FACTEURS IMPLIQUÉS
DANS L’ÉVOLUTION DU TABAGISME FÉMININ
Facteurs socioculturels
(2)
Les facteurs qui ont conduit à la généralisation du tabagisme
féminin sont essentiellement d’ordre socio-culturel ; ils ont
d’ailleurs été et restent largement exploités par les fabricants
de cigarettes. Ainsi, à partir de la Première Guerre mondiale, le
tabagisme féminin s’est développé en tant que symbole d’éman-
cipation, de liberté, d’égalité vis-à-vis du sexe masculin. Pen-
dant la période de l’entre-deux-guerres, il était le symbole d’une
aisance financière, de l’appartenance à une élite, tout en deve-
nant une marque de féminité et de sensualité. La Deuxième
Guerre mondiale a transitoirement transformé le tabagisme en
signe de patriotisme, car il était associé au travail que les
femmes se devaient d’effectuer à la place de la population mas-
culine, qui avait pris les armes. La période de l’après-guerre a
à nouveau modifié la symbolique du tabagisme selon deux axes :
d’une part, la cigarette est devenue un symbole de distinction
intellectuelle, de créativité, de tendance artistique ; d’autre part,
elle est devenue un symbole d’indépendance, ce qui a conduit
à la généraliser dans les couches sociales. À la suite des évé-
nements socio-culturels de la fin des années 1960 et des années
1970, le tabagisme de la femme est en outre devenu un sym-
bole de liberté sexuelle. Plus récemment, il traduisait à nouveau
une volonté d’égalisation des chances et des modes de vie, à
mettre en parallèle avec la mode vestimentaire “unisexe”. À
l’heure actuelle, le tabagisme connaît une diffusion sociale des-
cendante vers la femme aux revenus modestes (chômeuse, mère
célibataire, au niveau socio-éducatif bas, groupes ethniques
défavorisés). Cela est en partie lié à un manque d’informations
dans ces couches de population et au rôle de “béquille” psy-
chologique que remplit la cigarette.
Toute cette évolution transparaît lors de l’examen des publici-
tés pour le tabac destinées aux femmes, dont l’origine remonte
au XIXesiècle. De même au cinéma, les images de femmes
fumant se sont progressivement modifiées.
Risque de dépendance au tabac
chez la femme
Une analyse de 390 paires de jumeaux a montré que les femmes
pourraient être plus sensibles au tabagisme de leur entourage
en tant que facteur déclenchant de leur propre consomma-
tion (45). Cette plus grande susceptibilité féminine au risque de
fumer a aussi été suggérée par des études portant sur le gène de
la cholécystokinine (46). Ce neuropeptide joue un rôle dans la
sensation de satiété. Chez l’animal, l’exposition nicotinique
induit une perte de poids liée à une élévation des concentrations
de cholécystokinine au niveau de l’hypothalamus. Parallèle-
ment, l’administration d’anti-cholécystokinine induit une dimi-
nution des symptômes de manque lors du sevrage nicotinique.
Dans une étude portant sur 191 femmes, un polymorphisme de
la région promotrice du gène de la cholécystokinine a été
retrouvé plus fréquemment chez les fumeuses (58 %) que chez
les non-fumeuses (15 %) ou les ex-fumeuses (20 %) (46).
Néanmoins, faisant suite à ce travail, l’étude, par la même
équipe, de 725 parents de jumeaux n’a pas mis en évidence de
spécificité féminine de ce polymorphisme et de son impact sur
le risque de devenir fumeur (46).
Au-delà de la possibilité de risque plus élevé de devenir taba-
gique chez les femmes par rapport aux hommes, le sexe fémi-
nin paraît prédisposé à des difficultés plus importantes de ces-
sation du tabagisme. Ainsi, un essai comparant substitution
nicotinique transdermique et placebo a montré que le sexe fémi-
nin exposait à un risque plus important d’échec de la tentative
de sevrage tabagique, alors que l’âge et un niveau socio-éco-
nomique plus élevé conféraient des chances de succès plus
grandes (47). De la même façon, un essai randomisé évaluant
l’intérêt du bupropion a montré que le sexe féminin était un fac-
teur prédictif négatif de succès des tentatives de sevrage taba-
gique (48). À l’opposé, la réussite préalable d’une tentative de
sevrage pendant au moins un mois était un facteur prédictif posi-
tif de succès, de même, d’ailleurs, que l’absence de tout succès
préalable d’une tentative, par rapport aux sujets ayant arrêté de
1 jour à 4 semaines.
Il est quelque peu paradoxal de constater qu’une femme
tabagique fume moins que les hommes et préférentiellement
des cigarettes plus légères, mais qu’elle a des difficultés à
arrêter de fumer plus importantes. Les causes possibles de
cet état de fait seraient un manque d’appui social, un impact
plus important du stress ou de l’anxiété, et peut-être une peur
de la prise de poids (2). Tous ces éléments sont particuliè-
rement importants à prendre en compte pour des programmes
spécifiques d’aide à l’arrêt du tabac chez la femme. De même,
chez la femme enceinte, les freins potentiels au sevrage
tabagique pendant la grossesse sont la peur de majorer la
prise de poids, le risque d’aggravation d’un terrain anxieux
et/ou dépressif préexistant, éléments qui, là aussi, doivent
être pris en compte dans des programmes spécifiques d’aide à
l’arrêt (13).
CONCLUSION
Toutes les données disponibles montrent une augmentation
marquée du tabagisme féminin depuis environ 40 ans, qui
s’associe, depuis quelques années, à une explosion de ses
conséquences sur la santé des femmes, et ce pour une durée
d’au moins 25 ans. Les données de la littérature montrent
quelques différences dans la susceptibilité des femmes aux
effets néfastes du tabac, avec, en particulier, un risque plus
élevé de BPCO. Pour les autres maladies en rapport avec le
tabagisme, les risques spécifiquement féminins restent mal
définis et nécessitent la réalisation de nouveaux travaux. En
revanche, les conséquences délétères du tabagisme maternel
sur le déroulement de la grossesse, le nouveau-né et le petit
enfant sont bien établies.
Par ailleurs, le sevrage tabagique est plus difficile chez la
femme que chez l’homme, et le tabagisme relève de motiva-
tions différentes selon le sexe. Ces différences devraient pro-
bablement être mieux prises en compte dans le développement
de programmes de prévention et d’aide à l’arrêt, afin d’opti-
miser les chances de succès de ces initiatives.
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DONNÉES NOUVELLES
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La Lettre du Pneumologue - Volume VI - no1 - janv.-févr. 2003