Éditorial

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Les concepts revisités
M. Ferreri*
L’
emploi d'un vocabulaire spécialisé pour rendre compte, avec une
précision renouvelée, de concepts
utilisés dans l'évolution des théories et des pratiques est une nécessité.
Paradoxalement, certains concepts sont
employés avec une telle fréquence dans
différents domaines de connaissance, qu'il
est admis implicitement qu'ils sont utilisés
en toute clarté par chacun et qu'ils recouvrent pour tous le même sens, le même
savoir et, notamment, dans le registre
clinique, le même symptôme, syndrome,
catégorie, entité ou la même dimension
clinique. Ce consensus implicite sur le sens
univoque des mots ou des expressions n'est
pas si solide. Lorsqu'il est demandé aux
spécialistes d'expliquer certains concepts,
les divergences apparaissent, notamment
sur leur contenu précis et leurs limites
respectives.
Il existe donc un intérêt à revisiter certains
concepts pour les raviver, ou les rejeter, à la
lumière des connaissances actuelles.
Dans le registre de la clinique descriptive, le
concept de dégénérescence mis en exergue
par Morel en 1857 signifiait “une déviance
maladive d'un type primitif”. Ce concept fut
repris par Magnan à la fin du XIXe siècle
pour l'étendre à la psychiatrie. Il devint une
étiologie possible et un élément nosologique majeur pour une classification
clinique des maladies mentales. Ainsi,
furent reconnus des sujets prédisposés par
la présence de stigmates de dégénérescence
auxquels il fut accordé une importance
démesurée et redoutable. Les excès, notam-
* CHU Saint-Antoine, Paris.
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (19) n° 3, mars 2002
ment dans le domaine de la criminologie,
furent combattus avec vigueur par J. Ballet
et Genil-Perrin, qui montrèrent la faiblesse
des arguments et de la théorie.
Le concept de discordance connut un sort
plus enviable et une actualité toujours
présente. Lorsque Chaslin, en 1912, utilisa
le terme de “discordance” pour montrer la
dysharmonie entre les symptômes, il se
rappelait l'étymologie du terme : “dis”,
séparer et “cor” de “cordis”, cœur, et par
contamination “c(h)orda”, c'est-à-dire
cordes d'un instrument de musique. Bleuler,
à la même époque, en 1913, crée le terme
de “schizophrénie” (scission de l'esprit) et
utilise le vocable “dissociation” pour désigner la rupture de l'unité psychique repérée
dans le comportement et l'expression
verbale. Ce concept est repris actuellement
dans le cadre d'études des cognitions pour
préciser les perturbations intimes de la
pensée dans sa logique psychotique et
montrer les particularités du dysfonctionnement mnésique. Le concept de discordance et de dissociation est revisité avec
intérêt pour en comprendre la subtile
pathogénie et ouvrir des possibilités thérapeutiques nouvelles.
Le concept de tension intérieure est utilisé
couramment en pratique, notamment dans
le cadre de l'anxiété et de la dépression. Il
recouvre une dimension complexe dont les
éléments constitutifs sont, pour certains,
repérés et définis avec difficulté. Les précisions s'imposent non pas tant devant des
divergences, puisqu’il existe un accord
global sur la signification du concept, mais
devant les difficultés pour en préciser le
contenu. Il s'agit de revisiter ce concept
transnosographique pour mieux le connaître
et réexaminer sa substance, son sens, son
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intérêt dans le cadre de la clinique actuelle
et, en particulier, dans la dépression. La
“tension intérieure” correspond, pour la
majorité des cliniciens, à une tension
éprouvée sur le registre psychique, dominée
par une hypervigilance et une attente craintive dans un contexte de peur, d'irritabilité,
d'hypersensibilité à l'environnement, mais
aussi exprimée sur le registre physique,
dominé par la tension musculaire, les
douleurs et le cortège des troubles neurovégétatifs.
L'évaluation de la tension intérieure est
importante parce que son degré d'intensité,
comme nous l'avons démontré dans le
diagramme HARD (Rufin, Ferreri),
augmente le passage à l'acte suicidaire.
Elle est, en outre, un des éléments persistants lors des régressions partielles et des
troubles résiduels de certaines dépressions
insuffisamment réduites par les thérapeutiques. Une connaissance plus approfondie
de ces symptômes, tant sur le registre
psychodynamique que sur le plan descriptif,
est intéressante. La recherche sur l'évaluation de l'intensité de la tension intérieure et
la mise au point d'une échelle, rapportée
dans un article de la présente revue par
P. Martin et al. participe à une appréciation clinique plus complète. Elle apporte
une aide à l'ajustement thérapeutique qui
devrait permettre de réduire, en période
aiguë, le risque vital, en traitant simultanément la tension intérieure et le trouble de
l'humeur proprement dit, mais aussi
améliorer les réponses insuffisantes aux
thérapeutiques
médicamenteuses
et
psychologiques.
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Erratum
Dans le numéro spécial “Pourquoi le suicide aujourd’hui”, publié en
décembre 2001, une erreur s’est glissée dans le texte de P. Moron
Définition du suicide du point de vue du psychiatre.
Dans le dernier paragraphe, il est question de la notion d’“onction
suicidaire”, introduite par E. Stengel dans les années 1960. Il s’agit en
fait de la notion de “fonction suicidaire”.
Nous présentons nos excuses à l’auteur pour cette confusion.
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