Du simple syndrome grippal au choc septique avec défaillance
multiviscérale, la leptospirose est très protéiforme dans son
expression clinique (3, 9). L’association ictère plus syndrome
hémorragique plus insuffisance rénale aiguë oligo-anurique au
cours de la deuxième phase définit la maladie de Weil, une
forme clinique particulièrement grave qui représente 5 à 10 %
des leptospiroses avec une mortalité située entre 10 et 15 %.
Une possible troisième phase, beaucoup plus rare et discutée,
pourrait survenir quelques semaines ou mois, voire années après
la contamination, avec principalement des complications ocu-
laires dont la physiopathologie reste mal comprise (uvéite, cho-
riorétinite, névrite optique, etc.).
En pratique, le caractère bi- ou triphasique n’est plus que rare-
ment constaté au cours de la leptospirose : sa description est
donc un peu désuète. L’utilisation fréquemment précoce des
antibiotiques rend la réponse spécifique en anticorps moins
marquée, avec des phases leptospirémiques et immunologiques
moins clairement individualisées. Ainsi, la maladie de Weil peut
survenir secondairement après une amélioration transitoire ou
évoluer d’un seul tenant après le début des signes. Les symp-
tômes pourraient être moins marqués chez les sujets résidant
en zone d’endémie (sujets immuns).
La fièvre est quasi constante (> 90 % dans les séries), souvent
très élevée (> 40 °C). Les principaux signes associés sont les
céphalées intenses (> 95 %), les myalgies, surtout nettes en
région lombaire et au niveau des mollets (> 80 %) et les signes
digestifs [nausées, vomissements, douleurs abdominales dans
30 à 60 % des cas] (7, 11). La suffusion conjonctivale (notam-
ment l’aspect “injecté” des conjonctives bulbaires) est retrou-
vée chez 30 à 40 % des patients, alors qu’une pharyngite est
notée dans environ 20 % des cas, et un exanthème maculo-papu-
leux particulièrement net en prétibial est signalé chez 10 % des
patients (3, 7).
En dehors des signes généraux, tous les organes peuvent être
touchés de manière directe (envahissement tissulaire) et indi-
recte (mécanisme toxinique et/ou immunologique), indépen-
damment de la présence ou non d’un ictère.
%Les myalgies pourraient être en rapport avec une rhabdo-
myolyse d’origine toxinique ; une infiltration des muscles par
les leptospires (6).
%L’atteinte neurologique est rarement inaugurale. La ménin-
gite, le plus souvent aseptique, survient en général dans la
deuxième phase. Cependant, il a été décrit des méningites véri-
tablement “septiques” avec isolement de leptospires dans le LCR.
%Le syndrome hémorragique associe le plus souvent des
hémorragies digestives et cutanéo-muqueuses.
%L’atteinte respiratoire, d’incidence très variable selon les séries
(20 à 70 %), peut associer une toux, une dyspnée, une hémo-
ptysie (6). Elle peut nécessiter une intubation dans un contexte
d’hémorragie intra-alvéolaire ou d’œdème pulmonaire lésion-
nel. L’histologie retrouve une infiltration alvéolaire par des mono-
cytes et des neutrophiles (5). Des leptospires peuvent être mis en
évidence au niveau de la paroi alvéolaire et des capillaires.
%L’atteinte cardiaque serait le plus souvent en rapport avec
une myocardite interstitielle (5, 6). Au cours de cette atteinte,
on retrouve des anomalies électriques dans 50 % des cas, à type
de bloc auriculo-ventriculaire (BAV), de troubles de la repola-
risation et d’arythmies variables. Il peut s’y associer des lésions
de coronarite. Rarement diagnostiquées, ces atteintes seraient
de mauvais pronostic.
%L’atteinte oculaire avec suffusion conjonctivale dans un
tableau d’ictère flamboyant cutanéo-muqueux donne une colo-
ration orangée aux conjonctives.
#Biologie : thrombopénie, cholestase, cytolyse hépatique,
insuffisance rénale, hématurie et protéinurie
Les principaux signes biologiques associés aux signes cliniques
de la phase aiguë sont repris dans le tableau II.
%L’atteinte rénale, survenant dans la moitié des cas, est habi-
tuellement à diurèse conservée. Une oligurie multiplierait le
risque de mortalité par 9 (6). L’augmentation de la créatininé-
mie peut être organique, en rapport avec des lésions de vascu-
larite, d’œdème interstitiel, de nécrose tubulaire et/ou de rup-
ture de la membrane basale expliquant la présence de
protéinurie, d’hématurie et de leucocyturie (10). L’insuffisance
rénale peut aussi être en partie fonctionnelle, répondant favo-
rablement au remplissage. Celle-ci est associé à une plus faible
mortalité (5).
%La thrombopénie, périphérique, de mécanisme en partie
immunologique (anticorps antiplaquettes), n’est pas liée à une
coagulation intravasculaire disséminée. Présente dans plus de
50 % des cas, elle ne s’accompagne que rarement de signes
hémorragiques.
%L’augmentation des transaminases est en règle modérée
(100 UI/l), car il n’y a pas de réel tropisme hépatocytaire des
leptospires. La cholestase est due à l’action des leptospires et
au sepsis. Les leptospires détruisent l’architecture des capil-
laires sinusoïdes et de l’espace de Disse. Elles infiltrent les
espaces entre les cellules et détruisent les canalicules biliaires.
Le sepsis entraîne une diminution de la sécrétion ATP-dépen-
dante de bilirubine conjuguée dans les canalicules biliaires.
Tout cela a pour effet d’entraîner un reflux de bilirubine conju-
guée dans la circulation générale, responsable de l’ictère (6).
%L’augmentation des CPK, en rapport avec la rhabdomyolyse,
associée à une cytolyse hépatique modérée, chez un patient icté-
rique, doit faire évoquer le diagnostic de leptospirose plus que
d’hépatite virale (6).
#Le contexte : “En France métropolitaine, un jeune kaya-
kiste ou un vieux pêcheur en eau douce, à la fin de l’été”
Il s’agit de rechercher des arguments pour un contact entre les
leptospires et le malade dans les 15 jours en moyenne précé-
dant le début des signes. Le plus souvent, la contamination a
lieu au cours d’un bain en eau douce, contaminée par de l’urine
infectée de leptospires. La contamination directe au contact de
l’animal infecté est également possible. La pénétration peut se
faire en peau saine ramollie par un séjour prolongé dans l’eau,
mais elle se fait le plus souvent à travers une peau excoriée ou
une muqueuse (conjonctive bulbaire, ingurgitation) (4, 12, 13).
La majorité des leptospiroses survient de manière sporadique,
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 2 - mars-avril 2005
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