éditorial
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Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2004
Les accidents vasculaires
cérébraux : un nouvel
enjeu pour la neurologie
M. Giroud*, président de la Société française
neurovasculaire
Le 3 novembre 2003, la circulaire
ministérielle n°517 (1) permettait de
reconnaître les accidents vasculaires
cérébraux (AVC), ou attaque cérébrale, comme
une véritable urgence médicale, concernant
un problème majeur de santé publique et
nécessitant une véritable réorganisation des
soins, de la phase aiguë à l’hôpital jusqu’au
retour à domicile.
Ce rapport très complet accompagné de pro-
positions confère un impact très important aux
quatre recommandations publiées la même
année par l’ANAES sur la prise en charge médi
-
cale, la prise en charge paramédicale, les uni-
tés neurovasculaires et l’imagerie dans les AVC.
Les acteurs de santé intervenant dans la
prise en charge des AVC sont avant tout les
neurologues, en association avec d’autres
* Service de neurologie, CHU de Dijon.
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Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2004
disciplines (SAMU, service d’accueil des
urgences, radiologie, cardiologie, rééducation,
médecine générale, services sociaux, asso-
ciations de familles). Les neurologues ne
doivent pas manquer l’opportunité que repré-
sente cette circulaire. Elle va leur permettre
de se mobiliser autour de l’un des enjeux nou-
veaux que représente l’organisation des soins
pour une prise en charge optimale des AVC au
sein de chacun des hôpitaux, mais aussi au
sein de chacune des régions sanitaires.
Les AVC : un problème majeur de santé
publique
Les AVC ont attiré l’attention des pouvoirs
publics, car ils occupent une place particu-
lière parmi les pathologies en raison de leur
fréquence (140 000 cas nouveaux chaque
année en France, comparativement à
130 000 infarctus du myocarde chaque année).
Ils représentent la deuxième cause d’admis-
sion dans les services d’admission des
urgences, 50 % des lits de neurologie étant
occupés par les malades victimes d’un AVC.
Il s’agit de l’une des maladies chroniques les
plus graves (première cause de handicap, deu-
xième cause de démence, troisième cause de
mortalité) et de l’une des plus coûteuses (20 % des
patients sont en période d’activité profession-
nelle et 40 % restent handicapés) (2).
Des changements à court terme sont attendus
en raison de l’évolution rapide des connais-
sances physiopathologiques de cette maladie,
grâce à l’accès plus facile à des aides diag-
nostiques incontournables en urgence (ima-
gerie en résonance magnétique et Doppler
transcrânien) et grâce à la démonstration de
l’existence de traitements préventifs et
curatifs efficaces.
L’impact des traitements préventifs a permis
de modifier les données épidémiologiques sur
les AVC.
Le registre dijonnais des accidents vasculaires
cérébraux a montré que, si l’incidence des AVC
reste stable, en revanche, nous observons une
chute régulière de l’incidence des hémorragies
cérébrales, sans doute due à l’efficacité du
dépistage et du traitement précoce de l’HTA.
Celle-ci est cependant compensée par l’augmen-
tation de l’incidence des AVC de la femme jeune
(dissection artérielle) et surtout de celle des AVC
du sujet âgé d’origine cardio-embolique.
La prévalence des AVC est un autre élément à
prendre en compte. Selon les estimations de
Hankey et Warlow (2), pour un million d’habi-
tants, il est observé chaque année 2 400 AVC,
dont 1 800 constituent un premier AVC et 600
une récidive, et 500 patients supplémentaires
présentant un AIT. Parmi les 2 400 patients
ayant présenté un AVC, 20 % décèdent le
premier mois et 54 % décéderont ou resteront
indépendants au terme de la première
année. Les 1 700 patients survivants devront
s’ajouter à un groupe d’environ 12 000 patients
qui ont eu un AIT ou un AVC. Parmi les
12 000 patients porteurs des séquelles d’un
AVC, 7 % récidiveront. Ces malades survivants
nécessitent une surveillance régulière, à la
fois pour diminuer le handicap par une réé-
ducation adaptée et surtout pour éviter les
rechutes, qui réalisent l’autre facteur du
handicap chronique des AVC. La recherche
des facteurs de risque, leur identification et
leur traitement font partie de cet objectif,
dans lequel le neurologue joue un rôle
majeur.
Les taux de récidives observés dans les pays
occidentaux, qui restent stables (aux environs
de 16 % par an), soulignent les efforts restant
à fournir pour diminuer ce taux de rechutes,
encore trop élevé.
La prévention primaire des AVC est l’un des
domaines dans lesquels le neurologue devrait
s’impliquer, car, par exemple, le cerveau est
la première cible de l’HTA, loin devant le myo-
carde, et les traitements anti-hypertenseurs
ont une efficacité préventive supérieure sur
le plan cérébral (2).
Ainsi, l’HTA et les modalités thérapeutiques de
l’HTA (inhibiteurs de l’enzyme de conversion,
antagonistes des récepteurs de l’angioten-
sine II) devraient entrer dans le champ de
compétences du neurologue.
L’ANAES a accepté, à notre demande, de rédi-
ger de nouvelles recommandations sur l’HTA
en y incluant largement des neurologues spé-
cialisés. De plus, le dépistage des complications
de l’HTA ne se résume pas au dépistage des AVC,
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mais concerne aussi les troubles cognitifs liés
à l’HTA. L’utilisation des statines et de nou-
velles associations d’antiagrégants plaqet-
taires devrait rendre la prévention secon-
daire des AVC encore plus efficace.
Une unité thérapeutique spécialisée :
l’unité neurovasculaire
Le regroupement des malades dans une unité
géographiquement bien déterminée, encadrée
par un personnel infirmier et médical compé-
tent, la surveillance de paramètres simples
comme le niveau de conscience selon le score
de Glasgow, le degré de déficit selon le score
du National Institute of Health (NIHSS), les
chiffres tensionnels, la glycémie, l’oxymétrie,
la prévention des troubles de la déglutition,
des risques de phlébite et d’embolie pulmo-
naire, ainsi que la prévention et le traitement
de tout syndrome infectieux, de l’œdème céré-
bral et des crises d’épilepsie ont permis de
faire baisser la mortalité et le handicap de
20 %. Ce progrès remarquable repose essentiel-
lement sur la surveillance continue et la cor-
rection instantanée de tous ces paramètres.
Les méta-analyses récentes ont confirmé la
robustesse statistique de l’efficacité des
unités neurovasculaires.
Le traitement systématique des AIC par l’asso-
ciation aspirine et héparine de bas poids molé-
culaire a permis d’augmenter les bénéfices
d’une telle prise en charge.
Une organisation hospitalière de soins :
la filière
La filière intrahospitalière pluridisciplinaire,
organisée autour d’un service de neurologie et
d’un service d’imagerie, réalise un enjeu orga-
nisationnel important qui sous-tend la mise
en place des unités neurovasculaires. La cons-
titution de la filière nécessite que l’ensemble
des acteurs de la prise en charge des AVC,
comprenant les SAMU, les services d’accueil
des urgences, les services d’imagerie, de neu-
rologie (avec une garde ou une astreinte), de
cardiologie, de réanimation médicale, de réé-
ducation et de soins de suite, soient associés
en un réseau mutualisant les plateaux tech-
niques et les compétences, afin d’apporter un
avis diagnostique et thérapeutique compé-
tent, coordonné et rapide. Le préalable à la
fibrinolyse repose sur des lits dédiés et dispo-
nibles nécessitant une filière intrahospita-
lière sans faille, réduisant la perte de temps.
Une organisation régionale des soins :
un réseau interhospitalier gradué
Au sein de chaque région, les hôpitaux devront
s’associer en réseau autour d’une unité neuro-
vasculaire de référence. L’utilisation de la télé-
médecine devrait permettre de mettre en rela-
tion l’ensemble des acteurs locaux de la prise
en charge des AVC, quel que soit leur site
d’exercice.
Le retour à domicile est le but final, nécessi-
tant à la fois une gestion ambulatoire du han-
dicap et l’application efficace d’une préven-
tion secondaire des AVC et des complications
liées au handicap nécessitent le partenariat
avec les infirmières à domicile et les asso-
ciations de patients, comme France-AVC.
Les réseaux de soins régionaux ont pour
objectif de coordonner les réseaux locaux,
de proposer un guide de bonnes pratiques,
de former leurs membres, de réaliser des
transferts de compétences, d’organiser le
dossier patient et de favoriser la réalisation
des essais cliniques.
Une molécule : la fibrinolyse par rt-PA
La désobstruction artérielle effectuée dans
une fourchette thérapeutique très brève, de
moins de trois heures, a largement démontré
son efficacité en diminuant de 20 % les
séquelles déficitaires, mais sans modifier la
mortalité, du fait des risques hémorragiques
cérébraux engendrés par cette thérapeutique.
La dangerosité potentielle de ce médicament
nécessite qu’il soit prescrit selon des critères
drastiques reposant sur l’âge inférieur à
80 ans, un score de déficit selon le score NIHSS
compris entre 5 et 22, l’absence d’image
ischémique précoce dépassant le tiers du
territoire de la sylvienne et, bien entendu,
l’absence d’hémorragie cérébrale. Son utili-
sation, dans une unité spcécialisée, par un
neurologue ou un médecin ayant obtenu le
diplôme interuniversitaire de pathologie
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Correspondances en neurologie vasculaire - Vol. IV - n° 1 - janvier-février-mars 2004
neurovasculaire, est garante d’un rapport
bénéfice/risque favorable.
Une prévention efficace :
Dans le domaine de la prise en charge en
phase aiguë, le neurologue occupe une place
centrale au sein d’une véritable filière
pluridisciplinaire structurante (3).
Une démographie en neurologues
déficitaire
Le neurologue, par sa connaissance de la
pathologie neurovasculaire, est de loin le plus
compétent pour assurer le traitement médical
du malade victime d’un AVC. Malheureuse-
ment, il y a encore trop peu de neurologues en
France pour pouvoir répondre aux besoins des
hôpitaux. Il est donc nécessaire de déléguer ou
de partager avec d’autres collègues la prise en
charge des AVC, ce qui est d’ailleurs un des
objectifs du DIU. Nous devons ainsi être
complémentaires avec nos collègues dans le
cadre d’une pluridisciplinarité.
Il est nécessaire que de plus en plus de jeunes
neurologues en fin de cursus aient une solide
formation dans le domaine des AVC. Cette
incitation devrait permettre au secteur libéral
de s’organiser pour assurer la prise en charge
très précoce des AVC au sein de la filière.
Enfin, il est un dernier point qui doit repré-
senter une priorité pour nos collègues res-
ponsables de services universitaires : dans
les CHU et les hôpitaux généraux, il serait
important d’avoir au moins un médecin neu-
rologue spécialisé dans le domaine des AVC
afin de pouvoir répondre aux attentes des
patients et aux objectifs de la circulaire.
Une compétence neurovasculaire : l’intérêt
d’une formation spécifique
Pour être fiable, le neurologue doit acquérir
une formation spécialisée. Pour cela, la Société
française neurovasculaire a mis sur pied, en
1998, un diplôme interuniversitaire : le DIU
de pathologie neurovasculaire.
La prise en charge des AVC ischémiques est
devenue une véritable science, avec des bases
fondamentales, des outils diagnostiques
sophistiqués, une compétence, une prise en
charge immédiate devenue très technique et
reposant sur une unité de soins dédiée ainsi
que sur un nombre important de médecins,
mais aussi d’infirmières formées, et enfin
une molécule efficace, mais potentiellement
dangereuse et en tout cas coûteuse, le rt-PA.
L’existence, depuis 1998, du diplôme inter-
universitaire de pathologie neurovasculaire
permet de former les neurologues et les non
neurologues dans cette spécialité, permet à
un maximum d’hôpitaux de recruter des
médecins compétents pour améliorer la
qualité de la prise en charge, tout en réor-
ganisant la filière intrahospitalière, qui doit
être simple, fluide et coordonnée.
Une recherche en émergence
Enfin, la recherche clinique dans le domaine
cérébrovasculaire doit être un autre objectif
prioritaire pour le neurologue.
Le potentiel de recherche en pathologie
cérébrovasculaire, que ce soit dans le domaine
fondamental, épidémiologique, clinique, para-
clinique ou thérapeutique, est un atout de la
discipline neurovasculaire.
Conclusion
Le traitement des AVC réalise un des progrès
majeurs en médecine grâce à une prise en
charge rationnelle, globale, linéaire et cohé-
rente, dont le modèle abouti est l’unité neuro-
vasculaire. Celle-ci est une authentique unité
de soins intensifs permettant de surveiller de
façon continue des paramètres dont la correc-
tion immédiate améliore la survie, et surtout
la qualité de cette survie.
Au sein de ces filières intrahospitalières et
des réseaux régionaux, le neurologue doit occu-
per une place centrale, place que lui confèrent
ses compétences, afin de coordonner l’ensemble
des compétences médicales qui passent par
l’imagerie et des compétences paramédicales
intervenant de la phase initiale de l’AVC
jusqu’à la phase de retour à domicile, en
passant par les services de rééducation.
Ne manquons pas l’opportunité que représente
la circulaire n˚ ° 517 et relevons le défi orga-
nisationnel que constitue la prise en charge
des AVC !
R
ÉFÉRENCES
1. Circulaire DHOS/DGS/DGAS/
n° 517. Prise en charge des acci-
dents vasculaires cérébraux. 2003.
2. Hankey GJ, Warlow CP.
Treatment and secondary preven-
tion of stroke : evidence, costs and
effects on individuals and popula-
tion. Lancet 1999 ; 354 : 1457-63.
3. Hommel M, Jaillard A,
Garambois K. Unité neurovascu-
laire, filière et réseau de soins.
Quelles perspectives dans les acci-
dents vasculaires cérébraux ? Rev
Neurol 2002 ; 158 : 1153-6.
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