26/04/02 14:38 Page 33 Éditorial Les concepts revisités M. Ferreri* L’ emploi d'un vocabulaire spécialisé pour rendre compte, avec une précision renouvelée, de concepts utilisés dans l'évolution des théories et des pratiques est une nécessité. Paradoxalement, certains concepts sont employés avec une telle fréquence dans différents domaines de connaissance, qu'il est admis implicitement qu'ils sont utilisés en toute clarté par chacun et qu'ils recouvrent pour tous le même sens, le même savoir et, notamment, dans le registre clinique, le même symptôme, syndrome, catégorie, entité ou la même dimension clinique. Ce consensus implicite sur le sens univoque des mots ou des expressions n'est pas si solide. Lorsqu'il est demandé aux spécialistes d'expliquer certains concepts, les divergences apparaissent, notamment sur leur contenu précis et leurs limites respectives. Il existe donc un intérêt à revisiter certains concepts pour les raviver, ou les rejeter, à la lumière des connaissances actuelles. Dans le registre de la clinique descriptive, le concept de dégénérescence mis en exergue par Morel en 1857 signifiait “une déviance maladive d'un type primitif”. Ce concept fut repris par Magnan à la fin du XIXe siècle pour l'étendre à la psychiatrie. Il devint une étiologie possible et un élément nosologique majeur pour une classification clinique des maladies mentales. Ainsi, furent reconnus des sujets prédisposés par la présence de stigmates de dégénérescence auxquels il fut accordé une importance démesurée et redoutable. Les excès, notam- * CHU Saint-Antoine, Paris. Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 3, mars 2002 ment dans le domaine de la criminologie, furent combattus avec vigueur par J. Ballet et Genil-Perrin, qui montrèrent la faiblesse des arguments et de la théorie. Le concept de discordance connut un sort plus enviable et une actualité toujours présente. Lorsque Chaslin, en 1912, utilisa le terme de “discordance” pour montrer la dysharmonie entre les symptômes, il se rappelait l'étymologie du terme : “dis”, séparer et “cor” de “cordis”, cœur, et par contamination “c(h)orda”, c'est-à-dire cordes d'un instrument de musique. Bleuler, à la même époque, en 1913, crée le terme de “schizophrénie” (scission de l'esprit) et utilise le vocable “dissociation” pour désigner la rupture de l'unité psychique repérée dans le comportement et l'expression verbale. Ce concept est repris actuellement dans le cadre d'études des cognitions pour préciser les perturbations intimes de la pensée dans sa logique psychotique et montrer les particularités du dysfonctionnement mnésique. Le concept de discordance et de dissociation est revisité avec intérêt pour en comprendre la subtile pathogénie et ouvrir des possibilités thérapeutiques nouvelles. Le concept de tension intérieure est utilisé couramment en pratique, notamment dans le cadre de l'anxiété et de la dépression. Il recouvre une dimension complexe dont les éléments constitutifs sont, pour certains, repérés et définis avec difficulté. Les précisions s'imposent non pas tant devant des divergences, puisqu’il existe un accord global sur la signification du concept, mais devant les difficultés pour en préciser le contenu. Il s'agit de revisiter ce concept transnosographique pour mieux le connaître et réexaminer sa substance, son sens, son Éditorial intérieur 33 26/04/02 14:38 Page 34 Éditorial intérêt dans le cadre de la clinique actuelle et, en particulier, dans la dépression. La “tension intérieure” correspond, pour la majorité des cliniciens, à une tension éprouvée sur le registre psychique, dominée par une hypervigilance et une attente craintive dans un contexte de peur, d'irritabilité, d'hypersensibilité à l'environnement, mais aussi exprimée sur le registre physique, dominé par la tension musculaire, les douleurs et le cortège des troubles neurovégétatifs. L'évaluation de la tension intérieure est importante parce que son degré d'intensité, comme nous l'avons démontré dans le diagramme HARD (Rufin, Ferreri), augmente le passage à l'acte suicidaire. Elle est, en outre, un des éléments persistants lors des régressions partielles et des troubles résiduels de certaines dépressions insuffisamment réduites par les thérapeutiques. Une connaissance plus approfondie de ces symptômes, tant sur le registre psychodynamique que sur le plan descriptif, est intéressante. La recherche sur l'évaluation de l'intensité de la tension intérieure et la mise au point d'une échelle, rapportée dans un article de la présente revue par P. Martin et al. participe à une appréciation clinique plus complète. Elle apporte une aide à l'ajustement thérapeutique qui devrait permettre de réduire, en période aiguë, le risque vital, en traitant simultanément la tension intérieure et le trouble de l'humeur proprement dit, mais aussi améliorer les réponses insuffisantes aux thérapeutiques médicamenteuses et psychologiques. Éditorial intérieur Erratum Dans le numéro spécial “Pourquoi le suicide aujourd’hui”, publié en décembre 2001, une erreur s’est glissée dans le texte de P. Moron Définition du suicide du point de vue du psychiatre. Dans le dernier paragraphe, il est question de la notion d’“onction suicidaire”, introduite par E. Stengel dans les années 1960. Il s’agit en fait de la notion de “fonction suicidaire”. Nous présentons nos excuses à l’auteur pour cette confusion. 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