Dossier thématique
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La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 3-4 - mars-avril 2007
contrôlent), l’évitement (le sujet évite toutes les relations et les
situations dans lesquelles ses désirs sont différents des autres),
la compensation (le sujet se comporte de façon passive-agressive
ou se rebelle).
La différenciation des schémas s’est pendant un certain temps
limitée à la classification du DSM-IV. Plus récemment, J.E. Young
et J.S. Klosko (3), J.E. Young, J.S. Klosko et M.E. Weishaar (4)
ont proposé des schémas cognitifs plus transnosologiques,
susceptibles d’affecter plusieurs personnalités. On trouvera
dans leur modèle, par exemple, les schémas abandon/insta-
bilité, méfiance/abus, manque affectif, dépendance/incompé-
tence, exigences élevées, assujettissement. Chaque trouble de
la personnalité peut se trouver associé à plusieurs schémas (5).
Le premier but de la thérapie est de remettre en question ces
schémas qui se sont installés de longue date. Ils représentent des
interprétations personnelles de la réalité qui vont influencer les
stratégies et amener à biaiser les informations. Ils joueront un
rôle majeur dans la genèse des émotions. Avant de les remettre
en question, il est important de rechercher l’origine des schémas.
L’éducation, l’exemple parental, certains événements fondateurs,
bénéfiques ou maléfiques, ont pu mettre en œuvre les schémas.
Ils se sont ensuite renforcés par des expériences successives
qui ont été réinterprétées et sélectionnées. La thérapeutique
tentera d’atténuer et de modifier les schémas dysfonctionnels
en exposant le patient à des schémas alternatifs, en amenant
des réflexions inattendues qui seront testées dans la réalité. On
peut aussi camoufler le schéma par l’apprentissage de nouveaux
comportements qui le dissimulent.
CONTEXTE GÉNÉRAL DE L’ABORD THÉRAPEUTIQUE
Il est rare qu’un patient consulte pour un trouble de la person-
nalité. Un trouble dépressif, un trouble anxieux, des situations
difficiles à appréhender, des cas de conscience, ou encore le
développement soudain de comportements addictifs amènent
le patient vers un psychiatre ou un psychologue. La démarche
qui est alors entreprise est la même que celle qui est recom-
mandée pour les troubles dépressifs et les troubles anxieux.
Il s’agit de rechercher derrière les événements et les impres-
sions rapportés de façon naturelle par le patient des émotions,
des pensées automatiques, des stratégies, puis des croyances
dysfonctionnelles. Nous passons donc progressivement d’évé-
nements – crises, conflits, colères, gestes désespérés, passages
à l’acte, inhibitions – à des régularités plus abstraites, plus géné-
rales, plus constitutives de la personnalité du sujet. Devant
une circonstance douloureuse récente, il s’agit de déterminer
quelles furent les premières émotions, les premières pensées,
les premiers comportements que le sujet a manifestés. À chaque
étape, on tentera de confronter le sujet à des entités alternatives.
La psychothérapie est évidemment socratique, ou maïeutique, le
thérapeute amenant le patient à élaborer lui-même ces positions
alternatives à la suite de questions pertinentes et adaptées. Par
exemple : si vous n’adoptez pas ce comportement, que pouvez-
vous faire ? Que ferait monsieur tout le monde ? Que ferait votre
frère, votre cousin ? Qu’auriez-vous fait dix ans auparavant ?
Les émotions seront identifiées, supportées, modulées et surtout
validées. Il est fondamental que le patient sente qu’il a le droit
de manifester certaines émotions à propos de certaines circons-
tances, mais pas de toutes. L’angoisse, la colère, par exemple
sont justifiées si un proche lui a menti, s’il a changé d’attitude.
La colère est moins justifiée s’il s’agit de demander ou de contre-
dire.
Les pensées automatiques seront examinées avec soin, discutées.
Le patient sera amené à considérer des pensées alternatives,
auxquelles il devra s’habituer. Et si vous n’étiez-pas le plus fort ?
Et si ce système de valeurs n’avait pas une portée universelle,
s’il n’était pas compris par tout le monde ? Êtes-vous si sûr que
les autres sont contre vous ?
Les attitudes, les stratégies comportementales seront elles
aussi examinées. Il s’agit cette fois-ci d’en apprécier les avan-
tages et les inconvénients, afin que le patient visualise assez
vite, sur le terrain, les conséquences de ses actes. Ainsi, les
premières réflexions seront aussitôt testées. Le patient doit
aussi se confronter aux comportements opposés de ceux qu’il
manifeste : l’histrionique considérer la réflexion, la solitude ; le
paranoïaque tester la passivité, l’absence de réaction, l’amabilité ;
le psychopathe envisager la tendresse, la chaleur, la sympathie ;
le dépendant se familiariser avec la sincérité, la possibilité de dire
non. On verra que les sujets redoutent ces attitudes contraires,
mais qu’ils s’y habituent peu à peu.
Les croyances dysfonctionnelles, inconditionnelles et présentes
de longue date, constituent le point fort de la psychothérapie.
Elles seront abordées après plusieurs séances. On examinera
les causes d’apparition et de maintien des schémas, souvent
établis au cours de l’enfance et de la jeunesse, renforcées ensuite
par la sélection de l’information. L’éducation, les événements
personnels, les mythes, les légendes, la tradition familiale jouent
ici un rôle important. Des formules labellisées seront mises en
évidence : “je dois être admiré”, “je suis plus fort que les autres”,
“je suis au-dessus des lois”, “c’est la loi de la jungle, le travail
acharné peut vaincre toutes les difficultés”, “je ne peux pas faire
les choses tout seul”, “je dois me méfier des autres”...
Il faut alors étudier avec soin les éléments favorables et défavo-
rables au schéma, déceler quelles sont les circonstances précises
de l’existence qui sensibilisent le schéma dans la vie contempo-
raine, quelles sont les causes récentes de renforcement (rupture,
brimade, conflit, confrontation). Il est important de comparer
les croyances actuelles et les croyances dans l’enfance, d’amener
le sujet à jouer avec ses idées, à les rendre plus souples.
On étudiera ensuite la corrélation entre les schémas et les
comportements. Le patient devra déceler, dans sa vie quoti-
dienne, quel est l’enchaînement stimulus, émotion, idées,
comportement. Il pourra ainsi beaucoup mieux démystifier
ses réactions, comprendre qu’elles ont un caractère mécanique,
conditionné, et par conséquent plus contrôlable. Plus exacte-
ment, la chaîne s’arrêtera en cours de route.
Par exemple, l’histrionique mis en présence d’une rivale saura
retenir sa séduction automatique, le paranoïaque critiqué
évitera la colère brutale, le sujet borderline menacé d’abandon