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ontroverse :
la nouvelle psychochirurgie des TOC
Non à la nouvelle psychochirurgie des TOC
Against the new psychosurgery of Obsessive-Compulsive Disorder
● C.P. Jedynak*
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■ La réversibilité s’applique à la stimulation, dont les paramètres sont modulables et dont l’interruption est possible.
L’acte chirurgical est irréversible.
■ Le principe de cette chirurgie s’appuie sur un courant de
la psychiatrie qui use et abuse des échelles d’évaluation et
fait l’impasse sur la biographie du sujet, son entourage et
son milieu socioculturel.
■ Le clivage entre obsession et compulsion découle du
DSM et des échelles d’évaluation. Il est artificiel. Les compulsions (qui seraient sous le contrôle des ganglions de la
base) proviennent des idées obsessionnelles.
■ Les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) sont hétérogènes et vraisemblablement symptomatiques.
■ Il n’y a pas de modèles animaux de compulsions et d’obsessions. Les cibles candidates sont multiples, “limbiques”,
ce qui ne présume en rien d’un effet sur le mécanisme des
TOC.
■ La cible du noyau sous-thalamique (NST) est choisie
selon des considérations techniques plus que scientifiques.
■ Le risque est grand de dérives et d’une extension non
contrôlée de cette psychochirurgie soi-disant réversible.
Mots-clés : Troubles obsessionnels compulsifs – Stimulation cérébrale profonde – Noyau sous-thalamique – Psychochirurgie.
* Fédération de neurologie, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris.
La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 6 - juin 2005
SUMMARY
SUMMARY
A protocol of electrode implantation for deep cerebral stimulation is henceforth in use to treat severe forms of obsessive-compulsive disorder (OCD). To open a debate about this
issue, the author provides arguments against this protocol,
independent of ethical concerns. There is no animal model
for OCD, a heterogeneous and symptomatic psychiatric
disorder. The limbic connection of the subthalamic nucleus is
not a sufficient argument to justify targeting this structure.
The rationale for this surgical intervention artificially separates obsessions and compulsions. Compulsions are the
behavioural translation of repetitive and ritualised ideas and
it is futile to act on the ideas content of patients by electrical
stimulation of the basal ganglia. Only the electrophysiological intervention is reversible, the surgical act is reversible.
Starting from a model of treatment of OCD, there is a great
risk of uncontrolled expansion of the use of this kind of psychosurgery.
es neurologues se situent à mi-chemin entre la neurochirurgie et la psychiatrie. Ce texte, hors les cloisons
spécialisées, a pour objet l’information et l’ouverture
d’un débat. Il traite des connaissances sur lesquelles s’appuient les
tenants d’une nouvelle psychochirurgie. Un protocole est aujourd’hui mis en place d’implantation d’électrodes de stimulation cérébrale profonde dans le noyau sous-thalamique (NST), dans plusieurs centres neurochirurgicaux français, destiné à traiter des
formes sévères et résistantes aux traitements médicamenteux de
troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Il a reçu l’aval du Comité
national d’éthique. Mais la question n’est pas qu’éthique ; elle est
aussi scientifique. L’auteur s’étonne du silence inertiel des spécialistes concernés, neurochirurgiens, psychiatres et neurologues, à
propos d’un geste qui nous responsabilise. Au moins, qu’un débat
s’ouvre. L’opposition à cette psychochirurgie est ici défendue.
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Avant de développer l’argumentation contre ce projet thérapeutique, trois points sont à souligner :
✓ La sévérité des TOC n’est pas en cause. La souffrance des
sujets n’est pas supportable, et les thérapeutiques classiques peuvent échouer.
✓ Les possibilités de modifier le comportement animal par des
électrodes cérébrales profondes sont démontrées. Il est possible
d’agir sur la faim, la soif, le comportement sexuel, la frayeur, la
fureur. Il est possible de provoquer des hyperactivités et de les
contrôler. Un champ immense de perspectives est ouvert chez
l’homme par l’implantation d’électrodes de stimulation cérébrale
profonde, selon une méthode qui a prouvé son efficacité dans la
maladie de Parkinson, les tremblements et les dystonies.
✓ La prise de position contre la psychochirurgie des TOC n’est
pas un repli frileux sur les données établies. Ce n’est pas non plus
une attitude dogmatique, une défense du territoire sacré du cerveau et de la pensée. La contestation, plus simplement, porte sur
le prétendu progrès que représenterait cette psychochirurgie, qui
opère bien plutôt un retour sur un passé douteux.
L’ARTICLE DU LANCET
Cet article (cf. “Pour en savoir plus...”) fait état de deux patients parkinsoniens opérés par implantation bilatérale du NST. Ce texte
expose l’argumentation théorique permettant aux auteurs de dire
qu’une telle stimulation améliore les TOC. Notre lecteur devrait le
lire, ligne par ligne. The Lancet est certes la référence médicale
internationale, mais les psychiatres qui ont revu le texte n’ont peutêtre pas de compétences neurochirurgicales, et les neurochirurgiens
ne sont pas toujours des psychiatres expérimentés. Ainsi, un article
au contenu contestable est néanmoins publié : deux patients sont
regroupés qui ne devraient pas l’être. Le premier a une forme de
TOC, le second en présente une autre – car les TOC, chacun en
convient, sont hétérogènes. Le premier patient connaît une très nette
amélioration de sa symptomatologie parkinsonienne avec des électrodes en place dans le NST ; pour le second, c’est un échec pour
ce qui est des signes parkinsoniens, avec des électrodes vraisemblablement à proximité, mais hors de la cible. Deux cas différents,
deux cibles différentes ! Les auteurs, dans leur discussion, font
preuve de prudence vis-à-vis d’excessives extrapolations. La prudence aurait été de ne pas soumettre l’article à publication avant
d’avoir obtenu une argumentation probante.
Pas d’innocuité, pas de réversibilité
Le chiffre de 3 % d’accidents lors de telles interventions est à
interpréter en tenant compte de la sévérité de ces derniers : hématomes intracérébraux et infection du matériel implanté dans le
cerveau. Mais accusons plutôt l’argument, mis en avant, de la
réversibilité. Seule la stimulation est modulable ou peut être
interrompue. L’acte chirurgical lui-même n’est pas réversible. Or,
il s’agit d’une intervention longue, délicate, hyperspécialisée.
Des contrôles et des réglages postopératoires sont nécessaires,
puis des interventions pour changer la pile du stimulateur qui
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s’épuise, sans parler des ruptures de câble et autres incidents possibles à distance. Mais l’important, qui n’est pas mesuré, est la
cassure dans le cours de la vie du patient, cassure telle que le
sujet opéré n’est plus comme avant, quel que soit l’effet de l’opération. Celle-ci, comme les interventions similaires pratiquées
dans la maladie de Parkinson, restera un événement marquant et
inoubliable. La réversibilité n’est qu’électrophysiologique. Pour
le sujet opéré, on ne revient pas en arrière.
Une pratique psychiatrique contestable
La psychiatrie actuelle est une science inexacte, éclatée en tendances. Les écoles psychanalytiques se chamaillent. L’une des
psychiatries en cours, celle sur laquelle de telles interventions
reposent, celle des TOC, aboutit à privilégier l’observation des
comportements, parfois aux dépens de leur sens.
Prenons pour exemple le comportement de toilettage, qui est
aussi le modèle animal physiopathologique rapproché pour certains des tics et des TOC : un sujet se lave les mains 30 fois par
jour. C’est parce qu’il a, de par ses activités, les mains sales, ou
parce qu’il en a pris l’habitude depuis l’enfance, ou bien parce
qu’il éprouve le besoin de le faire et que ça lui fait du bien, ou
encore parce que ce geste lui permet d’éliminer des miasmes qui
vont se précipiter sur la personne qu’il aime, à moins qu’il ne
s’agisse de l’accomplissement d’une cérémonie conjuratoire. Le
même comportement et cinq sens différents. Bien entendu, la
majorité de nos collègues psychiatres savent distinguer un acte
automatisé d’un rituel. La psychiatrie d’“échelle” ne le fait pas.
C’est une psychiatrie qui consiste à placer le patient devant une
échelle d’évaluation comportementale, à cocher avec lui des
cases, à additionner les points positifs et à porter un diagnostic
quand la limite fatidique est franchie. Caricature ? C’est pourtant
ainsi que le diagnostic de TOC a été porté chez au moins un des
patients parkinsoniens opérés et dont le TOC se serait amélioré
parallèlement à sa maladie de Parkinson.
À PROPOS DES TOC
Le TOC est une dérive
La Société américaine de psychiatrie met à la disposition du monde
entier un système de classification, le DSM, établi sur un ensemble
cohérent de critères et permettant aux psychiatres de parler le même
langage. Avant, c’était la névrose obsessionnelle ; maintenant, c’est
un trouble. D’un classement, on glisse vers un outil diagnostique.
Les critères sont multipliés, les échelles sont de plus en plus complètes et les auto-questionnaires fleurissent. Que manque-t-il ? L’histoire personnelle, quand et comment le TOC s’est construit, dans
quel contexte, les relations, la famille, le milieu culturel, la société.
Le TOC est hétérogène
Il y a les formes de l’enfant, des comportements anxieux excessivement vérificateurs, des collectionneurs compulsifs, des obsessions
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sexuelles ou religieuses, des addictions et des sujets qui, manifestement psychotiques, ont gravement perdu le contact avec la réalité.
Pour quelle sorte de TOC l’indication chirurgicale se justifie-t-elle ?
Les TOC peuvent être symptomatiques
Ils accompagnent les affections les plus diverses, favorisés ou précipités par une maladie chronique évolutive. Nous connaissons, parmi
nos patients parkinsoniens, des cas de changement de comportement,
avec la survenue de TOC en cours d’évolution. En ce cas, il n’est pas
étonnant que le comportement psychiatrique du sujet s’améliore
quand les manifestations de la maladie de Parkinson s’estompent sous
l’effet favorable de la stimulation intracérébrale profonde.
La dissociation entre les compulsions et les obsessions
est artificielle
En visant les structures profondes, les ganglions de la base, la prétention chirurgicale serait de contrôler la répétition comportementale indépendamment de l’idéation, qui, elle, est corticale.
Toujours selon l’article en cause, l’effet de la stimulation sur les
compulsions serait supérieur à celui qui est exercé sur les obsessions. Cette césure entre compulsion et obsession est issue de la
séparation des items dans les échelles d’évaluation. Dans la
névrose obsessionnelle, le geste était inséparable des idées qui le
sous-tendaient, inséparable de l’envahissement de la pensée par la
magie, les rituels et la conjuration. Agir au niveau des ganglions
de la base pour tenter de contrôler les compulsions indépendamment de l’idéation, c’est attacher les mains de ceux qui craignent
de véhiculer des microbes sauf à se les laver sans cesse.
La psychiatrie comportementale
Chez un sujet qui a peur de prendre l’avion, obtenir qu’il puisse
le faire, c’est traiter à la fois le symptôme et sa cause. Dans le
domaine des phobies, cette psychiatrie est efficace. Le traitement
du comportement retentit favorablement sur la pensée. En agissant par une stimulation sur une cible X des ganglions de la base,
on interviendrait sur les comportements ou plus encore sur leur
caractère répétitif dans la perspective d’agir favorablement sur le
cours de la pensée. Deux erreurs sont à signaler : la première est
d’étendre le fondement de la psychiatrie comportementale à des
troubles psychiatriques plus complexes que les phobies, la
seconde est de considérer un système à sens unique, le comportement agissant sur la pensée, sans imaginer l’inverse, au moins
à égalité, chez les patients souffrant de TOC.
L’ABSENCE DE FONDEMENT SCIENTIFIQUE
L’absence de modèle
Les expérimentations animales portent sur la provocation ou le
contrôle des stéréotypies. De quoi s’agit-il ? De mouvements
répétitifs, comme celui du rat qui fait sans cesse et sans cause les
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gestes du toilettage. Le seul point commun entre les stéréotypies
animales et les troubles obsessionnels est l’itération. Où sont les
rituels chez le rat ? Le seul point commun entre les stéréotypies
et les TOC est la répétition comportementale. La rigueur scientifique veut que l’on ne confonde pas les torchons et les serviettes,
même s’ils sont répétitivement entassés dans la même armoire.
Pas de cible candidate
Les quelques interventions déjà réalisées portent sur diverses
structures qui ont en commun un lien anatomique avec le système
limbique, système dont les fonctions gèrent probablement les
émotions. Dans le NST comme dans le pallidum et de nombreuses structures encéphaliques sous-corticales, il existe des
connexions avec ce système. Que sait-on de plus, et quel est le
lien entre ce système et les TOC ? Le choix de la cible sous-thalamique repose sur l’article cité et sur la bonne connaissance de
la technique d’implantation, largement exploitée dans le traitement de la maladie de Parkinson.
Précédemment, de multiples gestes neurochirurgicaux ont été
réalisés de par le monde occidental pour traiter les TOC. La multiplication des cibles montre à quel point on ignore où il faut viser
(capsulotomies antérieures, cingulotomies, leucotomies limbiques, thalmotomies, pallidotomies), s’il faut sectionner, détruire
ou stimuler, et si la stimulation inhibe les neurones ou stimule les
fibres. On ne sait rien.
Pas d’évaluation
Quel critère déterminera pour tel rituel le choix de l’un des
5 plots de l’électrode de stimulation, sur l’électrode de droite ou
de gauche, selon quel critère déterminer pour telle obsession la
durée des impulsions, le voltage, la fréquence ? Qui fera le
réglage des paramètres : le psychiatre ou le neurochirurgien ?
Comment mesurer l’efficacité : en utilisant la Y-BOCS de manière
répétée ? Comment distinguer l’effet de la stimulation elle-même
du rôle bénéfique d’une prise en considération de la maladie par
un acte chirurgical lourd ? Il existe certes la possibilité de mettre
en marche ou d’arrêter la stimulation en aveugle. Une telle
manœuvre suppose la stabilité des manifestations et leur mesure.
Notre critique tomberait si la stimulation active supprimait tout
TOC et que son interruption les fasse réapparaître. Faut-il croire
à la magie ?
Un geste hors contrôle
Pas question de tergiverser quant il faut évacuer un hématome,
extirper une tumeur. La chirurgie a toujours bénéficié du contrôle
a posteriori de ses effets. À l’inverse, la commercialisation médicamenteuse est précédée d’essais multiples, longs et coûteux. Les
tests en aveugle sont utilisés, le patient et le prescripteur ne
sachant pas si le produit distribué est un placebo ou s’il est actif.
À l’opposé, il n’y a pas d’intervention chirurgicale en aveugle,
même quand la finalité est médicale. Quand un acte chirurgical
est réalisé, le test de l’arrêt postopératoire de la stimulation n’ef195
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face pas l’acte. Faute de ce contrôle, la sagesse serait de doubler
de prudence. Qu’en est-il ? Nous sommes à deux ans de la publication de l’article en question. Diverses équipes réalisent cette
opération en France, à Bordeaux et à Nice, et les indications se
sont déjà élargies aux dépressions mélancoliques, sans autre fondement que la gravité de la maladie et la soi-disant réversibilité
du geste. Un éparpillement, des cas isolés et différents les uns des
autres, des travaux dispersés : les travers de la psychochirurgie
du siècle dernier sont toujours présents.
Demain
Des cas de TOC seront opérés, évalués par ceux qui en sont les
tenants, la technique va s’étendre progressivement à d’autres
indications psychiatriques avant même que les premiers résultats
soient connus et avant toute étude à long terme. La portée de
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l’article du Lancet est internationale. La technique d’implantation d’électrodes de stéréotaxie est accessible à des équipes dont
la maîtrise n’est pas garantie.
CONCLUSION
La souffrance réelle des malades ne justifie pas la promotion
d’une psychochirurgie dangereuse, expérimentale, irréversible et
sans fondement scientifique. C’est une aventure à laquelle on ne
peut adhérer.
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❐ Mallet L, Mesnage V, Houeto JL et al. Compulsions, Parkinson’s disease, and
stimulation. Lancet 2002;360:1302-4.
Micropakine ML,
p. 196
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