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Les mots et les hommes
Les mots et les hommes
gies chroniques sans conséquences sur
la survie de l’espèce. Ainsi, des mala-
dies largement délétères au niveau
social, comme les démences dégéné-
ratives, n’ont aucune influence sur la
fécondité de l’humanité et sont donc
d’une complète neutralité vis-à-vis de
la sélection naturelle, voire même
constituent un avantage sélectif en
“éliminant” des procréateurs “généti-
quement modifiés” au travers d’un
eugénisme “bio”, laissant la porte
ouverte à toutes les dérives poli-
tiques… mais il s’agit là d’un autre
problème.
Penser un darwinisme psychiatrique,
c’est donc attribuer un sens à l’exis-
tence d’une pathologie mentale, non
plus au travers de l’histoire d’un indi-
vidu mais au travers de celle de l’es-
pèce humaine.
De l’humanité à l’homme
La psychiatrie se caractérise par un
grand pluralisme d’hypothèses
physiopathologiques, qui culmine
dans le fourre-tout du “biopsychoso-
cial” à la mode. Cette diversité peut
apparaître, de prime abord, comme
une force et le témoignage d’une
appréhension globale de l’individu.
Elle peut aussi (et surtout ?) être
considérée comme une faiblesse,
comme le reflet d’une méconnais-
sance flagrante du fonctionnement
cérébral. À l’opposé, le recueil “athéo-
rique” de comportements sociaux, de
symptômes, de modifications biochi-
miques ne constitue qu’un collection-
nisme qui ne prend son sens que par
les théories qu’il génère et ne peut
donc prétendre constituer un modèle
quelconque. C’est la science qui orga-
nise le monde et non l’inverse.
Prétendre expliquer le fonctionnement
d’un individu, sans comprendre le
pourquoi de sa présence au monde est
aujourd’hui une impasse flagrante.
Pourtant, la démarche inverse a fait
l’objet de plus d’un siècle de travaux
sociologiques et psychothérapiques
sans réel succès. Aujourd’hui comme
hier, le tunnel reste obscur. Aussi, il
apparaît urgent d’explorer plus avant
le fonctionnement normal de l’esprit,
d’en définir des règles universelles
(pourquoi le cerveau serait-il le seul à
échapper à ce qui contraint l’ensemble
de l’univers, de l’infiniment petit à
l’infiniment grand ?), étape primor-
diale, indispensable à la compréhen-
sion de ses dysfonctionnements (3).
De l’homme au cerveau
Si, comme l’affirme H. Plotkin (4), on
accepte l’idée que l’homme est le
résultat d’une évolution biologique
dont la caractéristique principale est
son développement cérébral et que
l’esprit n’est qu’une sécrétion céré-
brale parmi d’autres, alors les sciences
humaines (sociologie, psychologie,
etc.) relèvent de plein droit de la
biologie.
Le niveau moléculaire ne diffère guère
du niveau sociologique que par un
facteur d’échelle (5), il faut le conce-
voir comme une dimension fractale
(6) de l’individu face à la sélection
naturelle, c’est-à-dire comme la répli-
cation, à différentes échelles, d’un
phénomène identique.
Les conceptions évolutives actuelles
du fonctionnement cérébral l’appré-
hendent comme le résultat d’une accu-
mulation de comportements basiques,
sélectionnés au fil des générations,
pour répondre à une meilleure adapta-
tion à la survie du stock génétique (7).
Il ne répondrait donc à aucun projet,
ne serait “apparu que par hasard” et ne
se serait maintenu que par nécessité.
L’ensemble de nos comportements ne
serait que le fruit informe de cette
sédimentation évolutive.
Du cerveau au neurone
Initialement, Darwin concevait la
sélection naturelle comme une lutte
entre les espèces, puis comme une
lutte entre les individus. Les néo-
darwiniens ont prolongé ce raisonne-
ment en évoquant une lutte au niveau
cellulaire et, plus récemment, au
niveau génétique.
La lutte au niveau cellulaire a fait
l’objet d’hypothèses dans le cas de la
schizophrénie. On sait que le nombre
de neurones cérébraux est variable au
long de la vie d’un individu. Il existe
un stock important à la naissance qui
chute à l’adolescence. Ainsi, on estime
que 30 à 40 % des neurones disparais-
sent à cette période de la vie (8). Cette
perte serait le reflet d’une redondance
initiale des systèmes qui perdraient
leur raison d’être ultérieurement et
correspondraient à la pression de la
sélection naturelle sur les populations
neuronales.
Bien que ces affirmations fassent
encore l’objet de critiques (9), certains
auteurs ont remarqué que cette perte
coïncidait avec l’apparition de symp-
tômes schizophréniques chez certains
individus et y ont vu un possible
mécanisme étiologique. La perte
neuronale entraînerait la maladie ; le
comment serait décrypté mais pas le
pourquoi.
L’ e xplication de l’intérêt de cette perte
neuronale pourrait venir d’un autre
domaine qui s’intéresse également à la
sélection darwinienne : la robotique.
Ainsi, plusieurs chercheurs utilisent ce
moyen de programmation pour
inventer de nouveaux programmes,
mettant en concurrence des
“neurones” issus de réseau informa-
tique (10).
Une expérience originale (11) a
consisté à créer un réseau de 148 neurones
informatiques capables de reconnaître
des phonèmes et de les associer pour
former des mots. La qualité du
système dépendait des conditions
d’écoute : ainsi, si la qualité sonore
des phonèmes diminuait, alors le
nombre de mots reconnus diminuait et
le nombre d’erreurs augmentait.
Dans un second temps, la mise en
“concurrence” des neurones – se
traduisant par une diminution de leur
nombre – aboutit à des résultats parti-
culièrement intéressants. Jusqu’à 64 %
de perte, le système améliore para-