, qui a créé dans le passé un certain
nombre d’établissements de réinsertion
sociale, se donne pour objectif de favori-
ser (déclencher), partout où c’est possible,
la création de ces structures médico-
sociales en collaboration avec les équipes
de soignants, mais en reconnaissant
qu’elle n’a ni les moyens ni les compé-
tences pour les gérer.
D’autre part, puisque nos malades ne sont
pas guéris, au moins doit-on soulager leur
vie au quotidien, un quotidien qui dure très
longtemps. Comment ? Accompagner –
aller de compagnie – est la clé. Très peu
de schizophrènes peuvent “aller” tout
seuls. Il faut des structures qui ne soient
pas seulement transitoires, pour une
période de réinsertion ou de réhabilitation,
comme si on pouvait un jour être “réhabi-
lité” sans être guéri ; mais aussi des struc-
tures où l’on réside et où l’on est accom-
pagné, aidé tant que l’on n’est pas guéri,
tant que dure la vie. Des structures
diverses, aussi diverses que nous, aussi
dignes que le mérite la personne humaine,
mais pas nécessairement hors de prix. Ce
sont les services d’accompagnement à la
vie sociale (en collaboration avec des asso-
ciations de visiteurs à domicile, déjà en
place pour certains malades ou pour les
personnes âgées), et les lieux de vie ou
résidences accompagnées, du type rési-
dence-services comme pour les personnes
âgées (presque inexistantes…). Là encore,
l’UNAFAM souhaite impulser et initier
ces projets avec les équipes soignantes.
Défendre les droits des patients
et de leur famille auprès
des pouvoirs publics
L’UNAFAM participe aux instances
consultatives nationales élaborant la poli-
tique de Santé mentale et la protection des
“handicapés psychiques”. Au contraire
des handicaps physique (déficience phy-
sique) et mental (déficience intellectuelle),
qui ont une existence réglementaire depuis
longtemps et correspondent à des procé-
dures légales d’aide, le handicap psy-
chique (déficience comportementale) n’a
encore aucun statut administratif dans
notre pays, alors même que les mesures
d’accompagnement qu’il nécessite lui sont
spécifiques. Il est donc indispensable en
premier lieu d’obtenir la reconnaissance
de ce type particulier de handicap, et les
moyens nécessaires à son accompagne-
ment (même si ce statut de handicapé ne
doit pas masquer le fait que nos patients,
plus ou moins “réinsérés”, ne sont pas gué-
ris et que, n’étant pas guéris, ils sont donc
toujours malades !).
C’est pourquoi l’UNAFAM, qui approuve
l’évolution actuelle de la psychiatrie, favo-
risant le plus possible la vie du patient dans
la cité, a demandé au gouvernement et
obtenu, dans une démarche commune avec
les organisations de psychiatres et de
patients psychiatriques, qu’un rapport par-
lementaire sur le handicap psychique, sa
nature, son étendue et l’accompagnement
qu’il nécessite soit établi.
335
sionnelle
Vie professionnelle
Cette action, l’UNAFAM la mène aussi à
l’échelon régional (participation aux tra-
vaux des schémas régionaux d’organisa-
tion sanitaire), départemental (participa-
tion aux comités départementaux de santé
mentale) et dans les commissions dépar-
tementales des hôpitaux psychiatriques
pour défendre le droit et le respect des
malades.
Enfin, l’UNAFAM participe à la gestion
publique des soins : elle est présente dans
les COTOREP (55 départements) et dans
les Conseils d’administration de nom-
breux établissements de santé mentale et
de certains hôpitaux généraux (dans
58 départements). Cette représentation
permet de mieux connaître concrètement
les équipes de soignants et leurs pro-
blèmes et facilite les partenariats souhai-
tables.
Rattraper le retard dans
la recherche psychiatrique
Il est urgent qu’un plan de rattrapage de
la recherche, où l’investissement maté-
riel et humain est dérisoire par rapport au
poids de la santé mentale dans la société,
soit mis sur pied. Dans ce contexte appa-
raît clairement la nécessité d’une action
de l’UNAFAM pour le développement de
la recherche selon trois axes principaux :
– avoir une recherche épidémiologique et
surtout clinique dans les centres de
soins ;
créer et développer des liens entre
recherche clinique et neurobiologique ;
développer les recherches en sciences
sociales, notamment sur la réinsertion
sociale du patient et les effets des
restructurations de l’hôpital psychia-
trique en cours sur la qualité de vie du
patient et de sa famille.
Ces objectifs, outre l’action institution-
nelle au niveau national que nous menons
en commun avec la Fédération française
de psychiatrie, entraînent aussi une action
dans les régions. L’UNAFAM, souvent en
position de médiateur, permet de déblo-
quer des situations locales diverses, de
faire évoluer les potentiels de recherche
sur le terrain et de faire progresser la prio-
rité en faveur de la recherche (en inter-
venant comme expert à titre d’usager au
niveau de l’Agence régionale de l’hospi-
talisation, dans les demandes de finan-
cement régionales, dans les EPSM, etc.).
Un autre regard
L’UNAFAM s’attache à promouvoir “un
autre regard” de l’opinion publique sur
les malades et la maladie mentale :
– en stimulant et en soutenant l’évolution
de la psychiatrie et de son image
(Semaine nationale d’information sur la
santé mentale, en partenariat avec les psy-
chiatres, etc.) ;
– en agissant auprès des médias : partici-
pation à des émissions de radio, de télé-
vision, invitation de la presse locale par
les sections, etc. ;
– en organisant chaque année un Congrès
national, sous le haut patronage du minis-
tère de la Santé et des Affaires sociales ;
– en contribuant à organiser et en partici-
pant à de nombreux colloques et sémi-
naires, tant en France qu’à l’étranger, etc. ;
en diffusant des brochures, une revue
trimestrielle, etc.
Médiateur et partenaire
Reprenons l’allocution du président Bru-
nel en 1969 – toute la définition et la
nécessité du partenariat avec les soi-
gnants que nous appelons actuellement y
étaient déjà exprimées – : “Cette barrière
artificiellement dressée entre l’hôpital et
les familles, nous la renversons. Pour-
quoi ? Parce que nous apportons à nos
adhérents le soutien qui leur manque. Qui
peut mieux comprendre les familles de
malades mentaux que d’autres familles
de malades mentaux ? Mais notre asso-
ciation ne pourrait rien si elle n’était
collectivement soutenue, encouragée,
aidée par les psychiatres, les assistantes
sociales, les infirmiers, tous ceux qui se
dévouent à la cause de leurs malades.
Ce partenariat, nous entendons l’étendre
aujourd’hui en y incluant non seulement
les soignants mais aussi les associations
de patients, les élus et responsables divers
de la cité. Nous disons que l’accompa-
gnement dont ont besoin nos patients
dans la cité est si complexe à réaliser
qu’aucun de ces partenaires, à lui seul,
n’est en mesure d’apporter une solution
satisfaisante : ni les familles, ni les soi-
gnants, ni a fortiori les patients ou les
élus.
En conclusion, l’UNAFAM agit en
médiateur partout où cela est néces-
saire, entre les malades, leur famille,
quand elle existe, et les divers acteurs
qu’ils rencontrent dans leur difficile tra-
jectoire. Le partenariat des familles
avec la société civile (patients, soi-
gnants, collectivités territoriales), fondé
sur la confiance et l’égalité, est devenu
la règle de nos actions. L’évolution
actuelle de la psychiatrie replaçant de
plus en plus le patient dans la vie de la
cité l’y oblige mais le favorise aussi. Le
succès de ces partenariats est sans doute
le grand défi à remporter dans les années
qui viennent.
Références
1. Santé Mentale. Paris : Ligue française
pour la santé mentale 1969 ; 2 : 35-7.
2. Bungener M. In : Trajectoires brisées,
familles captives. Paris : Les Éditions
INSERM, 1995.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 9, novembre 2000 336
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