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La leptospirose en 2004
State of the art: leptospirosis in 2004
# S. Jauréguiberry*, P. Tattevin*
© É. Caumes
RÉSUMÉ. La leptospirose est une maladie bactérienne, de répartition mondiale,
due à un spirochète ; elle représente la première anthropozoonose, avec
100 000 cas par an dans le monde. En France métropolitaine, les personnes les
plus exposées sont les sportifs en eau douce (canoë-kayak, rafting, spéléologie…) et les travailleurs agricoles, à la fin de l’été. Après pénétration transcutanéo-muqueuse, les leptospires peuvent déterminer des lésions directes (envahissement tissulaire) et indirectes (mécanisme toxinique et/ou immunologique).
Le tableau clinique va du simple syndrome grippal au sepsis sévère avec défaillance multiviscérale. Les signes cliniques les plus fréquents sont
la fièvre, les céphalées, les myalgies et la suffusion conjonctivale. La biologie associe à des degrés divers une thrombopénie, une cholestase,
une cytolyse hépatique, une insuffisance rénale, une hématurie et une protéinurie. La mortalité est en règle nulle si la suppléance d’éventuelles
défaillances d’organes (insuffisance rénale, œdème pulmonaire lésionnel, syndrome hémorragique…) est possible. Le diagnostic repose habituellement sur la sérologie (test de microagglutination-MAT) répétée à 15 jours d’intervalle. Le vaccin ne protège que contre le sérogroupe
Ictero-haemorrhagiae. Il est recommandé pour les professionnels exposés, mais il n’y a pas de consensus pour les activités de loisirs.
Mots-clés : Leptospirose - Spirochétose - Anthropozoonose - Physiopathologie - Revue - Loisirs - Sérogroupes.
ABSTRACT. Leptospirosis is a zoonotic disease of world-wide distribution caused by spirochetes of the genus Leptospira. Human infections are
endemic in most tropical and temperate climates. According to WHO estimates, 100 000 cases occur each year in the world. In France metropolitan, most cases occur after leisure-related exposure (canoeying, rafting, fishing) or among farmers in the late summer. After muco-cutaneous penetration, Leptospira cause lesions either directly (tissue invasion) or undirectly (toxin production, immunologic alterations). The clinical presentation is highly variable, from influenza-like illness to severe sepsis with multiple organ failure. Most patients present with fever,
headache, myalgia and conjunctival suffusion. Laboratory abnormalities usually include thrombocytopenia, elevated liver enzymes, renal failure, hematuria and proteinuria. Mortality is very rare when symptomatic treatment of organ failure is undertaken (renal failure, lesional pulmonary edema, haemorrhagic syndrome). On practical settings, the diagnosis relies on serological testing (micro-agglutination test or MAT)
that must be repeated at least once after 2 weeks as the first serological testing is often negative. A vaccine is currently available but only
recommended in the settings of occupational related exposure as its protection is established only again Ictero-haemorrhagiae serogroup.
Keywords: Leptospirosis - Spirochetes - Zoonotic diseases - Pathogenesis - Review - Leisure related exposure - Serogroups.
vec plus de 100 000 cas et 1 000 décès chaque année
dans le monde, la leptospirose, maladie bactérienne due
à un spirochète, est considérée par l’OMS comme l’une
des principales anthropozoonoses de répartition mondiale (1).
Sa prédominance en pays tropical ne doit pas faire oublier son
existence en pays tempéré, en saison chaude. En France, les
estimations récentes font état de 600 à 700 cas par an, dont un
peu plus de la moitié dans les DOM-TOM (2). Maladie des loisirs ou maladie professionnelle, d’importation ou autochtone,
survenant de manière sporadique ou de manière épidémique,
la leptospirose, à la lumière des avancées récentes, en terme
d’épidémiologie, de diagnostic, de taxonomie et de physiopathologie, justifie pleinement cette mise au point (1, 3).
A
* Maladies infectieuses et réanimation médicale, hôpital Pontchaillou - CHU,
35033 Rennes Cedex 9.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 2 - mars-avril 2005
PHYSIOPATHOLOGIE : VASCULARITE, TOXINES
ET ANTICORPS…
Les leptospires sont des bactéries spiralées mobiles appartenant à l’ordre des Spirochaetales. Ce sont des spirochètes aérobies stricts qui ne métabolisent pas les sucres. Leur culture est
longue (8 à 12 heures) et nécessite des milieux particuliers
(EMJH) avec un optimum thermique situé entre 28 et 30 °C.
Leur anatomie et leur mobilité leur permettent de se déplacer
dans les tissus et les liquides biologiques (4).
Les leptospires pathogènes ont pour habitat naturel les tubules
rénaux d’animaux. Ceux-ci peuvent être porteurs sains ou
malades. Ce sont les réservoirs de la bactérie (tableau I) (4-6).
Ils peuvent transmettre la bactérie à d’autres mammifères,
notamment à l’homme, par contact direct ou indirect (milieu
contaminé par leur urine) (1, 3).
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Tableau I. Principaux animaux porteurs de leptospires.
Réservoir animal
Sérovars
Rat
Bétail
Cochon
Chien
Mouton
Chauve-souris
ictero-haemorrhagiae, copenhageni
hardjo, pomona, grippotyphosa
pomona, tarassovi, bratislava
canicola
hardjo, pomona
cynopteri, wollfi
Les leptospires peuvent pénétrer dans l’organisme à travers la
peau ou les muqueuses. Après pénétration et diffusion dans l’organisme, les leptospires entraînent des lésions de vascularite,
avec altération endothéliale et infiltrats inflammatoires. Les
principaux organes (foie, rein, cœur, poumons) peuvent présenter des lésions hémorragiques (5). Certaines souches synthétisent des toxines (hémolysines, hyaluronidase, phospholipase, lipase, glycoprotéines cytotoxiques…), avec des effets
divers : lésions endothéliales directes, nécrose des cellules éphitéliales des tubules rénaux, nécrose hépatocytaire, inhibition
des pompes Na+/K+ ATPase (6, 7).
Les leptospires adhèrent également aux revêtements épithéliaux (6). Le lipopolysaccharide (LPS), présent sur la membrane externe de la bactérie, a une activité antiphagocytaire et
une action agrégative pour les plaquettes et les polynucléaires
neutrophiles (5). C’est ce LPS qui est à l’origine de la réponse
humorale avec synthèse d’IgM, puis d’IgG, sur lesquels repose
le diagnostic sérologique. Les souches les plus virulentes pourraient induire une apoptose des lymphocytes par le biais du
LPS. La leptospirose entraîne une élévation de nombreuses
cytokines pro-inflammatoires, dont le TNFα (5).
Principaux signes cliniques
%
1. Fièvre
2. Frissons
3. Céphalées [1]
4. Myalgies, lombalgies, crampes
5. Anorexie
> 90
> 75
> 95
> 80
> 80
6. Nausées/vomissements
7. Diarrhée/douleurs abdominales
8. Arthralgies
9. Toux
10. Suffusion conjonctivale bilatérale
11. Exanthème [2]
12. Ictère
13. Syndrome méningé [3]
14. Oligo-anurie
15. Hépato-splénomégalie
40-70
30-60
20-40
20
30-40
10-40
40-80
20-30
25
10-40
[1]
[2]
[3]
Par ailleurs, on décrit des complexes immuns circulants dont
le taux est corrélé à la gravité des symptômes, ainsi que des
dépôts d’IgG et de la fraction C3 du complément dans la paroi
des petits vaisseaux. Certains anticorps dirigés contre des antigènes de leptospires peuvent avoir une activité auto-immune :
autoanticorps, antitissu oculaire, antiplaquettes, antiphospholipides ou anticytoplasme de polynucléaires (ANCA) (5, 8).
Les manifestations chroniques, telles que l’uvéite, pourraient
être médiées par la persistance de complexes antigènes-anticorps, même en l’absence de lesptospires viables (7).
ÉLÉMENTS DU DIAGNOSTIC
“Le trépied de la suspicion diagnostique : la clinique,
la biologie et le contexte”
# Clinique : fièvre, céphalées, myalgies et suffusion conjonctivale
L’incubation est de 5 à 14 jours, le plus souvent, mais des incubations beaucoup plus prolongées ont été décrites (> 30 jours).
On décrit classiquement deux phases principales au cours des
leptospiroses humaines :
% une première phase dite leptospirémique correspondant à la
dissémination des leptospires dans le sang, le liquide céphalorachidien (LCR) et l’ensemble des tissus, responsable d’un tableau
aigu et précoce, en général sans ictère (première semaine) ;
% une deuxième phase dite immunologique correspondant à
l’apparition des anticorps spécifiques avec réascension thermique entre la deuxième et la troisième semaine de la maladie,
associée à des manifestations cliniques sévères (dont l’ictère),
et à l’excrétion des leptospires dans les urines (tableau II)
(4-6, 9, 10).
Principaux signes biologiques
%
Rein
– urée sanguine : &
– créatininémie : & à &&&
– protéinurie <1g/l
– hématurie microscopique
– leucocyturie aseptique
Foie
– ALAT : &
– PA : & bilirubine conjuguée : & à &&&
Hématologie
– thrombopénie : ' à '''
– anémie '
– hyperleucocytose +/- lymphopénie
LCR
– méningite panachée ou lymphocytaire
– glycorachie normale
Divers
– CPK &, amylase &, CIC, APL…
Peuvent être accompagnées de douleurs rétro-orbitaires, pouvant en imposer pour une dengue.
L’exanthème, maculaire confluent, est fugace (durée < 24 heures).
Une méningite aseptique semble survenir dans 25 % des cas et touche plus volontiers le sujet jeune.
38
50
70
60
30
80
50-75
30
25
Tableau II. Principaux
signes cliniques et signes
biologiques de la leptospirose à la phase aiguë (5, 6,
9-11).
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Du simple syndrome grippal au choc septique avec défaillance
multiviscérale, la leptospirose est très protéiforme dans son
expression clinique (3, 9). L’association ictère plus syndrome
hémorragique plus insuffisance rénale aiguë oligo-anurique au
cours de la deuxième phase définit la maladie de Weil, une
forme clinique particulièrement grave qui représente 5 à 10 %
des leptospiroses avec une mortalité située entre 10 et 15 %.
Une possible troisième phase, beaucoup plus rare et discutée,
pourrait survenir quelques semaines ou mois, voire années après
la contamination, avec principalement des complications oculaires dont la physiopathologie reste mal comprise (uvéite, choriorétinite, névrite optique, etc.).
En pratique, le caractère bi- ou triphasique n’est plus que rarement constaté au cours de la leptospirose : sa description est
donc un peu désuète. L’utilisation fréquemment précoce des
antibiotiques rend la réponse spécifique en anticorps moins
marquée, avec des phases leptospirémiques et immunologiques
moins clairement individualisées. Ainsi, la maladie de Weil peut
survenir secondairement après une amélioration transitoire ou
évoluer d’un seul tenant après le début des signes. Les symptômes pourraient être moins marqués chez les sujets résidant
en zone d’endémie (sujets immuns).
La fièvre est quasi constante (> 90 % dans les séries), souvent
très élevée (> 40 °C). Les principaux signes associés sont les
céphalées intenses (> 95 %), les myalgies, surtout nettes en
région lombaire et au niveau des mollets (> 80 %) et les signes
digestifs [nausées, vomissements, douleurs abdominales dans
30 à 60 % des cas] (7, 11). La suffusion conjonctivale (notamment l’aspect “injecté” des conjonctives bulbaires) est retrouvée chez 30 à 40 % des patients, alors qu’une pharyngite est
notée dans environ 20 % des cas, et un exanthème maculo-papuleux particulièrement net en prétibial est signalé chez 10 % des
patients (3, 7).
En dehors des signes généraux, tous les organes peuvent être
touchés de manière directe (envahissement tissulaire) et indirecte (mécanisme toxinique et/ou immunologique), indépendamment de la présence ou non d’un ictère.
% Les myalgies pourraient être en rapport avec une rhabdomyolyse d’origine toxinique ; une infiltration des muscles par
les leptospires (6).
% L’atteinte neurologique est rarement inaugurale. La méningite, le plus souvent aseptique, survient en général dans la
deuxième phase. Cependant, il a été décrit des méningites véritablement “septiques” avec isolement de leptospires dans le LCR.
% Le syndrome hémorragique associe le plus souvent des
hémorragies digestives et cutanéo-muqueuses.
% L’atteinte respiratoire, d’incidence très variable selon les séries
(20 à 70 %), peut associer une toux, une dyspnée, une hémoptysie (6). Elle peut nécessiter une intubation dans un contexte
d’hémorragie intra-alvéolaire ou d’œdème pulmonaire lésionnel. L’histologie retrouve une infiltration alvéolaire par des monocytes et des neutrophiles (5). Des leptospires peuvent être mis en
évidence au niveau de la paroi alvéolaire et des capillaires.
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% L’atteinte cardiaque serait le plus souvent en rapport avec
une myocardite interstitielle (5, 6). Au cours de cette atteinte,
on retrouve des anomalies électriques dans 50 % des cas, à type
de bloc auriculo-ventriculaire (BAV), de troubles de la repolarisation et d’arythmies variables. Il peut s’y associer des lésions
de coronarite. Rarement diagnostiquées, ces atteintes seraient
de mauvais pronostic.
% L’atteinte oculaire avec suffusion conjonctivale dans un
tableau d’ictère flamboyant cutanéo-muqueux donne une coloration orangée aux conjonctives.
# Biologie : thrombopénie, cholestase, cytolyse hépatique,
insuffisance rénale, hématurie et protéinurie
Les principaux signes biologiques associés aux signes cliniques
de la phase aiguë sont repris dans le tableau II.
% L’atteinte rénale, survenant dans la moitié des cas, est habituellement à diurèse conservée. Une oligurie multiplierait le
risque de mortalité par 9 (6). L’augmentation de la créatininémie peut être organique, en rapport avec des lésions de vascularite, d’œdème interstitiel, de nécrose tubulaire et/ou de rupture de la membrane basale expliquant la présence de
protéinurie, d’hématurie et de leucocyturie (10). L’insuffisance
rénale peut aussi être en partie fonctionnelle, répondant favorablement au remplissage. Celle-ci est associé à une plus faible
mortalité (5).
% La thrombopénie, périphérique, de mécanisme en partie
immunologique (anticorps antiplaquettes), n’est pas liée à une
coagulation intravasculaire disséminée. Présente dans plus de
50 % des cas, elle ne s’accompagne que rarement de signes
hémorragiques.
% L’augmentation des transaminases est en règle modérée
(100 UI/l), car il n’y a pas de réel tropisme hépatocytaire des
leptospires. La cholestase est due à l’action des leptospires et
au sepsis. Les leptospires détruisent l’architecture des capillaires sinusoïdes et de l’espace de Disse. Elles infiltrent les
espaces entre les cellules et détruisent les canalicules biliaires.
Le sepsis entraîne une diminution de la sécrétion ATP-dépendante de bilirubine conjuguée dans les canalicules biliaires.
Tout cela a pour effet d’entraîner un reflux de bilirubine conjuguée dans la circulation générale, responsable de l’ictère (6).
% L’augmentation des CPK, en rapport avec la rhabdomyolyse,
associée à une cytolyse hépatique modérée, chez un patient ictérique, doit faire évoquer le diagnostic de leptospirose plus que
d’hépatite virale (6).
# Le contexte : “En France métropolitaine, un jeune kaya-
kiste ou un vieux pêcheur en eau douce, à la fin de l’été”
Il s’agit de rechercher des arguments pour un contact entre les
leptospires et le malade dans les 15 jours en moyenne précédant le début des signes. Le plus souvent, la contamination a
lieu au cours d’un bain en eau douce, contaminée par de l’urine
infectée de leptospires. La contamination directe au contact de
l’animal infecté est également possible. La pénétration peut se
faire en peau saine ramollie par un séjour prolongé dans l’eau,
mais elle se fait le plus souvent à travers une peau excoriée ou
une muqueuse (conjonctive bulbaire, ingurgitation) (4, 12, 13).
La majorité des leptospiroses survient de manière sporadique,
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mais des épidémies ont été décrites en cas d’exposition d’un
groupe de personnes dans des milieux fortement contaminés
(compétition de natation en eau douce telle que les triathlons ;
situations d’inondations).
% Les métiers à risque sont agriculteur, éleveur (bétail, aquaculture), mineur, éboueur, égoutier, militaire en manœuvre.
% Les activités de loisirs à risque sont le canoë-kayak, la pêche,
la nage en eau douce, la chasse, le rafting, la spéléologie…
% Le lieu de contamination importe assez peu, puisque la pathologie est ubiquitaire. Elle est seulement plus fréquente en pays
tropical, quel que soit le niveau de développement du pays.
On note dans les pays à climat tempéré une recrudescence des
cas de leptospirose pendant les saisons chaudes, probablement
due à la fois aux bonnes conditions climatiques permettant la
survie des leptospires dans le milieu extérieur et aux expositions
plus fréquentes de la population, notamment à l’eau douce (2).
DIAGNOSTIC POSITIF : LA SÉROLOGIE, LE PLUS SOUVENT
Examen direct et culture
Classiquement, la mise en évidence du pathogène est possible
en étudiant le bon prélèvement : sang en première semaine,
urines alcalinisées en deuxième semaine, LCR en cas de méningite. Les conditions suivantes doivent être réunies : prélèvement rapidement techniqué, examen direct sur microscope à
fond noir par un opérateur bien affûté et charge bactérienne suffisante. La culture des leptospires est difficile, nécessite un
milieu adapté, des conditions astreignantes et doit être prolongée (6 à 8 semaines minimum avant de rendre un résultat négatif). Du fait de toutes ces difficultés, ce type de diagnostic est
réservé aux laboratoires spécialisés. En pratique courante, le
diagnostic repose sur la sérologie.
La sérologie
Une première sérologie est réalisée en utilisant un test ELISA
de dépistage (recherche d’IgM spécifiques). Ce test se positive
en règle durant la première semaine de la maladie. Sa positivation peut être retardée par un traitement antibiotique précoce.
Il est spécifique du genre, mais ne permet pas de déterminer le
sérovar responsable. Sa spécificité, moyenne, ne permet de l’utiliser que pour un dépistage et nécessite un test de confirmation.
Le test de macroagglutination utilise un antigène thermorésistant (TR) de leptospire. Il est facile à mettre en œuvre, mais peu
sensible et peu spécifique.
En cas de positivité de l’un ou l’autre de ces tests, le test de référence de Martin et Petit (Micro Agglutination Test, ou MAT) est
indiqué. Celui-ci consiste à incuber le sérum du patient avec une
batterie de différentes souches de leptospires. L’agglutination
est visualisée au microscope à fond noir avec différentes dilutions. L’interprétation de ce test dépend de l’épidémiologie de
la leptospirose dans la zone où le test est réalisé : un titre ≥ 1/100
est significatif si l’on se trouve dans une zone géographique de
faible incidence (exemple : France métropolitaine), alors que
seuls les titres ≥ 1/400 sont jugés significatifs en zone de forte
incidence (> 50 cas/100 000 habitants/an) telle que Hawaï ou
les DOM-TOM (2, 4, 6). Compte tenu des nombreuses réactions
40
croisées, seul le titre le plus élevé et/ou une multiplication par
quatre de celui-ci, au moins un mois après le début des signes,
permet de déterminer le sérovar responsable.
Attention. La première sérologie demandée au cours d’une leptospirose est négative une fois sur deux (11). De fait, cette négativité ne doit pas faire écarter ce diagnostic. Un certain nombre
de leptospiroses est ainsi probablement occulté. Comme toutes
sérologies, celle-ci doit impérativement être répétée avant de
conclure à sa négativité. Selon les recommandations, trois sérologies à 15 jours d’intervalle seraient nécessaires pour infirmer
un diagnostic ou définir la souche responsable (4, 14). Dans
50 % des cas, cependant, le sérovar ou le sérogroupe responsable n’est pas déterminé.
En France métropolitaine, on retrouve surtout le sérogroupe
Ictero-haemorrhagiae dans les quarts Sud et Est, et le sérogroupe Grippotyphosa dans les quarts Nord et Ouest (2).
Les autres techniques
Des techniques de diagnostic de leptospirose par polymerase chain
reaction (PCR) utilisant des amorces spécifiques sont en cours de
développement. Elles ne sont pas utilisées en routine, en 2004,
mais le seront probablement dans un avenir proche. La PCR
devrait permettre un diagnostic fiable et rapide. D’autres tests sont
d’un intérêt non démontré ou sont en cours de développement
(ELISA IgA, test de fixation du complément, QBC, etc.).
SÉROVARS, SÉROGROUPES, GENOMOSPECIES :
LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES…
La difficulté de compréhension provient de la coexistence d’une
classification phénotypique ancienne, fondée sur la sérologie
et d’une classification génotypique (moléculaire) reposant sur
le séquençage du génome des leptospires.
La définition phénotypique précise deux grands complexes, l’un
pathogène pour l’homme, Leptospira interrogans sensu lato
regroupant plus de 200 sérovars, et l’autre non pathogène (leptospires saprophytes), Leptospira biflexa sensu lato, regroupant
60 sérovars. Les sérogroupes regroupent les sérovars antigéniquement proches. Le niveau inférieur est défini par la souche.
La définition génotypique définit seize espèces ou génomospecies. L. interrogans et L. biflexa sont aussi des génomospecies, mais dans ce cas “sensu stricto”. Malheureusement,
des sérovars peuvent appartenir à plusieurs génomospecies, de
même que les sérogroupes. Le tableau III résume ces données.
PENSEZ AUX DIAGNOSTICS DIFFÉRENTIELS :
LA DENGUE ET LE PALUDISME !
Ils sont nombreux, surtout au retour de pays tropical. Il ne faut
pas passer à côté des diagnostics les plus simples et, en général, les plus courants ! La dengue et le paludisme sont à évoquer systématiquement au retour de pays tropical (tableau IV)
(5, 10, 15).
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Nomenspecies
Sérologie
Phénotype
Genomospecies
Moléculaire
Génotype
Sérogroupe
Sérovars
Souche
de référence
L. interrogans sensu lato
(pathogènes)
L. interrogans sensu stricto
Australis
-//Bataviae
Canicola
Ictero-haemorrhagiae
-//Sejroe
Pomona
australis
bratislava
bataviae
canicola
ictero-haemorrhagiae
copenhageni
hardjo
pomona
Ballico
Jez Bratislava
Van Tienen
Hond Utrecht IV
RGA
M 20
Hardjoprajitno
Pomona
L. kirschneri
Cynopteri
Grippotyphosa
Autumnalis
cynopteri
grippotyphosa
bim
3522
Moskva V
1051
L. borgpetersenii
Tarassovi
Sejroe
tarassovi
sejroe
Perepilitsin
M 84
L. santarosai
Bataviae
brasiliensis
An 776
L. biflexa sensu stricto
Semaranga
patoc
Patoc I
L. biflexa sensu lato
(saprophytes)
L. wolbachii
Genomospecies 3
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Tableau III. Classification
des leptospires (4-6).
codice
Holland
holland
Waz Holland
Syndrome algique
fébrile isolé
Signes
respiratoires
(ictère, exanthème)
Signes
cutanés
Signes
abdominaux
Signes
neurologiques
Si région
tempérée
Grippe
Autre virose
VIH
(Primo-infection)
Sepsis
…
Pneumonie
atypique
Grippe
Autre virose
Fièvre Q
…
Hépatites
virales[1]
Syphilis
…
PNA[2]
Abdomen aigu[3]
Gastroentérite
Salmonellose
…
Méningite
virale
Méningo-encéphalite
…
Si région
tropicale
(évoquez
en plus)
Dengue +++
Paludisme +++
Typhoïde
…
Paludisme
…
Paludisme
Typhoïde
Dengue
…
Paludisme
Typhoïde
Dengue
…
Dengue
Paludisme
Rickettsioses[4]
Fièvre Q
FHV[5]
Fièvre jaune
…
Tableau IV. Principaux
diagnostics différentiels de
la leptospirose, en fonction
de la présentation clinique
et de la région géographique.
Hépatites virales A, B, C, E…
Pyélonéphrite aiguë.
Cholécystite aiguë, angiocholite, appendicite, péritonite, sigmoïdite diverticulaire…
[4]
Typhus des broussailles, typhus exanthématique.
[5]
Fièvres hémorragiques virales : fièvres de Lassa, Congo-Crimée, Vallée du Rift, Ebola.
[1]
[2]
[3]
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue les étiologies non infectieuses, surtout en cas d’atteinte multisystémique et/ou de syndrome pneumo-rénal (connectivites, vascularites).
TRAITEMENT : PÉNICILLINE !
Traitement anti-infectieux
L’antibiothérapie est très probablement efficace bien qu’aucune
étude ne démontre de manière irréfutable son bénéfice en termes
de durée des symptômes et de pronostic (6, 15, 16). Elle diminuerait la durée de l’élimination du leptospire dans les urines
(5, 10). L’impression clinique est habituellement celle d’une
efficacité nette de l’antibiothérapie au cours de la leptospirose
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avec une apyrexie stable obtenue en règle en moins de
48 heures. Le diagnostic formel de leptospirose étant bien souvent rétrospectif, il apparaît difficile de ne pas prescrire de traitement antibiotique devant un tableau de sepsis sévère. De plus,
la gravité potentielle des formes chroniques, notamment oculaires, que l’on n’observe quasiment plus depuis l’avènement
de l’antibiothérapie, incite à traiter toutes les leptospiroses [par
analogie avec la syphilis, autre spirochétose dont on ne voit
quasiment plus de forme tertiaire] (3, 7, 16).
In vitro, les principales classes d’antibiotiques ont une certaine
efficacité, à des degrés divers (17). In vivo, peu d’études ont
été réalisées. Les antibiotiques classiques restent préconisés :
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la pénicilline G (6 à 10 millions UI/j) et l’ampicilline (50 à
100 mg/kg/j) par voie parentérale pour les formes sévères. Pour
les formes modérées, la doxycycline (200 mg/j) ou l’amoxicilline (4 g/j) apportent probablement un bénéfice (5, 6). À
noter les résultats intermédiaires des fluoroquinolones, efficaces in vitro mais décevantes in vivo (17, 18). La télithromycine aurait la meilleure activité in vitro. Le céfotaxime et la
ceftriaxone sont au moins aussi efficaces que la pénicilline G
(6, 17). La durée moyenne de traitement est de 7 jours.
Comme dans la plupart des infections par des spirochètes
(maladie de Lyme, syphilis), lors de l’initiation de l’antibiothérapie, au cours d’une forme sévère de leptospirose, une réaction de Jarisch-Herxeimer peut survenir. Celle-ci associe une
hypotension, une aggravation des symptômes initialement présents, voire l’apparition de nouvelles atteintes d’organe (10,
19). Compte tenu de sa rareté et de son évolution en règle spontanément favorable avec la poursuite de l’antibiothérapie, il
n’est pas préconisé de la prévenir systématiquement.
Mesures associées
Le pronostic des formes graves dépend essentiellement de la
présence d’un plateau technique permettant de suppléer aux
défaillances d’organes, en règle rapidement réversibles sous
traitement adapté. De ce fait, la mortalité des formes graves est
proche de 0 % dans les séries récentes, dans les pays possédant
des structures médicales équipées (1, 3, 5, 7, 11). La guérison
des formes aiguës se fait sans séquelles.
Complications
L’uvéite apparaît immunologique et tardive. Son incidence
n’est pas connue avec précision. Les autres complications sont
anecdotiques [accident vasculaire cérébral, érythème noueux,
sténose aortique, syndrome de Kawasaki, syndrome de
Guillain-Barré, Moya-Moya…] (1, 3, 5, 7).
PRÉVENTION : PAS DE BAIGNADE EN EAU DOUCE
La prévention repose sur la suppression ou la limitation des
facteurs d’exposition, la protection mécanique des professionnels exposés et l’information des voyageurs quant aux
risques des baignades. Une prophylaxie par doxycycline
(200 mg/sem.) peut être proposée si le risque d’exposition est
certain (12, 20). La vaccination disponible en France, est dirigée contre un seul sérogroupe, Ictero-haemorrhagiae, responsable d’un quart des infections. Il y aurait une certaine protection croisée vis-à-vis d’autres sérovars du fait d’antigènes
communs, mais celle-ci n’est ni absolue ni fiable. Elle est
recommandée aux professions exposées. Son intérêt, du fait
de son spectre étroit de protection, est très discuté, pour le
voyageur comme pour les personnes exposées au cours des
loisirs (6, 10, 13). Le vaccin s’administre en deux injections
de 1 ml en sous-cutanée à 15 jours d’intervalle (vaccin Spirolept®), avec une nouvelle injection 6 mois plus tard, puis un
rappel tous les 2 ans. C’est un vaccin inactivé. Son efficacité
est considérée comme bonne 15 jours après la deuxième injection (21).
42
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XX - n° 2 - mars-avril 2005
M
CONCLUSION
La leptospirose, par son visage varié, peut concerner l’infectiologue, le spécialiste d’organe, l’interniste ou le médecin
généraliste. Le caractère multiorganique de cette maladie et
l’aspect immunologique de certaines complications font de la
leptospirose une véritable maladie infectieuse “de système”.
Un possible contage, associé à un syndrome grippal ou un sepsis sévère, en présence d’anomalies du bilan hépatique et de la
bandelette urinaire doit faire évoquer de manière systématique
une leptospirose. La sérologie répétée, malgré ses limites, permet en pratique courante un diagnostic de certitude. La
recherche doit notamment s’orienter vers des méthodes diagnostiques plus sensibles, précoces et accessibles à tous. $
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
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leptospirose. 2003.
UNE MISE AU POINT EXHAUSTIVE ET CLAIRE SUR
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LES MALADIES À PRION
Biologie. Maladies humaines et animales
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précautions et recommandations.
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