Complications cutanées des chimiothérapies d Chemotherapy cutaneous toxicity

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La Lettre du Cancérologue - Vol. XVI - n° 9 - novembre 2007
Complications cutanées des chimiothérapies
Chemotherapy cutaneous toxicity
N. Auff ret*
* Service d’immunologie clinique, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
RÉSUMÉ
Les chimiothérapies induisent une toxicité cutanée, notam-
ment mise en avant dans le cadre des thérapies ciblées. Sa
description ainsi que quelques points physiopathologiques
sont abordés, associés à des conseils de prise en charge. Ces
toxicités particulières sont gênantes esthétiquement, mais
peuvent également entraîner des complications algiques ou
systémiques, nécessitant une prise en charge adaptée.
Mots-clés : Toxicité cutanée – Chimiothérapie.
SUMMARY
Chemotherapy has singular cutaneous toxicity, especially
within target therapies. This article is about its description
and physiopathological elements associated with care propo-
sitions. These particular toxicities may be disturbing because
of pain, and may reveal systemic troubles. It is important to
detect these side eff ects in order to avoid complications.
Keywords: Cutaneous toxicity – Chemotherapy.
T
ous les médicaments sont susceptibles davoir des eff ets
indésirables, en particulier muqueux, cutanés, annexiels
et unguéaux. Les chimiothérapies néchappent pas à la
règle et, lorsque plusieurs médicaments sont prescrits ensemble,
il est parfois diffi cile, voire impossible, d’identifi er la molécule
en cause. Lapport constant de nouvelles molécules (anti-TNFα,
anticorps [Ac] monoclonaux, etc.) nous révèle aussi de nouvelles
toxidermies qu’il convient de connaître pour mieux les gérer
tant en prodiguant des conseils aux patients que sur le plan
thérapeutique.
Les eff ets insirables des chimiothérapies sont fquents,
mais non constants, habituellement dose-dépendants, mais
pas toujours. Ils nentraînent pas systématiquement l’arrêt du
traitement.
ALOPÉCIE
Lalopécie signe une chute de cheveux (ou de poils : barbe,
sourcils, cils) plus ou moins diff use. Cette réaction fréquente,
mais non constante, secondaire à la toxicité des molécules
chimiques sur les cellules du bulbe pilaire en phase de renou-
vellement, se traduit soit par une chute, soit par une fragilité
des cheveux, qui prennent un aspect cassant. Elle bute habi-
tuellement 15 à 20 jours après le début du traitement. Elle peut
maintenant être prévenue grâce à lutilisation d’un casque réfri-
gérant pendant la perfusion du traitement. Le froid provoque
une vasoconstriction, et donc une diminution du ux sanguin,
ayant pour conséquence une réduction de la quantité de la mo-
cule perfusée au niveau du follicule pileux. Les inconvénients
d’une telle pratique sont essentiellement un inconfort se tradui-
sant par des céphalées, des douleurs de la nuque et même des
sinusites. Les molécules le plus souvent responsables sont les
anthracyclines, le cyclophosphamide à fortes doses, la doxoru-
bicine (catabolisme rapide), le cisplatine et la vinorelbine. Pour
mieux préparer les patients à ces eff ets indésirables mal tolérés,
tant sur le plan esthétique que relationnel, quelques conseils
peuvent leur être prodigués. On peut ainsi leur proposer, avant
de marrer la chimiotrapie, de se faire couper les cheveux très
court, afi n que la diff érence d’aspect soit moins traumatisante.
Le port d’une prothèse capillaire (prothèse prise en charge par
la Sécurité sociale, à faire avant le début du traitement) est
fortement recommandé, ou le port de bandeaux ou de foulards.
La repousse débute un mois après la dernière cure. Elle est de
1 cm par mois.
PHOTOSENSIBILISATIONS
Cliniquement, elles se manifestent par un coup de soleil ou une
rougeur du visage, du décolleté, du haut du dos, des mains ; elles
sont parfois très violentes, associées ou non à des bulles et à
des décollements, avec une sensation de brûlure et de chaleur,
apparaissant avec des ensoleillements parfois minimes, voire
un soleil voilé. Elles sont particulièrement fréquentes avec
le 5-fl uoro-uracile (5-FU). Elles peuvent être réduites ou préve-
nues si le patient est à l’abri de la lumière lors de l’injection
intraveineuse, s’il évite les forts ensoleillements et s’il suit une
recommandation d’utilisation renouvelée d’écrans solaires.
Malgré cela, en cas d’éruption, l’utilisation de crèmes corticoïdes
associées à des émollients pourra être proposée.
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Photo 1.
Acné induite par les anti-EGF.
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TROUBLES DE LA PIGMENTATION
Les hyperpigmentations sont fréquentes, diff uses ou localisées
(par exemple au niveau des ongles ou au niveau du dos, avec un
aspect de agellation, à la suite d’un traitement par bléomycine).
Elles sont dues à l’accumulation de mélanine au niveau de l’épi-
derme par stimulation directe des mélanocytes. Bléomycine,
cyclophosphamide, méthotrexate, 5-FU ou chlorméthine sont
le plus souvent en cause.
La pigmentation des ongles peut être longitudinale, transversale
ou diff use, plus ou moins foncée, indolore, visible au niveau
des ongles des mains aussi bien que des orteils, apparaissant
quelques semaines après le but du traitement pour disparaître
beaucoup plus lentement, parfois au bout de plusieurs mois.
Doxorubicine, cyclophosphamide, melphalan, bléomycine et
5-FU sont les principaux responsables. Le sunitinib (Sutent
®
)
donne un teint jaune, “ictérique”, aux sujets à peau blanche, et
induit une dépigmentation en taches ou généralisée chez les
sujets à peau noire. Le seul traitement que l’on puisse actuel-
lement proposer est l’utilisation d’un maquillage. Ces troubles
de la pigmentation se retrouvent aussi sur les phanères, avec
des modifi cations de la couleur des cheveux, qui deviennent
poivre et sel et qui peuvent alors être teints.
ACNÉS (photo 1)
Elles sont principalement observées avec les anti-EGFR, que ce
soit les Ac monoclonaux ou les inhibiteurs de la tyrosine kinase,
chez 50 %, voire 100 %, des patients. Ces éruptions acnéiformes
débutent peu après le début du traitement, dès la première,
voire la deuxième, chimiothérapie. Elles s’améliorent parfois
malgré la poursuite du traitement et disparaissent toujours
lors de son arrêt. L’aspect clinique est très stéréotypé, marqué
par l’apparition de papules folliculaires évoluant en pustules,
discrètes ou profuses, isolées ou confl uentes, prurigineuses,
voire douloureuses, croûteuses en se dessèchant, localisées sur
les zones séborrhéiques (visage, décolleté et dos) mais parfois
plus diff uses et pouvant s’observer sur le cuir chevelu, les régions
rétro-auriculaires et les épaules. Lorsque les lésions sont très
croûteuses, elles peuvent évoquer une dermite séborrhéique
profuse infl ammatoire. Lorsquelles sont très infl ammatoires sur
le visage, l’aspect peut évoquer une rosacée. Elles n’imposent
que très rarement larrêt du traitement. La prise en charge des
patients est indispensable, car la survenue de ces éruptions est
inconfortable et mal acceptée. Lorsque les acnés sont asymp-
tomatiques, de simples émollients suffi sent. Lorsqu’elles sont
gênantes, la prescription d’une antibiothérapie p.o. (cyclines)
est proposée. Lorsqu’elles sont très prurigineuses, un dermo-
corticoïde peut lui être associé. La survenue d’une éruption
acnéiforme nimplique pas, dans la majorité des cas, de modi-
cation des doses thérapeutiques ni d’arrêt, d’autant que ces
médicaments sont effi caces et que leur arrêt serait préjudiciable.
Il est dit que le taux de réponse au traitement serait plus élevé,
de même que la durée de survie, parallèlement à la sévérité de
l’éruption, mais cela reste à démontrer.
XÉROSE CUTANÉE
Une sécheresse de la peau et des muqueuses est souvent observée
avec les chimiothérapies. Elle peut être généralisée ou localisée.
Pour y remédier, il convient de proposer lutilisation démollients
plusieurs fois par jour. Avec les anti-EGFR et, surtout, les inhi-
biteurs de la tyrosine kinase, la sécheresse cutanée s’observe
dans 10 à 35 % des cas.
ATTEINTE DES ONGLES
De nombreuses anomalies des ongles sont obseres lors des
chimiothérapies : stries noires ou lignes de Beau, douleurs au
niveau des ongles, fragilité, onycholyse se traduisant par une
perte partielle ou complète de longle, voire photo-onycholyse,
paronychies. Toutes ces manifestations n’impliquent pas larrêt
du traitement. Les médicaments le plus souvent en cause sont
la mitoxantrone, la leucoverine, le méthotrexate, la bléomycine,
le 5-fl uoro-uracil, l’étoposide, les taxanes. Pour améliorer le
confort des patients, il faut leur conseiller d’éviter les trauma-
tismes au niveau des mains et des orteils en portant des gants,
surtout en cas de travaux ménagers ou d’exposition au froid, en
mettant des chaussures confortables, et en utilisant des vernis à
ongles à base de silicium, qui renforcent la résistance de l’ongle
pendant la durée du traitement et les six mois qui le suivent.
On proposera également le port d’enveloppes frigérantes
durant le passage intraveineux du traitement. Pour les parony-
chies invalidantes, traînantes et douloureuses, la prescription
de cyclines s’impose.
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Photo 2.
Syndrome mains-pieds.
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SYNDROME MAINSPIEDS (photo 2)
Il se traduit par un érythème palmo-plantaire douloureux,
associé parfois à des dysesthésies, suivi d’une desquamation.
On l’observe avec la cytarabine, la doxorubicine, la capécitabine,
le cyclophosphamide, l’hydroxyurée, l’interleukine 2 (IL-2), la
mercaptopurine, le méthotrexate surtout. La prescription de
vitamine B6 réduirait son incidence et sa vérité, de même
que la prescription de corticoïdes p.o. pendant la durée du trai-
tement, mais également l’utilisation de gants et de chaussettes
réfrigérantes lors de la perfusion.
HIDRADÉNITE NEUTROPHILIQUE ECCRINE
C’est une dermatose infl ammatoire limitée qui s’observe surtout
au niveau des jambes, du tronc, des aisselles et du visage, se
caractérisant par des nodules et des plaques hémorragiques,
pustuleuses et douloureuses, secondaires à l’infl ammation des
glandes eccrines et apocrines. La cytarabine, en particulier,
cause cette éruption.
INFLAMMATION DES KÉRATOSES ACTINIQUES
Elle s’observe avec le 5-FU, la dacarbazine, la vincristine, la
dactinomycine, la doxorubicine et le cisplatine. Les kératoses
deviennent rouges, infl ammatoires, parfois sensibles et pruri-
gineuses. Les dermocorticoïdes sont utiles.
RÉACTIONS CUTANÉES LOCALES
Après extravasation dans les tissus mous du médicament, du
solvant ou du diluant, une rougeur ou un placard infl ammatoire
douloureux à une cellulite, une ulcération, une nécrose ou une
phbite peuvent apparaître. Des procédures précises doivent être
décrites dans chaque service afi n de réagir au plus vite. Arrêter
immédiatement l’administration du produit en cause, laisser
l’aiguille en place, aspirer le maximum de liquide extravasé puis
diluer avec des injections s.c. de sérum physiologique constituent
la gle de base. Par la suite, en fonction du produit et de sa
toxicité, on pourra administrer des antidotes, des corticoïdes
locaux, et parfois demander un avis chirurgical.
SYNDROME DE RAYNAUD
Ce syndrome a un aspect clinique stéréotypé : il touche les doigts,
le nez, les orteils et les oreilles, qui deviennent subitement froids
et insensibles avant de présenter une cyanose douloureuse.
Lazathioprine, la ciclosporine, la miansérine, l’interféron (IFN)
et la bléomycine sont particulièrement en cause.
RÉACTIONS D’HYPERSENSIBILITÉ
Elles sont décrites avec de nombreuses molécules, mais aussi
avec les solvants ou les stabilisants. Leurs aspects cliniques
sont très variés : urticaire, érythème, dermatose généralisée,
anaphylaxie, érythème pigmenté xe, vascularite, crolyse
épidermique toxique. Leur survenue peut être immédiate ou
retardée. Pour les éviter, une prémédication systématique est
nécessaire (corticoïdes et anti-histaminiques H1) pour certains
médicaments, associée à un étalement du temps de perfusion (de
six à vingt-quatre heures). Leur sévérité impose parfois l’arrêt du
traitement. Le paclitaxel et la L-asparaginase sont les molécules
qui donnent les réactions les plus sévères, mais aussi lazathio-
prine, la bléomycine, le busulfan, la cytarabine, la dacarbazine, la
daunorubicine, le uoro-uracile, le facteur de croissance hémato-
poïétique GMCSF (granulocyte-macrophage colony-stimulating
factor), l’IL-2, la mitomycine, les nitroso-urées, la procarbazine,
la suramine et le thiotépa. Néanmoins, tous les médicaments,
rappelons-le, peuvent engendrer de telles réactions.
RÉACTIONS OBSERVÉES LORS DE LASSOCIATION
RADIOTHÉRAPIE ET CHIMIOTHÉRAPIE
Certaines chimiothérapies sensibilisent la peau aux radiations.
Ces eff ets sont plus fréquents et plus intenses sur les zones
d’irradiation. On peut même observer, des mois ou des années
plus tard, l’induction d’un phénomène de rappel sur des zones
irradiées. Une pvention rigoureuse au niveau des champs
d’irradiation est indispensable. Lors de la survenue de telles
réactions, souvent violentes et à type de brûlure, il faut proposer
des soins locaux non irritants ou agressifs, une protection solaire
systématique et, en cas de surinfection, une antibiothérapie par
voie générale. Bléomycine, cisplatine, dactinomycine, doxoru-
bicine, 5-FU, hydroxyurée et méthotrexate sont les molécules
le plus souvent mises en cause.
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Photo 3.
Cicatrices faisant suite à des nécroses après injection d’IFN.
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Lamifostine associée aux chimiothérapies ou à une radio thérapie
provoque des réactions cutanées particulièrement sévères,
parfois à type de syndrome de Stevens-Johnson, de nécrolyse
épidermique toxique, de rash bulleux (1 cas sur 1 000 radio-
thérapies), nécessitant un traitement symptomatique et justi ant
l’arrêt du traitement dans ces cas.
MANIFESTATIONS PLUS RARES (photo 3)
Des croses cutanées, avec l’IFN, un syndrome de Sweet,
surtout avec le GMCSF, et des ulcères de jambes, avec
l’hydroxyurée, peuvent se rencontrer. Il conviendra de cesser
immédiatement le traitement en associant des mesures
symptomatiques.
CONCLUSION
Ladministration d’agents chimiothérapiques est souvent
associée à des manifestations cutanées, rarement graves,
certaines prévisibles. Le développement constant de molé-
cules nous révèle de nouvelles réactions. Bien les connaître
permet une meilleure prise en charge de nos patients et des
toxicités cutanées dont ils sont atteints.
p o u R e n s a V o i R p l u s . . .
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