A Génétique et psychopathologie E. Bacon Inserm, Strasbourg Le concept d’endophénotype en psychiatrie : étymologie et intentions stratégiques Bethesda et Minneapolis (États-Unis) L e terme “génétique” a été utilisé pour la première fois par William Bateson en 1902. En 1909, le botaniste danois Wilhelm Johanssen a décrit les concepts de génotype et de phénotype, et la clarification apportée par cette distinction de termes est totalement adoptée aujourd’hui. C’est lui aussi qui a introduit le terme de “gène”. Ses recherches sur des lignées auto-fertilisantes de haricots ont révélé la variabilité quantitative dans le phénotype et ont mis en échec l’idée selon laquelle l’hérédité et l’environnement auraient des contributions séparées. Il a démontré que le phénotype est souvent un indicateur imparfait du génotype, qu’un même génotype peut donner naissance à une grande diversité de phénotypes, et qu’un même phénotype peut émerger de différents génotypes. Les génotypes, qui peuvent être évalués par des techniques de biologie moléculaire, sont souvent utiles comme prédicteurs de certaines pathologies. Par contraste, un phénotype représente des caractéristiques observables d’un organisme qui sont le produit à la fois des influences génotypiques et environnementales. Dans les maladies ayant des causes génétiques distales classiques ou mendéliennes, les génotypes sont habituellement des indicateurs des phénotypes. Toutefois, ce degré de certitude génétique n’existe pas pour des maladies génétiquement complexes. Des facteurs épigénétiques peuvent avoir une influence cruciale dans la modification de la mise en place des phénotypes, et de telles modifications peuvent être influencées par le génotype ou l’environnement, ou être, à l’origine, entièrement stochastiques. Ainsi, les modèles de perturbations génétiques complexes prédisent-ils un ballet chorégraphié de façon interactive dans le temps par le génotype, l’environnement, et des facteurs épigénétiques aboutissant à un phénotype particulier. La théorie selon laquelle les gènes et l’environnement combinent leurs effets pour conférer une plus grande susceptibilité à certaines pathologies a émergé dans la première moitié du XXe siècle, mais l’utilisation d’un tel cadre pour explorer l’étiologie de la schizophrénie et d’autres pathologies psychiatriques est plus récente et date de la fin des années 1960. Gottesman et Shield ont décrit les “endophénotypes” comme des phénotypes internes qui peuvent être découverts par un examen biochimique ou microscopique. Le terme, qui constitue un concept important pour l’étude de troubles psychiatriques complexes, est ensuite resté en dormance pendant près de trente ans pour ressurgir tout récemment. Les Drs Gottesman et Gould définissent aujourd’hui les endophénotypes comme des composantes mesurables, non visibles à l’œil nu, qui jalonnent le parcours entre la maladie et le génotype distal (Gottesman I, Gould T. The endophenotype concept in psychiatry : etymology and strategic intentions. Am J Psychiatry 2003 ; 160 : 636-45). D’autres termes de sens similaire ont vril 2003 marque le cinquantième anniversaire de la publication, dans le journal Nature, du fameux article de Francis Crick et James Watson sur la structure en double hélice de l’ADN, paru sous le titre : Molecular structure of nucleic acids : a structure for deoxyribose nucleic acid (structure moléculaire des acides nucléiques : une structure de l’acide désoxyribonucléique). Cette découverte majeure aux implications multiples a amené bien des espoirs mais aussi posé bien des questions. Il est probable qu’en avril 1953, bien peu de psychiatres aient remarqué cet article d’une page, au titre peu engageant pour un praticien. Les deux auteurs, qui ont obtenu le prix Nobel pour leurs travaux, n’avaient d’ailleurs eux-mêmes pas anticipé la richesse de leur découverte et la diversité de sa portée.“J’ai confiance, affirme aujourd’hui James Watson, que au cours des années à venir, l’héritage de la double hélice va aider les psychiatres, les chercheurs en neurosciences et ceux impliqués dans les sciences du comportement, à révéler de nombreux secrets du cerveau et de l’esprit”. Par exemple, certains chercheurs commencent à s’intéresser à la question de savoir si de subtiles modifications du génome, connues sous le nom de modifications “épigénétiques”, et qui n’altèrent pas la séquence de l’ADN, pourraient expliquer le fait que la schizophrénie n’affecte parfois qu’un seul des deux jumeaux (Dennis C. Altered states. Nature 2003 ; 160 : 686-8). L’American Journal of Psychiatry a consacré un numéro anniversaire spécial aux relations entre génétique, génomique et psychiatrie (Am J Psychiatry 2003 ; 421 : 613-719). On y trouve reproduit l’article d’origine de Crick et Watson. Toutefois, les autres grands journaux ne sont pas en reste pour publier des études consacrées aux aspects génétiques des pathologies psychiatriques. 126 Revue de presse Revue de presse pu être utilisés par des chercheurs, comme “phénotype intermédiaire”, “marqueur biologique”, “marqueur de vulnérabilité”, ou encore “trait subclinique”. Un endophénotype peut être de nature neurophysiologique, biochimique, endocrinienne, neuroanatomique, cognitive ou neuropsychologique (incluant les descriptions paramétrées fournies par le sujet lui-même). Les endophénotypes représentent des indices plus simples du support génétique que le syndrome lui-même. Ils permettent d’envisager le point de vue selon lequel les diagnostics psychiatriques peuvent être décomposés, ou déconstruits, d’où résulte éventuellement une analyse génétique plus directe et couronnée de succès. Cependant, pour être le plus utile possible, les endophénotypes de troubles psychiatriques doivent remplir un certain nombre de conditions. Ces conditions incluent l’association avec un gène candidat ou une région d’un gène, l’héritabilité qui est inférée des risques relatifs de troubles chez les proches parents, et des paramètres associés à la maladie. Outre le fait qu’ils sont susceptibles de favoriser l’avancée des analyses génétiques, les endophénotypes peuvent également contribuer à clarifier la classification et le diagnostic et encourager le développement de modèles animaux. Mots clés. Psychopathologie – Génétique – Phénotype – Schizophrénie – Endophénotype. Des gènes pour la schizophrénie : état des lieux récent et questionnements Oxford et Cardiff (Royaume-Uni) L a schizophrénie semble être une pathologie “héritable” à un taux d’environ 80 %. Pourtant, la recherche de localisations chromosomiques et de gènes a été lente et frustrante, probablement du fait qu’il existe de nombreux gènes de susceptibilité, même de faible influence, qui peuvent potentiellement agir en conjonction avec des processus épigénétiques et des facteurs environnementaux. La recherche a également été freinée par l’absence de formes monogéniques (mendéliennes) ainsi que par le manque de marqueurs biologiques du(des) syndrome(s). Toutefois, les mises en évidence de relations entre la pathologie et diverses régions chromosomiques s’accumulent. Les articles récents (2000 à 2003) décrivent sept gènes de susceptibilité. Au sein d’une population islandaise, Stefansson et ses collaborateurs ont trouvé une relation avec le gène de la neuroréguline sur le chromosome 8p. Straub et ses collègues ont mis en évidence chez des patients irlandais l’implication d’une zone sur le chromosome 6p, associée au gène de la dysbindine (gène DTNBP1). Chez des patients canadiens francophones, le gène de la DAAO (d-aminoacide oxydase) a été localisé sur le chromosome 12q. Citons encore la mise en évidence de l’implication des gènes du régulateur de signal de la protéine G, de celui de la catéchol-O-méthyl-transférase, ou de la proline déhydrogénase chez des patients français, américains, indiens, israéliens, et chinois. Pour certains d’entre eux, la réplication a déjà été obtenue. Les gènes identifiés sont biologiquement plausibles et sont susceptibles d’avoir des effets convergents sur les synapses glutamatergiques, notamment. Toutefois, dans bien des cas, l’absence de réplication des perturbations génétiques exige de considérer les résultats avec précaution. Les réplications sans équivoque des gènes suspectés restent la priorité. En outre, de nombreux points sont à Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 5, juin 2003 élucider, comme les contributions respectives de chaque gène, les effets épistatiques, et les interactions fonctionnelles entre les produits de gènes. Cependant, la confirmation que l’un de ces gènes est un véritable gène de susceptibilité pour la schizophrénie pourrait conduire à des progrès thérapeutiques rapides (Harrisson P, Owen M. Genes for schizophrenia ? Recent findings and their pathophysiological implications. Lancet 2003 ; 361 : 417-9). Mots clés. Schizophrénie – Génétique. Association entre la neuroréguline 1 et la schizophrénie Aberdeen (Royaume-Uni) C e cas concret récemment publié illustre le propos présenté précédemment. En 2002, des chercheurs ont identif ié la neuroréguline 1 (NRG1), qui est un gène de susceptibilité pour la schizophrénie dans une population islandaise. L’étape suivante de leurs recherches a été d’évaluer la pertinence du NRG1 pour la schizophrénie dans une population non islandaise, en l’occurrence chez des Écossais (Stefansson H, Sarginson J, Kong A et al. Association of neuroregulin 1 with schizophrenia confirmed in a scottish population. Am J Hum genet 2003 ; 72 : 83-7). Des marqueurs représentant un score d’haplotype à risque, identifiés chez des Islandais à l’extrémité 5’ du gène NRG1 ont été génotypés chez 609 patients et chez 618 individus sains, tous écossais et sans lien de parenté entre eux. La fréquence de cet haplotype parmi les patients écossais était significativement plus élevée (10,2 %) que chez les sujets sains contrôles (5,9 %). Le rapport de risque 127 Revue de presse Revue de presse estimé était de 1,8, ce qui est du même ordre que celui observé précédemment dans la population islandaise (2,1). Cette réplication de l’association d’un haplotype dans une population différente de la première renforce l’implication de la neuroréguline 1 comme facteur contribuant à l’étiologie de la schizophrénie. Mots clés. Schizophrénie – Génétique – Chromosome 8p. La vie en milieu urbain et les prédispositions familiales participent-elles de concert pour provoquer une psychose ? Maastricht (Pays-Bas) L a naissance et le développement en milieu urbain sont associés avec un risque ultérieur de schizophrénie. Si la vie en milieu urbain représente un facteur de risque environnemental encore non élucidé pour la schizophrénie, la question qui se pose est de savoir dans quelle mesure ce facteur de risque interagit avec des facteurs de vulnérabilité personnels, en particulier la prédisposition familiale à la psychose. La prédisposition familiale semble résulter plutôt de l’influence de gènes communs que d’un environnement partagé. On suspecte une synergie biologique entre une prédisposition génétique et un risque environnemental. Toutefois, les modèles statistiques classiques d’interaction ne sont pas utilisables pour identifier une synergie biologique. Les auteurs de ce rapport ont mis en œuvre des modèles récents, spécifiquement destinés à l’étude de synergies biologiques entre deux causes (van Os J. Hanssen M, Bak M et al. Do urbanicity and familial liability coparticipate in causing psychosis ? Am J Psychiatry 2003 ; 160 : 477-82). Dans cette étude, la prédisposition familiale a été définie comme une histoire familiale de délires et/ou d’hallucinations nécessitant un traitement psychiatrique. La vie en milieu urbain a été introduite dans les calculs par une évaluation à cinq niveaux de la densité de population du lieu de résidence. Le taux de synergie biologique a été déterminé par la recherche d’interaction sur un échantillon de population générale de 5 550 individus. Des symptômes psychotiques étaient observés pour 3,8 % de l’échantillon, et un diagnostic de schizophrénie avait été établi pour 1,4 % des sujets (selon le DSM III-R). À la fois le cadre de vie urbain et la prédisposition familiale augmentaient le risque de trouble psychotique, de manière indépendante. Le risque de psychose était augmenté de 1,59 % chez les sujets exposés à l’environnement urbain seul et de 3,01 % chez ceux exposés au risque familial seul. Selon les patients interrogés, 3,6 % de leurs parents au premier degré avaient fait l’expérience d’hallucinations ou de délires et avaient reçu un traitement psychiatrique pour un problème de santé mentale. La relation entre l’histoire familiale et la vie en milieu urbain avait été ensuite explorée, avec pour résultat une augmentation du risque de 9,72 % chez les sujets exposés aux deux facteurs de risque. Les auteurs ont estimé que 60 à 70 % des individus exposés aux deux facteurs de risque ont développé un trouble psychotique du fait de l’action synergique des deux causes. Ces observations confortent donc l’existence d’un mécanisme d’interaction gène-environnement dans le déclenchement de la psychose. Mots clés. Psychopathologie – Génétique – Phénotype – Schizophrénie – Causes environnementales. Variation génétique du locus 22q11 et susceptibilité à la schizophrénie New York (États-Unis) D es microdélétions du chromosome 22q11 sont associées à un certain nombre d’expressions phénotypiques, qui incluent une fréquence relativement élevée de maladies mentales graves. Approximativement, un tiers des patients porteurs de la microdélétion 22q11 développent une schizophrénie ou un trouble schizoaffectif, comme définis selon le DSM IV. Quoique cette délétion survienne dans la population à une fréquence de 0,025 %, elle a été retrouvée chez plus de 2 % des patients schizophrènes adultes et dans près de 6 % des cas de schizophrénie d’installation précoce. Pris ensemble, ces résultats suggèrent que le risque de schizophrénie chez un patient porteur de la microdélétion peut être 25 à 30 fois plus élevé que dans la population générale, et que le taux de microdélétion est de 12 à 18 fois plus fréquent chez les patients. Les auteurs de cet article ont émis l’hypothèse que des variants sans délétion de cette région 22q11 pourraient contribuer de façon importante à une susceptibilité pour la schizophrénie dans la population (Liu H, Abecassis G, Heath C et al. Genetic variation in the 22q11 locus and susceptibility to schizophrenia. PNAS 2002 ; 99 : 16859-64). Par l’étude d’une collection importante de marqueurs situés au voisinage du locus 22q11, effectuée à la fois dans des familles particulières et dans la population générale, ils ont obtenu des résultats confirmant leurs suppositions. En outre, leurs observations sont en accord avec l’hypothèse selon laquelle plus d’un gène contribueraient à l’augmentation marquée du risque de maladie associé à cette 128 Revue de presse Revue de presse localisation. Ils ont identifié deux subrégions à l’intérieur du locus 1.5-Mb qui semblent bien héberger des gènes de susceptibilité pour la schizophrénie. Mots clés. Génétique – Phénotype – Schizophrénie – Chromosome 22q11. Toxicomanie, dépression grave et polymorphisme du gène du récepteur 5-HT1B New York (États-Unis) O n considère que l’alcoolisme, la toxicomanie, la tendance suicidaire et d’autres troubles de l’humeur comme la dépression grave impliquent des dysfonctionnements du système cérébral sérotoninergique. La comorbidité de ces psychopathologies est assez commune. Par ailleurs, le récepteur humain du 5-HT1B intéresse particulièrement les chercheurs pour diverses raisons. Il fonctionne comme un autorécepteur des terminaisons nerveuses, et régule la libération de 5-HT. Certaines études, mais pas toutes, ont montré postmortem une association entre des altérations de la liaison au récepteur 5-HT1B et le suicide. En outre, le knockout du gène 5-HT1B chez la souris entraîne l’apparition d’un phénotype caractérisé par une agressivité accrue, une plus grande consommation d’alcool et de cocaïne. D’autres types d’études tendent à démontrer l’implication de facteurs génétiques dans l’alcoolisme, les troubles de l’humeur et la toxicomanie. Les mécanismes par lesquels la génétique peut affecter l’alcoolisme, les troubles de l’humeur, le caractère suicidaire et la toxicomanie ne sont pas connus, mais le système sérotoninergique est fortement suspecté. Par ailleurs, un polymorphisme assez commun du gène du récepteur 5-HT1B a été identifié dès 1993. Le Dr Huang et ses collaborateurs ont cherché à établir une association possible entre le gène HTR1B du récepteur 5-HT1B et un certain nombre de psychopathologies auprès d’un échantillonnage clinique. En fonction des observations précédentes, ils suspectaient l’allèle 861C d’être associé à ces maladies (Huang Y, Oquendo M, Fridmann J et al. Substance abuse disorder and major depression are associated with the human 5-HT1B receptor gene (HTR1B) G861 C polymorphism. Neuropsycho-pharmacology 2003 ; 28 : 163-9). Des échantillons d’ADN ont été collectés pour 394 patients et 96 volontaires sains pour effectuer le génotypage. Il n’a pas été observé de relation entre le génotype ou les fréquences d’allèle du locus du 5-HT1B G861 C avec les diagnostics d’alcoolisme, de trouble bipolaire, de schizophrénie ou de comportement suicidaire. En revanche, les auteurs ont mis en évidence une association entre le génotype et la fréquence d’allèles avec une histoire de toxicomanie et avec un diagnostic d’épisode de dépression grave. Ainsi, dans le groupe des patients, les toxicomanes avaient une fréquence plus élevée de l’allèle 861 C que les non-toxicomanes. Des études complémentaires avec un grand nombre de patients devraient permettre d’évaluer les associations indépendantes avec l’alcoolisme, les traits de personnalité antisociale et les comportements agressifs pathologiques. Mots clés. Toxicomanie – Dépression grave – Polymorphisme génétique – Récepteur 5-HT1B. Pour en savoir plus ◗ Gault L, Hopkins J, Logel J et al. Association of promoter variants in the alpha7 nicotinic acetylcholine receptor subunit gene with an inhibitory deficit found in schizophrenia. Arch Gen psychiatry 2002 ; 59 : 1085-96. Les variantes du gène de la sous-unité alpha7 nicotinique du récepteur de l’acétylcholine pourraient contribuer à un profil pathophysiologique commun de la schizophrénie. ◗ Potash J, Zabndi P, Willour V et al. Suggestive linkage to chromosomal regions 13q31 and 22q12 in families with psychotic bipolar disorder. J Psychiatry 2003 ; 160 : 680-6. Les familles qui ont plusieurs membres atteints de troubles bipolaires pourraient bien porter des gènes de susceptibilité sur les régions chromosomiques 13q31 et 22q12. Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal à parution Aljac S.A. - Locataire gérant de Medica-Press © Décembre 2001 Act. Méd. Int. - Psychiatrie (20), n° 5, juin 2003 129 Revue de presse Revue de presse