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Le Courrier de l’Arcol (2), n° 1, mars 2000
Enfin, la transdisciplinarité s’appuie sur un
dernier principe, celui qui fonde la pensée
complexe et selon lequel, d’après Edgar
Morin (11),la complexité doit être intégrée à
nos travaux de réflexion et de modélisation,
pour espérer agir sur la réalité et la moduler.
Comment alors analyser le problème du
consentement, lors des protocoles de
recherche selon une méthode transdiscipli-
naire ? Prenons l’exemple de l’autonomie de
la personne, dont le consentement est sou-
vent présenté comme une des principales
conditions de réalisation. Selon le neurobio-
logiste Francisco Varela (12),l’autonomie
répond à une loi interne et à une loi externe.
La loi interne, c’est l’intégrité de tous les
systèmes biologiques : chez le colibacille,
c’est l’homéostasie, et chez l’homme, il
s’agit de l’autonomie organique. La loi
externe est, quant à elle, dénommée “allono-
mie” et concerne toutes les interactions avec
l’environnement : chez l’homme, c’est la
possibilité de choisir, de prendre des déci-
sions, etc. La dignité, les Droits de l’homme
(13), le code pénal, la construction des lois
sont des expressions de l’allonomie.
Quand l’autonomie est respectée (avec sa
composante d’allonomie), le consentement
apparaît alors comme un des moyens du res-
pect des droits de l’homme, compris ici
comme le résultat d’une réelle possibilité de
choix après un processus d’information, de
médiation qui constituent des interactions
avec le monde extérieur permettant un choix
libre et éclairé.
Mais cette approche n’est plus suffisante et
n’est pas satisfaisante quand le patient n’est
ni autonome, ni allonome ; dès lors, d’autres
méthodes doivent être utilisées pour justi-
fier cette transformation de la personne soi-
gnée en personne objet de connaissance,
pour ne pas dire en cobaye. C’est là, nous
l’avons vu, le danger du positivisme appli-
qué à la recherche sur l’homme, car, en dis-
sociant le sujet observant de l’objet observé,
il engendre un risque bien réel de transfor-
mer l’être humain objet de connaissance en
objet tout court, avec tous les dérapages
décrits plus haut.
C’est pourquoi il convient de souligner l’ab-
solue nécessité, pour le médecin chercheur,
en l’absence d’un consentement valable,
d’une conscience éthique infaillible, forgée à
l’aune du paradigme transdisciplinaire, ins-
taurant une confrontation des enjeux scienti-
fiques, juridiques, philosophiques, sociolo-
giques, religieux. C’est en fait, pour le clini-
cien chercheur, soumettre la question com-
plexe à la réflexion des autres (rôle des comi-
tés d’éthique et du débat social) et ne pas
considérer son propre choix comme légitime
a priori. Ce n’est qu’une fois cette conscience
éthique acquise qu’il devient possible de sug-
gérer telle ou telle solution aux problèmes
posés par le consentement à la recherche.
Le consentement n’est pas
le seul critère éthique
de protection des personnes
Le laboratoire d’éthique médicale et biolo-
gique de Necker a proposé une grille résu-
mant les éléments éthiques à respecter
durant les recherches, afin d’aider les cher-
cheurs et les CCPPRB à intégrer cette qua-
lité éthique dans leurs travaux (14, 15).
Cette grille comporte, en plus de la notion
de consentement, une dizaine d’items. Par
ailleurs, dans celui consacré au consente-
ment, il est demandé d’analyser systémati-
quement le bien-fondé des exceptions à la
règle du consentement éclairé. Il est par
ailleurs stipulé de considérer systématique-
ment les impossibilités et les refus de
consentement, pour nourrir la réflexion sur
le déroulement d’une recherche. Il est enfin
préconisé de ne pas exclure abusivement
des protocoles certaines catégories de
patients fragilisés ; cela impose, pour ceux
dont les capacités sont particulièrement
diminuées, de revisiter la validité du
consentement. C’est pourquoi la démarche
éthique qui accompagne la mise en place
d’un protocole doit se rapporter à une éva-
luation multifactorielle et transdisciplinaire,
telle que nous l’avons décrite. Cette
démarche doit tout d’abord permettre de ne
pas considérer le consentement sous le seul
angle réglementaire et juridique, mais sous
l’angle de la responsabiltié vis-à-vis d’au-
trui dans une relation médecin/malade tissée
entre deux consciences et qui conduit à
considérer l’autre comme un autre soi-
même. Par ailleurs, cette approche permet-
tra de ne pas prendre en compte le seul
consentement comme critère de légitimité,
mais une série d’éléments qui caractérisent
la qualité éthique d’un essai et qui permet-
tent d’optimiser la protection des personnes.
Au terme de cette brève étude, nous perce-
vons maintenant mieux le rôle et les limites
du consentement demandé aux patients
inclus dans les protocoles expérimentaux.
Quelles que soient ces limites, cette
compréhension, qui passe par l’analyse
transdisciplinaire d’une situation complexe,
a pour finalité le respect de la dignité
humaine qui représente un des termes du
contrat moral que tout scientifique, médecin
ou non, doit conclure avec la société.
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