La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
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Avant de développer l’argumentation contre ce projet thérapeu-
tique, trois points sont à souligner :
✓La sévérité des TOC n’est pas en cause. La souffrance des
sujets n’est pas supportable, et les thérapeutiques classiques peu-
vent échouer.
✓Les possibilités de modifier le comportement animal par des
électrodes cérébrales profondes sont démontrées. Il est possible
d’agir sur la faim, la soif, le comportement sexuel, la frayeur, la
fureur. Il est possible de provoquer des hyperactivités et de les
contrôler. Un champ immense de perspectives est ouvert chez
l’homme par l’implantation d’électrodes de stimulation cérébrale
profonde, selon une méthode qui a prouvé son efficacité dans la
maladie de Parkinson, les tremblements et les dystonies.
✓La prise de position contre la psychochirurgie des TOC n’est
pas un repli frileux sur les données établies. Ce n’est pas non plus
une attitude dogmatique, une défense du territoire sacré du cer-
veau et de la pensée. La contestation, plus simplement, porte sur
le prétendu progrès que représenterait cette psychochirurgie, qui
opère bien plutôt un retour sur un passé douteux.
L’ARTICLE DU LANCET
Cet article (cf. “Pour en savoir plus...”) fait état de deux patients par-
kinsoniens opérés par implantation bilatérale du NST. Ce texte
expose l’argumentation théorique permettant aux auteurs de dire
qu’une telle stimulation améliore les TOC. Notre lecteur devrait le
lire, ligne par ligne. The Lancet est certes la référence médicale
internationale, mais les psychiatres qui ont revu le texte n’ont peut-
être pas de compétences neurochirurgicales, et les neurochirurgiens
ne sont pas toujours des psychiatres expérimentés. Ainsi, un article
au contenu contestable est néanmoins publié : deux patients sont
regroupés qui ne devraient pas l’être. Le premier a une forme de
TOC, le second en présente une autre – car les TOC, chacun en
convient, sont hétérogènes. Le premier patient connaît une très nette
amélioration de sa symptomatologie parkinsonienne avec des élec-
trodes en place dans le NST ; pour le second, c’est un échec pour
ce qui est des signes parkinsoniens, avec des électrodes vraisem-
blablement à proximité, mais hors de la cible. Deux cas différents,
deux cibles différentes! Les auteurs, dans leur discussion, font
preuve de prudence vis-à-vis d’excessives extrapolations. La pru-
dence aurait été de ne pas soumettre l’article à publication avant
d’avoir obtenu une argumentation probante.
Pas d’innocuité, pas de réversibilité
Le chiffre de 3 % d’accidents lors de telles interventions est à
interpréter en tenant compte de la sévérité de ces derniers : héma-
tomes intracérébraux et infection du matériel implanté dans le
cerveau. Mais accusons plutôt l’argument, mis en avant, de la
réversibilité. Seule la stimulation est modulable ou peut être
interrompue. L’acte chirurgical lui-même n’est pas réversible. Or,
il s’agit d’une intervention longue, délicate, hyperspécialisée.
Des contrôles et des réglages postopératoires sont nécessaires,
puis des interventions pour changer la pile du stimulateur qui
s’épuise, sans parler des ruptures de câble et autres incidents pos-
sibles à distance. Mais l’important, qui n’est pas mesuré, est la
cassure dans le cours de la vie du patient, cassure telle que le
sujet opéré n’est plus comme avant, quel que soit l’effet de l’opé-
ration. Celle-ci, comme les interventions similaires pratiquées
dans la maladie de Parkinson, restera un événement marquant et
inoubliable. La réversibilité n’est qu’électrophysiologique. Pour
le sujet opéré, on ne revient pas en arrière.
Une pratique psychiatrique contestable
La psychiatrie actuelle est une science inexacte, éclatée en ten-
dances. Les écoles psychanalytiques se chamaillent. L’une des
psychiatries en cours, celle sur laquelle de telles interventions
reposent, celle des TOC, aboutit à privilégier l’observation des
comportements, parfois aux dépens de leur sens.
Prenons pour exemple le comportement de toilettage, qui est
aussi le modèle animal physiopathologique rapproché pour cer-
tains des tics et des TOC : un sujet se lave les mains 30 fois par
jour. C’est parce qu’il a, de par ses activités, les mains sales, ou
parce qu’il en a pris l’habitude depuis l’enfance, ou bien parce
qu’il éprouve le besoin de le faire et que ça lui fait du bien, ou
encore parce que ce geste lui permet d’éliminer des miasmes qui
vont se précipiter sur la personne qu’il aime, à moins qu’il ne
s’agisse de l’accomplissement d’une cérémonie conjuratoire. Le
même comportement et cinq sens différents. Bien entendu, la
majorité de nos collègues psychiatres savent distinguer un acte
automatisé d’un rituel. La psychiatrie d’“échelle” ne le fait pas.
C’est une psychiatrie qui consiste à placer le patient devant une
échelle d’évaluation comportementale, à cocher avec lui des
cases, à additionner les points positifs et à porter un diagnostic
quand la limite fatidique est franchie. Caricature ? C’est pourtant
ainsi que le diagnostic de TOC a été porté chez au moins un des
patients parkinsoniens opérés et dont le TOC se serait amélioré
parallèlement à sa maladie de Parkinson.
À PROPOS DES TOC
Le TOC est une dérive
La Société américaine de psychiatrie met à la disposition du monde
entier un système de classification, le DSM, établi sur un ensemble
cohérent de critères et permettant aux psychiatres de parler le même
langage. Avant, c’était la névrose obsessionnelle; maintenant, c’est
un trouble. D’un classement, on glisse vers un outil diagnostique.
Les critères sont multipliés, les échelles sont de plus en plus com-
plètes et les auto-questionnaires fleurissent. Que manque-t-il? L’his-
toire personnelle, quand et comment le TOC s’est construit, dans
quel contexte, les relations, la famille, le milieu culturel, la société.
Le TOC est hétérogène
Il y a les formes de l’enfant, des comportements anxieux excessive-
ment vérificateurs, des collectionneurs compulsifs, des obsessions
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