4 ACTU ACTU LE MATIN MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2016 «Ils m’ont forcée à faire un test de grossesse, sans quoi ils refusaient de me la vendre. J’ai été obligée de la prendre devant eux et ils ont vérifié que je l’avais bien avalée» Lilou, 30 ans 5 MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2016 LE MATIN La pharmacienne m’a dit: «Mais ce ne serait tout de même pas si grave, à votre âge, de tomber enceinte…» g Cécile, 33 ans «On m’a refusé le service en me faisant «On m’a dit: «Et vous comprendre que ça prenait trop de temps et qu’il fallait que j’aille voir ailleurs. Heureusement, j’ai été très bien traitée dans la seconde pharmacie où je suis allée et la pharmacienne a été outrée par le comportement de ses confrères» pensiez quoi? Qu’il suffisait de prier le SaintEsprit pour éviter de tomber enceinte?» Juste après m’avoir demandé si je savais comment on fait les bébés» Virginie, 34 ans Natalia, 27 ans Mainte­ nant, pour éviter tout sermon, je mens» g Christelle, 31 ans «Les questions du pharmacien devenaient trop détaillées. Couchée? Debout? Vous avez pris du plaisir? Je suis partie sans pilule» Marie, 32 ans g Il est au moins au courant?» m’a demandé la pharma­ cienne sur un ton mépri­ sant. «Et vous le connaissez, au moins?» Marisa, 30 ans Frederic Cirou/MAXPPP LE LENDEMAIN, LA P ILULE NE PASSE PAS SANTÉ Beaucoup de femmes se plaignent de la façon dont elles sont reçues dans les pharmacies lors de l’achat d’une pilule du lendemain. Où sont les limites de l’acceptable? tard ou distribuée à une autre fille qui n’osait pas venir, par exemple.» Une technique qui peut se défendre mais qui n’est pas sans représenter une forme d’échec. «Si le pharmacien parvient à établir le dialogue et la confiance durant son entretien, cette pratique n’a pas lieu d’être, selon moi.» h ben… Matinale, la petite!» s’est vu rétorquer Lorraine, 25 ans, lorsqu’elle a indiqué au pharmacien l’heure du rapport sexuel qui l’avait amenée là, à lui demander une pilule du lendemain. Lorsqu’elle voudra se procurer une boîte de préservatifs avant de partir, l’homme se fendra même d’un «Et en plus, je vois qu’on va remettre ça!» en ajoutant goguenardement une huile de massage à ses achats. Ce comportement, déplacé au vu des circonstances de la visite, n’est pas un cas isolé. Un nombre important de femmes se sentent en effet jugées, voire humiliées, après un passage à la pharmacie pour l’acquisition d’un contraceptif d’urgence. Qu’elles soient ironiques, moralisatrices ou dégradantes, les petites remarques ne sont pas rares et dépassent parfois le cadre de la prévention nécessaire lors de ce genre d’interventions. Certaines fois de manière choquante (voir les témoignages ci-dessus). Des façons de faire qui chagrinent certains praticiens, comme Noëllie Genre, Clash des réalités Au-delà des grossières erreurs éthiques qu’elle condamne, Noëllie Genre tient à rappeler que les incompréhensions peuvent parfois tronquer les impressions. «Tous les ressentis sont légitimes, mais ils peuvent provenir d’un malaise à la fois des patientes et des pharmaciens, que chacun projette.» D’un côté, un praticien qui va s’immiscer difficilement dans la vie privée d’une personne, de l’autre une patiente qui culpabilise à l’idée de prendre une pilule… «L’agression va être d’autant plus ressentie que la culpabilité est présente. C’est précisément celle-ci que l’on doit chercher à désamorcer au plus vite si on veut éviter le fiasco.» Bien plus qu’une personne qui ouvre et ferme des tiroirs, lit des ordonnances et donne des boîtes, le pharmacien (pour autant qu’il ait une éthique) veille à ce que des substances pouvant avoir des effets parfois destructeurs sur notre organisme soient utilisées à bon escient. Un apothicaire qui ne poserait pas de questions avant de confier à une patiente une pilule du lendemain serait d’ailleurs aussi suspect que celui qui en pose trop. Une limite à son pouvoir, néanmoins, passé les considérations de santé: son avis personnel, il peut se le garder. «E Passé les recommandations de santé, l’apothicaire doit garder son avis personnel pour lui. pharmacienne et sociologue. «Ce façon à l’aider à améliorer certains sont des expériences malheureu- points si nécessaire.» Qu’elles ses. C’est dommage quand cela se proviennent d’un questionnaire ou passe aussi mal.» Alors que beau- du praticien lui-même, les quescoup de femmes culpabilisent lors tions posées doivent permettre de visites de ce type, la profession- d’écarter tout risque potentiel nelle préconise la bienveillance et dans le cas où la pilule serait délile désamorçage. «Il y a un travail à vrée, comme une grossesse faire du côté des pharmaciens pour préexistante ou avancée… «La apprendre à aborder les patientes dose d’hormones contenue dans sans les juger. Dès qu’on passe une pilule du lendemain est masdans le jugement, ça ne va plus. sive et certains risques non anoMême avec la petite morale, on est dins doivent être connus.» Sensidéjà sorti de l’éthique profession- biliser, orienter, répondre aux nelle.» Et que dire de certaines questions sur Même avec la petite le plaisir ou les posimorale, on est déjà tions utilisées lors du rapport sexuel? «C’est sorti de l’éthique simplement scanda- professionnelle» leux. Aucune forme de Noëllie Genre, pharmacienne et sociologue prévention n’exige d’avoir de tels détails sur le dérou- questions ou même informer sur lement de l’acte.» La praticienne les alternatives de contraception recommande d’ailleurs à toute existantes, tels sont donc les obfemme surprise par une question jectifs que doit poursuivre le spéde ne pas hésiter à en demander le cialiste. Rien de plus. «Si votre fondement médical. pharmacien se montre moralisateur ou jugeant, n’oubliez pas que Quand ça se passe bien… votre dossier patient peut être Mené correctement, l’entretien transféré en tout temps dans un sur la contraception d’urgence a autre établissement.» Quant à la pourtant tout lieu d’être. Alexan- prise de pilule sur place, autre sujet dre Grand-Guillaume-Perrenoud, de grogne chez les patientes, le docteur en sciences pharmaceuti- spécialiste en explique les fondeques et praticien, nous en rappelle ments. «Certains l’exigent car ils les enjeux. «Le premier but est engagent leur responsabilité. Ils d’évaluer la façon dont la patiente pensent ainsi éviter que la pilule appréhende sa contraception, de soit gardée en réserve pour plus g ● YANN MARGUET [email protected]