ÉDITORIAL Cancers cutanés après transplantation d’organe Cutaneous carcinomas after organ transplantation Y. Calmus* L’ augmentation du risque de cancer après transplantation d’organe solide est une donnée bien documentée, qui se mesure en termes d’augmentation du taux d’incidence standardisé (entre 2 et 5 % pour l’ensemble des cancers) par rapport à la population de référence. Ce surrisque de cancer fait d’ailleurs l’objet d’une annonce aux patients en attente de transplantation. La morbidité et la mortalité par cancer ont augmenté depuis 20 ans, du fait du prolongement de l’âge des receveurs et de l’accroissement global de la survie après transplantation. Le risque de cancer n’est cependant pas uniforme : il concerne particulièrement les cancers viro-induits, tels que les syndromes lymphoprolifératifs dépendant du virus d’Epstein-Barr (EBV), les cancers de la sphère ORL et digestive supérieure (surtout chez les patients alcoolo-tabagiques) et les cancers cutanés, qui représentent environ 40 % des cancers postgreffe. En revanche, des cancers courants comme les cancers du sein ou colorectaux ne sont pas plus fréquents après transplantation. En ce qui concerne les cancers cutanés et les lésions précancéreuses, la plupart sont plus fréquents après transplantation : kératose pré-épithéliomateuse, kératoacanthome, maladie de Bowen, cancers spino- et basocellulaires, maladie de Kaposi, mélanomes, tumeur de Merkel... Le risque de cancer cutané atteint 3 à 6 % à 5 ans et 40 à 60 % 20 ans après transplantation. Ces cancers témoignent clairement du degré d’immuno- * Rédacteur en chef du Courrier de la Transplantation ; centre de transplantation hépatique, hôpital Saint-Antoine, Paris. 392 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 7 - septembre 2010 suppression, de sorte que la survenue d’un cancer cutané est un facteur prédictif important de nouveaux cancers cutanés, mais également de cancers extracutanés. Plusieurs facteurs peuvent faire l’objet d’une prévention ou d’une intervention thérapeutique. Le premier est la limitation de l’exposition solaire, annoncée dès la période d’attente, tout particulièrement pour les patients de phototype clair ou aux yeux clairs. Le deuxième est la surveillance post-greffe : surveillance annuelle (voire plus fréquente en cas de cancer antérieur) par un dermatologue, autosurveillance aussi fréquente que possible. Le troisième est la modification du traitement immunosuppresseur. Il est en effet démontré que le rôle favorisant le plus puissant est exercé par les anticalcineurines, ciclosporine et tacrolimus, dont l’effet promoteur est dose-dépendant. Les autres médicaments couramment utilisés (mycophénolate, corticoïdes) ont peu d’effet (voire un effet bénéfique). La conversion d’une anticalcineurine à un inhibiteur de mTOR (sirolimus ou évérolimus), comme immunosuppresseur principal, a fait la preuve de son efficacité pour limiter l’évolution, voire entraîner l’involution, du sarcome de Kaposi et des syndromes lymphoprolifératifs. Son effet bénéfique est moins spectaculaire, mais parfaitement démontré, pour les autres cancers cutanés (risque relatif global de cancer cutané = 0,35 chez les patients sous inhibiteur de mTOR, par rapport à ceux sous anticalcineurine). Les médicaments à venir ont des effets encore peu clairs, mais il est raisonnable de penser que le belatacept, les inhibiteurs de JAK3 ou l’alemtuzumab, par exemple, peuvent favoriser les cancers cutanés, en permettant notamment le développement de virus (HHV8, EBV, polyomavirus).