es conduites de reproduction des mammifères sont
contrôlées par les stéroïdes sexuels agissant dans le
système nerveux central (SNC). Ces conduites ont
de multiples déterminants, car le contrôle hormonal varie
avec les espèces.
Dans le cerveau, les hormones stéroïdes ont deux types d'ac-
tion :
- Elles agissent sur les récepteurs membranaires pour aug-
menter l'excitabilité des neurones.
- Elles agissent dans le noyau des cellules du génome pour
augmenter la synthèse du neurotransmetteur, soit directement
pour les neuropeptides, soit indirectement pour les neuro-
transmetteurs non peptidiques en augmentant la production
des enzymes responsables de leur synthèse. Ainsi, chez les
mammifères adultes, les stéroïdes produits par les gonades
contrôlent directement les conduites reproductrices ; celles-ci
sont aussi élaborées par l'expérience, mais ceci ne sera pas
abordé dans cet article.
Nous avons choisi de passer en revue les effets chez les mam-
mifères des conduites induites par des médicaments ou autres
outils pharmacologiques qui modifient les systèmes dopami-
nergique, cholinergique et GABAergique, c'est-à-dire les neu-
rotransmetteurs qui participent le plus souvent à l'activité des
psychotropes utilisés en thérapeutique.
DESCRIPTION ET QUANTIFICATION DES CONDUITES
SEXUELLES CHEZ LE RAT
La quantification des conduites sexuelles chez le rat mâle et
femelle sera décrite rapidement, la plupart des études, à ce
jour, ayant été conduites sur cette espèce.
Les conduites sexuelles chez le mâle
Les mâles qui n'ont pas subi de castration ont une copulation
après un bref délai lors de la découverte d'une femelle sexuel-
lement réceptive. Les mâles couvrent la femelle d'une
manière répétée ; durant la copulation, ils agrippent les flancs
de la femelle avec les pattes antérieures et effectuent des mou-
vements pelviens rapides. Le mâle, dès qu'il achève l'intro-
mission, saute rapidement en arrière et remonte rapidement. Il
n'éjacule qu'après un certain nombre d'intromissions (8 à 12
chez un rat sexuellement actif). Les substances qui facilitent
cette conduite augmentent le nombre de rats s'engageant dans
une conduite copulatoire, le nombre de rats qui éjaculent, et
le nombre de montées et d'intromissions nécessaires pour
obtenir l'éjaculation. Comme chez les autres mammifères, on
peut donc identifier chez le rat mâle trois composantes :
l'excitation, la conduite copulatoire et les réflexes péniens (1).
Les conduites sexuelles chez la femelle
La conduite sexuelle chez la rate peut être divisée en trois
composantes :
l'attraction, qui est induite par la production de phéror-
mones et des changements de vascularisation du périnée
(habituellement une dilatation) ;
les conduites prospectives, qui stimulent les avances
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Bases psychopharmacologiques des conduites sexuelles
M. Bourin*
RÉSUMÉ.
Les conduites de reproduction des mammifères sont contrôlées par les hormones stéroïdiennes sexuelles dans le système nerveux
central, mais aussi par différents neurotransmetteurs. La pharmacologie comportementale permet la quantification des différentes conduites
sexuelles chez le mâle (excitation, activité copulatoire, réflexe érectile) et chez la femelle (conduites prospectives ou réceptives).
Parmi les différents neurotransmetteurs étudiés, les plus classiques, tels que la sérotonine, la noradrénaline, la dopamine, l'acétylcholine et le
GABA, sont impliqués à différents degrés. Il semble clair que la sérotonine possède un pouvoir inhibiteur sur les conduites sexuelles ; en
revanche, la dopamine favorise les différentes conduites du mâle alors que, chez la femelle, elle augmente les conduites prospectives et l'ex -
citation mais diminue les conduites réceptives.
Les autres neurotransmetteurs (noradrénaline, acétylcholine, GABA) semblent n'avoir que des actions indirectes sur les conduites sexuelles
en interrelation avec la sérotonine et la dopamine. Les peptides opioïdes jouent, eux aussi, un rôle dans la motivation sexuelle, aussi bien dans
l'espèce humaine que chez l'animal.
Mots-clés :
Conduites sexuelles - Neurotransmetteurs - Sérotonine - Dopamine.
*Neurobiologie de l'anxiété, GIS Médicament, Faculté de médecine, Nantes.
L
sexuelles des mâles, consistant en un mouvement sautant et
brusque d'approche vers le mâle avec une vibration rapide des
oreilles ;
les conduites réceptives chez les rates répondent au fait
que, pour copuler avec les rats, les femelles doivent adopter
une posture en lordose qui facilite ainsi l'accès au vagin.
La plupart des études des effets des médicaments et des neu-
rotransmetteurs impliqués dans les conduites sexuelles
femelles chez la rate ont été focalisées sur la lordose (2).
EFFETS DES SUBSTANCES AGISSANT
SUR LA TRANSMISSION SÉROTONINERGIQUE
La sérotonine (5-HT) a un effet inhibiteur sur la plupart des
aspects de l'activité sexuelle du mâle, particulièrement la
conduite copulatoire.
L'injection périphérique d'une grande variété d'inhibiteurs de
la monoamine oxydase (IMAO) diminue à la fois la lordose
chez la rate et la capacité de couvrir chez le rat. Les doses
d'IMAO utilisées augmentent plus les concentrations céré-
brales de sérotonine que celles de catécholam ines. Par
ailleurs, les inhibiteurs du recaptage de la 5-HT inhibent les
conduites sexuelles, aussi bien chez le mâle que chez la
femelle. En revanche, la déplétion de 5-HT induite par un
inhibiteur de la tryptophane hydroxylase (la parachlorophény-
lalanine) augmente la conduite de copulation, effet qui peut
être antagonisé par le tryptophane (3).
La quipazine et le 1-(2-5-diméthoxy-4-iodophényl)-2 amino-
propane (DOI), qui sont des agonistes des récepteurs 5-HT
2
plus ou moins sélectifs, inhibent aussi les conduites copula-
toires. Cet effet peut être levé par les antagonistes 5-HT
2
(4).
L'injection directe de 5-HT dans l'aire préoptique et le nucleus
accumbens inhibe l'activité sexuelle, alors qu'elle la stimule si
elle est injectée dans le raphé dorsal ou médian, elle exer-
ce probablement un effet sur les autorécepteurs de la
5-HT sur les corps cellulaires et inhibe ainsi sa libération. Le
8-OH-DPAT, qui est un agoniste 5-HT
1A
, agit peut-être sur
des autorécepteurs dans ces deux régions cérébrales (5).
Des travaux plus récents ont mis en évidence le fait que les
agonistes 5-HT
1B
, tels que le RU 24964 et la 1-(m-chloro-
phényl)pipérazine (mCPP), ont une action inhibitrice (6).
EFFETS DES SUBSTANCES AGISSANT
SUR LA TRANSMISSION NORADRÉNERGIQUE
Les effets sur les conduites sexuelles des médicaments qui
altèrent la transmission noradrénergique sont difficiles à com-
prendre selon un schéma mécanistique clair. L'administration
périphérique d'agonistes alpha-adrénergiques semble inhiber
les conduites sexuelles chez le rat, alors que les agonistes
bêta-adrénergiques semblent les faciliter chez les rats sexuel-
lement peu actifs. La clonidine, qui est un agoniste alpha
2-adrénergique, inhibe la lordose chez la rate, diminue la
latence de couverture, mais augmente la fréquence de couver-
ture chez le mâle.
La yohimbine est particulièrement active en stimulant
“l’éveil” (anxiété ?) et la conduite copulative parce qu'elle
lève l'inhibition qu'exerce la noradrénaline, via les autorécep-
teurs, sur l'activité des neurones noradrénergiques qui pren-
nent naissance dans le locus coeruleus.
EFFETS DES SUBSTANCES AGISSANT
SUR LA TRANSMISSION DOPAMINERGIQUE
Chez le mâle
La dopamine est impliquée dans les trois composantes de la
conduite sexuelle des mâles.
L’excitation (éveil). Il semblerait que l'effet stimulant de la
dopamine (DA) sur la conduite copulatoire soit un effet indi-
rect lié à son action sur la stimulation de l'excitation.
La testostérone agit sur l'aire préoptique en envoyant des
influx vers le diencéphale, qui stimulent les centres de la
récompense situés à ce niveau (7). Cette hormone semble
jouer un rôle important en maintenant l'activité dopaminer-
gique dans le nucleus accumbens, car les concentrations de
DA et de DOPAC (acide dihydroxyphénylacétique, métaboli-
te majeur de la DA) chutent après castration et remontent
après injection substitutive de testostérone.
L'activité copulatoire. En prenant pour paramètres la fré-
quence des couvertures et intromissions comme mesure de
l'activité copulatoire, la plupart des travaux montrent que l'ef-
fet stimulant s'exerce par l'intermédiaire des récepteurs D2.
Cela a été largement démontré, aussi bien chez les rongeurs
que chez l'homme, après administration de nombreux ago-
nistes dont l'action a été antagonisée par des antagonistes D2.
Le rapport de l'activité D2/D1 peut être important quant au
contrôle de l'activité sexuelle ;en particulier, une augmenta-
tion D2/D1 peut réduire la latence d'éjaculation, mais aussi
diminuer le réflexe érectile (8).
Le réflexe érectile. L'effet stimulant sur l'érection nécessi-
te la présence de testostérone et s'exerce probablement dans le
télencéphale au niveau des récepteurs dopaminergiques post-
synaptiques (9).
Chez la femelle
L'injection périphérique d'agonistes ou de précurseurs dopami-
n e r giques à fortes doses inhibe la lordose, mais, au contraire,
la facilite à faibles doses. Les récepteurs D1 ne semblent pas
du tout impliqués, ce qui laisse supposer que l'action des
faibles doses d'agonistes ou de DA serait présynaptique et
diminuerait la transmission dopaminergique. Chez les rates,
les antagonistes des récepteurs dopaminergiques facilitent la
lordose, mais inhibent la conduite prospective. Par ailleurs,
l'injection d'agonistes des récepteurs dopaminergiques dans
l'aire préoptique médiane ou dans la zone arquée ventromé-
diane du noyau arqué de l'hypothalamus facilite la lordose,
alors que l'action d'antagonistes dopaminergiques l'inhibe.
EFFETS DES SUBSTANCES AGISSANT
SUR LA TRANSMISSION CHOLINERGIQUE
La lordose est diminuée après trente minutes, mais augmentée
après trois heures lors de l'injection périphérique d'agonistes
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La Lettre du Pharmacologue - Volume 12 - n° 8 - octobre 1998
muscariniques. Les effets inhibiteurs des agonistes muscari-
niques sont augmentés par les IMAO et diminuent avec la
parachlorophénylalanine (PCPA), mais pas avec l'alphamé-
thylparatyrosine ; il a été conclu que la 5-HT induisait l'inhi-
bition muscarinique de la lordose, ce qui n'est pas le cas des
catécholamines. L'hypophysectomie est capable de prévenir
les effets des agonistes des récepteurs muscariniques, suggé-
rant que la facilitation de la lordose peut résulter de la libéra-
tion de substances à partir de la médullo-surrénale. L'injection
périphérique d'antagonistes muscariniques tels que l'atropine
inhibe les conduites de copulation chez le mâle et diminue
le pourcentage d'éjaculation. L'injection périphérique de nico-
tine semble augmenter la lordose alors que son action chez le
mâle est soit facilitatrice soit inhibitrice. L'implantation ou
l'injection de carbachol ou d'atropine dans l'hypothalamus ou
dans la zone limbique augmente la lordose.
EFFETS DES SUBSTANCES AGISSANT
SUR LA TRANSMISSION GABAERGIQUE
L'injection dans la substance noire de picritoxine, qui suppri-
me l'effet de la stimulation des récepteurs GABA, inhibe les
lordoses fréquentes qui apparaissent avec les lésions bilaté-
rales du septum. Les injections intranigrales d'acide hydrazi-
nopropionique, qui inhibe la transamination du GABA ou
un agoniste des récepteurs GABA
A
comme le muscimol chez
les rates sur lesquelles on a pratiqué des lésions, facilitent la
lordose.
Par ailleurs, le GABA semble avoir un effet inhibiteur sur les
conduites d'intromission chez le mâle, indépendamment d'une
activité sédative. Cet effet est probablement exercé par l'inter-
médiaire des récepteurs GABA
A
et GABA
B
(10), le réflexe
érectile étant, lui, modulé par la stimulation des récepteurs
GABA
B
.
EFFETS DES SUBSTANCES OPIOÏDES
Ladministration chronique d’opioïdes diminue l’intérêt
sexuel des femmes. Chez les rates, l’administration systé-
mique de morphine réduit à la fois les conduites prospectives
et les conduites réceptives à des doses non sédatives. Cette
action est antagonisée par la naloxone (11). Des résultats
expérimentaux chez la rate montrent que les opioïdes mu et
delta ont des effets opposés sur l'activité sexuelle. Ainsi,
un agoniste peptidique delta (D-Tyr-Ser-Gly-Phe-Leu-Thr)
stimule la lordose, et les effets stimulants de la β-endorphine
à haute concentration (ordre du microgramme en intracéré-
broventriculaire) sont réduits par un antagoniste sélectif delta
(ICI 154129), mais pas par un antagoniste sélectif mu
(naloxone).
Il a été suggéré que les peptides opioïdes endogènes avaient
une action duale sur le comportement sexuel femelle, facili-
tant au début la réceptivité, peut-être du fait de leur action
analgésique aidant l'intromission. Cependant, après éjacula-
tion, le système opioïde dans la moelle épinière exerce un
effet inhibiteur et est responsable de la diminution de la
conduite sexuelle femelle, parallèle de la période de dépres-
sion observée chez le mâle après l'éjaculation.
CONCLUSION
Le nombre important de neurotransmetteurs pouvant modifier
les conduites de reproduction laisse penser que le contrôle
biologique de l'activité sexuelle est complexe.
Il faut cependant noter que le système dopaminergique agit de
façon plutôt opposée chez le mâle et chez la femelle. En effet,
la DA augmente la conduite prospective et l'excitation et
diminue la conduite réceptive chez la femelle. En revanche,
chez le mâle, elle facilite tous les aspects des conduites
sexuelles, avec, semble-t-il, un effet de renforcement qui n'est
pas retrouvé chez la femelle.
Au contraire, les autres systèmes (5-HT, NA, ACh, GABA)
semblent fonctionner de la même manière chez le mâle et
chez la femelle.
La sérotonine étant un inhibiteur comportemental, une dimi-
nution de son taux s’avère facilitatrice chez le mâle et chez la
femelle, ce qui est classique en pharmacologie du comporte-
ment, alors que la dopamine est liée au plaisir, notamment
chez le mâle.
Les opioïdes ont une activité qui dépend de leur affinité pour
les récepteurs mu ou delta.
R
É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
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