A l l o c u t i o n ... Les Troisièmes Rencontres

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Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 211, juin 1998
Monsieur le Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Chers Collègues,
Au nom du comité d’organisation et du comité scienti-
fique, j’ai le grand plaisir de vous souhaiter la bienve-
nue à ces Troisièmes Rencontres de la psychiatrie.
Comme vous le savez, les Rencontres ont cette particu-
larité, dans le domaine de la psychiatrie, d’être la seule
manifestation par rapport aux très nombreuses autres
qui regroupent à la fois l’ensemble des professionnels,
leurs différents partenaires du champ de la santé men-
tale et les représentants des patients et de leurs proches.
Nous remercions tout particulièrement l’Unafam, la
FNAP-Psy, Sesame Autisme et SOS Attentat d’être parmi nous aujourd’hui. Ils seront
nos meilleurs juges pour apprécier si nous restons fidèles à notre engagement de
maintenir le point de vue du patient au centre même de nos préoccupations et de
défendre ce nouvel état d’esprit qui renforce la synergie de l’ensemble des acteurs
de la santé mentale. Pour la première fois à ces Rencontres, nous avons le plaisir de
compter parmi nous le nouveau Délégué national de la Fédération hospitalière de
France. Monsieur Gérard Vincent, nous somme particulièrement heureux de saluer
votre présence.
Après Acteurs et partenaires” en 1994 sous la présidence d’Édouard Zarifian, à
qui revient l’initiative de cette manifestation, et “Le vif du sujet” présidé en 1996 par
Bernard Jolivet, le programme de cette année s’organise autour de la confrontation
du Sujet aux différentes étapes de la vie et aux contraintes que lui impose la socié-
té. Je remercie vivement le comité scientifique dont le dynamisme et la compétence
ont permis la participation de personnalités remarquables et l’élaboration du très
riche programme qui va se dérouler durant ces trois jours.
La question centrale de la place de la psychiatrie dans la société actuelle, de son
rôle dans la cité - celui qu’elle joue, celui qu’elle souhaiterait jouer, celui que l’on
voudrait lui faire jouer - ne pouvait plus longtemps être évitée. Il était temps de
débattre au grand jour du statut éminemment politique de la psychiatrie. Si la poli-
tique - cette gestion non guerrière des conflits - concerne l’art de vivre ensemble, la
psychiatrie, qui s’occupe de l’art de vivre avec ses conflits intrapsychiques, est
directement concernée, dans ses objectifs mais aussi dans son utilisation, par le
politique et l’exercice du pouvoir des politiques.
Dans une société en bouleversement où l’instabilité s’accroît, l’insécurité augmente
et les contraintes s’alourdissent, de nouvelles détresses apparaissent, de nouvelles
formes de souffrance s’expriment, de nouvelles réponses de santé publique sont à
organiser. Si la psychiatrie est partie prenante pour y jouer le grand rôle qui est le
sien, la tentation est grande de vouloir lui faire indistinctement prendre en charge
les laissés-pour-compte des trop importantes lacunes de la solidarité. Mais la pré-
carité n’est pas une maladie et, hélas ! le malheur ne se soigne pas. Pour la psy-
chiatrie, au risque de ne plus pouvoir répondre à l’accroissement des demandes de
soins s’ajoute celui de dépasser ses limites en élargissant inutilement son champ
d’action au-delà de ses compétences et finalement de prendre la place du bouc émis-
saire de ce nouveau malaise dans la civilisation. Reconnaître que les limites de
l’exercice de la psychiatrie dépendent de la qualité des liens sociaux, de leur solidi-
Allocution d’ouverture
Les Troisièmes
Rencontres
de la psychiatrie
Dr J.-C. Pénochet
(président des Rencontres 1998)
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té, des modes de confrontation des couches sociales, du temps, des racines et des
généalogies, c’est lui permettre de mieux déployer toute son efficacité.
On lui demande souvent de se mettre au service d’intérêts qui ne relèvent pas de son
domaine ou d’appliquer des mesures contraires à son éthique, qui est celle d’une
réponse thérapeutique face à l’expression d’une souffrance pathologique et d’une
demande d’aide. La situation est parfois caricaturale, comme on l’a vu récemment
dans la question de la délinquance sexuelle. La juste limitation de son domaine est
d’ailleurs difficile à trouver, comme dans la superposition d’une partie de son
champ avec celui du médico-social.
Avec amertume, on serait tenté de dire : on lui demande toujours beaucoup, on ne la
comprend pas souvent et on ne lui reconnaît jamais rien.
• Pourtant, la psychiatrie est au cœur d’une logique de santé publique et elle a été,
dès les années soixante, la première discipline à intégrer cette démarche, aujour-
d’hui encore timidement appliquée ailleurs.
• Pourtant, la désinstitutionnalisation a été massive, malheureusement sans une suf-
fisante amélioration des conditions d’hébergement. Dorénavant, la baisse du
nombre des lits ne veut plus rien dire dans une discipline dont les actions ne se
mènent plus au chevet du patient mais dans la cité, et s’étendent à la réintégration
de l’homme dans son milieu grâce à toute la dynamique de réinsertion qui a été mise
en place.
• Pourtant, la psychiatrie développe une problématique de citoyenneté, où les
malades ne sont plus nos malades mais des personnes à part entière, des usagers,
des citoyens atteints par la maladie. Elle réintroduit le subjectif et l’humain dans une
évolution toujours plus technique de la médecine. Elle promeut l’aspect relationnel
du soin comme lieu de restauration de la liberté. Elle privilégie le Sujet comme
acteur de son destin.
• Pourtant elle est, par ce regard particulier porté sur l’humain, par le très riche débat
d’idées qu’elle sous-tend et par le développement de la recherche au sein de la fédé-
ration de ses nombreuses sociétés scientifiques, extrêmement porteuse d’avenir.
Non, vraiment, on ne lui reconnaît rien : les infirmiers psychiatriques sont en lutte
depuis 4 ans pour leur reconnaissance sociale et leur qualification et cette bataille
laisse apparaître combien le désintérêt qu’on leur témoigne correspond au mépris
social scandaleux dont le malade mental reste l’objet. Dans le même temps, plu-
sieurs centaines de postes de praticien hospitalier demeurent non pourvus faute du
manque d’attractivité de la carrière publique. La démédicalisation guette, les postes
des paramédicaux sont en diminution constante quand le développement de l’extra-
hospitalier et l’accroissement des demandes supposent au contraire plus de moyens.
Les patients et leurs familles sont en attente de places qui font défaut dans les insti-
tutions médico-sociales et les lieux de réinsertion.
Monsieur le Ministre, les professionnels de la santé mentale, les patients et leurs
proches ont besoin de reconnaissance. Certes, cela va de pair avec un travail d’amé-
lioration des représentations sociales de la maladie mentale, mais, plus directement,
la reconnaissance de la psychiatrie passe par la défense de sa spécificité : spécifi-
cité de son domaine, celui de la personne, de son champ, qui dépasse celui d’une
médecine pure, du type de soins, essentiellement relationnel, de son organisation, le
secteur, et de ses actions, surtout extra-hospitalières. Même si une telle position irri-
Allocution d’ouverture
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te souvent, cette “exception psychiatrique” est trop forte pour ne pas être reconnue
et demande à être mieux traduite au niveau d’une organisation de la santé qui tend
au contraire à faire de la psychiatrie une discipline comme les autres.
Comment répondre à ces inquiétudes, comment rompre le cercle de ce mal-être :
d’un côté la souffrance des patients et la solitude des exclus, de l’autre l’isolement
des familles et des soignants, submergés et en plein désarroi de n’avoir pas les
moyens de faire face ?
Ces journées ont été organisées pour nous permettre d’en débattre ensemble libre-
ment et pour nous interroger sur la nécessité de promouvoir une grande politique de
santé publique. Sans faire table rase des acquis importants, elle pourrait permettre
d’en détacher les scories en recomposant une synergie de l’ensemble des actions en
santé mentale. Chacun y mérite sa place, chacun doit y trouver son identité. La sec-
torisation, qui ne saurait être remise en cause ni dans sa logique ni dans ses réali-
sations, doit avoir les moyens de s’adapter aux conditions qu’impose cette nouvelle
donne sociale et que commande l’évolution des techniques. Le secteur privé ne peut
plus demeurer dans une dimension alternative et périphérique. Le monde associatif
ne peut-être maintenu dans un rôle de colmatage des imperfections du système.
Saurons-nous avoir l’audace d’aller aujourd’hui au-delà des seuls concepts de
réseau et de partenariat ? Les freins, bien sûr, sont aussi économiques. Mais le seul
aspect comptable ne fait pas une politique. Et l’investissement dans le domaine de
l’organisation de la santé mentale peut certainement se révéler rapidement source
d’économies. A condition que les missions soient clairement définies, et que les choix
opportuns soient réalisés.
Ce sont toutes ces questions auxquelles nous vous savons sensible, Monsieur le
Ministre, que se posent les professionnels et les partenaires de la santé mentale, les
patients et leurs familles, tous réunis aujourd’hui à ces Rencontres. Très chaleureu-
sement en leur nom, je vous remercie de l’intérêt que vous leur portez en ayant bien
voulu honorer les Rencontres de votre présence et par votre intervention à laquelle
nous serons tous très attentifs.
Je vous remercie.
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