Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n°208, Mars 1998
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Bien que n’ayant pas atteint les 14 % du
produit national brut comme aux Etats-
Unis (données de 1995), nos dépenses de
santé sont devenues trop lourdes et leur
réduction, à l’ordre du jour depuis plu-
sieurs années, est maintenant entrée dans
sa phase active.
On nous dit que notre rapport spécia-
listes/généralistes est trop élevé et qu’il
faut diminuer le nombre des spécialistes.
L’accès direct au spécialiste est en ques-
tion et diverses dispositions vont favoriser
le recours initial au généraliste et une
forme de contrôle de la consommation de
soins spécialisés par son intermédiaire.
La plupart des spécialités voient leur
nombre de postes mis au concours de l’in-
ternat amputés. En Aquitaine il y aura un
poste de psychiatre de moins au prochain
concours, soit une diminution de 10 %. Le
recrutement des psychiatres dans cette
région a déjà été ramené en 1984, lors de
la suppression de l’ancien internat des
hôpitaux psychiatriques, au quart de ce
qu’il était dans les 10 ans précédents. Si
rien ne change, on peut donc prévoir que
le non remplacement des 3/4 des psy-
chiatres cessant leur activité tous les ans
va commencer en 2005-2006 et se termi-
ner aux alentours de 2020, où le nombre
total de psychiatres en exercice sera réduit
aux alentours du 1/4 du nombre actuel. Or
d’une part le nombre des postes non occu-
pés dans les hôpitaux psychiatriques est
dèjà important et d’autre part aucun des
psychiatres installés ne manque de clien-
tèle. Il est vrai aussi que la moitié des psy-
chiatres privés d’Aquitaine sont exclusi-
vement psychothérapeutes (4).
La politique de réduction des dépenses de
santé va nous atteindre avec quelque
retard par rapport aux Etats-Unis, et de
façon différente vu la participation
d’autres forces que le marché à la régula-
tion de notre système de soins. Notons
toutefois que la compagnie d’assurances
AXA étudie avec un des syndicats de
médecins français la mise sur pied d’un
système de sécurité sociale privée sur le
modèle américain, si l’on en croit Le
Monde du 17/7/97. Quoiqu’il en soit, la
démographie médicale va par contre
rendre à coup sûr nécessaire une redéfini-
tion du rôle du psychiatre et de la psy-
chiatrie, même si l’on ne tient pas compte
des progrès, eux aussi remarquablement
rapides, de la discipline, pour lesquels
notre retard vis-à-vis des Etats-Unis est en
train de devenir négligeable.
Que peut-on donc avancer quant au futur
proche de la psychiatrie en France ?
La réduction drastique du nombre de psy-
chiatres, couplée à l’accroissement de la
technicité (biologie, imagerie, traite-
ments) de la psychiatrie, va définitive-
ment sonner le glas d’un système de soins
horizontal, organisé comme un système
de soins primaires sur la base de la dispo-
nibilité géographique et de l’égalité des
structures de soin. Nous allons vers un
système de soins organisé verticalement
selon le modèle MCO (médecine-chirur-
gie-obstétrique, dans le langage de la pla-
nification).
Le soin primaire en psychiatrie sera expli-
citement dévolu au médecin généraliste,
comme pour le reste de la médecine.
Le généraliste l’assure en fait déjà si l’on
se fie aux prescriptions de psychotropes,
dont il réalise la majorité, mais sans pou-
voir le revendiquer trop fort, ni sans que
l’on puisse le lui attribuer ouvertement,
faute de formation ad hoc.
Il va falloir former ces généralistes de l’an
2005. La réforme des études médicales
tient-elle vraiment compte de cette néces-
sité ? On a introduit une pincée de
sciences humaines en PCEM 1, initiative
commentée le plus souvent assez négati-
vement (trop peu, trop mal, ou inutile). Le
Doyen de ma Faculté, neuropsychiatre de
formation et humaniste, a bien voulu
prendre à son compte l’injection de 50
heures de psychologie et sociologie en
PCEM 2 et DCEM 1. Combien existe-t-il
d’initiatives semblables ? Le stage en psy-
chiatrie est recommandé pour tous les étu-
diants en médecine. C’est vraiment très
bien mais la situation le nécessiterait obli-
gatoire. D’autant plus que l’examen ter-
minal de stage comptant pour partie dans
la note de la matière se révèle une occa-
sion irremplaçable de motiver et d’entrai-
ner avec succès les étudiants à acquérir de
réelles aptitudes pratiques, j’ai pu le
constater. En augmentant le nombre,
actuellement ridicule, des enseignants de
psychiatrie, et avec un stage obligatoire,
l’objectif d’une formation initiale en psy-
chiatrie procurant au généraliste un bon
niveau d’exercice pour les soins primaires
n’a rien d’utopique.
Pour les médecins déjà en exercice, une
FMC bien conduite - avec le personnel
adéquat en nombre suffisant - peut réali-
ser sans difficulté insurmontable une mise
à niveau équivalente à la nouvelle forma-
tion initiale.
Tout ceci implique bien sûr que médecins
et décideurs reconnaissent que le soin
psychiatrique requiert un niveau tech-
nique semblable à celui des autres spécia-
lités. On ne s’improvise pas compétent en
soins cardiologiques de base sans forma-
tion ; il ne peut en être autrement dans le
cadre de la psychiatrie moderne.
L’autre condition importante pour l’exer-
cice de la psychiatrie en médecine géné-
rale est la consultation du spécialiste. A
partir de quels délais et de quels critères la
consultation du spécialiste en psychiatrie
s’impose-t-elle, et à quel niveau ? On
pourrait par exemple convenir qu’un état
dépressif d’intensité moyenne, non com-
pliqué, a priori compatible avec une prise
en charge ambulatoire par le médecin trai-
tant, soit obligatoirement référé pour
consulation psychiatrique, en ville ou à
l’hôpital, s’il n’est pas en rémission com-
plète au bout de 2 mois. Il est facile de
concevoir des protocoles de bonnes pra-
tiques cliniques de consultation et d’hos-
pitalisation pour les pathologies psychia-
triques les plus fréquentes en fonction du
diagnostic, des formes cliniques, de l’in-
tensité des symptômes, des facteurs psy-
chosociaux et des autres troubles associés.
Les niveaux de consultation et d’hospita-
lisation secondaires et tertiaires seront eux
aussi faciles à définir : spécialistes de ville
ou d’hôpital, ou de clinique pour le niveau
secondaire, niveau des cas difficiles mais
relativement courants, centres universi-
taires ou centres d’excellence non univer-
sitaires publics ou privés pour le niveau
tertiaire, niveau des cas les plus difficiles
ou rares nécessitant des personnels et
équipements très spécialisés.
Personnels et équipements spécialisés,
c’est la question du budget de la psychia-
trie qui est posée. Mon propos n’est pas
aujourd’hui de la discuter dans le détail,
Mise au point