TRIBUNE
L
a fibromyalgie est une entité noso-
logique de définition récente (1990)
qui soulève de nombreuses controverses,
notamment dans le milieu rhumatologique.
Ces controverses touchent la description
de la maladie, sa physiopathologie, sa
prise en charge, etc. Tout cela dans la
crainte de revendications injustifiées,
croissantes et illimitées de malades
que l’on ne pourrait plus contrôler.
La fibromyalgie,
une maladie sans véritable
signe objectif ?
Il n’est pas exact de dire que la fibro-
myalgie est un tableau sans signe
objectif : la présence de l’allodynie
diffuse (points douloureux à la pres-
sion, pour une pression habituelle non
douloureuse) est véritablement un signe
objectif caractéristique de la fibromyalgie
et de sa physiopathologie. On peut même
considérer qu’elle est le pivot de la maladie
puisqu’elle révèle la présence d’un dérè-
glement neurologique central.
De telles plaintes de patients sont connues
depuis longtemps et il n’a pas fallu attendre
la description de la fibromyalgie par l’Ame-
rican College of Rheumatology (ACR)
pour les identifier. Malgré tout, même si
l’on conteste le terme, médecins et patients
reconnaissent facilement la description de
la fibromyalgie comme celle d’une entité
à part.
Si on ne peut nier son ampleur dans la fibro-
myalgie, la composante psychosociale ne
saurait résumer ce syndrome. Cette compo-
sante est tout aussi importante lors d’autres
tableaux douloureux chroniques tels que les
lombalgies ou les migraines, et sa présence
ne suffit pas pour considérer la fibromyal-
gie comme un syndrome purement psy-
chiatrique.
Que dire des critères de l’ACR
concernant la fibromyalgie ?
À l’heure actuelle, une discussion néces-
saire s’est engagée sur les critères de classi-
fication de la fibromyalgie élaborés par
l’ACR en 1990. De nombreuses critiques,
émanant notamment des promoteurs de ces
critères, ont été formulées, en particulier
sur le nombre de points douloureux néces-
saires : la localisation des 18 points est sûre-
ment contestable, de même que le seuil de
11 points nécessaire au diagnostic. On sait
que le nombre de points douloureux est très
variable selon le patient et qu’il est essen-
tiellement lié à son niveau d’anxiété.
Il existe actuellement plusieurs groupes de
travail, notamment au sein de l’EULAR,
pour définir de nouveaux critères et une
nouvelle approche de ce syndrome. Il est
important de différencier des critères dia-
gnostiques et des critères de sévérité.
Comme pour tous les syndromes et mala-
dies, les critères doivent être revus régu-
lièrement. Ils sont imparfaits et doivent
évoluer ; c’est le cas pour le lupus, la poly-
arthrite rhumatoïde ; ce doit être le cas pour
la fibromyalgie.
Qu’en est-il de la physiopathologie
de la fibromyalgie ?
Une véritable absence de lésion ?
Aucun travail concluant ?
Il est malgré tout essentiel d’insister sur la
présence des points douloureux pour des
pressions modestes dans la fibromyalgie.
Ces points confirment qu’il existe un dérè-
glement neurologique central, une sensibi-
lisation centrale, à l’origine de l’allodynie
diffuse et des multiples symptômes asso-
ciés : troubles du sommeil, colopathie,
anxiété, etc.
L’absence de lésion organique ne peut être
retenue comme un argument : que sait-on
actuellement de la physiopathologie des
lombalgies ? On ne conteste à aucun patient
la réalité alléguée d’une lombalgie, même
en l’absence de lésions visibles sur l’ima-
gerie. On sait de plus que les anomalies
anatomiques ne sont pas corrélées aux dou-
leurs et plaintes. Compte tenu de la fré-
quence de ce syndrome, de nombreuses
recherches se développent depuis plu-
sieurs années : imagerie cérébrale,
neurophysiologie, etc. Toutes ces
études témoignent de l’existence
d’un dysfonctionnement central,
résultant de divers phénomènes
déclenchants. On peut considérer
la fibromyalgie comme un véri-
table dérèglement neurologique
central, provoqué par différentes
causes (virus, stress psychologique,
maladie auto-immune, etc.), dont la
persistance serait liée à un terrain favo-
risant (sexe féminin en particulier) ou à
des réponses inadaptées du milieu environ-
nant (en particulier médicales ou sociales).
Fibromyalgie primitive ou secondaire ?
Les auteurs ont défini au début une distinc-
tion entre fibromyalgie primitive et secon-
daire. En fait, cette distinction n’est plus
retenue actuellement, car l’existence d’un
syndrome fibromyalgique modifie la pré-
sentation de nombreuses maladies aux-
quelles celui-ci peut être associé. Cela n’est
pas spécifique de la fibromyalgie et on sait
que le syndrome de Gougerot-Sjögren
modifie la présentation d’un lupus, d’une
polyarthrite rhumatoïde et les modalités thé-
rapeutiques. De la même façon, lors d’une
polyarthrite rhumatoïde, la présence de
douleurs diffuses sans synovites, sans signe
d’évolutivité biologique, avec troubles du
sommeil et état anxiodépressif ne doit pas
faire recourir à des traitements anti-inflam-
matoires ou immunosuppresseurs mais à
des approches spécifiques telles qu’on les
décrit dans la fibromyalgie.
Que faire du diagnostic
de fibromyalgie ?
Pourquoi avoir si peur de prononcer le mot
de fibromyalgie ? Pense-t-on qu’avec les
termes de “polyentésopathie” ou de “dou-
leurs diffuses”, l’on apaisera les questions
des patients, de leur entourage, des méde-
cins, que l’on évitera les dérives des méde-
cines parallèles, et que l’on fera taire des
revendications hors de propos ?
Il faut rapprocher la fibromyalgie de la lom-
balgie et rester aussi vigilant dans un cadre
que dans l’autre. Si l’on ne sait pas quelle
La fibromyalgie,
un mot pour le dire ?
S. Perrot, Centre de la douleur,
hôpital Cochin-Tanier, Paris
La Lettre du Rhumatologue - n° 315 - octobre 2005
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TRIBUNE
La Lettre du Rhumatologue - n° 315 - octobre 2005
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est la cause de ce syndrome douloureux
diffus, connaît-on celle des douleurs lom-
baires ?
Plutôt que de rejeter les patients dans un
non-diagnostic qui ne ferait qu’augmenter
leur anxiété, leur demande d’examens, de
prise en charge et le risque iatrogène, il est
préférable de donner un cadre précis,
prudent aussi, qui permette de définir les
limites de l’action médicale, des possibi-
lités actuelles.
A-t-on créé une nouvelle maladie ?
Il est tout à fait exact de dire que l’on a créé
une nouvelle maladie, ce qui ne signifie pas
qu’elle soit une simple vue de l’esprit. On
ne crée pas les patients, la plainte existe,
quelle qu’en soit l’explication. L’histoire de
la rhumatologie montre bien que la goutte
était jusqu’aux débuts du XXesiècle la seule
maladie rhumatologique inflammatoire
connue et que ce sont les progrès de l’im-
munologie, puis de la biologie moléculaire,
qui ont permis de connaître les désordres
immunologiques et inflammatoires spéci-
fiques de la polyarthrite ou des connecti-
vites. Personne n’a eu de polyarthrite
rhumatoïde voire de tuberculose avant la
description de la maladie. On peut penser
que le XXIesiècle connaîtra des avancées
en neurosciences très importantes, per-
mettant de démembrer les symptômes
dits “fonctionnels” et de comprendre leur
physiopathologie.
Pour certains auteurs, la lombalgie n’existe
pas tant que l’on ne s’en occupe pas. La
fibromyalgie et la lombalgie sont quasiment
absentes des pays peu développés, pour des
raisons socioéconomiques que l’on peut
comprendre. Malgré tout, on ne peut négli-
ger la demande des patients lombalgiques
ou fibromyalgiques consultant dans les
pays développés. Ce sont les médecins et
les régimes de santé actuels qui ont déve-
loppé les concepts de qualité de vie, utili-
sés comme indices dans de nombreuses
maladies. Le coût de la fibromyalgie reste
modeste comparativement à la polyarthrite
rhumatoïde, à l’ostéoporose, ou à ce que
l’on proposera peut-être prochainement
dans l’arthrose.
En conclusion, la fibromyalgie, comme la
plupart des pathologies, est une construc-
tion nosographique, que l’on doit aborder
avec prudence car non achevée, comme la
lombalgie par exemple. La physiopatho-
logie est de mieux en mieux connue, orien-
tée vers un dysfonctionnement cérébral des
voies de modulation de la douleur et du
sommeil, notamment. Ce dysfonctionne-
ment peut être déclenché par un stress,
physique ou psychologique, et sa pérenni-
sation par la survenue sur un terrain parti-
culier, à un moment donné. Face à une
réelle demande des patients, il importe de
donner un cadre thérapeutique précis plu-
tôt que de nier la réalité du syndrome et
de laisser un vide qui risquerait d’être
comblé par des attitudes iatrogènes. Il est
certain que des dérives médiatiques mais
aussi scientifiques ont eu lieu, mais comme
dans de nombreux autres domaines médi-
caux. Les avancées des neurosciences vont
permettre de démembrer ce que l’on
dénomme avec une certaine dérision “syn-
dromes fonctionnels” depuis plus de
100 ans et que tout médecin se doit mal-
heureusement de soigner, quelle que soit
la terminologie employée. La science médi-
cale n’est heureusement pas restée seule-
ment descriptive dans le cancer, elle ne
doit pas le rester plus dans les syndromes
douloureux diffus. Dans un avenir proche,
des recommandations sur la prise en charge
de la fibromyalgie et de nouveaux critères
véritablement diagnostiques devraient per-
mettre de guider les médecins et leur per-
mettre d’utiliser le terme de fibromyalgie
sans crainte, en connaissant son intérêt
comme ses limites.
Pour en savoir plus
Clauw DJ, Crofford LJ. Chronic widespread pain
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Perrot S. Si la fibromyalgie n’existait pas, il fau-
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Petzke F, Gracely RH, Park KM, Ambrose K,
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JRheumatol 2003;30:567-74.
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