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Le futur proche de
la psychiatrie
J. Tignol*
Psychiatry is in a turbu-
lent period, but so is all
of medicine and health
care”. Tel est le début du
dernier pararaphe de l’édi-
torial “A changing psychia-
try for the future”, par H.
Pardes
(6)
, dans le numéro
de novembre 1996 de
l’
American Journal of
Psychiatry
.
L’auteur y commente deux articles du
même numéro de ce journal qui suggè-
rent deux voies très différentes - quasi-
ment opposées - pour la psychiatrie,
confrontée à la fois aux changements
liés au progrès scientifique et à ceux du
système de soins. Il faut dire que depuis
quelques années, les réunions et publi-
cations américaines sont riches en com-
mentaires sur les conséquences, en
règle jugées négatives, du “managed
care”, gestion du soin au meilleur coût
par les compagnies d’assurance améri-
caines.
Quoiqu’il en soit, dans le premier
article, “Redifining the Role of
Psyhiatry in Medicine”, Lieberman et
Rush (5) montrent d’abord comment la
psychiatrie est prise entre deux ten-
dances contradictoires. La réduction
des coûts entraîne la limitation des
soins remboursés, la négligence des
troubles mentaux par les médecins
et/ou leur traitement par des conseillers
ou des travailleurs sociaux, au moindre
prix. Elle privilégie le recours au géné-
raliste par rapport au spécialiste. Ce
sont les patients les plus sérieusement
atteints qui souffrent le plus de ces
mesures. Or les progrès de la psychia-
trie dans les domaines du diagnostic et
du traitement des troubles psychia-
triques la rendent aussi ou plus efficace
que la médecine interne du point de vue
thérapeutique.
Cette situation paradoxale entraine une
nécessité de redéfinir la psychiatrie et
la formation psychiatrique, en tenant
compte aussi du fait que le nombre des
psychiatres se réduit par désaffection
des étudiants et que l’on n’a pu prouver
que les psychiatres étaient plus effi-
caces que les non-médecins dans la
pratique de la psychothérapie.
La redéfinition proposée l’est “sur la
base des connaissances scientifiques et
de leur application au soin des patients”
et comporte une “remédicalisation” de
la discipline, un rapprochement avec la
neurologie comprenant une formation
en partie commune (1 an/4) et une délé-
gation de la psychothérapie aux non-
médecins. Les auteurs posent leur redé-
finition à base scientifique dans l’alter-
native d’une redéfinition à base écono-
mique et politique qui ferait perdre à la
psychiatrie son identité, son potentiel
thérapeutique actuel et toute chance de
développement futur.
Il est frappant de lire dans le numéro de
mars 1997 des Archives of General
Psychiatry une opinion encore plus
radicale peut-être sous la plume de
Detre et Mc Donald (2) et sous le titre
“Managed Care and the Future of
Psychiatry”. Des analyses similaires
amènent les auteurs à la conclusion que
le psychiatre doit devenir un “clinical
neuroscientist”, (soit un spécialiste en
neurosciences cliniques selon ma tra-
duction), et que la psychiatrie doit
cohabiter avec, sinon épouser, la neuro-
logie, quitte à y perdre son nom de
jeune fille.
Shore (7), en revanche, dans le deuxiè-
me article de l’American Journal, se
place du point de vue du psychiatre
public et des soins primaires. Il part du
constat que les malades mentaux les
plus atteints n’ont pas suffisamment
accès au système de soins et sont de
toute façon difficiles à traiter par un
médecin généraliste du fait de leurs
symptômes psychiatriques.
Il propose donc d’introduire dans le cur-
sus psychiatrique une option de forma-
tion en soins médicaux de base, qui per-
mettrait ensuite aux psychiatres qui l’au-
raient choisie de donner eux-mêmes à la
fois les soins psychiatriques et les soins
somatiques aux patients - que nous
appellerions chez nous les plus défavori-
sés - relevant du service public.
Tout ceci bien sûr doit être entendu
dans le contexte propre aux Etats-Unis.
Mais sommes-nous si loin des Etats-
Unis et des problèmes qui se posent à
leurs psychiatres ?
Mise au point
* Professeur de Psychiatrie, Bordeaux.
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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n°208, Mars 1998
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Bien que n’ayant pas atteint les 14 % du
produit national brut comme aux Etats-
Unis (données de 1995), nos dépenses de
santé sont devenues trop lourdes et leur
réduction, à l’ordre du jour depuis plu-
sieurs années, est maintenant entrée dans
sa phase active.
On nous dit que notre rapport spécia-
listes/généralistes est trop élevé et qu’il
faut diminuer le nombre des spécialistes.
L’accès direct au spécialiste est en ques-
tion et diverses dispositions vont favoriser
le recours initial au généraliste et une
forme de contrôle de la consommation de
soins spécialisés par son intermédiaire.
La plupart des spécialités voient leur
nombre de postes mis au concours de l’in-
ternat amputés. En Aquitaine il y aura un
poste de psychiatre de moins au prochain
concours, soit une diminution de 10 %. Le
recrutement des psychiatres dans cette
région a déjà été ramené en 1984, lors de
la suppression de l’ancien internat des
hôpitaux psychiatriques, au quart de ce
qu’il était dans les 10 ans précédents. Si
rien ne change, on peut donc prévoir que
le non remplacement des 3/4 des psy-
chiatres cessant leur activité tous les ans
va commencer en 2005-2006 et se termi-
ner aux alentours de 2020, où le nombre
total de psychiatres en exercice sera réduit
aux alentours du 1/4 du nombre actuel. Or
d’une part le nombre des postes non occu-
pés dans les hôpitaux psychiatriques est
dèjà important et d’autre part aucun des
psychiatres installés ne manque de clien-
tèle. Il est vrai aussi que la moitié des psy-
chiatres privés d’Aquitaine sont exclusi-
vement psychothérapeutes (4).
La politique de réduction des dépenses de
santé va nous atteindre avec quelque
retard par rapport aux Etats-Unis, et de
façon différente vu la participation
d’autres forces que le marché à la régula-
tion de notre système de soins. Notons
toutefois que la compagnie d’assurances
AXA étudie avec un des syndicats de
médecins français la mise sur pied d’un
système de sécurité sociale privée sur le
modèle américain, si l’on en croit Le
Monde du 17/7/97. Quoiqu’il en soit, la
démographie médicale va par contre
rendre à coup sûr nécessaire une redéfini-
tion du rôle du psychiatre et de la psy-
chiatrie, même si l’on ne tient pas compte
des progrès, eux aussi remarquablement
rapides, de la discipline, pour lesquels
notre retard vis-à-vis des Etats-Unis est en
train de devenir négligeable.
Que peut-on donc avancer quant au futur
proche de la psychiatrie en France ?
La réduction drastique du nombre de psy-
chiatres, couplée à l’accroissement de la
technicité (biologie, imagerie, traite-
ments) de la psychiatrie, va définitive-
ment sonner le glas d’un système de soins
horizontal, organisé comme un système
de soins primaires sur la base de la dispo-
nibilité géographique et de l’égalité des
structures de soin. Nous allons vers un
système de soins organisé verticalement
selon le modèle MCO (médecine-chirur-
gie-obstétrique, dans le langage de la pla-
nification).
Le soin primaire en psychiatrie sera expli-
citement dévolu au médecin généraliste,
comme pour le reste de la médecine.
Le généraliste l’assure en fait déjà si l’on
se fie aux prescriptions de psychotropes,
dont il réalise la majorité, mais sans pou-
voir le revendiquer trop fort, ni sans que
l’on puisse le lui attribuer ouvertement,
faute de formation ad hoc.
Il va falloir former ces généralistes de l’an
2005. La réforme des études médicales
tient-elle vraiment compte de cette néces-
sité ? On a introduit une pincée de
sciences humaines en PCEM 1, initiative
commentée le plus souvent assez négati-
vement (trop peu, trop mal, ou inutile). Le
Doyen de ma Faculté, neuropsychiatre de
formation et humaniste, a bien voulu
prendre à son compte l’injection de 50
heures de psychologie et sociologie en
PCEM 2 et DCEM 1. Combien existe-t-il
d’initiatives semblables ? Le stage en psy-
chiatrie est recommandé pour tous les étu-
diants en médecine. C’est vraiment très
bien mais la situation le nécessiterait obli-
gatoire. D’autant plus que l’examen ter-
minal de stage comptant pour partie dans
la note de la matière se révèle une occa-
sion irremplaçable de motiver et d’entrai-
ner avec succès les étudiants à acquérir de
réelles aptitudes pratiques, j’ai pu le
constater. En augmentant le nombre,
actuellement ridicule, des enseignants de
psychiatrie, et avec un stage obligatoire,
l’objectif d’une formation initiale en psy-
chiatrie procurant au généraliste un bon
niveau d’exercice pour les soins primaires
n’a rien d’utopique.
Pour les médecins déjà en exercice, une
FMC bien conduite - avec le personnel
adéquat en nombre suffisant - peut réali-
ser sans difficulté insurmontable une mise
à niveau équivalente à la nouvelle forma-
tion initiale.
Tout ceci implique bien sûr que médecins
et décideurs reconnaissent que le soin
psychiatrique requiert un niveau tech-
nique semblable à celui des autres spécia-
lités. On ne s’improvise pas compétent en
soins cardiologiques de base sans forma-
tion ; il ne peut en être autrement dans le
cadre de la psychiatrie moderne.
L’autre condition importante pour l’exer-
cice de la psychiatrie en médecine géné-
rale est la consultation du spécialiste. A
partir de quels délais et de quels critères la
consultation du spécialiste en psychiatrie
s’impose-t-elle, et à quel niveau ? On
pourrait par exemple convenir qu’un état
dépressif d’intensité moyenne, non com-
pliqué, a priori compatible avec une prise
en charge ambulatoire par le médecin trai-
tant, soit obligatoirement référé pour
consulation psychiatrique, en ville ou à
l’hôpital, s’il n’est pas en rémission com-
plète au bout de 2 mois. Il est facile de
concevoir des protocoles de bonnes pra-
tiques cliniques de consultation et d’hos-
pitalisation pour les pathologies psychia-
triques les plus fréquentes en fonction du
diagnostic, des formes cliniques, de l’in-
tensité des symptômes, des facteurs psy-
chosociaux et des autres troubles associés.
Les niveaux de consultation et d’hospita-
lisation secondaires et tertiaires seront eux
aussi faciles à définir : spécialistes de ville
ou d’hôpital, ou de clinique pour le niveau
secondaire, niveau des cas difficiles mais
relativement courants, centres universi-
taires ou centres d’excellence non univer-
sitaires publics ou privés pour le niveau
tertiaire, niveau des cas les plus difficiles
ou rares nécessitant des personnels et
équipements très spécialisés.
Personnels et équipements spécialisés,
c’est la question du budget de la psychia-
trie qui est posée. Mon propos n’est pas
aujourd’hui de la discuter dans le détail,
Mise au point
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mais d’en poser le problème de façon glo-
bale non plus à moyen terme, mais dans
l’actualité déjà. Point n’est besoin en effet
d’attendre 2005 pour constater l’effet du
progrès sur le budget des hôpitaux psy-
chiatriques à la ligne Pharmacie. La clo-
zapine en effet, maintenant épaulée par la
risperidone, est en train, avec l’aide des
ISRS, de faire exploser nos dépenses
pharmaceutiques, auparavant ridicule-
ment faibles pour des structures hospita-
lières.
La clozapine, la plus ancienne et pour le
moment la plus budgétivore de ces molé-
cules onéreuses, apporte vraiment,
comme l’a montré Kane (3) et comme
nous avons pu le vérifier dans le service
que je dirige, une amélioration considé-
rable de l’état de 30 à 40 % des patients
schizophrènes résitants aux neurolep-
tiques classiques, progrès littéralement
fabuleux. Or si tous les secteurs psychia-
triques ont des schizophrènes résistants -
et l’on pourrait dire qu’ils sont les lieux
par excellence où l’on trouve les schizo-
phrènes résistants - seule une minorité
dans notre région leur prescrirait la cloza-
pine. En revanche, dans un hôpital
comme le nôtre, où le produit est prescrit
toutes les fois qu’il est indiqué dans plu-
sieurs secteurs, le pharmacien se trouve
en difficulté budgétaire.
Il appartient aux psychiatres de se mobili-
ser pour que l’augmentation des coûts des
soins liée à leurs progrès soit financée
avec la rapidité nécessaire. Les coûts
autrement prohibitifs des progrès théra-
peutiques somatiques ont toujours été,
que je sache, rapidement financés. On
prend des mesures pour ne pas utiliser
abusivement ces moyens, mais on les met
sans retard à la disposition des médecins
et des patients. On regroupe les plateaux
techniques complexes mais on les équipe.
Sinon il faudrait penser que les patients
psychiatriques sont des sous-patients et
que les faire bénéficier des progrès de la
science n’est pas une priorité. Les faibles
budgets techniques actuels, médicaments
et explorations, de la psychiatrie, ne doi-
vent pas servir à évaluer ceux de demain
qui seront incomparablement plus élevés.
Le progrès thérapeutique est la meilleure
façon de traiter le handicap lié à une par-
tie des troubles mentaux, handicap qui
conditionne encore l’image et la concep-
tion du soin psychiatrique dans notre
pays. Il est hors de doute que l’application
correcte et généralisée des progrès récents
les plus importants va réduire le nombre
des personnes handicapées et le degré de
leur handicap dans le domaine des
troubles de l’humeur (prévention des réci-
dives des dépressions récurrentes et des
troubles bipolaires et prévention de la
dépression chronique), des troubles
anxieux (traitement médicamenteux et
cognitivo-comportemental du trouble
panique, des phobies et du trouble obses-
sionel-compulsif) et de la schizophrénie
(traitement précoce, prévention des
rechutes, utilisation des nouveaux anti-
psychotiques).
Deux questions, liées, se posent donc:
comment assurer la généralisation de ces
progrès ? comment prendre en charge les
handicaps persistant malgré ces progrès ?
Je ne traiterai pas en détail de la première.
Les moyens de généralisation des progrès
techniques sont connus : guidelines et/ou
consensus, formation, contrôle ; encore
faut-il les mettre en œuvre.
La seconde mérite d’être un peu dévelop-
pée. Actuellement une grande partie des
moyens de la psychiatrie publique est
consacrée à la prise en charge de patients
handicapés. Pour ne parler que des schi-
zophrènes, ils constituent en moyenne
60 % des hospitalisations des secteurs de
psychiatrie et les 3/4 au moins de ces schi-
zophrènes là sont un tant soit peu handi-
capés. 25 % de la file active prise en
charge par les infirmiers psychiatriques
de notre secteur en visite à domicile
avaient le statut de majeurs protégés en
1985 (8). Un nombre important de
patients schizophrènes de ce même sec-
teur, soignés par nous depuis longtemps
(10 à 20 ans), ont fait le tour des structures
existantes de soins externes (hôpitaux de
jour, foyers et appartements thérapeu-
tiques), pour revenir après plusieurs
années de ce périple, en hospitalisation
complète, faute le lieu de vie adapté, alors
que leur soin à proprement parler ne le
justifie pas.
L’on sait maintenant que “sous traitement
neuroleptique optimal” (1) le pronostic et
le degré de handicap résiduel d’un patient
schizophrène sont pratiquement fixés au
bout de deux ans, et en tout cas au bout de
cinq ans, d’évolution. Au delà de ces
limites de temps, il s’agit donc de prise en
charge du handicap et non de soin, sauf
réévaluation périodique en fonction des
progrès thérapeutiques.
Pourquoi ne pas séparer comme ailleurs le
soin de la prise en charge du handicap ?
Nos schizophrènes chroniques hospitali-
sés au long cours faute de mieux ne sont
pas très bien dans des unités de soins pour
patients aigüs, qui, fidèles à leur mission
de soin et surchargées, ne peuvent plus,
d’aucune façon, être des “lieux de vie”.
La séparation lieux de vie/lieux de soin
parait la seule adaptée d’un point de vue
technique, humain, et budgétaire.
Elle doit s’accompagner d’une organisa-
tion spécifique de la prise en charge du
handicap.
Sa confusion avec le soin entraine en effet
non seulement le manque de structures
adaptées,mais aussi une conduite inadap-
tée de la prise en charge. Faute de recon-
naître le handicap comme tel, on se fixe,
pour le patient, des buts non réalistes, hors
de sa portée. On essaie d’obtenir des pro-
grès que les possibilités cognitives et
affectives ne permettent plus et l’on négli-
ge d’étayer les possibilités restantes par
le dispositif d’assistance adéquat.
L’organisation actuelle de la psychiatrie
repose sur un système pensé en 1838 et
revu en 1960 sur des idèes généreuses
nées à la Libération. Il était, jusqu’aux
années 70, adapté à la prise en charge
de patients pour la plupart handicapés
par des troubles mentaux chroniques
faute de traitement efficace. Il ne l’est
plus à l’évidence pour sa mission de
soins (cf. supra). Il nécessite d’être
adapté pour ce qui est de sa mission
d’assistance en fonction de critères
définis: qui sont les patients handicapés
de la psychiatrie actuelle et des pro-
chaines années compte-tenu du progrès
des soins ? quel est leur nombre ? quels
sont leurs besoins ? quelles structures
et personnels sont les mieux à même de
les prendre en charge compte-tenu de
leur handicap ?
La pénurie à venir va rendre illusoire
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Mise au point
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n°208, Mars 1998
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l’affectation de psychiatres à la prise en
charge des patients handicapés par
leurs troubles mentaux, autrement
qu’au titre de directeur médical, super-
viseur, ou consultant, chaque psy-
chiatre intervenant pour un nombre
important de patients. La psychiatrie,
heureusement, dispose d’un personnel,
les infirmières et les infirmiers, dont,
comme pour les médecins, une forma-
tion initiale adaptée ou un complèment
de formation peuvent élargir l’autono-
mie d’intervention. Les “nouveaux
handicapés” psychiatriques seront en
effet pour la plupart sous traitement
médicamenteux. S’occuper d’eux
nécessitera de connaître et pathologie
mentale et thérapeutique psychiatrique,
ainsi que d’avoir les capacités relation-
nelles et organisationnelles adéquates.
Si une partie des infirmières et infir-
miers travaillant en psychiatrie va
devoir travailler dans les services de
soin secondaires et tertiaires, en soins
aigüs, la plus grande partie est proba-
blement appelée à travailler, de façon
plus autonome qu’aujourd’hui, dans
des institutions diverses, de l’équipe de
visite à domicile au foyer résidentiel,
dévolues à la prise en charge du handi-
cap.
Cette ébauche d’un système de prise en
charge psychiatrique différencié n’est
en fait qu’une adaptation de l’esprit du
secteur aux progrès - et contraintes - du
futur proche. Un soin secondaire et ter-
tiaire, désectorisé par nécessité tech-
nique, assure la meilleure prévention
possible du handicap par le meilleur
traitement possible ; un dispositif d’as-
sistance, sectorisé pour des interven-
tions de proximité, assure, lui, la
meilleure adaptation possible compte-
tenu du handicap qui persiste malgré le
meilleur traitement possible.
Le dernier volet prévisible du futur
proche de la psychiatrie concerne la
pratique de la (des) psychothérapie(s).
Si la moitié des 400 psychiatres privés
d’aujourd’hui en Aquitaine sont exclu-
sivement psychothérapeutes (cf. supra),
la moitié des 100 qui seront en activité
dans 15 ans ne pourront plus se per-
mettre cela.
Ou, autrement dit, 50 psychiatres pri-
vés non exclusivement psychothéra-
peutes ne pourront assurer qu’une par-
tie des consultations de psychiatrie
nécessaires aux patients difficiles pour
lesquels le médecin traitant demandera
un avis. Autrement dit encore, si les
psychiatres n’assurent pas ces consulta-
tions, elles seront assurées par d’autres
spécialistes (neurologues ? internistes ?
alcoologues ? gériatres ? pédiatres ?), à
un niveau sans commune mesure avec
ce qui pourtant existe déjà.
La démographie pousse donc inexora-
blement à la raréfaction de la pratique
exclusive de la psychothérapie par les
psychiatres. Les techniques psychothé-
rapiques ont donc de plus en plus de
chances d’être appliquées par des non-
médecins.
Est-ce à dire que les psychiatres ne
devront plus être formés à la (aux) psy-
chothérapie(s) ?
En fait, il existe au moins deux niveaux
de réponse. D’une part, si l’exercice le
plus habituel des psychiatres devient le
diagnostic et la prescription, ils ne
pourront pas méconnaitre, sauf risques
graves, en particulier quant à leur effi-
cacité, les facteurs psychosociaux qui
influent sur le cours des troubles men-
taux et l’observance des traitements ;
ceci justifie une formation poussée à la
“psychothérapie générale”, passant
événtuellement par l’approfondisse-
ment d’une technique psychothéra-
pique donnée pendant les années de
formation. Cette question est actuelle-
ment à l’ordre du jour en France et en
Europe.
D’autre part - et ce sont mes auteurs
américains de départ (6) qui présentent
le problème sous cette forme - il est bien
entendu que le psychiatre reste le direc-
teur du soin psychiatrique. Mais si ce
sont les non-médecins qui pratiquent les
psychothérapies, comment le psychiatre
directeur du soin mais non-psychothéra-
peute va-t-il trouver à la fois la compé-
tence et la légitimité nécessaires pour
prescrire et controler les dites psycho-
thérapies ? Intéressant n’est-ce pas ?
En conclusion, il semble bien que nous
allons être confrontés dans les 15 pro-
chaines années à un processus inéluc-
table de changement dans l’organisa-
tion du soin psychiatrique, sous l’in-
fluence concomitante des progrès tech-
niques, de la démographie médicale et
de la réduction des dépenses de santé.
Comme tout changement, celui-ci peut
se révéler positif. Les réflexions des
auteurs américains montrent aussi cer-
tains de ses dangers. Nous devons donc
réfléchir sur le proche avenir pour ten-
ter d’infléchir le changement dans le
sens le plus favorable aux patients
autant qu’à notre discipline.
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6. Pardes H. A. : Changing psychiatry for the
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7. Shore J. : Psychiatry at a crossroad : our
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Lamouroux A., Culeron B., Lafourcade F.,
Lavandier O. : La visite à domicile des infir-
miers de secteur psychiatrique : évaluation
de son processus, de sa clientèle et de ses
résultats. Ann. Med. Psychol., 1992, 150 : 97-
104.
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