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La Lettre du Sénologue - suppl. 1 au n° 29 - juillet-août-septembre 2005
DÉFINITION DE LA POPULATION À RISQUE
Schématiquement, au vu des résultats des essais thérapeutiques
adjuvants actuels près de 90 % des patientes traitées en situation
non métastatique ont une chance d’être en vie 5 ans après le dia-
gnostic initial de leur maladie (6). Toutefois le risque de réci-
dive persiste puisque même après traitement par taxanes 25 %
des patientes ont une rechute de leur maladie (6). Ce risque de
rechute dépend encore de facteurs pronostiques simples comme
le degré d’envahissement ganglionnaire et le profil biologique
de la maladie.
Par ailleurs, en dehors du risque de rechute locale ou d’appari-
tion d’un second cancer du sein déjà abordé dans cette revue (7),
les sites de récidive à distance sont connus (8), il s’agit essen-
tiellement des poumons, du foie et de l’os avec certaines parti-
cularités liées au profil biologique des tumeurs :
– les cancers lobulaires rechutent plus souvent sur les séreuses
(estomac, ovaires) ;
–les cancers hormonosensibles font plus souvent des métastases
osseuses ;
–les cancers qui surexpriment HER2 présentent plus fréquem-
ment des métastases cérébrales.
Enfin, il apparaît qu’indépendamment des facteurs de risque de
récidive, il existe systématiquement, après la prise en charge ini-
tiale du cancer du sein non métastatique, un pic de rechutes situé
dans les 2 ou 3 premières années après le traitement initial. Par
la suite ce risque devient quasi nul après 5 ans, soit persiste à un
taux faible sans disparaître, même largement au-delà de 5 ans
(essentiellement dans la population de cancers hormonodépen-
dants) (9).
De ces éléments on peut donc définir un profil général évolutif
des patientes à risque de rechute :
–pic précoce pour toutes dont l’importance dépend des para-
mètres biologiques et des traitements adjuvants reçus (il semble
par exemple très net qu’avant l’utilisation du trastuzumab en
situation adjuvante, la surexpression de HER2 était un facteur
important de rechute précoce (10) ;
–risque résiduel tardif faible mais semblant constant pour la
population de cancers hormonodépendants ;
– profil d’évolutivité en ce qui concerne le site métastatique en
fonction de certains paramètres biologiques.
COMMENT SURVEILLER OU L’ÉCHEC DES SURVEILLANCES
DE MASSE
Deux essais thérapeutiques randomisés (GIVIO et Rosselli Del
Turco) (11, 12) ont été réalisés en Italie dans ce but : ils ont
comparé une consultation clinique tous les 3 mois pendant 2 ans
puis tous les 6 mois pendant les 3 années suivantes, associée à
une mammographie annuelle versus la même surveillance mais
accompagnée d’un bilan sanguin explorant la fonction hépatique
(à chaque consultation) ainsi que d’une radiographie des pou-
mons tous les 6 mois et une échographie abdominale et une scin-
tigraphie osseuse tous les ans. La méta-analyse de ces deux
essais réalisée par la réunion des dossiers des patientes a inté-
ressé 2 563 femmes (13).
La surveillance intensive a mis en évidence plus de rechutes
dans l’étude Givio : 31 versus 21 %. Cette information n’a pas
été recherchée dans la deuxième étude. Cette notion est rappor-
tée dans de nombreuses études prospectives non randomisées
(14, 15).
Cependant, l’analyse de la survie des populations, surveillées
d’une manière différente (intensives vs non intensives), n’a pas
montré de différence significative ni dans la population globale
(tableau I), ni dans les sous populations distinctes par l’âge des
patientes (tableau II), par la taille de la tumeur (tableau III) ou
par l’état ganglionnaire (tableau IV).
De même, la survie sans rechute des patientes n’est pas modi-
fiée quel que soit le type de surveillance et quelle que soit la
population envisagée : population globale (tableau V), popula-
tions distinctes par l’âge des patientes (tableau VI) ou par la
taille des tumeurs (tableau VII) ou par l’état ganglionnaire
(tableau VIII).
Ces deux études montrent donc à l’évidence que la surveillance
“intensifiée” de la période post-thérapeutique est responsable,
certes de la découverte d’un plus grand nombre de rechutes,
mais n’arrive pas à améliorer la survie sans rechute et la survie
générale. La surveillance recommandée pourrait donc se res-
treindre à une consultation clinique (dont la fréquence reste à
établir) associée à une mammographie annuelle, ce qui a été
repris par de nombreuses sociétés savantes et instances étatiques
(l’Anaes 2000, l’ASCO 1999 et 2000, l’Australasian 1997, le
BCCA 2001, la Canadian Med As 1998, l’ESMO 2001 et l’ICSI
2003).
Toutefois, ces essais ont des limites importantes qu’il faut sou-
ligner :
• Tout d’abord, les explorations réalisées ont consisté à la détec-
tion d’une maladie métastatique macroscopique par des tech-
Suivi non intensif Suivi intensif Peto odds-ratio (IC 95 %)
Givio 102/665 116/655 0,86 (0,66-1,12)
Rosselli del Turco 123/621 117/622 1,06 (0,82-1,36)
Total 0,96 (0,80-1,15)
Tableau I. Survie à cinq ans dans la population totale.
Suivi non intensif Suivi intensif Peto odds-ratio (IC 95 %)
< 40 ans
–Givio 12/63 12/68 1,13 (0,51-2,53)
–Rosselli del Turco 16/61 20/80 1,05 (0,54-2,04)
Total 1,08 (0,65-1,80)
> 40 ans
–Givio 90/602 104/587 0,83 (0,63-1,10)
–Rosselli del Turco 107/560 97/542 1,08 (0,82-1,42)
Total 0,95 (0,78-1,16)
Tableau II. Survie à cinq ans suivant l’âge.