Par F. BICHOT et J.J. SEGUIN 19 juillet 2008 Contexte géologique régional Canaveilles est située dans la partie orientale et centrale de la chaîne des Pyérénées. Cette chaîne des Pyrénées est d’âge relativement récent, -50 M années environ, c' est-à-dire contemporain de la mise en place des Alpes. On parle donc de chaîne « Alpine ». Mais contrairement aux Alpes, qui sont globalement de forme arquée comme l’Himalaya, les Pyrénées constituent une barrière plus ou moins rectiligne entre la France et l’Espagne. Alors que les Alpes ou l’Himalaya sont les résultats de la collision de 2 plaques continentales [la plaque africaine est rentrée dans la plaque eurasienne pour les Alpes, la plaque indienne est rentrée dans la plaque asiatique pour l’Himalaya], la chaîne Alpine des Pyrénées est le résultat de coulissages (de l’ordre de 400 km vers l’Est, ill.2) de la plaque ibérique contre la plaque aquitaine [Europe] le long d’une grande faille (« transformante »), la Faille Nord-Pyrénéenne. On retrouve trace de cette faille « crustale » tout le long de la chaîne, d’Ouest en Est. Elle sépare une zone axiale (où se situe Canaveilles) d’une zone nord-pyrénéenne. Elle est aussi responsable de la plupart des séismes actuels. Illustration 1: Localisation de Canaveilles sur le bloc-diagramme du Bassin Aquitain Illustration 2 : Collision de la plaque Ibérie avec la plaque Europe (Bousquet, 1997) Illustration 3 : Coupe géologique interprétative des Pyrénées Orientales Du fait de cette origine par « cisaillement » la chaîne Alpine des Pyrénées est complexe : à l’Ouest l’Aquitaine passe sous la plaque Ibérique (subduction), à l’Est la plaque Ibérique a tendance à s’enfoncer sous la plaque Europe (ill. 3). Cette structuration profonde (jusqu’à 100 km) a été mise en évidence par la géophysique. La structure rectiligne presque E-O de la chaîne est compliquée par des failles (crustales) transverses (ill.4) : à l’Ouest, celle de Pampelune, à l’Est, celles de la Têt et du Tech. Ces zones de failles transverses sont constituées par 2 directions principales, formant aux époques géologiques récentes (Tertiaire) des « fossés » d’effondrement. Illustration 4 : Grandes structures de l’Est des Pyrénées (Calvet, 1996) La Zone axiale des Pyrénées Orientales correspond aux roches les plus anciennes de la chaîne des Pyrénées (parmi les plus anciennes de la France métropolitaine). Les roches du complexe (anticlinal) du Canigou-Caranca correspond en effet à des formations (« Orthogneiss du Canigou ») d’un socle très ancien, « Cadomien », antérieur au Paléozoïque (plus de 560 M années). Venant au-dessus en « discordance » la série des gneiss de Canaveilles est datée du Cambrien (base du Paléozoïque). Ces terrains paléozoïques, qui se développent ensuite jusqu’aux formations calcaires de Villefranche (Dévonien-Carbonifère), sont métamorphisés, plissés et faillés par une chaîne intermédiaire (entre l’Alpin et le Cadomien), la chaîne hercynienne datée de -300 M années. A la même époque se met en place les massifs granitiques de Quérigut et de Mont-Louis. L’histoire géologique de Canaveilles est donc moins marquée par la chaîne la plus récente « Alpine » que par les tectoniques les plus anciennes reconnues dans le massif pyrénéen : le Cadomien dont les rares témoins ne peuvent s’observer que dans la région du Canigou, et surtout l’Hercynien. C’est une partie de cette histoire ancienne que nous allons aborder par l’analyse de quelques affleurements. 11 22 33 44 Illustration 5 : Sites sur carte géologique (1/50 000 BRGM) Les Schistes de Canaveilles Le travail du géologue est assez comparable à celui d’un policier qui mène une enquête. En effet il récolte sur le terrain des indices qui le guident pour reconstituer l’histoire géologique. Mais une grande partie des traces de cette histoire a disparu et ce qui en reste ce ne sont que quelques fragments. La reconstitution de cette histoire est le fruit de plusieurs générations de géologues qui se sont succédées depuis le 18ième siècle. Le premier travail du géologue est la réalisation de la carte géologique. Actuellement la métropole est pratiquement complètement couverte par des cartes à 1/50 000. Pour réaliser ces cartes le géologue décrit les affleurements de roches sur le terrain. En premier lieu il observe et mesure à la boussole les structures : plans de stratification, schistosité, failles, plis… En second lieu il examine à la loupe la roche dans le détail pour déterminer sa composition minéralogique et ses fossiles. Enfin il collecte des échantillons pour réaliser des analyses au laboratoire : lames minces, analyses chimiques, datation… Illustration 6 : Exemple de lame mince (granodiorite) : en haut à gauche en lumière naturelle, en haut à droite en lumière polarisée, en bas la roche Illustration 7 : micaschistes de Canaveilles La série de Canaveilles, estimée à 2500 m d’épaisseur au total, est une formation essentiellement sédimentaire et marine. Les (mica)schistes que l’on observe actuellement sont le résultat de la transformation de dépôts argileux et sableux sous l’effet de l’enfouissement responsable de l’augmentation du couple pression/température. Ce sont des roches « métamorphiques ». Malgré les transformations, de plus en plus intenses vers la base de la série (ici dans la vallée de la Têt), les roches ont conservé l’essentiel de leur structure sédimentaire. Ces schistes se sont déposés il y a environ 560 M années dans une mer en bordure d’un continent. Les fleuves amènent dans ce bassin de sédimentation les produits du démantèlement des reliefs émergés. Les dépôts forment un empilement de strates qui s’enfouissent progressivement. L’augmentation de la pression et de la température conduit à la transformation progressive de la roche. Les « grains » originels, sables (quartz), argiles, laissent place à des minéraux, principalement des silicates et des silicates d’alumine [Si et Al sont les éléments les plus importants de la partie superficielle de la Terre]. Les micaschistes et les gneiss sont donc essentiellement formés par 3 composants : le quartz, les feldspaths, les micas. L’apparition de certains éléments dans la roche permet de caractériser l’intensité du métamorphisme : le site 1 est situé approximativement au passage entre les zones à biotite (au-dessus) et la zone à cordiérite et andalousite. Le stade ultime du métamorphisme est la fusion complète de la roche qui redevient magma. En dehors des schistes et des gneiss, la série de Canaveilles incorpore des bancs « organiques » (ancien charbon, lignite ?), des bancs d’origine volcanique, et surtout de nombreuses barres calcaires qui peuvent s’observer ici sur le versant de la vallée de la Têt. Ces barres calcaires, transformées en marbre, auraient livré sur le versant espagnol des fossiles qui ont permis de dater la roche de la base du Cambrien. Les calcaires correspondent aussi à des dépôts marins, vraisemblablement assez peu profonds et proches des côtes. Les calcaires correspondent à des dépôts principalement chimiques [carbonates] (cf. par analogie les dépôts des grottes) qui tranchent avec les accumulations « détritiques ». Les dépôts sableux et argileux présentent cependant un caractère très carbonaté comme le démontre l’analyse chimique des schistes de Canaveilles qui auraient conservé leur composition chimique originelle. Enfin ce que nous pouvons encore déduire des affleurements que nous observons, c’est que ces roches ont été déformées, car les couches présentent un pendage (ici globalement vers le Nord), et fracturées. Illustration 8 : contact entre les marbres de la série de Canaveilles et les orthogneiss du Canigou Passage de la série de Canaveilles aux orthogneiss du Canigou Ce passage s’observe sur le chemin qui descend à la station en contrebas du tunnel. Au niveau de ce dernier la faille très nette affecte la série de Canaveilles. Au Nord les marbres, base ( ?) de la série de Canaveilles, présentent encore la structure stratifiée de la roche originelle. Ces marbres sont redressés et affectés de failles qui ont favorisé des remontées hydrothermales (minéralisation bleu-vert de cuivre ?). Ils alternent avec des gneiss. Ces alternances sont visibles en bordure du chemin qui amène à l’ancien tunnel. Au Sud de la route débute les Orthogneiss du Canigou qui présentent un caractère plus massif, sans litage, par rapport aux marbres. Ces « ortho »gneiss ont été datés d’environ 600 M d’années (par datation absolue). Les orthogneiss correspondent à des formations initiales granitiques par la suite fortement métamorphisées. Les structures initiales des granites sont toutefois conservées ainsi que leur composition chimique. Ces orthogneiss sont toutefois formés par 2 types de faciès : - au contact des marbres des faciès fins, blanchâtres, riche en feldspaths : leptynite… - au-dessous, en descendant vers la Têt, on trouve des gneiss caractérisés par des « yeux » feldspathiques de taille importante (2 à 10 cm). Alors que les gneiss oeillés sont interprétés comme un ancien granite du « socle » précambrien, les gneiss fins blanchâtres ont reçu plusieurs interprétations. Une partie au moins de ces gneiss pourraient correspondre à une zone d’altération du socle sous un climat péri-polaire. Les granites sont aussi formés par 3 grands types de minéraux : le quartz, nettement majoritaire, les feldspaths et les micas. Le rapport et la composition minéralogique de ces 3 éléments permet de les distinguer. Les granites se mettent en place en profondeur dans la croûte terrestre, à partir d’une poche magmatique, et ne viennent pas en surface ce qui les distingue des roches volcaniques. Les « plutons » granitiques se refroidissent lentement ce qui permet la cristallisation des cristaux. Les sources thermales de Canaveilles Illustration 9 : Ancienne station thermale de Canaveilles Les sources thermales de Canaveilles font partie d’un ensemble de sources qui sortent le long de la faille de la Têt, de Thues à Nyer. A Canaveilles plusieurs sorties d’eau peuvent être observées dans et le long de la Têt. Les plus chaudes dépassent 60°C. Elles sont caractérisées par des filaments blanchâtres correspondant à des bactéries qui oxydent les composés soufrés. Ces eaux thermales étaient connues depuis longtemps et ont été exploitées par les moines d’Escalada qui construisirent un monastère en rive gauche de la Têt, dans le défilé de Graus. A la suite d’une inondation à la fin du 9ième siècle, le monastère fut détruit et les moines construisirent et s’installèrent à St-Michel-de-Cuxa. Sur l’emplacement du monastère, des bains troglodytiques furent construits au 16ième siècle. Par la suite, l’établissement thermal fut construit. A la fin du 19ième siècle, il exploitait une douzaine de sources pour l’embouteillage sous l’appellation « Eaux de la fontaine de l’Infante Inès » et pour le thermalisme. L’établissement thermal fut ensuite réaménagé en hôtel haut de gamme avec piscine. Il a brulé en 1984. La température des eaux permet de situer leur parcours souterrain et leur remontée d’une grande profondeur (estimée à 2800 m dans une étude BRGM). Le degré géothermique moyen est en effet de l’ordre de 3°C pour 100 m de profondeur. Ces eaux proviennent des eaux de pluie qui tombent sur le massif granitique du Canigou (autour de 2100 m), s’infiltrent vers la profondeur et remontent à la faveur de la faille. La durée de ce trajet peut être importante, estimée au minimum à 50 ans, ce qui leur permet d’acquérir leur composition chimique et leur température. Le bloc-diagramme de l’illustration ci-dessous (source BRGM) présente ce fonctionnement. Illustration 10 : Bloc-diagramme interprétatif de l’hydrothermalisme de la vallée de la Têt Le complexe plutonique de Mont-Louis A Thuès, de l’autre coté de la faille de la Têt qui effondre le compartiment nord, on peut examiner des faciès différents de ceux observés jusqu’à présent, associés aux complexes plutoniques de Mont-Louis et de Quérigut. Il s’agit de roches sombres, moins riches en silice que les orthogneiss précédents, datées d’environ 300 M d’années. Cet âge leur confère une mise en place au cours de « l’orogénèse » (formation d’une chaîne de montagne) hercynienne. Ces roches se sont formées par le refroidissement (durée estimée à 500 000 ans) d’une poche magmatique au sein de la croûte terrestre. La nature chimique de ces roches (quartz, feldspath potassique (rose), biotite, hornblende) permet de préciser leur contexte régional de formation. La mise en place de ces plutons a contribué au métamorphisme des roches encaissantes (notamment de la série de Canaveilles). Enfin, les jeux de la faille de la Têt ont « broyé » ces roches, formant de véritables « brèches » que l’on peut observer dans les gorges. Illustration 11 : Roches sombres (complexe plutonique de Mont-Louis) de l’entrée des gorges de la Carança Conclusion Malgré la complexité de ce secteur des Pyrénées, ce petit parcours géologique permet d’introduire les grands types de roches que l’on peut trouver : - les roches sédimentaires produits en règle générale de l’altération de reliefs émergés : ces roches sont stratifiées, s’empilent sur des épaisseurs parfois importantes et présentent une grande variabilité verticale comme géographique. Leur nature et leur composition « biologique » (fossiles) permet de reconstituer les milieux de dépôt. - les roches plutoniques, issues du refroidissement lent de poches de magma remonté de grande profondeur (plusieurs dizaines de kilomètres). Parfois ce magma vient à la surface et donne naissance à des roches volcaniques à structure vitreuse. La lenteur du refroidissement de ces poches permet la formation des cristaux. Ces plutons donnent des roches massives, sans stratification, mais avec des compositions chimiques très différentes, permettant de reconstituer leur contexte de mise en place. - les roches métamorphiques issues de la transformation des roches précédentes par augmentation de la température et de la pression. Parallèlement le secteur de Canaveilles permet aussi de reconstituer plusieurs grandes étapes de l’histoire géologique, notamment les 3 chaînes de montagne qui s’y sont succédées : la Cadomienne autour de 600 M années, l’Hercynienne autour de 300 M d’année et la chaîne actuelle, Alpine, datant d’environ 50 M d’année.