Info infectiologie Le chien : meilleur ami de l’homme... Pour le meilleur et pour le pire! Dr Jean-François Roussy (avec la collaboration de Dr Alain Martel, M.D., FRCPC) PRÉSENTATION CLINIQUE DU PATIENT Un homme de 35 ans se présente à l’urgence environ 12 heures après avoir été mordu par son chien, Skippy – un petit shitzu de quatre ans demeurant habituellement dans la maison. Le chien a accidentellement mordu son maître au niveau de son éminence thénar droite, durant un jeu. La morsure est assez profonde et douloureuse. Malgré un lavage à l’eau et au savon effectué tout de suite après l’incident, la morsure est rapidement devenue plus douloureuse, érythémateuse et œdématiée. Du pus est également visible et il semble que la zone d’érythème progresse assez rapidement. Le patient peut facilement bouger les doigts et la main. Il est hémodynamiquement stable et présente une température corporelle de 38,8 ˚C. Au bilan, il a une leucocytose neutrophilique à 17 000. Son bilan hépatique, rénal et de coagulation est normal. Un écouvillon du pus est prélevé. I l faut savoir si le chien est celui Quel est votre diagnostic? présente un tableau clinique compatible avec une infection de s du propriétaire Clae patient eimportant t peau et des tissus mous. Concernant l’investigation,diliest r ent immuno© à la recherchentdeeconditions ou s’il s’agit de valider les antécédents du patient, l v iet lessuivi t nne De peu deso e h suppressives qui peuvent modifier le traitement celui-ci. l e d’un chien er sé ig estrcelui cia r tori sageoup s’il s’agit d’un plus, il faut savoir si le chien e du propriétaire u y a u p esdiverses mporteur errant, qui chien errant, qui pourrait être nnde leurmaladies supplémentaires. o o m r s u C n decoquestionner o er patient Il est important ie p par rapport au comportement du es p ole p pourrait être L u . c iolaromorsure, t chien avant tout signe compatible avec la rage, ibée afin ned’identifier h u u r e p porteur de striparbéexemple t (comportement agressif, écume à la bouche, etc.). De plus, prim e es t im i s i r e d ilrs’agit du chien du propriétaire, il faut valider le statut vaccinal de la t on autoquand diverses e lise a u e s t vi bête. nn maladies VenL’utilisaetri,oafficher, rg Comme le chien de notre patient avait un supplémentaires. cha télé comportement normal avant la blessure et qu’il a été vacciné contre la rage, nous pouvons écarter ce diagnostic et se concentrer sur l’infection post-morsure. 52 le clinicien mars 2011 Info infectiologie Les morsures d’animaux représentent-elles un problème de santé publique? Les morsures d’animaux représentent un problème majeur de santé publique et comptent pour environ 0,5 à 1 % des visites à l’urgence; les chiens sont responsables de 75 à 90 % des morsures rapportées. Près de 5 millions de personnes, par année, aux États-Unis, subiront une morsure et 15 % d’entre elles nécessiteront des soins médicaux. La plupart du temps, le chien en cause appartient à la victime, un voisin ou un ami. Le risque d’infection après une morsure de chien est considérablement plus faible que la morsure de chat – le taux se situe entre 3 à 18 %, avec une moyenne d’environ 5 %. Notre patient fait malheureusement partie du 5 % de patients souffrant d’une infection… De quoi est composée la flore buccale du chien? Cette flore est complexe, diversifiée et inclut plusieurs espèces aérobiques et anaérobiques. Ainsi, il est préférable de ne pas cultiver une plaie semblant non infectée, car celle-ci sera composée de nombreuses espèces. De plus, la culture initiale d’une plaie non infectée ne prédit pas le résultat des cultures subséquentes, si elle le devient. La majorité des infections post-morsure de chiens sont donc polymicrobiennes, incluant les Pasteurella spp (surtout le Pasteurella canis et multocida), plusieurs anaérobies, des Streptococcus spp et des Staphylococcus spp. Par ailleurs, le Pasteurella multocida est moins commun qu’après une morsure ou une griffure de chat. Une caractéristique importante concernant le Pasteurella est que l’infection se manifeste souvent rapidement, typiquement dans les premières 24 heures suivant la morsure, tandis que les autres germes causent une infection prenant habituellement plus de 24 heures à se manifester. Encadré 1 À quoi devez-vous absolument penser si un patient se présente avec un tableau de sepsis grave après une morsure de chien? Le Capnocytophaga canimorsus, un bâtonnet Gram négatif fastidieux, peut causer ce type de tableau grave de sepsis. Le choc et la coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) sont communs. Le taux de mortalité est de près de 30 %. La majorité des patients développant ce type d’infection ont des conditions prédisposantes (splénectomie à 35 %; abus d’alcool à 35 %; dysfonction immunitaire par prise de corticostéroïdes prolongée, cancer hématologique ou maladie autoimmune à 17 %, etc.). Le germe est détecté dans le sang et les liquides stériles. Cette bactérie est sensible à la pénicilline, la pipéracilline, l’imipénem, la vancomycine, la clindamycine, la TMP-SMX et laciprofloxacine. Elle est toutefois résistante aux aminosides. Notre patient a développé son infection en moins de 24 heures, rendant probable l’implication du Pasteurella. Ainsi, il faudra bien couvrir ce germe. Comment traitez-vous le patient? Traitement initial Tout d’abord, le traitement initial de la plaie consiste en l’irrigation abondante de celle-ci avec du salin stérile. Les études suggèrent qu’après ce type d’irrigation, le clinicien mars 2011 53 Info infectiologie E n effet, la cellulite nécessite en moyenne 10 jours de traitement, tandis qu’une infection de plaie seule nécessite de cinq à sept jours d’antibiotiques. il est sécuritaire de fermer la plupart des plaies jusqu’à 12 heures après la blessure. Les recommandations habituelles pour le tétanos doivent être suivies. Traitement de l’infection rapide (moins de 24 heures) Une infection rapide (moins de 24 heures) est généralement due au Pasteurella multocida. La pénicilline est donc le premier choix de traitement, avec la tétracycline, l’association triméthoprime-sulfaméthoxazode (TMP-SMX) ou une quinolone en tant qu’alternative chez les individus allergiques à la pénicilline. Traitement de l’infection tardive (plus de 24 heures) Une infection débutant plus de 24 heures après la morsure est certainement polymicrobienne et sera guidée par la coloration de Gram et la culture. Les choix initiaux raisonnables incluent : • l’amoxicilline-clavulanate seule; • la ciprofloxacine ou la lévofloxacine combinée à la clindamycine; • le TMP-SMX plus la clindamycine; • la moxifloxacine seule pourrait également être un bon choix. La durée du traitement sera déterminée en fonction de la présence ou non de cellulite. En effet, la cellulite nécessite en moyenne 10 jours de traitement, tandis qu’une infection de plaie seule nécessite de cinq à sept jours d’antibiotiques. Comme nous soupçonnons un Pasteurella, nous pourrions débuter la pénicilline ou l’amoxicillineclavulanate, en attendant le résultat final de la culture. Après une morsure non infectée, doit-on fournir une antibioprophylaxie? Dr Roussy est résident IV en microbiologieinfectiologie. Il pratique présentement au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. Une revue systématique a démontré une diminution du taux d’infection uniquement pour les morsures de la main. Plusieurs experts recommandent donc une prophylaxie pour toutes les morsures à la main et au visage, ainsi que pour les plaies profondes ne pouvant être irriguées efficacement. Cela prévaut aussi chez les patients immunosupprimés (surtout ceux splénectomisée). L’amoxicillineclavulanate ou la tétracycline (allergie pénicilline) sont des choix raisonnables. CONCLUSION DU CAS DU PATIENT Dr Martel est microbiologisteinfectiologue, interniste. Il pratique présentement au Centre hospitalier de l’université Laval. 54 le clinicien mars 2011 La culture du pus a montré la présence de Pasteurella multocida et de flore anaérobie. Un traitement de 10 jours d’amoxycilline-clavulanate a été prescrit avec un bon résultat. C