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La Lettre du Pneumologue - Volume V - no4 - juillet-août 2002
La ventilation de nécessité
Ce type d’indication doit être compris comme un moyen palliatif
destiné à suppléer de façon plus ou moins complète la paralysie
des muscles respiratoires. Sans ventilation, on peut supposer que
le décès ou des complications graves vont survenir dans les mois
qui viennent. Comme cela a déjà été dit, cette décision doit idéa-
lement être prise à l’état stable, à distance d’une poussée aiguë de
décompensation. Bien que les critères d’indication soient diffé-
rents d’une pathologie à l’autre, il est actuellement consensuelle-
ment admis qu’une hypercapnie diurne, supérieure à 45 mmHg
(6 kPa), et/ou une CV < 30 % de la théorique, associées à des
signes cliniques, même modestes, et à une élévation du CO2total
qui traduit l’hypoventilation alvéolaire chronique, sont des signes
de gravité suffisamment inquiétants pour proposer une ventila-
tion à domicile (10). Sauf contre-indication évidente tenant à un
dysmorphisme buccofacial ou à des troubles de la déglutition, la
stratégie habituellement préconisée est de proposer en première
intention une ventilation non invasive en pression positive inter-
mittente par masque nasal, buccal, ou bucconasal, sans que le
choix entre ces différentes techniques puisse être actuellement
défini (11). Le mode volume contrôlé est la méthode de référence
car il est le plus simple à utiliser à domicile et assure a priori la
plus grande sécurité. Les modes volume contrôlé assisté ou pres-
sion assistée permettent peut-être de faciliter l’adaptation au ven-
tilateur. Néanmoins, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de travaux
évaluant, dans cette indication particulière, ces trois modes de ven-
tilation, ce qui fait que, dans l’état actuel des connaissances, il
paraît légitime de n’utiliser en routine que la méthode de réfé-
rence. La ventilation invasive par trachéotomie est réservée aux
échecs de la ventilation non invasive, aux contre-indications, aux
cas particuliers des malades qui seraient trachéotomisés à l’occa-
sion d’une situation aiguë de décompensation, bien qu’il ait été
préconisé dans ces cas de fermer la trachéotomie et de préférer à
domicile une méthode non invasive (12). Cette ventilation est ins-
tituée la nuit, ce qui est logique, à la fois pour des raisons de
confort, de tolérance, et du fait de l’aggravation nocturne des
troubles respiratoires qui accompagnent ces maladies. Cette ven-
tilation nocturne peut être complétée par une ventilation diurne.
En fait, la détermination de la durée optimale de ventilation quo-
tidienne se fait le plus souvent de façon empirique, en tenant
compte de la demande du patient. Des critères objectifs, par
exemple la variation de la capnie artérielle, sont extrêmement inté-
ressants, mais, malheureusement, ils ne peuvent être surveillés
que de façon très discontinue.
La ventilation de prévention
L’objectif de la ventilation de prévention est totalement diffé-
rent. La question est ici de savoir si la prescription précoce d’un
moyen de ventilation mécanique pourrait prévenir, ou tout au
moins réduire, l’aggravation en principe inéluctable du syndrome
restrictif chez des patients qui, par ailleurs, n’ont aucun des cri-
tères d’une ventilation de nécessité. Deux types d’arguments phy-
siopathologiques peuvent justifier cette prescription. Le premier,
ancien, fait appel à des notions de mécanique respiratoire. Il est
en effet bien établi que la diminution de la force des muscles res-
piratoires s’accompagne d’une diminution de la compliance pul-
monaire, ce qui accroît encore la diminution de la CV. Le méca-
nisme de la diminution de la compliance pulmonaire n’est pas
parfaitement connu mais il pourrait être la conséquence de micro-
atélectasies. Une hyperinsufflation périodique du parenchyme
pulmonaire pourrait lutter contre ce phénomène, comme cela
avait été proposé dans les séquelles respiratoires de la polio-
myélite. Les altérations pariétales dues à la cyphoscoliose asso-
ciée, aux rétractions tendineuses, aux déformations de la cage
thoracique sont d’autres arguments en faveur d’une ventilation
de prévention. Cependant, il a été montré qu’une hyperinsuffla-
tion de 15 minutes ne modifiait pas à court terme la compliance
pulmonaire de dix patients atteints de pathologies neurologiques
diverses (13). Nous ne connaissons pas de travaux évaluant ce
paramètre avec un traitement et un suivi plus prolongés.
Le second argument repose sur les relations complexes qui exis-
tent entre les apnées nocturnes et le retentissement sur l’hyper-
capnie diurne. Les conséquences de l’hypotonie physiologique
des muscles respiratoires survenant durant le sommeil sont majo-
rées dans les maladies neurologiques associées à un syndrome res-
trictif. Ce phénomène est particulièrement évident chez les patients
atteints d’une paralysie diaphragmatique, cas dans lequel l’asso-
ciation de la position couchée et de l’hypotonie explique que le
risque d’apnée nocturne et de désaturation soit très élevé. La désa-
turation et l’hypercapnie nocturne pourraient favoriser l’appari-
tion d’une hypercapnie diurne. La ventilation nocturne permet de
diminuer, voire de faire disparaître, les épisodes de désaturation
nocturne, ce qui aurait pour effet de faire reculer l’aggravation de
l’hypercapnie diurne. Là encore, nous ne connaissons pas de tra-
vaux confirmant cette hypothèse sur un suivi prolongé.
Finalement, la preuve de l’efficacité de la ventilation de préven-
tion reste à apporter. Le seul essai thérapeutique disponible
concerne la dystrophie musculaire de Duchenne de Bou-
logne(14). Aucun bénéfice n’a pu être démontré chez les patients
non traités par rapport au groupe traité par ventilation nasale noc-
turne. Fait inattendu, la mortalité était plus élevée dans le groupe
traité, ce qui a conduit à l’arrêt prématuré de cette étude.
ORGANISATION DU SUIVI
Cette population de patients qui sont soit sur le point d’être ven-
tilés, soit déjà ventilés, nécessite une surveillance attentive. Ce
suivi peut difficilement se faire en consultation traditionnelle
(nécessité d’examens, d’explorations fonctionnelles, vérification
de la tolérance et de l’efficacité de la méthode de ventilation uti-
lisée, vérification du matériel, étude du sommeil, etc.). L’hospi-
talisation de courte durée paraît donc la moins mauvaise solu-
tion ; elle est néanmoins peu appréciée par ces patients. La
majorité d’entre eux ont une expérience ancienne de l’hôpital et
en gardent habituellement un mauvais souvenir. Là encore, il faut
informer les patients des objectifs de ce bilan et tenter de les
convaincre de son utilité, tout en respectant un confort minimal,
difficile à réaliser dans les conditions habituelles des hôpitaux
publics. Il faut rappeler que, sur le plan réglementaire, les caisses
d’assurance maladie exigent un renouvellement annuel de la pres-
cription du matériel de ventilation, ce qui impose un minimum
d’examens cliniques et paracliniques.