pas si simple Pas si simple Les IEC et la créatininémie Bruno Schnebert* L’état des connaissances M r Z., 65 ans, est hypertendu de longue date. Il est adressé par son médecin traitant, car la créatinine a augmenté sous un traitement par IEC. Son HTA a nécessité depuis une dizaine d’années plusieurs principes actifs afin d’atteindre les objectifs fixés, une bonne efficacité et une bonne tolérance. En fait, c’est surtout la tolérance des médicaments qui n’a pas toujours été bonne. Le patient a présenté des œdèmes des chevilles, des modifications de la libido et une gynécomastie et, depuis qu’il est sous IEC, la pression artérielle est à l’objectif, mais sa créatinine est passée de 70 à 130 µmol/l ! Que doit-il en penser ? Les dernières recommandations de l’ANAES 2000 (2) précisent que “L’évaluation de la fonction rénale du patient hypertendu est impérative durant tout le suivi, et notamment lorsque des traitements par diurétiques ou IEC sont instaurés, ou en cas de pathologie associée à risque pour le rein (diabète). Une mesure tous les trois ans de la créatinine sérique, qui permet le calcul de la clairance, est recommandée lorsque le premier dosage est normal”. La formule de Cockroft et Gault (pour une créatininémie exprimée en µmol/l) est : C (ml/min) = [140 – âge (années)] x poids (kg)/créatininémie x 0,814. Cette valeur étant à multiplier par 0,85 pour la femme. Des études randomisées, effectuées chez des insuffisants rénaux non diabétiques, ont montré que les IEC ont significativement retardé l’apparition de l’insuffisance rénale terminale, par comparaison à un placebo ou à d’autres antihypertenseurs (pour l’essentiel bêtabloquants ou antagonistes calciques). Une méta-analyse de dix études a confirmé cet effet, mais il n’est pas possible de déterminer si cet effet bénéfique est dû à une plus grande efficacité des IEC sur la pression artérielle, ou à des propriétés spécifiques des IEC et indépendantes de la baisse de la pression artérielle. Il est donc admis que les hypertendus ayant une insuffisance rénale doivent bénéficier d’un traitement comportant un IEC, le plus souvent associé à d’autres antihypertenseurs, car il est difficile d’atteindre l’objectif tensionnel chez ces patients. La situation d’une élévation de la créatinine, lors de l’institution d’un traitement par IEC, est une situation clinique différente. * Orléans. En cas d’apparition ou d’aggravation d’une insuffisance rénale, il faut savoir évoquer : – une sténose artérielle rénale : initialement, il a semblé que l’insuffisance rénale n’apparaissait qu’en cas de sténose bilatérale des artères rénales ou de sténose unilatérale sur rein fonctionnellement unique, cela étant expliqué par l’impossibilité de la mise en route du phénomène d’adaptation à la baisse de pression, en aval de la sténose (contrepression se développant dans l’artère efférente par stimulation du système rénineangiotensine), liée à l’IEC bloquant le système. L’apparition ou l’aggravation d’une insuffisance rénale sous IEC est donc une circonstance d’évocation d’une HTA rénovasculaire ; – une déplétion sodée importante, par restriction ou par utilisation de diurétiques, ou autre situation modifiant l’hémodynamique intra-rénale (insuffisance cardiaque, utilisation d’AINS) ; – des lésions artériolaires de néphroangiosclérose, la somme des artérioles efférentes lésées induisant une réaction similaire à une sténose du tronc de l’artère rénale ; – la baisse tensionnelle, qui peut par ellemême induire une élévation de créatininémie. Cette situation a été observée au cours d’essais thérapeutiques chez l’insuffisant rénal, avec une aggravation initiale de la créatinine suivie d’une stabilisation et d’un ralentissement de la progression de l’insuffisance rénale. Cette élévation survient dans 543 les deux premières semaines, lorsqu’il n’y a pas d’élévation initiale de la créatininémie, la probabilité d’une élévation ultérieure est faible en dehors de l’introduction ou de la majoration d’un traitement diurétique, de l’introduction d’AINS ou d’une déplétion sodée (gastroentérite, canicule…). En pratique L’insuffisance rénale n’est pas une contre-indication à la prescription d’un IEC, mais au contraire une indication ! La surveillance de la créatinine et de la kaliémie est indispensable. Il existe un risque d’élévation de la créatinine lors de la prescription d’un IEC chez les sujets “à risque” (patient athéromateux, déplétion hydrosodée, sujet âgé, sujet polymédicamenté). Chez ces sujets, un arrêt momentané des diurétiques est souhaitable et une posologie initiale plus faible de l’IEC est nécessaire. Un contrôle de la créatinine après 15 jours de traitement est à effectuer. Si une élévation de la créatinine est observée sous IEC, la recherche d’une cause est à entreprendre. Si aucune cause n’est retrouvée, le traitement par IEC peut être poursuivi mais une surveillance régulière de la créatinine et de la kaliémie est indispensable. L’éducation du patient à ne pas prendre d’AINS et à interrompre les diurétiques et/ou les IEC en cas de déplétion hydrosodée est nécessaire. Références bibliographiques 1. “Le retentissement de la progression de l’insuffisance rénale”. Coordonné par G. Bobrie. Pathologie-Sciences, J. Libbey, Eurotext. 2. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des patients adultes atteints d'hypertension artérielle essentielle. ANAES avril 2000. http://www.anaes.fr/.