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La génétique émerge au début du XXe siècle1. Les biologistes H. De Vries, C.
Correns et E. von Tschermak redécouvrent les travaux de Mendel. Celui-ci avait exposé
les lois selon lesquelles le « caractère », c’est-à-dire ce qui est visible sur un organisme
(et qui sera rebaptisé plus tard « phénotype » par Johannsen) dépend du « facteur », une
particule logée dans la cellule. Ce « facteur » sera nommé « gène » par Johannsen en
1909.
Au début du siècle, le gène était considéré comme une structure hypothétique,
nécessaire à l’explication des phénomènes connus. La découverte de la structure
physico-chimique de l’ADN en 1953 par Watson et Crick conduit au développement de
la biologie moléculaire. Dès lors que la matérialité du gène est prouvée, son existence
réelle n’est plus remise en question. Il devient alors une icône entourée d’une « aura »
mythique. Le progrès des sciences à la fin du XXe siècle, tels que la technologie de
l’ADN recombinant ou le projet « Génome humain », relativise néanmoins ce modèle
du gène comme entité immortelle auquel un pouvoir démesuré est attribué2.
L’émergence de ces nouvelles techniques permet donc d’analyser concrètement le gène,
en tant qu’entité réelle3. Paradoxalement, le concept de gène devient plus général et
abstrait, à mesure que l’on se rend compte de la complexité des phénomènes inhérents
au fonctionnement génétique : « Thus, as early as 1986 we were well on the way from
the « well defined material entity back to an abstraction, a hypothetical construct, if not
an intervening variable, devised by scientist for their needs » (Falk 1986, 169, 160)4 ».
Cependant, le terme « gène » est toujours utilisé par les scientifiques et perdure
dans le domaine public. Dès lors, il s’agira de se demander : Quelle est la pertinence du
discours sur les gènes au XXe siècle ? Ce questionnement conduit à d’autres
interrogations : Est-il possible ou souhaitable d’établir une définition univoque du terme
« gène » ? Suite aux découvertes modernes, peut-on encore parler de « gène » ou
faudrait-il employer une terminologie nouvelle ? Enfin, pourquoi le mot « gène » est-il
toujours présent dans les discours ? Afin d’élaborer une réflexion à partir de l’ensemble
1 Voir JACOB, François, Préface, in FOX KELLER, Evelyn, Le siècle du gène, Paris, Gallimard,
2003, pp. I-III.
2 Voir FOX KELLER, Evelyn, Le siècle du gène, Paris, Gallimard, 2003, p. 7.
3 Voir PORTIN, Petter, « The Concept of the Gene : short history and present status », in Quarterly
Review of Biology, n°68, 1993, p. 207.
4 GRIFFITHS, Paul E., et STOTZ, Karola, « Gene », in HULL, David et RUSE, Michael, Cambridge
Companion to the Philosophy of Biology, 2007, p. 19.