MISE AU POINT
Le diagnostic de neuropathie héréditaire de type
Charcot-Marie-Tooth est fréquemment évoqué en
pratique, que ce soit au cours d’une consultation
neurologique ou d’un examen électroneuromyo-
graphique (ENMG). Le plus souvent, le diagnos-
tic est aisé en raison d’une histoire familiale
évocatrice. Mais, dans certaines circons-
tances, l’absence de cas familiaux connus peut
rendre ce diagnostic difficile. Il faut, dans ces
conditions, chercher par l’interrogatoire, l’examen
clinique et surtout l’étude électrophysiologique
des arguments qui permettent d’évoquer ce
diagnostic.
Quand faut-il penser à une origine héréditaire
devant une polyneuropathie ? Nous nous place-
rons dans la situation, sans doute la plus fré-
quente, qui est celle d’une polyneuropathie
motrice ou sensitivo-motrice à large prédomi-
nance motrice.
Les neuropathies motrices relèvent dans la très
grande majorité des cas de la maladie de Charcot-
Marie-Tooth (CMT). Cette affection, décrite à la fin
du XIXesiècle par Charcot et Marie en France et
Tooth en Angleterre, est en quelque sorte le
modèle et la forme la plus fréquente des neuropa-
thies périphériques héréditaires. Elle fut initiale-
ment rapportée comme une forme héréditaire
d’atrophie péronière. Par la suite, il fut établi que
la forme classique ne représentait qu’une faible
part de l’ensemble des neuropathies de type CMT.
Près de 40 % des patients porteurs d’un des gènes
responsables de la maladie sont soit asymptoma-
tiques, soit ne présentent que des symptômes
modérés n’entravant pas leurs activités socio-pro-
fessionnelles. D’autres présentent des formes d’in-
tensité variable, plus ou moins invalidantes.
L’
INTERROGATOIRE
Il revêt ici une grande importance. Les symptômes
neurologiques, dans ces neuropathies hérédi-
taires, débutent généralement tôt dans la vie,
mais passent souvent inaperçus ou sont oubliés
par le patient. Il faut donc interroger le patient sur
ses performances physiques de l’enfance et de
l’adolescence, notamment sur les exercices effec-
tués au cours d’éducation physique ou dans la
pratique de sports. Généralement, les sujets
atteints d’une affection héréditaire de type CMT,
même asymptomatiques, éprouvent de grandes
difficultés dans l’utilisation de muscles sollicités
pour la vitesse ou le saut en hauteur. La montée à
la corde est aussi très difficilement réalisée, par-
fois impossible. En revanche, la course de fond ne
leur pose habituellement pas de problème. Il ne
faut ainsi jamais rester dans le vague au cours de
l’interrogatoire ; en effet, les réponses risquent
d’être négatives si l’on demande seulement :
étiez-vous bon en gymnastique ou en sport ?
Ces performances physiques modestes n’empê-
chent pas une vie socio-professionnelle normale.
La très grande majorité des patients CMT mène
une vie normale et est peu invalidée par leur
maladie. Certains sujets ignorent même celle-ci
ou n’imaginent pas être atteints, malgré la pré-
sence de petits symptômes, pour nous évoca-
teurs. Il s’agit notamment de crampes fréquentes,
d’entorses de cheville à répétitions sans raison
majeure, de maladresse. Les muscles de ces
patients sont aussi volontiers sensibles au froid
avec parfois de véritables paralysies. D’autres
symptômes relèvent de formes déjà plus avan-
cées, notamment lorsqu’il s’agit de déficit moteur,
* Service d’explorations fonctionnelles
neurologiques, GH de la Pitié-Salpêtrière,
Paris.
8
Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
Les neuropathies héréditaires.
Les arguments en faveur d’une neuropathie
de type Charcot-Marie-Tooth en présence
d’une polyneuropathie démyélinisante
en apparence idiopathique ou sporadique
Sporadic Charcot-Marie-Tooth disease: clues for the diagnosis
P. Bouche*
9
Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
Les neuropathies héréditaires
même transitoire. La caractéristique de ces élé-
ments évocateurs est qu’ils existent depuis de
nombreuses années, parfois depuis l’enfance.
L’
EXAMEN CLINIQUE
C’est un autre élément majeur du diagnostic. Il
faut examiner le patient dévêtu, observer sa
marche et prêter une attention toute particulière
à l’aspect des membres inférieurs.
Il n’est pas rare en effet que l’on observe chez un
patient peu ou pas handicapé, un aspect d’atro-
phie musculaire des jambes et parfois du tiers
inférieur de la cuisse, ce qui, associé à une défor-
mation des pieds, paraît être un élément très évo-
cateur d’une affection de type CMT. Générale-
ment, les pieds creux sont connus de longue date
par le patient lui-même sans qu’il ait estimé pour
autant que cela pouvait présenter une anomalie.
Cet aspect de pieds creux et de “jambes minces”
est parfois une marque de fabrique familiale sans
que cela ait été source d’inquiétude. Cet amincis-
sement peut aussi être présent au niveau des
membres supérieurs : en manchette. Ces aspects
d’atrophie péronière en cuissarde et en man-
chette sont évocateurs d’une affection type CMT
d’autant plus que s’y associent des pieds creux.
Il faut également observer la colonne vertébrale
pour déceler une scoliose, autre élément évoca-
teur d’une maladie héréditaire neuromusculaire.
Une abolition généralisée des réflexes tendineux
dans un contexte de neuropathie motrice peu ou
pas évolutive est aussi un élément évocateur de
diagnostic de maladie chronique ancienne de
type CMT. Cependant, une conservation des
réflexes (rarement une exagération de ceux-ci)
peut être observée dans ce type de neuropathie.
D’autre éléments doivent être cherchés systé-
matiquement : anomalies pupillaires ou visuelles,
troubles auditifs, gêne respiratoire ou de déglu-
tition, qui peuvent être sources de renseigne-
ments pour un diagnostic de neuropathie héré-
ditaire et permettre parfois de cibler le type de
la neuropathie CMT.
Enfin, il ne faut pas négliger la recherche
d’hypertrophie nerveuse sur le dos du pied ou
au cou ou d’acropathie ulcéro-mutilante excep-
tionnelle dans ce type de neuropathie motrice
(mais alors très évocatrice).
Ainsi, un ensemble de signes et symptômes peu-
vent déjà orienter vers une pathologie nerveuse
périphérique ancienne, lentement évolutive et
donc possiblement d’origine génétique. Le fait le
plus marquant est la très bonne tolérance des
déficits, notamment moteurs, par le patient.
Quant aux troubles sensitifs, ils sont discrets,
parfois absents, en tout cas très rarement invali-
dants ou suffisamment gênants pour être signa-
lés. Cela n’exclut pas la possibilité de douleurs
qui peuvent être secondaires aux malformations
des pieds ou de la colonne vertébrale ou plus
rarement dues directement à la neuropathie.
L’
ÉTUDE ÉLECTROPHYSIOLOGIQUE
Elle revêt ici une importance déterminante pour le
diagnostic de neuropathie héréditaire de type CMT
d’une part et pour le type de CMT d’autre part (1).
Étude de la conduction nerveuse motrice
Dans la situation choisie de neuropathie démyé-
linisante, la conduction nerveuse motrice est géné-
ralement très réduite, largement dans la zone de
démyélinisation, de l’ordre de 20 à 30 m/s aux
membres supérieurs (nerf médian).
La caractéristique principale des neuropathies
héréditaires démyélinisantes de type CMT est
l’homogénéité du ralentissement de la conduction
motrice (figure 1). Les valeurs de 20 à 30 m/s sont
Figure 1. Maladie de Charcot-Marie-Tooth. Duplication PMP-22 chromosome 17. Conduction
motrice des nerfs médian et cubital.
10
Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
trouvées sur le médian et le cubital des deux
côtés avec une variation ne dépassant pas 5 m/s
(2). Aux membres inférieurs, les valeurs peuvent
être plus basses, et, dans plus de la moitié des
cas, la conduction motrice ne peut être obtenue,
soit en raison de l’atrophie musculaire soit par
inexcitabilité nerveuse. Il faut généralement aug-
menter de façon très significative la largeur du
choc électrique de stimulation (souvent jusqu’à
1m/s). Cette homogénéité fait que le ralentisse-
ment de la conduction nerveuse est identique
aussi bien en distal qu’en proximal. Ainsi, l’index
de latence terminale (ILT), qui est un rapport
entre la vitesse distale entre poignet et court
abducteur du pouce et la vitesse à l’avant-bras,
est identique à celui observé chez les sujets nor-
maux (figures 2, 3) ; ce qui signifie que l’allon-
gement des latences distales motrices est paral-
lèle au ralentissement à l’avant-bras. Les latences
des ondes F sont allongées également de façon
proportionnelle au ralentissement distal. Il n’y a
pas de bloc de conduction sur les fibres motrices
et pas d’aspect de dispersion temporelle. Le
potentiel musculaire distal évoqué présente un
aspect normal.
L’autre caractéristique essentielle des neuropathies
démyélinisantes de type CMT est l’absence de
corrélation entre le degré de ralentissement de
la conduction nerveuse motrice et le handicap
moteur. En effet, ces patients dont les vitesses
de conduction sont de l’ordre de 20 m/s ne pré-
sentent aucun déficit moteur, dans la mesure où
il n’y a ni perte axonale notable ni, bien sûr, aucun
bloc de conduction. La perte axonale est appréciée
sur la mesure de l’amplitude du potentiel mus-
culaire distal évoqué. Le déficit moteur est géné-
ralement corrélé avec le degré de perte axonale
sans qu’ici la correspondance soit aussi exacte
que dans les autres neuropathies acquises. La
simple étude de la conduction nerveuse motrice
permet ainsi, au vu des altérations très caracté-
ristiques, d’évoquer déjà très fortement le dia-
gnostic de maladie de type CMT dans sa variante
démyélinisante.
L’étude des potentiels sensitifs dans cette forme
démyélinisante est aussi d’un grand apport. Dans
la plupart des cas, les potentiels sensitifs distaux
sont difficiles ou impossibles à obtenir ; ce qui
réalise un contraste très marqué avec la dis-
crétion ou l’absence de troubles et les déficits
sensitifs à l’examen. Le ralentissement de la
conduction sensitive est identique à celui de la
conduction motrice, mais les amplitudes sont
très réduites.
L’étude électromyographique à l’aiguille élec-
trode permet de recueillir certains éléments
évocateurs tels une activité de repos anormale
faite d’un mélange de signes d’ancienneté de la
neuropathie comme les salves pseudomyoto-
niques et de signes de dénervation active repré-
sentés par des potentiels de fibrillation. À l’ef-
fort, les tracés montrent une perte variable en
unité motrice. Il n’est pas rare d’observer des tra-
cés simples avec parfois de grands potentiels
d’unité motrice. Ailleurs, les tracés sont intermé-
diaires, peu appauvris, contrastant avec le degré
d’altération de la conduction nerveuse.
Au terme de cet examen ENMG, le diagnostic de
neuropathie héréditaire de type CMT dans sa
variante démyélinisante est très vraisemblable
(3, 4). On peut raisonnablement écarter les autres
diagnostics de neuropathies démyélinisantes
tels les polyradiculonévrites chroniques (PRNC)
et les polyneuropathies associées à une gamma-
pathie monoclonale bénigne à IgM. Dans les
PRNC, la conduction motrice est altérée de façon
hétérogène, associée à la présence de blocs de
conduction et de dispersion temporelle. Dans les
polyneuropathies associées à une IgM et anti-
corps anti-MAG, la démyélinisation est à large pré-
dominance distale, sans bloc de conduction.
D’autres neuropathies héréditaires peuvent être
évoquées bien qu’exceptionnelles telles les neu-
ropathies de la maladie de Refsum ou les leuco-
dystrophies métachromatiques.
MISE AU POINT
Figure 2. Index de latence terminale (ILT) chez les
sujets normaux.
0,35
ILT, nerf médian, sujets normaux
0,40 0,45
0
10
20
25
40
35
30
15
5
45
0,3
ILT
Figure 3. Index de latence terminale chez
les patients CMT1A.
0,65
ILT, nerf médian, patients CMT1A
0
10
20
25
40
35
30
15
5
50
45
0,450,15 0,35
ILT
Gène Locus Âge de début Signes particuliers VCM Commentaires
CMT1 autosomique dominant
CMT1A PMP22 17p11 1re décade ou plus Forme habituelle, sporadique : 20 % 15 à 30 m/s 70 % des CMT1
CMT1B P0 1q22 1re décade rare >30 ans Forme habituelle, plus sévère <20 m/s Nombreuses mutations
CMT1C LITAF 16p13 2edécade Forme habituelle (2 familles) 15-25 m/s 2 familles
CMT1D EGR2 10q21 2edécade Forme habituelle (FH) 25-40 m/s
CMT1E P0 1q22 Tardif Surdité associée Comme CMT1B ?
CMT1F NFL 8p21 <13 ans FH parfois sévère 15-38 m/s
CMT4 autosomique récessif
CMT4A GDAP1 8q13 <2ans Forme sévère 25-35 m/s Familles tunisiennes
CMT4B MTMR2 11q22.1 <4ans Forme sévère 9-20 m/s Italie. Tomacula
myéline repliée
CMT4B2 MTMR13 11p15 1-2es décade Variable 15-30 m/s Turquie, Tunisie, Japon ?
Maroc, Tomacula
CMT4C KIAA 5q23 1 à 10 ans Scoliose précoce. 10-34 m/s Outfolds. Algérie,
Problèmes respiratoires. Lenteur Tunisie, Maroc
CMT4D (Lom) NDRG1 8q24 1-10 ans Membres supérieurs et membres 9-20 m/s Gypsies
inférieurs + surdité
CMT4E EGR2 10q21 <1an Sévère, type DS <10 m/s
CMT4F Périaxine 19q13 <7ans Formes sévères type DS. Ataxie <10 m/s Plusieurs familles
(souvent absent) (Liban, etc.)
Dejerine Sottas ou DSS ou CMT3
DSS.A PMP22, mutations 17 <3ans Forme sévère. Troubles de la pupille, <12 m/s
ataxie, scoliose
DSS.B P0, mutations 1q22 Id Id
DSS.C 8q23 Id Id 1 famille Iowa
DSS (CMT4F) Périaxine 19q13 Id Id
DSS EGR2 10q21 Id Id
DSS (CMT1F) NFL 8p21 Id Id
Tableau. Les neuropathies héréditaires de type CMT démyélinisantes.
La variante de CMT démyélinisante est plus dif-
ficile à préciser (tableau).
Il peut s’agir d’une forme sporadique de CMT
autosomique dominante ou CMT1. Dans le sous-
groupe CMT1, la forme la plus fréquente est le
CMT1A dont le gène est identifié sur le chromo-
some 17 : duplication de la PMP-22. Cette forme
représente 60 à 70 % de tous les CMT1 et les
formes sporadiques comptent pour plus de 20 %
des cas. Parmi les autres formes de CMT1, il faut
citer les formes avec mutations de la P0 sur le
chromosome 1, souvent plus sévères (CMT1B)
ou parfois plus tardives et associées à une sur-
dité (CMT1E). Les formes récessives (CMT4) sont
souvent plus précoces et sévères, rares en France.
Enfin, les formes de type Dejerine Sottas ou
CMT3 ou encore DSS sont très rares. Elles ont un
début précoce, sont sévères et rapidement handi-
capantes ; elles présentent des signes associés
11
Correspondances en Nerf & Muscle - Vol. II - n° 1 - octobre 2004
Les neuropathies héréditaires
tels des troubles pupillaires, une ataxie et une
scoliose marquée. La vitesse de conduction
motrice est généralement inférieure à 12 m/s.
R
ÉFÉRENCES
1. Birouk N, Gouider R, Le Guern E et al. Charcot-Marie-
Tooth disease type 1A with 17p11.2 duplication: clinical
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Neurology 1993;43:2664-7.
3. Lewis RA, Sumner AJ, Shy ME. Electrophysiological
features of inherited demyelinating neuropathies: a reap-
praisal in the era of molecular diagnosis. Muscle Nerve
2000;23:1472-87.
4. Pouget J. Diagnostic moléculaire des neuropathies héré-
ditaires de type Charcot-Marie-Tooth. Rev Neurol (Paris)
2004;160:181-7.
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