DONNÉES NOUVELLES
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La Lettre du Pneumologue - Volume VI - no1 - janv.-févr. 2003
L
e tabagisme est un phénomène majeur de notre société,
à tel point qu’il faut maintenant des livres entiers pour
en aborder les différents aspects (médical, social,
etc.)(1). Les particularités des femmes vis-à-vis du tabac par rap-
port aux hommes peuvent être divisées en trois grandes catégo-
ries : une évolution très différente de la consommation au cours
du siècle écoulé, une susceptibilité féminine particulière à cer-
tains effets néfastes de la fumée de cigarette et, peut-être, un déter-
minisme différent de la dépendance (2). Il n’est pas question de
proposer ici une revue exhaustive des données publiées sur ces
différents aspects, mais plutôt de les illustrer par quelques
exemples, en insistant plus particulièrement sur deux affections :
la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et le can-
cer bronchique.
ÉVOLUTION COMPARÉE DU TABAGISME SELON LE SEXE
En 1950, la proportion de fumeurs parmi les hommes était de
plus de 66 %, alors qu’elle était de moins de 20 % chez les
femmes (2). En 1998, ces chiffres avaient très notablement évo-
lué, puisque 27 % des femmes fumaient (environ un tiers de plus),
contre 42 % des hommes (environ un tiers de moins). Fait inquié-
tant, à l’heure actuelle, la proportion de fumeurs parmi les ado-
lescents de 18 ans est semblable chez les hommes (45 %) et chez
les femmes (42 %). Cela montre l’égalisation de la situation des
hommes et des femmes par rapport au tabagisme. Or, les affec-
tions respiratoires, cardiovasculaires ou cancéreuses en rapport
avec celui-ci se manifestent avec un décalage de 20 à 30 ans par
rapport au début de la consommation de tabac : de ce fait, les pro-
jections françaises actuelles prévoient que la mortalité féminine
liée au tabac sera multipliée par 10 de 1995 à 2025, alors que la
mortalité masculine ne sera multipliée que par 1,8, le nombre
total de décès liés au tabac étant, lui, multiplié par 2,5 (3).
SUSCEPTIBILITÉS FÉMININES AUX EFFETS NÉFASTES
DU TABAC
Risques spécifiquement féminins
Certains effets du tabagisme se manifestent exclusivement chez
la femme : ménopause plus précoce, augmentation du risque de
grossesse extra-utérine, d’avortement spontané, de placenta prae-
via et d’hématome rétroplacentaire (responsables d’une morti-
natalité majorée) (4). En outre, le nourrisson de mère fumeuse
est plus à risque de prématurité, de petit poids de naissance et de
mort subite.
Plusieurs études ont montré une augmentation des risques d’affec-
tion respiratoire et d’atopie chez l’enfant de mère fumeuse pen-
dant la grossesse (5, 6). Ces enfants sont aussi exposés à une
croissance pulmonaire moindre, susceptible d’augmenter le
risque de survenue d’une bronchopneumopathie chronique obs-
tructive (BPCO) à l’âge adulte (7). Le tabagisme de la mère durant
l’enfance augmente également le risque de réduction de la fonc-
tion respiratoire et de survenue de bronchites, d’otites et de mala-
die respiratoire sifflante dans la petite enfance (8-11). Chez
l’enfant asthmatique, le tabagisme passif augmente l’intensité et
la fréquence des crises (12).
Malgré ces risques, les chiffres concernant le tabagisme mater-
nel sont inquiétants. En 1981, 26 % des femmes en âge de pro-
créer fumaient, et ce chiffre a augmenté jusqu’à 39 % en
1995 (13). Parallèlement, le pourcentage de femmes enceintes
continuant à fumer pendant la grossesse est passé de 17 à 25 %.
Enfin, 70 % des femmes qui arrêtent de fumer reprennent pré-
cocement leur intoxication après la naissance.
Risque de BPCO
Les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
sur la BPCO prévoient que cette maladie passera, entre 1990 et
2020, du sixième au troisième rang des causes de mortalité et
du douzième au cinquième rang des causes de handicap (14).
Les mêmes auteurs prévoient que le nombre de décès liés au
tabac dans le monde passera de 200 millions en 2025 à 550 mil-
lions en 2050. Cette évolution ne serait que très peu affectée par
une diminution de moitié du nombre de nouveaux fumeurs dans
cette période. Elle serait en revanche plus notablement réduite
par une diminution de moitié de la consommation de tabac des
fumeurs actuels, puisque le nombre de décès prévu pour 2050
ne serait alors que de 350 millions environ. Cette évolution pré-
occupante est en partie due à l’augmentation de la prévalence
des BPCO chez la femme, puisque des projections effectuées en
Hollande montrent que, de 1994 à 2015, la proportion d’hommes
affectés par une BPCO passera de 21/1 000 à 29/1 000, tandis
qu’elle sera multipliée par 2,5 chez la femme, passant de 10 à
25/1 000 (15). Déjà, à la fin des années 1990, le risque d’hospi-
talisation pour BPCO était plus élevé chez les femmes que chez
Les femmes face au tabac
Women and tobacco smoking
!
N. Roche*
* Service de pneumologie, hôpital de l’Hôtel-Dieu, Paris.
©Photo Keystone, “Les femmes et le tabac”, Communication 1999 du CFES.
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les hommes, à tabagisme et à âge égaux : le risque relatif d’être
hospitalisé pour une BPCO pour une femme par rapport à un
homme varie de 1,5 (intervalle de confiance à 95 % - IC95 % :
1,2-2,1) à 3,6 (IC95 % : 1,4-9,0) selon deux études danoises por-
tant sur près de 14 000 sujets (figure 1) (16). Ces données sug-
gèrent une susceptibilité accrue vis-à-vis du risque de survenue
d’une BPCO et confirment les résultats de plusieurs études trans-
versales. Ainsi, l’examen de 348 parents au premier degré de
sujets atteints de BPCO précoce sévère a trouvé un VEMS
exprimé en pourcentage de la théorique significativement plus
bas chez les femmes que chez les hommes (81 % versus 87 %,
p=0,009), avec une proportion plus importante de femmes dont
le VEMS était inférieur à 40 % (figure 2) (17). Dans ce travail,
les femmes avaient aussi plus souvent une réversibilité de l’obs-
truction bronchique de plus de 10 %. Cette donnée pourrait lais-
ser supposer que c’est un excès d’hyperréactivité bronchique chez
la femme qui serait lié au risque plus important de BPCO. Une
telle hypothèse est aussi confortée par les résultats d’une étude
longitudinale de 2 916 sujets hollandais suivis pendant 18 ans.
Celle-ci a trouvé un lien entre l’hyperréactivité bronchique à
l’histamine et le sexe féminin (18). Cependant, dans la Lung
Health Study, si le pourcentage de réponses positives à une
ose donnée d’histamine était significativement plus important
chez la femme que chez l’homme (48 % versus 25 % pour une
dose de 5 mg/ml ; 87 % versus 63 % pour une dose de 25 mg/ml)
(figure 3) (19), cette différence disparaissait lorsque les données
étaient contrôlées en fonction du VEMS de base, le risque relatif
chez les femmes par rapport aux hommes passant de 1,75
(IC95 % : 1,60-1,92) à 1,06 (IC95 % : 0,96-
1,18) (figure 3). Cela suggère que l’excès
d’hyperréactivité bronchique chez la femme
rapporté dans plusieurs travaux pourrait être
en fait un artefact lié au calibre bronchique
féminin, plus réduit à l’état de base.
Enfin, la Busselton Health Study, réalisée
chez 1 691 sujets entre 1969 et 1995, avec
un suivi fonctionnel respiratoire de 6 ans
pour chaque sujet, a montré qu’un déclin
donné du VEMS a un impact plus impor-
tant sur la mortalité des femmes que sur
celle des hommes : le risque relatif de décès
toutes causes confondues pour une perte de
1 l de VEMS était de 1,77 (IC95 % : 1,09-
2,86) chez la femme, contre 1,42 (IC95 % :
1,08-1,87) chez l’homme ; ainsi, pour un
déclin du VEMS de 50 ml par an de plus
que la moyenne, l’excès de risque de décès
était de 1,21 (IC95 % : 1,04-1,41) chez la
femme et de 1,08 (IC95 % : 0,98-1,20) chez
Figure 1. Risque relatif (et IC95 %) d’hospitalisation pour BPCO selon
le tabagisme exprimé en paquet-années et le sexe, selon deux études de
population portant en tout sur près de 14 000 sujets. PA : paquet-année.
D’après 16.
0
1-20 20-40
Tabagisme (PA)
Risque relatif d’hospitalisation pour BPCO
> 40
10
20
30
40
50
60
Femmes Hommes
Figure 2. Risques relatifs (et IC95 %), chez les femmes par rapport aux
hommes, de diminution du VEMS ou de réversibilité d’au moins 10 %
de la valeur de base, selon une étude de 348 parents au premier degré
de sujets atteints de BPCO précoce sévère. D’après 17.
0
VEMS
< 80 %
VEMS
< 40 %
Réversibilité
> 10 %
Risque relatif femmes/hommes
2
4
6
8
10
12
14
Figure 3. Hyperréactivité bronchique selon le sexe. À gauche : pourcentage de diminutions de
20 % au moins du VEMS selon la dose d’histamine. À droite : risque relatif (et IC95 %) d’hyper-
réactivité bronchique chez les femmes par rapport aux hommes selon que le résultat est consi-
déré comme brut ou corrigé selon la valeur du VEMS de base. D’après 19.
0
5 mg/ml 25 mg/ml
Pourcentage de réponses positives
(chute du VEMS de plus de 20 %)
Risque relatif d’HRB
femmes/hommes
20
0
Brut Contrôlé pour VEMS de base
0,5
1
1,5
2
40
60
80
100
Hommes
Femmes
l’homme(20). De la même façon que pour l’hyperréactivité bron-
chique, ce retentissement plus important d’une diminution don-
née du VEMS pourrait être simplement lié au fait que ce dernier
est en moyenne plus bas chez la femme que chez l’homme
lorsqu’il est mesuré en valeur absolue.
Une dernière particularité de la femme face à la BPCO, et non
des moindres, est que les médecins pensent encore plus rarement
à cette maladie que chez les hommes. Cela a été montré dans
une étude effectuée au Canada chez 192 médecins généralistes :
le diagnostic de BPCO n’était évoqué que chez 42 % des femmes,
contre 58 % des hommes, face à un tableau clinique pourtant
typique, avec dyspnée d’exercice chez un sujet fumeur (21).
Après une spirométrie montrant un syndrome ventilatoire obs-
tructif non réversible, ces chiffres passaient à 74 % chez l’homme
et à 66 % chez la femme. Face à une absence de réversibilité
après un test aux corticoïdes oraux, le diagnostic était évoqué
chez 85 % des hommes et 79 % des femmes. Une autre donnée
inquiétante de cette étude est le faible pourcentage de spiromé-
tries demandées par les médecins face au tableau clinique ini-
tial (20 %).
Risque de cancer bronchique
Durant plusieurs années, les données épidémiologiques dispo-
nibles ont suggéré un risque accru de cancer bronchique, et plus
particulièrement d’adénocarcinome, chez la femme comparati-
vement à l’homme, à tabagisme égal (22-25). Cela pourrait être
lié à l’effet des estrogènes sur leurs récepteurs, présents dans
le tissu pulmonaire normal et tumoral (26-28). Cependant, des
études épidémiologiques récentes ont présenté des résultats
opposés (29, 30). Ainsi, une étude de population a été réalisée
au Danemark chez 30 874 sujets (dont 44 % de femmes) inclus
entre 1964 et 1992 et suivis jusqu’en 1994 (29). Ce travail a
montré un risque relatif de cancer bronchique de 20 pour un
tabagisme supérieur à 60 paquets-année, sans différence signi-
ficative entre les hommes et les femmes : le risque relatif de
cancer bronchique était de 0,8 pour les femmes comparées aux
hommes (IC95 % : 0,3-2,1). De même, deux études nord-amé-
ricaines ont montré une augmentation progressive du risque
relatif d’adénocarcinome chez les fumeurs de la fin des années
1950 au début des années 1990 (30). Ce risque relatif augmen-
tait en effet de 4,6 à 19 chez les hommes (x 4,13) et de 1,5 à 8,1
(x 5,4) chez les femmes, avec une pente d’augmentation du
risque plus grande chez les hommes (figure 4). Cette évolution
correspond en fait à la généralisation des cigarettes “légères” à
filtre, dont la diffusion vers la distalité de l’arbre respiratoire
est plus importante et dont la composition en carcinogènes est
peut-être différente. Une étude de cohorte de femmes opérées
pour cancer bronchique a même montré une moindre propor-
tion de décès au cours du suivi chez les femmes, avec un risque
relatif de décès de 0,72 pour celles-ci par rapport aux hommes
(IC95 % : 0,6-0,9) (31). Cette protection était indépendante de
l’âge, des symptômes, du tabagisme, du type de chirurgie, du
type histologique et du stade évolutif au moment de l’inter-
vention chirurgicale. À ce jour, de telles données n’ont toute-
fois jamais été confirmées dans d’autres études.
Au-delà des travaux d’épidémiologie “classiques”, des études
d’épidémiologie moléculaire ont cherché à mettre en évidence
des différences homme-femme de susceptibilité à certains poly-
morphismes de gènes prédisposant potentiellement au cancer
bronchique. Les gènes concernés sont, pour l’essentiel, des
gènes codant pour des enzymes de détoxification. Ainsi, une
étude cas-témoin de 343 sujets a montré un risque relatif de can-
cer bronchique plus élevé chez les femmes que chez les hommes
porteurs du polymorphisme CYP1A du cytochrome P450 : ce
risque était en moyenne de 4,98 chez la femme et de 1,37 chez
l’homme. Chez les sujets porteurs d’un double polymorphisme
CYP1A du cytochrome P450 et de l’isoforme GSTM1 de la glu-
tathion S-transférase, le risque relatif de cancer bronchique était
de 6,54 chez la femme et de 2,36 chez l’homme (32). Cepen-
dant, une susceptibilité féminine accrue au polymorphisme du
cytochrome P450 n’a pas été retrouvée dans une autre étude
cas-témoin de 106 sujets (33). Un autre travail a montré qu’un
polymorphisme de la région promotrice du gène de la myélo-
péroxydase (responsable de la transformation des procarcino-
gènes de la fumée de tabac en radicaux libres) avait un effet
protecteur chez l’homme, avec une réduction de risque de 72 %
(risque relatif : 0,28 ; IC95 % : 0,12-0,61) qui n’était pas obser-
vée chez la femme (34). Cependant, la protection n’était obser-
vée que chez des sujets fumeurs de moins de 60 ans. De tels
résultats demandent donc à être confirmés sur une plus grande
échelle, avec une taille de population suffisante pour permettre
ce type d’analyse par sous-groupes.
Autres risques liés au tabac chez la femme
Cancers
En ce qui concerne les cancers autres que le cancer bron-
chique, les données sont rares et hétérogènes : une étude cas-
témoin a trouvé, à tabagisme égal, un risque relatif de cancer
de vessie plus élevé chez les femmes (35), mais cette différence
n’a pas été retrouvée dans une étude de population (36). Une
étude de type “exposé-non exposé” parmi 167 familles à risque
a montré un risque relatif de cancer du sein de 2,4 en cas de
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Figure 4. Risque relatif (et IC95 %) de décès par adénocarcinome chez
les fumeurs de 1959 à 1991 selon le sexe. D’après 30.
0
1959
Risque relatif de décès par adénocarcinome
chez les fumeurs
10
20
30
40
50
1991
Femmes
Hommes
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tabagisme, passant à 5,8 dans les familles considérées comme
étant à très haut risque (37). À l’inverse, une modélisation
mendélienne à partir d’une étude de ségrégation a trouvé un
effet protecteur du sexe féminin contre la survenue d’un can-
cer de l’œsophage. Ainsi, le maximum du risque cumulé était
de 100 % chez l’homme, contre 62 % chez la femme (38). Là
encore, de telles données n’ont pas été confirmées dans d’autres
études.
Maladie thromboembolique
Plusieurs travaux ont montré un effet additif de la contraception
orale et du tabagisme sur le risque de maladie thromboembolique.
Le risque relatif lié au tabac est de 2, tandis qu’il est de 5,1 après
un an de contraception orale (diminuant à 2,5 entre 1 et 5 ans
après le début de la contraception, et à 2,1 après plus de 5 ans de
contraception) (figure 5) (39, 40).
132 mg/dl) que chez l’homme fumeur comparé au non-fumeur
(137 mg/dl versus 131 mg/dl ; p < 0,001 pour l’interaction entre
le polymorphisme et le tabagisme chez la femme, p = 0,11 chez
l’homme ; figure 6)(43). L’interaction entre le polymorphisme
et le tabagisme existait aussi pour le cholestérol total chez la
femme (p = 0,02). En ce qui concerne le risque d’athérome caro-
tidien, des différences de facteurs de risque en fonction du sexe
ont aussi été retrouvées dans une étude de population norvé-
gienne de plus de 6 000 malades. Ainsi, l’hypertriglycéridémie
serait un risque plus spécifiquement féminin, tandis que l’aug-
mentation du fibrinogène et l’absence d’activité physique
seraient des facteurs de risque plus spécifiquement masculins,
les deux sexes ayant en commun les autres facteurs de risque
(âge, pression artérielle, cholestérol total, index de masse cor-
porelle et tabagisme) (44). Ces résultats demandent à être
confirmés par d’autres études.
Figure 5. Risques relatifs d’accidents thromboemboliques veineux chez
la femme selon le facteur de risque. IMC : index de masse corporelle.
D’après 39, 40.
0
< 1 an
1 à 5 ans
> 5 ans
Tabac
IMO
Comorbidité
Risque thromboembolique
1
2
3
5
6
4
Contraception orale (durée)
Figure 6. Taux moyen de LDL-cholestérol selon le sexe, le tabagisme et
l’existence ou non du polymorphisme APO-4 du gène de l’apolipo-
protéine E. D’après 43.
100
Non-fumeurs Fumeurs
Taux moyen de LDL-cholestérol
(mg/dl)
110
120
130
140
160
150 Hommes
Femmes
APO-4–
Non-fumeurs Fumeurs
APO-4+
Maladies cardiovasculaires
Certains facteurs génétiques pourraient avoir un impact sur le
risque d’infarctus du myocarde différent selon le sexe : par
exemple, le risque relatif d’infarctus du myocarde serait de 3,5
(IC95 % : 2,0-6,3) chez des hommes porteurs d’un polymor-
phisme du gène du TGFß1, une telle majoration du risque
n’étant pas retrouvée chez la femme (41). Par ailleurs, une étude
cas-témoin chez plus de 3 000 sujets a montré des différences
de synergie des facteurs de risque entre les deux sexes (42).
Selon ce travail, les trois facteurs de risque principaux d’infarc-
tus du myocarde sont l’hérédité, le tabac et le rapport LDL/HDL
chez l’homme, et l’hérédité, le tabac et le diabète chez la femme.
Une étude du National Heart Lung and Blood Institute nord-
américain a exploré cette hétérogénéité par épidémiologie molé-
culaire chez 1 472 sujets. Elle a montré que, chez les sujets por-
teurs du polymorphisme APO-4 de l’apolipoprotéine E, le taux
de LDL-cholestérol était nettement plus augmenté chez la
femme fumeuse comparée à la non-fumeuse (153 mg/dl versus
Synthèse
Le tabac expose les femmes à certains risques spécifiques comme
une ménopause plus précoce ou la survenue de complications
obstétricales. Le tabagisme maternel expose aussi les enfants à
des risques d’affections respiratoires.
Par ailleurs, plusieurs données scientifiques bien établies suggè-
rent un risque plus élevé de BPCO chez les femmes. Pour d’autres
maladies, comme le cancer du poumon, la supériorité du risque
par rapport à un homme est toujours discutée, tandis que, pour
les maladies cardiovasculaires, il semble s’agir davantage d’un
impact différent des facteurs de risque que d’un risque absolu
plus élevé.
Quoi qu’il en soit, les risques encourus par les femmes en rap-
port avec le tabagisme sont en train d’augmenter de manière dra-
matique, en particulier dans les pays développés, du fait de l’aug-
mentation du tabagisme féminin qui est notée depuis la Deuxième
Guerre mondiale.
FACTEURS IMPLIQUÉS
DANS L’ÉVOLUTION DU TABAGISME FÉMININ
Facteurs socioculturels
(2)
Les facteurs qui ont conduit à la généralisation du tabagisme
féminin sont essentiellement d’ordre socio-culturel ; ils ont
d’ailleurs été et restent largement exploités par les fabricants
de cigarettes. Ainsi, à partir de la Première Guerre mondiale, le
tabagisme féminin s’est développé en tant que symbole d’éman-
cipation, de liberté, d’égalité vis-à-vis du sexe masculin. Pen-
dant la période de l’entre-deux-guerres, il était le symbole d’une
aisance financière, de l’appartenance à une élite, tout en deve-
nant une marque de féminité et de sensualité. La Deuxième
Guerre mondiale a transitoirement transformé le tabagisme en
signe de patriotisme, car il était associé au travail que les
femmes se devaient d’effectuer à la place de la population mas-
culine, qui avait pris les armes. La période de l’après-guerre a
à nouveau modifié la symbolique du tabagisme selon deux axes :
d’une part, la cigarette est devenue un symbole de distinction
intellectuelle, de créativité, de tendance artistique ; d’autre part,
elle est devenue un symbole d’indépendance, ce qui a conduit
à la généraliser dans les couches sociales. À la suite des évé-
nements socio-culturels de la fin des années 1960 et des années
1970, le tabagisme de la femme est en outre devenu un sym-
bole de liberté sexuelle. Plus récemment, il traduisait à nouveau
une volonté d’égalisation des chances et des modes de vie, à
mettre en parallèle avec la mode vestimentaire “unisexe”. À
l’heure actuelle, le tabagisme connaît une diffusion sociale des-
cendante vers la femme aux revenus modestes (chômeuse, mère
célibataire, au niveau socio-éducatif bas, groupes ethniques
défavorisés). Cela est en partie lié à un manque d’informations
dans ces couches de population et au rôle de “béquille” psy-
chologique que remplit la cigarette.
Toute cette évolution transparaît lors de l’examen des publici-
tés pour le tabac destinées aux femmes, dont l’origine remonte
au XIXesiècle. De même au cinéma, les images de femmes
fumant se sont progressivement modifiées.
Risque de dépendance au tabac
chez la femme
Une analyse de 390 paires de jumeaux a montré que les femmes
pourraient être plus sensibles au tabagisme de leur entourage
en tant que facteur déclenchant de leur propre consomma-
tion (45). Cette plus grande susceptibilité féminine au risque de
fumer a aussi été suggérée par des études portant sur le gène de
la cholécystokinine (46). Ce neuropeptide joue un rôle dans la
sensation de satiété. Chez l’animal, l’exposition nicotinique
induit une perte de poids liée à une élévation des concentrations
de cholécystokinine au niveau de l’hypothalamus. Parallèle-
ment, l’administration d’anti-cholécystokinine induit une dimi-
nution des symptômes de manque lors du sevrage nicotinique.
Dans une étude portant sur 191 femmes, un polymorphisme de
la région promotrice du gène de la cholécystokinine a été
retrouvé plus fréquemment chez les fumeuses (58 %) que chez
les non-fumeuses (15 %) ou les ex-fumeuses (20 %) (46).
Néanmoins, faisant suite à ce travail, l’étude, par la même
équipe, de 725 parents de jumeaux n’a pas mis en évidence de
spécificité féminine de ce polymorphisme et de son impact sur
le risque de devenir fumeur (46).
Au-delà de la possibilité de risque plus élevé de devenir taba-
gique chez les femmes par rapport aux hommes, le sexe fémi-
nin paraît prédisposé à des difficultés plus importantes de ces-
sation du tabagisme. Ainsi, un essai comparant substitution
nicotinique transdermique et placebo a montré que le sexe fémi-
nin exposait à un risque plus important d’échec de la tentative
de sevrage tabagique, alors que l’âge et un niveau socio-éco-
nomique plus élevé conféraient des chances de succès plus
grandes (47). De la même façon, un essai randomisé évaluant
l’intérêt du bupropion a montré que le sexe féminin était un fac-
teur prédictif négatif de succès des tentatives de sevrage taba-
gique (48). À l’opposé, la réussite préalable d’une tentative de
sevrage pendant au moins un mois était un facteur prédictif posi-
tif de succès, de même, d’ailleurs, que l’absence de tout succès
préalable d’une tentative, par rapport aux sujets ayant arrêté de
1 jour à 4 semaines.
Il est quelque peu paradoxal de constater qu’une femme
tabagique fume moins que les hommes et préférentiellement
des cigarettes plus légères, mais qu’elle a des difficultés à
arrêter de fumer plus importantes. Les causes possibles de
cet état de fait seraient un manque d’appui social, un impact
plus important du stress ou de l’anxiété, et peut-être une peur
de la prise de poids (2). Tous ces éléments sont particuliè-
rement importants à prendre en compte pour des programmes
spécifiques d’aide à l’arrêt du tabac chez la femme. De même,
chez la femme enceinte, les freins potentiels au sevrage
tabagique pendant la grossesse sont la peur de majorer la
prise de poids, le risque d’aggravation d’un terrain anxieux
et/ou dépressif préexistant, éléments qui, là aussi, doivent
être pris en compte dans des programmes spécifiques d’aide à
l’arrêt (13).
CONCLUSION
Toutes les données disponibles montrent une augmentation
marquée du tabagisme féminin depuis environ 40 ans, qui
s’associe, depuis quelques années, à une explosion de ses
conséquences sur la santé des femmes, et ce pour une durée
d’au moins 25 ans. Les données de la littérature montrent
quelques différences dans la susceptibilité des femmes aux
effets néfastes du tabac, avec, en particulier, un risque plus
élevé de BPCO. Pour les autres maladies en rapport avec le
tabagisme, les risques spécifiquement féminins restent mal
définis et nécessitent la réalisation de nouveaux travaux. En
revanche, les conséquences délétères du tabagisme maternel
sur le déroulement de la grossesse, le nouveau-né et le petit
enfant sont bien établies.
Par ailleurs, le sevrage tabagique est plus difficile chez la
femme que chez l’homme, et le tabagisme relève de motiva-
tions différentes selon le sexe. Ces différences devraient pro-
bablement être mieux prises en compte dans le développement
de programmes de prévention et d’aide à l’arrêt, afin d’opti-
miser les chances de succès de ces initiatives.
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